La Nuit des masques

Terminator

Titre original : The Terminator
Année : 1984
Réalisation : James Cameron
Avec : Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton, Michael Biehn
— TOP FILMS —
C’était l’époque où Internet n’existait pas, c’était le temps des cerises, où quand on parlait, mômes, des films qui nous faisaient rêver et qu’on ne pouvait pas voir, car le cinéma était trop loin ou parce qu’on était trop jeunes, il n’y avait qu’un ou deux films dans toutes les têtes, pendant des années. L’image qu’on pouvait se faire de Terminator s’embrouillait avec celle d’Alien, parce que n’ayant vu ni l’un ni l’autre, racontés par les rares copains qui les avaient vus, on ne voyait ces films, devenus de véritables mythes impalpables, que dans notre imagination d’enfants.
Et puis, quand finalement, on pouvait voir le film, religieusement affalés sur un canapé, le plus souvent devant M6 (quelle autre chaîne passerait ce film à 20 h 30 à l’époque ?), elle était là : la révélation. On connaissait déjà tout de l’histoire. Manquait juste… les aliens. C’était plus beau qu’un rêve, un rêve devenu réalité. Un mythe prenant corps : le Terminator existe, je l’ai enfin vu ! Terminator était un film fauché, probablement plus proche dans sa simplicité des Warriors de Walter Hill que, même, de Terminator 2, aux effets spéciaux à la pointe de l’épée.
Terminator, c’est la série B qui déclasse tout à coup toute la production des années 80, et qui donne à ces années, avec Blade Runner et Thriller, leur identité.
Comme quelques années auparavant avec le succès des Dents de la mer, c’était cette absence d’effets, de moyens, qui faisait la réussite du film. Moins on voit, mieux c’est. Parce qu’on peut laisser les enfants se faire le film dans leur tête.
À notre époque, on ne parle que de spoilers (ou spoils, je ne parle pas cette langue). Grâce à Internet, et au reste (l’âge sans doute), on a plus facilement accès aux images, aux avis, aux commentaires, aux secrets ou aux critiques qui provoqueront l’inévitable démystification d’un film. Et puis, on fait semblant de croire qu’il ne faut surtout rien apprendre de l’histoire d’un film.
Eh bien autrefois, c’était le contraire : on connaissait tout de l’histoire (ou presque, c’était vague, au moins les grandes lignes), et à part l’affiche sans doute, et quelques images volées dans des magazines, on ne voyait rien. Même les bandes-annonces, je me plais à croire qu’on y montrait le moins possible. En tout cas celles qui pouvaient nous servir à une heure de grande écoute, en France ; et on passait rarement les bandes-annonces, juste quelques extraits. Et ça émoustillait nos sens, bien plus que si on avait vu la bande-annonce dans son entier.

