Magnifique mélodrame populaire façon Frank Capra ou Tadashi Imai. De nombreuses longueurs profitables au récit : c’est tout un art de savoir être concis et, quand il le faut, de savoir jouer sur la pesanteur ou la répétition.
Mon voisin de salle, bien viril, s’agitait comme un rat de Schrödinger (à la fois vivant et mort), s’attendant sans doute à voir un film de samouraï. Jolie émotion à la fin quand l’actrice se tourne vers la caméra et appelle les spectateurs à applaudir les couples dans le besoin et que quelques mains timides mais bruyantes réveillent la salle.
Découvert à travers ses deux Palmes, relativement tardives dans sa carrière, le « choc » Imamura, c’est surtout la découverte de ses films écrits et réalisés dans les années 60. La nouvelle vague japonaise a permis à quelques cinéastes fous de s’exprimer, parfois pour le pire, mais Imamura a beau proposer des histoires de « dingues », ses récits sont toujours parfaitement millimétrés, d’une densité rare qu’il abandonnera plus ou moins par la suite. Sa réalisation est nerveuse sans être trop portée sur l’invention ou les procédés : tout concourt chez Imamura à mettre en scène (littéralement) une histoire. Et quand le bonhomme est également (contrairement à d’autres cinéastes de « nouvelle vague ») scénariste, on comprend qu’on à affaire à un véritable auteur.
Me reste à découvrir ses documentaires.
Classement :
10/10
The Pornographers(1966) *
9/10
La vengeance est à moi(1979)
La Ballade de Narayama(1983)
Pluie noire(1989)
The Sun Legend of the End of the Tokugawa Era(1957) (scénario)
Histoire intéressante, scénario au point (Kaneto Shindo s’y est collé), mise en scène excellente. Mais un sujet et des personnages qui me laissent un peu de marbre.
Bon courage, larbin!, Mikio Naruse (1931)
Une comédie, un peu comme Ozu à la même époque. Une relation entre un père démarcheur en assurance et son fils. Précision et concision. Pas un plan ne ressemble à un autre, impressionnant.
Les Larmes d’une femme, Mikio Naruse (1937)
Une jeune mariée sert de bonniche à sa belle famille ; elle tente d’aider la sœur de son homme amoureuse d’un garçon qui se voit refuser le mariage. Mélodrame classique.
Un peu vain. Si ce n’était pour la présence de Takako Irie, la beauté toute japonaise, avec son visage ovale, son nez étroit et long, et sa petite voix miaulante, il n’y aurait pas grand-chose à en tirer de ses Larmes.
Ma mère ne mourra jamais, Mikio Naruse (1942)
Bon film mais qui finit par être pollué par les bonnes intentions, la morale et les valeurs d’abnégation et de travail propre à un cinéma de propagande (on est en 1942). Le film ne tombe jamais dans le pathos, on loue l’individualisme quand il est conçu pour aller dans le sens de la patrie, les excès romantiques. Tout esprit négatif ne serait pas bon pour le moral des troupes. Cette dignité et ces valeurs seraient tout à fait acceptables dans ce contexte mais on ne peut si facilement se défaire des intentions trop marquées de la propagande.
Épouse, Mikio Naruse (1953)
Le calque de Meshi. Petit drame de couple qui ne peut plus s’entendre. Problème : le personnage féminin principal est trop antipathique (il vaut mieux voir des hommes lâches et coureurs plutôt que des mégères qui n’aimant plus leur mari lui refusent à la fois maîtresse et divorce).
(Revu). Disperser aux quatre vents les fils d’une même pelote, se libérer du rouet du temps, tirer sur le nœud ombilical, et devenir… fil prodigue.
Une femme dont on parle
Au-delà de l’intrigue amoureuse, comme un refrain qui s’entête : quand les femmes cesseront-elles d’être obligées d’en passer par là.
Mizoguchi terminera sa carrière là-dessus, sur ce même refrain cette fois dépouillé d’une intrigue principale pour se concentrer sur la vie et la condition des femmes de bordel. Déjà, la même fin désillusionnée sur… La Rue de la honte. Et la même innocence venant se jeter dans la gueule du loup. La composition de Kinuyo Tanaka est tout bonnement exceptionnelle, comme d’habitude.
La Dame de Musashino
Sac de nœuds sentimental et cornélien opposant les valeurs d’un Japon vaincu à celle d’un monde où les amours se consomment comme le reste. Plutôt réussi.
La Victoire des femmes
Film féministe pour obéir aux désirs de l’occupant. Mise en place laborieuse, mais l’opposition gagne en tension dès que le procès commence.
Mizoguchi semble s’ennuyer à filmer en intérieurs. Sa lenteur, ses plans-séquences et ses travellings ne sont pas faits pour ça. En revanche, c’est parfait pour les scènes de tension, les actrices ayant tout loisir de montrer l’étendue de leur génie. (Un film auquel répondra un peu plus tard Flamme de mon amour, lui aussi dans une veine soft power au profit des valeurs libérales de l’occupant. Faudra attendre encore pour ressortir les jidaigeki des placards avec La Vie d’O’Haru femme galante en 51, précédé en 50 par Kurosawa et son Rashomon.)
