The Brother from Another Planet, John Sayles (1984)

Brother

Note : 3.5 sur 5.

Brother

Titre original : The Brother from Another Planet

Année : 1984

Réalisation : John Sayles

Avec : Joe Morton, Daryl Edwards, Rosanna Carter

Petit film produit par Sayles en attendant de pouvoir boucler la production de son premier gros projet, Matewan.

De la SF cheap donc, mais assumée, et presque théâtrale (malgré les nombreuses séquences, je mettrais ma main à couper qu’une adaptation ne devrait pas être si difficile, peut-être même que Sayles l’a écrit pour être joué à Broadway, certains délires étant clairement faits pour la scène…).

Bref, c’est sympathique, à chemin entre Starman, L’Homme qui venait d’ailleurs, Terminator avec cet « étranger venu d’ailleurs » découvrant les usages terrestres (ironiquement, Joe Morton, jouera dans Terminator 2), et Alf, E.T., Clerks ou encore Téléchat (l’humour à la Roland Topor).

Jouer les rôles de muet idiot, à la naïveté enfantine et au charisme de mollusque, c’est toujours du pain béni pour un acteur. Les autres s’en donnent à cœur joie aussi (dont Sayles, avec son air idiot, qui est parfait pour son rôle — jusqu’à présent, de ce que j’ai vu, et de plus convaincant du Sayles acteur, c’est un passage mémorable dans Liana où il se fait éconduire misérablement par le personnage éponyme du film ; pas un grand acteur, mais je le dis souvent, jouer les idiots est peut-être ce qu’il y a de plus compliqué, et au moins lors de cette séquence, il est crédible et drôle).

John Sayles a au moins une qualité : l’indépendance. Participer à des projets à Hollywood ne semble pas l’intéresser si c’est pour être aspiré par son système. Le cinéma indépendant (ou autogéré), c’est sans doute moins lucratif, et s’il souhaite monter un film plus ambitieux avec des moyens qui vont avec, c’est probablement plus difficile pour lui à mener à bout ses idées, mais il paraît seul maître à bord, écrivant les scénarios, gérant la production avec une vieille complice actrice, et peut-être ce qui a le plus de valeur pour lui : il semble fonctionner comme une troupe en faisant appel assez souvent aux mêmes acteurs dont certains viennent aussi sans doute pour le plaisir et par reconnaissance de ce qu’il a fait pour eux. Un vrai petit système à lui tout seul. Ce qui permet donc, de monter un tel film sur le tard en en attendant un autre, sans se soucier du flop qu’il pourrait avoir auprès du public. Tu réalises un film comme d’autres montent des pièces : ça ne marche pas, tu fais autre chose, t’avances, personne pour te faire remarquer que tu n’es pas rentré dans les frais ou a fait un flop qui te fera descendre de trois ou quatre pages dans la liste des réalisateurs influents. Rien que ça, ça inspire le respect.


 

The Brother from Another Planet, John Sayles 1984 | Anarchist’s Convention Films, UCLA Film and Television Archive, A-Train Films


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Notre nazi, Robert Kramer (1984)

Note : 3 sur 5.

Notre nazi

Année : 1984

Réalisation : Robert Kramer

Notre nazi est de ces films dont il est impossible de dire s’ils nous ont plus ou non et qui pour autant sont loin de nous laisser indifférents. Plus qu’une expérience cinématographique, sa vision en devient presque un acte historique, intellectuel, politique… avorté. On voudrait y chercher un sens, force est de constater qu’il n’y en a aucun. Son réalisateur, embarqué par un autre pour suivre le tournage de son film (sorte de making-of avant l’heure), n’est que le témoin d’un événement étrange, fou, un acte de réalisation un peu dingue derrière lequel se cachent d’étranges objectifs. Même si tout cela est bien rendu par le montage, si Robert Kramer se cache généralement assez bien derrière son sujet, il n’en reste pas moins que ce dont il est le témoin, retransmis, on peut le croire, assez fidèlement à ce qu’il a pu voir, plus que du cinéma documentaire, c’est du reportage ou une chronique d’un de ces moments rares où plus rien n’a de sens, où tout semble partir en sucette et où personne ne contrôle plus rien. Robert Kramer n’avait sans doute aucune idée de ce dans quoi il mettait les pieds, on peut donc difficilement chercher dans son film une quelconque intentionnalité de cinéaste. Ce qu’on y voit, c’est ce qu’on juge, ou essaie de juger, pas le film même. L’événement dépasse le film et son réalisateur. Ses réalisateurs. Et peut-être aussi beaucoup ses spectateurs.

