Les perles du shomingeki

Le shomingeki

Le meilleur du shomingeki 

Avec comme chefs de file Mikio Naruse et Yasujiro Ozu, le shomingeki est un sous-genre de films japonais réalistes, parfois légèrement comiques, présentant des personnages de la classe moyenne citadine dans des scènes de la vie quotidienne, dans leur familiarité heureuse ou contrariée. Sa période s’étale du début des années 30 jusqu’au début des années 60.

Le terme shomingeki est, comme l’était le film noir par exemple, une invention conceptuelle occidentale qui semble apparaître avec la découverte, dans les années 70, des films d’Ozu par la critique américaine (certaines sources évoquent Donald Richie et potentiellement un travail universitaire datant de la fin des années 50). On parlerait au Japon plus de shôshimin-eiga.

Le genre se caractérise par sa sobriété en évinçant peu à peu l’humour des films dont il tire son origine (les films de Shimizu et les premiers films d’Ozu avec le studio Shochiku) comme le tragique des mélodrames des films des années 20-30. Il tirera dans la seconde moitié des années 50 de plus en plus vers le mélodrame à travers les films de Naruse ou de Kinoshita par exemple. On y préfère la description des structures familiales (des fratries, des filles à marier, des mariages à composer ou qui s’effritent), héritage probable des films de « groupes éphémères » de Shimizu, au détriment des récits plus complexes, dramatiques ou épiques. Les enjeux dépassent rarement ceux du cadre familial, mettent rarement en jeu des événements tragiques (en tout cas successifs), et leur résolution se fait en général de quelques jours à quelques semaines (il y a une certaine continuité temporaire qui évite la multiplication des ellipses sur un temps trop long qui rapprocherait alors le récit vers une chronique, voire une biographie ou un mélodrame). C’est d’ailleurs la marque des films d’Ozu : les enjeux y sont souvent très anodins et prétextes à décrire des relations familiales quasiment dans leur routine quotidienne, comme si toute tentative d’introduire dans le récit des événements perturbateurs appelés à modifier l’ordre tranquille des choses était proscris ou vouée à l’échec.

En dehors de Naruse et d’Ozu, on peut citer comme cinéastes ayant touché au genre : Hiroshi Shimizu, Heinosuke Gosho, Yasuki Chiba, Yûzô Kawashima, occasionnellement Kenji Mizoguchi (avec des films réalistes sur des personnages plutôt d’une classe moyenne supérieure), Kôzaburô Yoshimura, Kaneto Shindô, Akira Kurosawa, ou d’autres encore avec des variations parfois à la limite du mélodrame comme Keisuke Kinoshita ou l’actrice-réalisatrice Kinuyo Tanaka.

Classés par ordre chronologique. Uniquement notés de 8+ à 10. Définition large du genre (influences, variations et néo-shomingeki) : j’y exclus tous les films de geishas à l’exception de quelques films avec des hôtesses de bar (La Rue de la honte est exclu ; Les femmes naissent deux fois ou Quand une femme monte l’escalier sont inclus dans la liste par exemple).


Yaé, la petite voisine, Yasujirô Shimazu (1934)

Précurseur du genre, tendance comédie.

Ma femme, sois comme une rose, Mikio Naruse (1935)

Premier shomingeki pour Mikio Naruse avec encore une pointe de mélo.

Qu’est-ce que la dame a oublié ?, Yasujirô Ozu (1937)

Précurseur produit par la maison de production qui se spécialisera dans le genre, la Shochiku.

Des enfants dans le vent, Hiroshi Shimizu (1937)

Même studio (la Shochiku), et Shimizu comme grand inspirateur du genre (le style surtout, avec une approche réaliste, humaniste, et souvent pince-sans-rire).

Cœur enchaîné, Hiroshi Shimizu (1937)

Une femme et ses masseurs, Hiroshi Shimizu (1938)

Shimizu ou la description heureuse des groupes éphémères.

Les Quatre Saisons des deux enfants, Hiroshi Shimizu (1939)

Avant la famille, les gosses, le filon gagnant de Shimizu comme pour Ozu.

Le Cœur sincère, Mikio Naruse (1939)

Courant chaud, Kôzaburô Yoshimura (1939)

Le style shomingeki s’affirme en produisant ici un mélodrame épuré (non-dits, actes manqués, etc.).

La Fille de l’usine à briques, Yasuki Chiba (1940)

Variation naturaliste avec un humanisme pas vraiment joyeux.

