Les rehearsal movies ou en bon françois : Les films musicaux de répétitions.
(pour Broadway essentiellement ; parfois appelés « films de coulisse ») (et quelques affiliés : films de carrière, films de tournage)
Si le western est à l’origine du road movie (à moins que ce soit le chase film), si on peut retrouver l’influence du film noir dans le cinéma expressionniste allemand, si le slapstick s’est conformé au code Hays à travers la screwball comedy (et cela avant même son application), si la screwball elle-même s’est transformée peu à peu en comédie romantique (appelée parfois romcom), eh bien, la comédie musicale, elle, commence au début du parlant avec un type de films servant de prétexte et d’argument complet au film, tournant autour d’une même idée : la production d’un spectacle à Broadway.
De ce genre devenu désuet qu’est la comédie musicale, on ne retient principalement aujourd’hui que sa période flamboyante, celle de l’après-guerre, avec Gene Kelly et Minnelli. De la période qui précède, à peine serait-on capables de citer un ou deux films avec le duo Fred Astaire-Ginger Rogers ou d’associer le nom de Busby Berkeley à des chorégraphies kitsch. Or, à l’avènement du parlant, il est naturel de voir Hollywood s’emparer immédiatement de l’univers où tout se joue, s’écrit, se parle et se chante : Broadway. Qu’est-ce qui fait alors le succès des scènes new-yorkaises ? Les comédies musicales (Show Boat), les revues (à la française, déjà kitsch, mais des femmes en petites tenues peuvent-elles se démoder ?) et le vaudeville (qui n’a rien à voir avec le vaudeville à la française et qu’on devrait plutôt traduire par le terme britannique de « music-hall »).
Proposer de bout en bout une pièce chantée est impensable au début du cinéma sonore, et comme le burlesque est en partie ce qui a fait Hollywood, c’est naturellement que pour inventer une nouvelle forme d’industrie, on se tourne vers Broadway, et donc plus particulièrement en cherchant à adapter la structure en puzzle des spectacles de vaudeville.
Le vaudeville n’était qu’un assemblage de numéros en tous genres : burlesque, jongleurs, acrobates, prestidigitateurs, chanteurs, acteurs, comiques (comedians). Or, pour offrir de tels spectacles à un public de cinéma, il faut bien y trouver un argument commun, un fil conducteur. Les idées les plus simples sont souvent les meilleures, l’histoire (toujours prétexte à un défilement de numéros comiques, chantés et dansés) est donc sensiblement la même de film en film : un producteur doit monter un spectacle à Broadway, et c’est la mise en place de ce “show” que le spectateur de cinéma découvre… Mise en abîme, répétitions, le théâtre au cinéma… Répétons encore et encore… Le film de répétition est né. Le rehearsal movie. Premier rejeton un peu fou de la famille des musicals.
À cette problématique simple (la nécessité de monter un spectacle) s’ajoutent quelques thèmes qui perdureront jusque dans les années 50-60 : la romance (en général, deux jeunes premiers) et l’ambition (je me voyais déjà en haut de l’affiche…).
Le film de répétitions sera le pont entre slapstick et screwball (ils possèdent ces mêmes racines burlesques). Notons par exemple que les Marx Brothers étaient des acteurs de vaudeville, mêlant à la fois humour burlesque et numéros musicaux (certains de leurs films sont également des films de répétitions dans lesquels on pourrait dire qu’ils s’évertuent à démonter systématiquement ce que les autres cherchent à mettre en place.) Le genre a connu son âge d’or au milieu des années 30. On en retrouvera des traces plus tard ici ou là : de l’idée de répétitions d’une troupe de music-hall, on passe au film de stage door, on concentre le récit sur la carrière d’un personnage, ou on repasse sur la côte pacifique pour passer dans les coulisses du cinéma…
Le cinéma avait déjà pratiquement tué le vaudeville à Broadway dans les années 30 (les cinémas proposant à cette époque leurs propres programmes hybrides, et avant que les cinémas se voient à leur tour piquer l’idée par la télévision), et voilà que peu à peu, dès l’après-guerre, et au même moment que la “méthode” s’imposait au cinéma, c’était comme si on baissait le rideau sur ces zinzins saltimbanques de la scène du music-hall. Le basculement vers la comédie musicale flamboyante se situe autour de 1944-45. Une douzaine d’années d’agonie enchantée, de chant du cygne. D’un côté, La Reine de Broadway, flamboyant et intime, qui tout en demeurant un film de “coulisses”, se concentre sur la carrière d’un des personnages ; le canevas dramaturgique se complexifie et gagne en cohérence (on y retrouve le trio présent dans pratiquement tous les films avec Gene Kelly) ; et le film passe résolument au flamboyant (adieu le kitsch et les excès du noir et blanc, adieu les planches, on chante dans la rue désormais – mâchement reproduite en studio). Et d’un autre côté, on trouve le pâle Ziegfeld Follies, assemblage typique des films de répétitions et de revues des années 30 dans lequel William Powell reprend son rôle d’impresario-producteur tenu dix ans plus tôt dans le film de Robert Z. Leonard, The Great Ziegfeld. On retrouvera l’idée d’assemblage dans certains films des années 50, mais on a définitivement déserté les planches de Broadway et ses excès.
Il y a des exemples tardifs de rehearsal road movies, ou quand… des planches de Broadway, on passe aux tournées, comme dans Les Girls. En fait, Hollywood joue au croque-mort : après avoir enterré une diversité de formats et de styles de spectacles qu’on trouvait à Broadway ou ailleurs, imposant au spectateur sa toile projetée, le musical des années 50 ne cesse de mettre à l’honneur ce Broadway qu’il a tué ; avant de s’enterrer lui-même, comme le western et le film noir au même moment. Des objets classiques rejetés ou transformés par un cinéma qui se cherche des auteurs et non plus du grand spectacle.
Après la guerre, c’est aussi pour l’autre Powell, la reine des claquettes, Eleanor, le temps de cesser le mitraillage. Le temps désormais est à la féerie, et Gene Kelly, qu’il pleuve ou qu’il vente, flâne dans les rues (si j’osais, je dirais que Kelly, c’est le cow-boy descendu de sa selle pour arpenter les villes et s’y perdre, avant de décider de repartir… sur la route : l’escale piétonne entre le western classique et le road movie de la fin des 60’s).
Les trois premiers films cités constituent le noyau dur des grandes références du genre. Les suivants traitent le sujet des répétitions sans que c’en soit le thème principal du film, et fournissent quelques exemples tardifs ou des variations sans qu’il soit précisément question donc de Broadway ou même parfois de scène de théâtre, mais on y retrouve un peu du genre à travers la thématique de la réussite de la carrière artistique.
Liste non-exhaustive