Pour comprendre le niveau de surréalisme et de malaise atteint par le film, il me faut évoquer ce qui s’y joue. Le langage, avec sa distance, est probablement plus apte à en faire ressortir l’absurdité…

Un cinéaste sans nom, ou presque, Thomas Harlan, s’apprête à réaliser un film dans lequel on apprend vaguement qu’une sorte de retournement de l’histoire y est proposé, car un petit groupe de militants y séquestrerait un ancien nazi pour l’interroger sur ses crimes… Or, et c’est le premier faux pas du film (filmé) qui entraînera tous les autres, le rôle joué par le nazi est précisément joué, et en connaissance de cause parce qu’il a été précisément été choisi pour ça, par un criminel de guerre nazi, reconnu comme tel par un tribunal, ayant passé des années en prison, et relâché pour cause de maladie (ce n’est plus qu’un vieil homme inspirant parfois la sympathie avec ses « bonnes manières » comme dira Harlan, et il a toute sa tête — du moins, on voudrait le penser, la suite permet de penser qu’il est sans doute presque autant fêlé que celui qui l’a appelé pour réaliser son film). En vue de ce magnifique projet autonauséabond, Harlan convoque son homologue américain, Robert Kramer (surtout connu pour le film qu’il tournera plus tard, Route One USA) pour produire un film sur son film, dans son film, sur le plateau… Quand un projet n’est pas simple, il a raison, autant se compliquer encore plus la tâche.

Si Thomas Harlan est un inconnu aux yeux de l’histoire du cinéma, son nom ne l’est pas tout à fait, puisque c’est celui du réalisateur du film de propagande nazie le plus connu : Le Juif Suss. Thomas Harlan est le fils de Veit Harlan. Cigarette à la main, intellectuel investi et volubile, Harlan explique face caméra la différence entre un criminel de guerre comme Filbert (le vieux SS, acteur principal de son film) qui a toujours cherché à minimiser ses crimes, et son père, fort sympathique selon lui (ce qui est presque un crime à ses yeux dans les circonstances de l’époque… — bonjour Docteur Freud), ayant réalisé ses films durant la guerre en parfait ingénu, et relaxé après-guerre par les tribunaux chargés de juger de son niveau de responsabilité, dirigés selon lui, même, par un ancien criminel de guerre… On a un peu comme l’impression de voir un petit enfant ayant souffert du sort de son père (tout à la fois justifié à ses yeux et injuste : il a souffert de toute évidence de savoir qui a été son père, mais bien plus encore semble-t-il que ce même père semblait n’avoir aucun remords de ce passé…, la schizophrénie n’est pas loin) et qui chercherait en vain à pointer du doigt un « vrai méchant » pour le livrer aux chiens de la bien-pensance d’une Allemagne honteuse de son passé.

