Où sont passées les guinguettes d’antan ?

Fabulations et autres histoires

 

En 1847, j’avais tout juste 5 ans et j’étais si sage que ma grand-tante Pauline me taquinait en me disant que j’étais déjà vieux. Quelque 168 ans plus tard, c’est avec nostalgie que je me rappelle des guinguettes aménagées sur les bords de Seine où nous nous réunissions en famille tous les dimanches. Quel âge aviez-vous en 1847 ? Il doit bien y en avoir parmi vous qui étiez contemporains des Renoir, non ? D’Auguste ou plus certainement de Jean ? Je n’ai pas bien connu cette période pour avoir été envoyé sur la lune pas mal de temps, mais j’ai cru comprendre que l’un et l’autre avaient bien restitué dans leurs toiles et leurs films l’ambiance des bals et cabarets populaires de mon enfance. Quand je suis rentré en 77, tout cela avait disparu. Où sont donc passées mes guinguettes d’antan ? Chirac n’avait-il pas dit qu’il se baignerait dans la Seine, et alors que nos vieilles guinguettes pourraient venir repeupler nos rives, mais en dehors de quelques agglomérations à travers des opérations plus ou moins fantaisistes et rarement “populaires”, il est triste de constater qu’on préfère aujourd’hui s’enfermer le dimanche pour voir Michel Drucker sur son canapé, jouer à la WII avec des amis, recevoir la famille dans son chez-soi pour tester la dernière recette de Master Chef ! Ou regarder le « grand match » de Ligue 1 sur son téléviseur triple Axel.

C’est en 1871 que j’ai quitté la banlieue parisienne. J’ai donc largement pu profiter de ces ambiances durant mon enfance. J’ai même une fois entrepris avec un ami de faire le tour des enceintes de Paris voguant de bal en bal, samedis et dimanches, durant tout un été. Les frous-frous de Paris, disions-nous. Les jupes de filles. L’ivresse des dimanches à la campagne…

Qu’avez-vous donc fait de mes guinguettes, ô jeunesse ? Oh, je connais la musique… Certains de vos grands-parents me la chantaient déjà à mon retour quand, à l’arrivée de Mitterrand, j’avais naïvement pensé que c’était le retour du Front populaire que je n’avais pas eu la chance de connaître, et donc des bals et des barques, des cabarets et des goguettes du sud de Paris, des réunions improvisées autour des marchés, et donc, de mes bonnes vieilles guinguettes… Ils pouvaient bien rire, dire que c’était ringard, eux les enfants qui avaient connu la guerre et accueilli l’Amérique, ses chewing-gums, ses jeans et ses Elvis à bras tendus… Savent-ils seulement ce que vous pensez aujourd’hui de leur Paris occupée de G.I ? Tout est ringard, tout finit ringard, mais la guinguette est là, dans nos veines, prête à jaillir comme une eau de Seltz.

Sortez les bouteilles, samedi c’est bataille de Seltz avec les copains, et demain soir, c’est champagne ! Rendez-vous dans vos mairies et exigez le retour des guinguettes, de bals musette et du beau peuple sur nos rives ! Le dimanche, la WII, c’est fini !…

Reniflez, cet air pur de la campagne. Peut-être reverrez-vous les mille jupons de la grand-tante Pauline, la madeleine qu’elle vous plantait dans la bouche, et les trois cents délices sonores qui vous agitaient alors dans tous les sens jusqu’à finir dans les haies de roses du petit bar à Pierrot.

Le bar. Que reste-t-il de nos bars… d’antan ? C’est si français aujourd’hui de s’asseoir à la terrasse d’un café… — Et la guinguette, ce n’est pas français ? Sommes-nous tous les touristes de notre propre histoire ? N’accordons-nous au passé que ce résidu futile ?… Je me baladais tout à l’heure autour du bois de Vincennes, quasi désert. Les musiciens autrefois se réunissaient pour faire danser le peuple, aujourd’hui ils se cloîtrent dans les bosquets pour ne pas déranger les voisins en rêvant aux prochains arrangements qu’ils pourront faire sur Audacity ; et le petit peuple se réunit sur l’herbe autour de l’eau pour improviser un casse-croûte lancé sur Facebook. Les canards peuvent crever tranquilles, ça fait 40 générations qu’ils n’ont pas entendu la moindre note d’accordéon ou les grognements trébuchants d’un cocu aviné.

Alors, Mitterrand est passé et Jack Lang l’a fait… Il a relancé la fête de la musique. Relancé oui. Il y a un siècle, on disait… la guinguette et elle se tenait deux à trois fois par semaine dans tous les environs de Paris. Les bourgeois même, à une époque, venaient incognito y dégourdir leur cocotte un peu comme on ramène une belle à son papa. Aujourd’hui, on se fait prendre en photo par le journal de la ville le jour d’inauguration de Paris-Plage et on retourne s’enfermer dans son palais neuilléen gardé par trois adolescents de la légion.

Messieurs Mitterrand, Chirac, messieurs les Américains, vous qui avez importé chez nous baguettes et bérets, bars et petites voitures, qu’avez-vous faits de mes guinguettes d’antan ?

Coin-coin. Coin-coin… Coin-coin……… Coin-coin. Coin-coin…………… Coin-coin.