Prologues (1933) Footlight Parade
Film de Lloyd Bacon avec James Cagney, Joan Blondell, Ruby Keeler

Chercheuses d’or de 1933 (1933) Gold Diggers of 1933
Film de Mervyn LeRoy avec Dick Powell, Ginger Rogers, Joan Blondell

42ème Rue (1933) 42nd Street
Film de Lloyd Bacon avec Warner Baxter, Bebe Daniels, George Brent

The Broadway Melody (1929)
Film de Harry Beaumont avec Charles King, Anita Page, Bessie Love
Première mouture désastreuse de la franchise des Broadway Melody.

George White’s Scandals (1935)
Film de George White
Il faut bien évoquer cette horreur. On est loin des standards de la MGM (et des revues Ziegfeld dont White était le concurrent), mais le film est éclairé deux minutes par la présence de Eleanor Powell. La MGM l’embauche immédiatement pour tenir le premier rôle dans le Broadway Melody de 1936.

The Broadway Melody Of 1936 (1936)
Film de Roy Del Ruth avec Jack Benny, Eleanor Powell, Robert Taylor
Plus besoin de centaines de filles pour faire le spectacle. On laisse faire Eleanor Powell.

The Broadway Melody Of 1938 (1937)
Film de Roy Del Ruth avec Robert Taylor, Eleanor Powell, George Murphy
On quitte les coulisses pour les champs de courses.