Le tournage commence. Le montage de Kramer est un peu agaçant à se focaliser surtout sur la forme au détriment de son sujet : on comprend mal l’objet du tournage, parfois les situations sont confuses, il capture et rend des déclarations qui, sorties de leur contexte, n’ont pas beaucoup de sens, ou qui au contraire, en prennent peut-être un peu trop. Ça part ainsi dans tous les sens, et autant le cinéaste qu’on voit filmer que celui témoin du tournage de l’autre, aucun ne semble savoir ce qu’il fait. L’improvisation semble permanente. On interroge les techniciens, leur malaise parfois, ou au contraire la sympathie non feinte qu’ils peuvent avoir pour le vieil homme. Kramer filme Filbert quand Harlan filme Filbert, si bien qu’on a du mal à savoir ce qui tient parfois de la répétition et du film (de Harlan — qu’il serait par conséquent intéressant de voir pour se faire une idée…, puisqu’il existe). Les répliques semblent n’avoir souvent aucun sens. Harlan fait dire n’importe quoi à son acteur SS qui se laisse manipuler sans peine. Filbert se casse la gueule et manque de se fracasser la tête contre une table, se relève penaud sans rien dire, des membres de l’équipe courent à son aide, Harlan fulmine, et on continue le tournage comme si de rien était… À ce moment, on est nous-mêmes en tant que spectateurs, partagés entre ce qu’on sait de ce vieux bonhomme, de ses crimes reconnus, de sa peine purgée, et de son air hagard, encore lucide, mais qui manifestement cherche à garder un semblant de dignité face à une équipe de tournage ne sachant pas bien comment le prendre… On guette un peu le moment où, face à une déclaration, on pourra enfin le haïr, juger. On reste aux aguets en prenant soin de ne pas se laisser prendre par son air de chien battu, son absence totale de haine ou de mépris à l’égard de ceux qui connaissent ses crimes…

Et puis Harlan a une idée. Kramer le film en possession de documents que le fils de l’ancien réalisateur du régime nazi présente comme des preuves de nouveaux crimes commandités par l’ancien SS et acteur de son film, et pour lesquels il n’aurait pas été jugé. Malaise. Où est la limite entre la fiction, la réalité et un tribunal improvisé… ? Harlan garde tout ça sous le coude et prépare sa revanche, son coup de théâtre foireux, sans en dire ou en montrer beaucoup plus encore à ce moment à Kramer qui continue de filmer le tournage innocemment.

Un peu ignorant et mal à l’aise avec l’opinion qu’ont de lui les techniciens présents sur le plateau, Filbert se rapproche de cet autre curieux personnage qui filme en même temps que l’autre, et qui, sans doute à ce moment, un peu en délicatesse avec son réalisateur, cherche un peu d’appui ou de réconfort, auprès d’un autre. La réponse de Kramer alors, pleine d’innocence toujours, belle et naïve comme celle que pourrait avoir un lycéen dans cette position, mais peut-être aussi la seule possible, la plus saine, la plus « étrangement logique » au milieu de ce qui ne peut l’être : « Je pense que vous êtes un dangereux criminel. Vous avez été jugé pour vos crimes. Je n’ai aucun respect pour vous. Mais c’est vrai, en même temps, vous êtes vieux et vous me faites un peu de peine. » (Je paraphrase.) La logique schizophrène du « en même temps », déjà. Le vieux bonhomme, qui attendait de toute évidence une consolation aux interrogatoires qu’on lui faisait subir dans la fiction et en coulisses depuis le début du tournage, remercie outré le cinéaste pour son honnêteté et se barre. « Vous me reprochez des crimes qu’on m’a obligé de faire ! » Malaise.

La suite n’est pas moins édifiante. Alors que Harlan tente de sortir les vers du nez de son officier SS mélangeant outrageusement le réel et la fiction, celui-ci se laisse aller à quelques confidences lui arrachant quelques larmes. Personne n’y comprend rien : rappelons que le tournage s’effectue en langue allemande, que l’acteur (sa jeune interprète) et le réalisateur parlent allemand, le reste de l’équipe est français sans parler un mot d’allemand, et le cinéaste chargé de réaliser le film sur le film est Américain francophone. La confusion est totale sur le plateau, et Kramer (réalisant un film en vidéo en français, puisque les inscriptions sont en français) pousse la confusion jusqu’à ne jamais traduire les nombreux passages en allemand par la suite (la Cinémathèque a eu la bonne idée, elle, de nous sous-titrer le tout en anglais pour au moins disposer de ces traductions, mais en travestissant « l’œuvre » de Kramer, en quelque sorte, volontairement plus confuse). Un petit comité se forme alors, et le cinéaste, fils du bon élève Harlan, fait la leçon à son équipe en leur expliquant la situation : selon lui, et ils ne devraient pas s’y tromper, les larmes de ce criminel, si elles ne sont pas feintes, ne sont aucunement la conséquence de tardifs remords pour les crimes commis par un officier SS, mais les pitoyables larmes d’un homme regrettant que les maladresses politiques de son frère lui aient interdit toute promotion dans le régime nazi. Merci professeur pour ces explications, mais même avec la traduction, et tel que c’est monté par Kramer, on peut douter de cette interprétation. Et quand bien même ce vieillard pleurerait sur son sort passé, les petits commentaires putrides qui viennent à sa suite sont du plus mauvais effet. L’ostracisme froidement délibéré, bêtement complotiste qu’on adresse à un plus faible que soi et qu’on accuse des vétilles pour expliquer les maux de la terre, ça commence comme ça. Un criminel de guerre pleure l’arrêt brutal de sa carrière, la mort de son frère, l’ostracisme très relatif de ses proches dans les hautes sphères du nazisme… La belle affaire. Il a déjà été reconnu par un tribunal que c’était un fils de pute, s’émouvoir de telles futilités laisse assez songeur sur le sens des priorités de ceux, coupables, d’un tel débinage. Agir en connard envers un autre connard ne te rend pas meilleur que lui. Tu lui apportes même malgré toi un peu de légitimité : entre connards, le criminel sera toujours le plus fort. Il faut donc laisser les criminels à leur place et éviter de chercher à leur tailler un costard, c’est à la société de le faire, pas aux petits tribunaux improvisés sur des plateaux de cinéma…