Les Frères et les sœurs Toda, Yasujirô Ozu (1941)

Hideko, receveuse d’autobus, Mikio Naruse (1941)

Pour une épingle à cheveux, Hiroshi Shimizu (1941)

Toujours variation chère à Shimizu sur des portraits de groupes éphémères avant que le genre se concentre sur les relations familiales.

Cette belle vie, Mikio Naruse (1944)

Le genre retourne vers la comédie légère et les portraits de groupes éphémères ou de citadins de province (spécialité de Shimizu). On part à la campagne pour éviter les conditions de vie difficiles des grandes villes urbaines durant la guerre.

Récit d’un propriétaire, Yasujirô Ozu (1947)

Dernier adieu à un môme de Tokyo pour Ozu. Toutes les autres caractéristiques du genre sont déjà là.

Un merveilleux dimanche, Akira Kurosawa (1947)

On flirte avec Imai, donc avec le mélo, mais une veine populaire indéniable.

Le Bal de la famille Anjo, Kôzaburô Yoshimura (1947)

Famille riche ruinée.

Une poule dans le vent, Yasujirô Ozu (1948)

L’art de l’évitement. Et des natures mortes. L’ère de l’âge d’or des shomingeki est lancée.

Une image vivante / Ikiteiru gazô, Yasuki Chiba (1948)

Après le naturalisme, Chiba colle au style Shochiku avec la description heureuse d’un groupe réuni autour d’un maître peintre.

Ohara Shôsuke-san, Hiroshi Shimizu (1949)

Shimizu toujours en marge du genre, mais l’humanisme, la simplicité et le réalisme du shomingeki sont là.

Bagatelle au printemps, Kajirô Yamamoto (1949)

Adaptation du Marius de Pagnol.

La Fin du printemps / Printemps tardif, Yasujirô Ozu (1949)

Début de l’âge d’or du genre.

Santé, Mademoiselle ! / Ojôsan kanpai, Keisuke Kinoshita (1949)

Kinoshita versera toujours plus vers le mélodrame à partir de la seconde moitié des années 50, mais au sein de la Shochiku, il avait commencé avec des films relativement… sobres. Santé.

Wedding Ring / Konyaku yubiwa, Keisuke Kinoshita (1950)

La Dame de Musashino, Kenji Mizoguchi (1951)

Drame romantique contemporain, mais peut-être ce qui ressemble le plus à une incursion de Mizoguchi dans le shomingeki.

Le Repas, Mikio Naruse (1951)

La douceur et la complexité du quotidien. Peut-être le film de Naruse le plus caractéristique du genre : ni humour ni mélo, la distance neutre et bienveillante du shomingeki.

Le Goût du riz au thé vert, Yasujirô Ozu (1952)

Été précoce / Début d’été, Yasujirô Ozu (1951)

Voyage à Tokyo, Yasujirô Ozu (1953)

L’art de parler de voyages qui n’auraient jamais dû se faire comme des mariages amenés à ne jamais se faire. L’art du rien. Le sommet du genre.

Un couple, Mikio Naruse (1953)

Sorte de préquel du Repas : la jeunesse d’un couple.

Frère aîné, sœur cadette, Mikio Naruse (1953)

Naruse filme une famille comme un thriller (ou comme Mizoguchi).

Koibumi

Lettre d’amour, Kinuyo Tanaka (1953)

Variation mélodramatique.

Le Grondement de la montagne, Mikio Naruse (1954)

 

Une femme dont on parle, Kenji Mizoguchi (1954)

Nouvelle (presque) incursion de Mizoguchi dans le genre (avec des geishas).

Dobu, Kaneto Shindô (1954)

L’humanisme de Shindô et son regard sur les petites gens. À la limite du naturalisme avec quelques notes burlesques finales. Aisai monogatari, son premier film réalisé en hommage à sa défunte première femme, est peut-être ce qui se rapproche plus du genre shomingeki.

Une auberge à Osaka, Heinosuke Gosho (1954)

Heinosuke Gosho avait réalisé le premier film sonore pour la Shochiku dans la veine pince-sans-rire du studio, il adopte ici la plupart des caractéristiques du shomingeki dans un film sobre et solitaire.

Les Vingt-Quatre Prunelles, Keisuke Kinoshita (1954)

Variation mélodramatique. La Shochiku toujours aux commandes. Une classe et sa maîtresse, on pourrait être chez Shimizu avec son principe des groupes éphémères. La sobriété qui faisait la marque du studio sera désormais étrangère au cinéaste.