Les Femmes de la nuit
Le génie de Mizoguchi et de Kinuyo Tanaka au service de la propagande anti-prostitution de l’occupant. Naruse s’en tirera mieux (avec La Bête blanche).
La Chanson du pays natal
Apologie de la bêtise et de l’isolationnisme.
Madame Oyu (1951)
(Revu) Qu’il est beau de se sacrifier pour l’amour d’une sœur… — Le problème, c’est quand l’autre fait de même, et que l’homme… attend.
Adaptation d’un roman de Tanizaki, spécialiste apparemment des canevas sentimentaux bien compliqués, que Masumura adaptera par trois fois : Passion, La Chatte japonaise et Tatouage. Interprétation tout en minimalisme de la part de deux des plus grandes actrices de l’âge d’or du cinéma nippon (Kinuyo Tanaka et Nobuko Otowa).
Les 47 Rōnins (1941)
La pire déclaration d’amour de l’histoire du cinéma : « Dites à votre père que je suis son gendre. » Le film m’est presque sauvé par la présence (à la Portia) de Mieko Takamine.
Une demi-douzaine d’années que l’occupation a pris fin, et personne ne semble en avoir informé Imai. (Le Sifflement deKotande Naruse, avec ce même thème de l’étranger de l’intérieur, est plus subtil.) Imai en petite forme.
Journal d’une femme médecin / Joi no Kiroku (1941)
Pour une première séance de cinéma après le confinement, un film japonais des années 30 (40 plutôt, mais la qualité laisse à désirer) où des médecins vantent les mérites de l’aération à des populations pauvres des montagnes touchées par la tuberculose ; où on parle de tests, de taux de positivité, d’isolement et du repos des malades, ou encore d’apprentissage indispensable de l’hygiène ; et le tout dans une salle déjà à une jauge de 65% au lieu de 35% et sous les yeux de vieux spectateurs sans masque. Presque un siècle après, les montagnards à l’hygiène douteuse sont dans la salle, et c’est presque tristement ironique de les voir lever les yeux sur un film sur les leçons d’hygiène et les risques épidémiques comme si c’était pour eux du chinois. Super retour. Au moins, ça fait plaisir de revoir du Shimizu. Je ne projette qu’un ou deux films au cinéma (je ne serai a priori immunisé pour ma part que début août), et beaucoup de ses films sont sur YouTube.
Eclipse / Kinkanshoku 1934
Merveilleux sac de nœuds amoureux (au demeurant, assez peu crédible, mais que seraient les mélodrames sans deux ou trois de ces rencontres fortuites et ces entrelacements savants tenant bien souvent du miracle ou du mauvais œil). Aucune des facéties habituelles du réalisateur, à peine nous gratifie-t-il une ou deux fois de ses travellings chéris. Mélodrame tout ce qu’il y a de plus conventionnel avec des amours toujours contraires et impossibles, des personnages presque obstinés à poursuivre une voie qui les détourne du bonheur. Ce qu’en fait Shimizu, au niveau de la direction d’acteurs et pour ce qui n’est qu’un film muet, est un modèle de précision (l’interprétation tout en retenue et en non-dits des acteurs est à la hauteur des autres grandes interprétations de l’époque du muet et du début du parlant au Japon). Je crois ne pas avoir retrouvé une même tension dans les rapports amoureux, une telle volonté de sacrifier son amour pour celui de l’autre, depuis Le Printemps d’une petite ville (1948).
L’humaniste Yamada, qu’il s’applique à retranscrire la sombre histoire d’une sœur en lutte contre l’injustice d’un système et les petites corruptions laissant peu de place à ceux comme son frère incapables de se défendre loyalement, ou qu’il mette en scène des personnages attachant comme dans l’École ou dans Tora san, jusqu’aux derniers films de samouraïs. Toujours une même humanité, celle des individus seuls représentants des valeurs qui font une société qui, elle, pourtant, les applique rarement pour elle-même.
Classement :
10/10
Le Samouraï du crépuscule(2002)
Flag in the Mist / Kiri no hata(1965) *
9/10
Suna no utsuwa(1974) (co-scénariste)
Zero no shôten(1961) (co-scénariste)
I, the Executioner(1968) (co-scénariste)
8/10
La Servante et le Samouraï(2004)
Otoko wa tsurai yo(1969)
Tora-San’s Cherished Mother(1969)
L’École(1994)
Koi no katamichi kippu(1960) (assistant directeur)
La Poupée de bambou d’Echizen, Kôzaburô Yoshimura (1963)
Une poupée en bambou du père offerte à sa maîtresse, un fils qui se marie avec la maîtresse de son père, des poupées en forme de phallus multipliées comme des petits pains, un mari qui refuse d’avoir des rapports sexuels avec sa femme, une femme qui tombe enceinte suite à un viol, et un fœtus pas plus grand qu’une poupée de bambou qui se perd dans les eaux d’une rivière… La force des symboles.