Terminator, James Cameron 1984 | Cinema ’84, Euro Film Funding, Hemdale
Toutes les histoires se ressemblent, on n’invente rien. La difficulté est de réécrire un mythe en l’actualisant, tout en sachant rester simple. Malgré lui peut-être, c’est ce qu’est arrivé à faire James Cameron. L’histoire est simple : on évoque Skynet, la révolution des machines, John Connor, et on ne voit jamais rien de tout ça. On ne fait qu’imaginer. On imagine toujours mieux le pire (et donc le meilleur pour notre plaisir) que quand on ne nous impose pas ces images. Le Terminator est une machine venant du futur ? Du futur, on ne verra pas grand-chose, et la machine, on n’en verra surtout que le squelette terrifiant rappelant la bataille des squelettes dans Jason et les Argonautes. L’espèce de blob de mercure que sera Robert Patrick a beau refléter les humains à envie, il ne dépassera jamais cette image, non pas qui nous impose un reflet humain, mais nous suggère l’image de notre propre mort. Pas la mort personnifiée, la mort, tout court, la nôtre. Un squelette, qu’il soit fait de métal ou d’os, reste un squelette. Et celui-ci est censé nous pourchasser pour nous obliger à ôter à notre tour le masque de chair dont on se pare, encore vivants… Voici le vrai visage de l’humanité. Un masque de mort, un crâne inexpressif et sans vie qui nous court après, et finira tous par nous rattraper. Elle est là l’image du futur, plus que celle du futur de l’humanité, c’est la nôtre. Et c’est bien ce qui était terrifiant dans Terminator.
Chacun ses mythes, ses héros, ses croyances. Dans ma région, les enfants ne croyaient ni en Rocky ni en Rambo (les deux autres religions monothéistes de l’époque ; Starwars étant plus… animiste), mais on croyait dur comme fer au Terminator. Et je ne renie pas mes origines. À chaque fois que j’ai revu le film, c’était comme une grand-messe, une célébration de mon dieu, celui des enfers, qu’on respecte parce qu’on le craint. Et bien sûr, à chaque fois, comme ailleurs on brûle les idoles à la Saint-Jean ou on passe à travers un feu, chez moi, on regarde, le jour de la Saint-James, Terminator, et à la fin, on l’écrabouille à la décharge du coin. Et tous les ans, ma conviction est la même : sa simplicité, son bon goût (oui, oui) font de lui un chef-d’œuvre. Une pièce (de métal) unique à vénérer.
novembre 2013
Relecture du film en janvier 2017.
Avant d’être un pionnier technologique, Cameron est avant tout un formidable raconteur d’histoire, avec un sens certain du montage, et un auteur de ce qui n’aurait pu être à l’époque qu’une vulgaire série B. Il faut du tact pour mettre en scène des éléments pouvant très vite tomber dans le grossier et le ridicule.
36 15 Mylife (tu-tulu-tu-tutu-tu-lu-tulu…bzzbzz… ne quittez pas, tut-tulu-tutu…). (Reboot du commentaire précédent)
Au milieu des années 80, mon grand frère, qui faisait tout mieux et toujours en double, voit avec sa classe deux films coup sur coup. Alien et Terminator. (Les seuls films que j’ai vus avec ma classe c’est Germinal et Nuit et brouillard). Le soir même, il raconte ces deux films à table. Mon frère me déteste, il ne me parle jamais, il raconte donc à ses parents, mais je n’en rate pas une miette. C’est mon grand frère, il a toujours raison, il fait tout mieux et toujours tout en double.
Le premier, Alien, il me faudra une décennie pour le voir, le second, Terminator, je guettais ses passages à la télévision, probablement sur la 6 alors qu’on captait mal cette nouvelle chaîne dans mon patelin. Mais pourquoi chercher à voir des films qu’on connaît déjà presque par cœur. Deux films qui pendant un certain temps n’en ont fait qu’un. Alien et Terminator, le diptyque magique où le cyborg était roi.
Alors quand je vois comment est perçu le film aujourd’hui, je me dis que souvent, oui, « on passe à côté des films ». Tout bonnement parce qu’on ne voit jamais qu’un seul film : le nôtre. On aime les films qui nous façonnent, on aime les films qui nous ressemblent. C’est rassurant finalement. Quand l’image des parents (ou des grands frères) se dégrade avec le temps, il reste toujours quelques bobines auxquelles on peut se fier et dire « ça, c’est moi, c’est mon histoire, ça me ressemble ». On ne passe jamais à côté de ses films. Et ces films, s’ils sont vivants en nous, ce n’est pas parce que le réalisateur, le machiniste, l’acteur principal sont bons ou que les effets spéciaux nous pètent à la gueule comme il faut, c’est parce qu’on les rapproche, parfois, à notre histoire. Nos histoires.
Quand on vieillit, on devient con ; et être con, c’est ne plus rien apprendre de son environnement. Le gosse est une éponge et il se nourrit de tout. Le bon goût, c’est le goût de celui qui n’a plus faim et qui se nourrit alors de sophistication, de rationalité, de rigueur, de cadre, de confort, d’habitude, de principes, de répétition… Les années 80 sont contraires au bon goût, peut-être, mais je les aime parce que je les ai vécues, elles m’ont forgé, et je les ai aidées à mon échelle à ce qu’elles soient un peu moins toc (j’ai eu beaucoup de mal et on m’écoutait encore moins qu’aujourd’hui — mais je faisais déjà le pitre).
Quelques années plus tard, sortait au cinéma RoboCop. Je me foutais du réal, je me foutais des critiques, je me foutais de l’histoire. Je voulais voir un film avec un type qui se dandinait à poil dans un scaphandre dans les rues et qui invectivait les loubards avec la rigidité d’un sexe souverain. C’était cool et à 9 ans je bandais mou. Après avoir saoulé la famille pendant des années avec des « Iti, téléphone maison ! iti téléphone maison !!! » ils en avaient un peu ras le bol de me voir imiter un robot avec un balai dans le cul et des bras en portemanteaux. J’étais le petit, c’était ma soirée. Mais j’étais trop petit. Terminé. Robocop c’était pour les plus de dix ans. La cervelle au vermicelle acide, ce ne serait pas encore pour moi. Et je restais avec mes vieux souvenirs composés d’Alien et de Terminator.
J’ai dû voir plus tard RoboCop vingt fois en K7.
Alors, oui, parfois, on passe à côté de certains films. Parfois même on les rate. Mais on se rattrape. Et c’est un peu ça aussi être cinéphile. Ce n’est pas seulement voir des films, c’est passer à côté, les retrouver, les oublier, les snober. C’est être face à un film.
Les films ne sont faits que pour être vus, méprisés, adorés. Non pas pour être “bons” ou “mauvais”. Ça, c’est pour les grands. Et devant des films, on ne devrait jamais jouer au plus grand. J’aime en tout cas l’idée d’être resté le cadet, d’être à la place de celui qui regarde, qui apprend, et dont ses idoles ignorent la présence. Un spectateur, dans une salle obscure ou dans une chambre.
Et aujourd’hui, 14 janvier 2017, je serai cadet dans une salle pleine à craquer (elle sera vide), un samedi après-midi, pour voir mon fétiche, mon doudou, mon ami, mon frère.
Je suis un cyborg, et je vais chier mes cinquante rognures de métal sur le monde. Bling-bling.
Popom-pom-popom.
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