Nuages flottants, Mikio Naruse (1955)

Naruse retrouve les notes mélodramatiques de ses débuts et ne les quittera bientôt plus.

Jirô monogatari

L’Histoire de Jiro, Hiroshi Shimizu (1955)

Shimizu a inspiré le genre au sein de la Shochiku, on le retrouve ici avec la même variation sur le sujet de l’enfance et un récit loin des centres urbains. L’humanisme est là, la classe populaire aussi.

Chez la femme (seg. des Baisers), Mikio Naruse (1955)

Intermède ozuesque pour Naruse.

L’Enfant favori de la bonne, Tomotaka Tasaka (1955)

Variation dramatique.

Fûsen / Le BallonYûzô Kawashima (1956)

Le Paradis de Suzaki, Yuzo Kawashima (1956)

À la croisée des genres : entre réalisme poétique, film de double-suicide (sans en être), de geishas (sans en être), et shomingeki avec ses tonalités réalistes, humanistes et populaires.

Printemps précoce, Yasujirô Ozu (1956)

Ozu ou l’incommunicabilité heureuse.

Crépuscule à Tokyo, Yasujirô Ozu (1957)

Fleurs d’équinoxe, Yasujirô Ozu (1958)

Premier film d’Ozu en couleurs, et si ce n’est pas encore le début de la fin du cinéaste, c’est peut-être un peu déjà avec la couleur la fin de l’âge d’or du shomingeki.

Nuage d’été, Mikio Naruse (1958)

Nuages d’été, ou les reliquats fragiles d’un monde rural qui tend à disparaître, loin des regards, face à l’inexorable marche du monde.

Herbes flottantes, Yasujirô Ozu (1959)

Retour à un thème très « années 30 » (le sujet de la famille reste prédominant, mais on retrouve les professions et les portraits de groupe d’autrefois).

Fin d’automne, Yasujirô Ozu (1960)

Dernier Caprice, Yasujirô Ozu (1961)

Avant-dernier film d’Ozu.

Quand une femme monte l’escalier, Mikio Naruse (1960)

Naruse, en plus d’être spécialiste du genre shomingeki, aimait mettre en scène les histoires tristes des geishas, des concubines ou des hôtesses de bar. Parfois, il réunissait les deux en un dans une variation noire et désespérée

À l’approche de l’automne, Mikio Naruse (1960)

 

Courant du soir, Mikio Naruse & Yûzô Kawashima (1960)

La tradition devient folklore et la modernité, tous poils dehors, s’exhibe aux regards.

Comme une épouse et comme une femme, Mikio Naruse (1961)

La mode des shomingeki de la Shochiku est passée, Naruse se rapproche du mélodrame.

Les femmes naissent deux fois, Yûzô Kawashima (1961)

Variation dramatique sur une fille de joie.

Happiness of Us Alone, Zenzô Matsuyama (1961)

Le scénariste de Naruse passe à la réalisation pour un mélodrame sobre sur les personnes sourdes.

La Place de la femme, Mikio Naruse (1962)

Peut-être un des rares derniers shomingeki en adoptant les principales caractéristiques : description d’une grande famille autour du magasin historique des parents.

La Femme de là-bas / Sono basho ni onna arite, Hideo Suzuki (1962)

Lointaine variation du cinéma des groupes éphémères de Shimizu : les relations en entreprise.

La Ville des coupoles, Kirio Urayama

Une femme dans la tourmante

Une femme dans la tourmente, Mikio Naruse (1964)

Une veuve ivre d’amour pour son beau-frère préfère fuir plutôt que de perdre la face. Cette fuite, c’est la dignité d’un Japon qui s’efface.

Tora-san I, Yoji Yamada (1969)

Et si Yoji Yamada était un héritier de l’humanité des shomingeki ? Retour aux sources pour la Shochiku avec l’humour tendre pour dépeindre des petites gens biens.

La Rivière de boue, Kohei Oguri (1981)

Chef-d’œuvre rendant hommage au cinéma d’autrefois.

Le Goût du tofu, Jun Ichikawa (1995)

Incommunicabilité.

Okaeri, Makoto Shinozaki (1995)

Incommunicabilité, minimalisme, solitude et maladie.

Nobody KnowsHirokazu Koreeda (2004)

Koreeda est sans doute le cinéaste japonais actuel s’approchant le plus des caractéristiques des shomingeki d’autrefois.

Still WalkingHirokazu Koreeda (2008)

Une affaire de familleHirokazu Koreeda (2018)