Broadway Melody of 1940 (1940)
Film de Norman Taurog avec Fred Astaire, Eleanor Powell, George Murphy
L’idée des chevaux du précédent film n’ayant pas été du meilleur goût, on profite que Fred Astaire ait envie de se séparer de Ginger Roger pour l’appâter avec la seule danseuse au monde capable de rivaliser avec lui.

L’amiral mène la danse (1936) Born to Dance
Même équipe que Broadway Melody. À noter qu’on y voit chanté pour la première fois I’ve Got You Under My Skin et qu’elle s’adressait donc à l’origine… à un homme (James Stewart).

Carioca (1933) Flying Down to Rio
Film de Thornton Freeland avec Dolores del Rio, Gene Raymond, Raul Roulien
Les tournées à l’étranger capotent toujours. Vaut surtout pour le couple réuni la première fois à l’écran ici dans des seconds rôles : Ginger Rogers et Fred Astaire. Aucun de leur futurs films en commun ne sera d’ailleurs de véritables rehearsal movies.

Le Grand Ziegfeld (1936) The Great Ziegfeld
Film de Robert Z. Leonard avec William Powell, Myrna Loy, Luise Rainer
La bio du plus grand producteur de revues de l’époque.

Une nuit à l’opéra (1936) A Night at the Opera
Film de Sam Wood avec Groucho Marx, Harpo Marx, Chico Marx

Dance, Girl, Dance (1940)
Film de Dorothy Arzner avec Maureen O’Hara, Louis Hayward, Lucille Ball

Bessie à Broadway (1928) The Matinee Idol
Film de Frank Capra avec Bessie Love
Précurseur muet du genre. Les répétitions ne sont pas au centre de l’histoire, mais l’idylle en coulisses, si.

Débuts à Broadway (1941) Babes on Broadway
Film de Busby Berkeley avec Judy Garland, Mickey Rooney, Fay Bainter

La Danseuse des Folies Ziegfeld (1941) Ziegfeld Girl
Film de Busby Berkeley et de Robert Z. Leonard avec Judy Garland, Lana Turner, Hey Lamarr et James Stewart

La Reine de Broadway (1944) Cover Girl
Film de Charles Vidor avec Rita Hayworth, Gene Kelly, Lee Bowman

Une étoile est née (1954) A Star Is Born
Film de George Cukor avec Judy Garland, James Mason, Jack Carson

Une étoile est née (1937) A Star Is Born
Film de William A. Wellman et Jack Conway avec Janet Gaynor, Fredric March, Adolphe Menjou

Summer Stock (1950)
Film de Charles Walters avec Judy Garland, Gene Kelly, Eddie Bracken
Perdus à la campagne…

Les Girls (1957)
Film de George Cukor avec Gene Kelly, Mitzi Gaynor, Kay Kendall
En tournée en Europe

Ziegfeld Follies (1946)
Film de Vincente Minnelli, George Sidney, Lemuel Ayers avec Fred Astaire, Lucille Ball, Lucille Bremer

Certains l’aiment chaud (1959) Some Like It Hot
Film de Billy Wilder avec Marilyn Monroe, Tony Curtis, Jack Lemmon
Variation plus humoristique que musicale avec l’influence du road movie qui prend la forme cette fois d’un « film de tournée ». Inspirée cette fois non pas de Broadway mais d’une pièce européenne.

Tous en scène (1953) The Band Wagon
Film de Vincente Minnelli avec Fred Astaire, Cyd Charisse, Jack Buchanan

Les hommes préfèrent les blondes (1953) Gentlemen Prefer Blondes
Film de Howard Hawks avec Jane Russell, Marilyn Monroe, Charles Coburn

Le Milliardaire (1960) Let’s Make Love
Film de George Cukor avec Marilyn Monroe, Yves Montand, Tony Randall

Funny Girl (1968)
Film de William Wyler et Herbert Ross avec Barbra Streisand, Omar Sharif, Walter Pidgeon

Cabaret (1972)
Film de Bob Fosse avec Liza Minnelli, Michael York, Helmut Griem

Que le spectacle commence (1972) All That Jazz
Film de Bob Fosse

New York, New York (1977)
Film de Martin Scorsese avec Liza Minnelli, Robert De Niro, Lionel Stander

Victor Victoria (1982)
Film de Blake Edwards avec Julie Andrews, James Garner, Robert Preston

Pension d’artistes (1937) Stage Door
Film de Gregory La Cava avec Katharine Hepburn, Ginger Rogers, Adolphe Menjou
Quelques numéros dansés, mais exemple de variation dans l’univers du théâtre qui est aussi un genre en soi.

