
Courant du soir

Titre original : Yoru no nagare
Année : 1960
Réalisation : Mikio Naruse & Yûzô Kawashima
Avec : Yôko Tsukasa, Isuzu Yamada, Akira Takarada, Tatsuya Mihashi, Yumi Shirakawa, Takashi Shimura
— TOP FILMS —
Encore une histoire qui se passe dans une maison de geisha et encore plus désespéré qu’Au gré du courant tourné quatre ans plus tôt. Cette fois Naruse y ajoute la couleur Technicolor, mais ce n’est franchement pas plus réjouissant. On est encore à un stade encore plus avancé dans la destruction de la société traditionnelle, et comme toujours la description des maisons de geishas est parfaite pour illustrer cette fin d’un monde de plus en plus occidentalisée.
Naruse nous présente encore cinquante personnages en même temps au début… On peine à y voir clair d’une scène à l’autre ; faire le tri entre les personnages qui deviendront les personnages principaux et les autres. Et puis, le récit se resserre sur quelques personnages, un peu comme pour signifier encore plus la mort, la destruction des choses et des êtres, comme dans un récit du type Dix Petits Nègres ou Alien…

Courant du soir, Mikio Naruse 1960, Yoru no nagare | Toho Company
Ça y est, l’occidentalisation des mœurs est là, et ça nous saute à la figure, et l’effet et d’autant plus réussi avec ce Technicolor très agressif. On voit les jeunes geishas se trimbaler en maillots de bain à la piscine municipale, se faire mâter par quatre ou cinq idiots — bref, le Japon comme on l’imagine et le connaît aujourd’hui.
Et puis, au bout d’une heure (enfin), c’est la révolution. On commence à se familiariser avec les personnages principaux, à connaître les enjeux de leur vie, les conflits. Et là, ça sonne comme du Altman, avec toutes ces histoires racontées en même temps, autour d’un même lieu mais avec des personnages différents. Petit à petit, on est alors plus dans du Altman, on tombe (avec bonheur) dans le mélo, avec les bouleversements des révélations. On ne se focalise maintenant plus que sur deux histoires, toutes les deux basées sur un trio amoureux.
D’abord, la mère et la fille sont amoureuses d’un même homme, en secret… le cuisinier de l’établissement, ancien déporté de guerre en Sibérie, et qui aimerait franchement se trouver ailleurs qu’entre ces deux nanas (d’ailleurs, il va finir par se barrer). Ensuite, une geisha, heureuse avec son amant avec qui elle compte se marier (et par conséquent abandonner le métier de geisha une fois qu’elle aura assez d’argent — on ne peut pas être mariée et geisha), mais qui voit l’arrivée de son ancien mari qui a fait un petit séjour en hôpital psychiatrique et qui compte bien la voir revenir avec lui…
C’est une fois que toutes ces révélations sont faites, et que tout le monde sait qui est qui, que le mélo se met donc en place. Les scènes poignantes entre la mère et sa fille qui se disputent un homme (qui lui ne les aime pas) ; le dilemme de la geisha et de son amant pour faire comprendre à l’ancien mari qu’il n’est plus rien pour elle, sans qu’il pète les plombs. Et bien sûr, comme dans tout bon mélo, ça se termine par une tragédie. L’une des histoires se terminant tragiquement ; l’autre restant ouverte, comme pour dire « la société japonaise survit encore, mais pour combien de temps ? ».
Parmi les histoires secondaires du film, il y en a une ou deux savoureuses. Il y a notamment cette geisha qui termine souvent bourrée, avec un caractère bien trempé (signe que les geishas ont bien changé…, elles qui doivent par exemple connaître l’art de la conversation pour distraire ces messieurs qui viennent se détendre dans un salon de thé) : elle se comporte comme une garce et n’hésite pas à renverser deux verres de bière sur ses messieurs quand ils disent quelque chose qui ne lui convient pas. Et encore, la fille d’une des geishas de la maison, qui passe son temps à vouloir se suicider. Ses tentatives paraissent à la fois désespérées et comiques. Le récit n’a aucune pitié pour elle : elle se plante, sa mère arrive et lui dit que si elle veut se suicider qu’elle le fasse proprement, pas en ennuyant tout le monde.
Bref, toujours le même plaisir de retrouver ces incroyables actrices, capables d’exprimer trois cents émotions à la minute. Impressionnant, dur au début, mais captivant au final.