Ève (1950) All About Eve
Film de Joseph L. Mankiewicz avec Bette Davis, Anne Baxter, George Sanders
Autre variation, le film de carrière

The Actress (1953)
Film de George Cukor avec Spencer Tracy, Anthony Perkins, Jean Simmons

Jeux dangereux (1942) To Be or not to Be
Film de Ernst Lubitsch avec Carole Lombard, Jack Benny, Robert Stack

Une fille de province (1954) The Country Girl
Film de George Seaton avec Bing Crosby, Grace Kelly, William Holden

Evergreen (1934)
Film de Victor Saville avec Jessie Matthews, Sonnie Hale, Betty Balfour
L’exemple britannique qui adapte très vite (sans doute même avant ce film), l’idée. Ici, le point de départ est quelque peu différent et se rapproche du concept de Fedora : la fille d’une ancienne gloire de la scène londonienne, disparue dans d’étranges circonstances (on lui prédisait d’être « ever green »), est poussée à jouer le rôle de sa mère en faisant croire à son retour.
Jessie Matthews est toute mimi, la mise en scène de Saville correcte, mais le design bacon & cheese (produit par la Gaumont-British) ne fait pas le poids face aux exubérances des musicals hollywoodiens de la même époque.

Les Chaussons rouges (1948) The Red Shoes
Film de Michael Powell et Emeric Pressburger avec Marius Goring, Jean Short, Gordon Littmann

Les Producteurs (1967) The Producers
Film de Mel Brooks avec Zero Mostel, Gene Wilder, Dick Shawn

Staying Alive (1983)
Film de Sylvester Stallone avec John Travolta, Cynthia Rhodes, Finola Hughes
(on peut citer aussi Dirty Dancing et Fame)

French Cancan (1954)
Film de Jean Renoir avec Jean Gabin, Françoise Arnoul, Maria Felix
Côté Paris

Le silence est d’or (1947)
Film de René Clair avec Maurice Chevalier, François Périer, Marcelle Derrien
L’exemple français

Looking for Richard (1997)
Documentaire de Al Pacino avec Alec Baldwin, Kevin Spacey, Winona Ryder
Non, Pacino décidera finalement de ne pas en faire une comédie musicale. Large variation.

Coups de feu sur Broadway (1995) Bullets over Broadway
Film de Woody Allen avec John Cusack, Dianne Wiest, Jennifer Tilly
Nouvelle variation.

Nuit de carnaval (1956) Карнавальная ночь
Film de Eldar Riazanov avec Igor Ilinski, Y. Belov et Liudmilla Gourtchenko
L’exemple soviétique. Presque une copie des rehearsal movies des années 30. Tous les personnages sont là. Le film reste assez insipide (ça sent le studio, le renfermé) et trop sage.
Beau numéro de claquette flamenco toutefois, mais avec deux hommes…
L’actrice principale est épatante de maîtrise et de précision.

Les Acteurs ambulants (1940) Tabi yakusha
Film de Mikio Naruse avec Kamatari Fujiwara, Kan Yanagiya, Minoru Takase
La vision japonaise, la musique en moins. (Il y a également une tradition de films japonais sur les acteurs, en particulier Histoires d’herbes flottantes, Okuni to Gohei, Vengeance d’un acteur.)

La La Land (1956)
Film de Damien Chazelle avec Ryan Gosling, Emma Stone, Rosemarie DeWitt
Variation moderne où LA a pris le pas sur Broadway, le cinéma et la musique contemporaine sur le musical et donc disparition du film de « troupe ».