Arrive le clou du spectacle, la petite manigance fomenté par Harlan pour agiter de moisi ce qu’il y a encore de vivant dans ce bocal au formol. Harlan sort son papier qu’il présente comme une preuve devant l’ancien officier SS de crimes pour lesquels il n’aurait pas été jugé. Filbert fait ce que tout criminel de guerre fait dans cette situation (ou plutôt face à un vrai tribunal) : il nie. Seulement, ce n’est pas tout, loin de vouloir seulement mettre Filbert face à ses responsabilités en lui présentant des documents comme des preuves de ses crimes, Harlan lui impose en plus la confrontation avec deux hommes supposés survivants d’un de ses massacres. C’en est trop pour l’ancien SS, il cherche à quitter le plateau, mais le réalisateur l’en empêche, pointe sur lui sa caméra (Kramer en fait autant), s’ensuit une bousculade qui frise le harcèlement et le lynchage. On déplume Filbert de sa perruque, il se retrouve à moitié nu, et on l’abreuve de questions qui n’ont évidemment plus aucun rapport avec du cinéma. Cut. Kramer nous raconte, un poil cynique, la suite : le tournage a continué, et le film a pu se faire, l’acteur dira même par la suite que ce film aura été indéniablement le plus grand événement de sa vie…

Surréaliste.


 


 

 

 

 

 

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J’ai faim, j’ai froid, Chantal Akerman (1984)

Douce Fiction

Note : 4 sur 5.

J’ai faim, j’ai froid

Année : 1984

Réalisation : Chantal Akerman

Avec : Maria de Medeiros, Pascale Salkin

La fantaisie d’Akerman… Pourquoi ne pas avoir poursuivi dans cette voie…

L’étrange dans l’histoire, c’est que les dialogues sont tellement écrits et récités rapidement, à l’italienne, qu’on reste malgré tout toujours un peu dans une certaine forme de distanciation. Et la Chantal, la distance, elle adore. Seulement ici, contrairement à ses autres films, qu’ils soient de fiction ou documentaire, ça va à cent à l’heure : ça joue comme chez Blier ou dans un Rohmer en accéléré, et au second degré (ce ton parfois si singulier chez Akerman mais qu’on peine justement trop à déceler).

Le ton est si particulier avec une désinvolture telle, un mécanisme dans les situations si étrange, qu’on imagine un peu que Tarantino ait pu avoir vu le film et adopté dix ans après Maria de Medeiros pour Pulp Fiction. À moins que ce soit l’actrice qui parvienne à apporter d’elle-même cette note de fantaisie…

Je persiste à penser que la véritable vocation de Chantal Akerman, c’était la comédie. On le voit même dans un documentaire, Dis-moi, où elle apparaît interviewant une grand-mère juive, l’accueillant chez elle, lui racontant son histoire et tenant à ce que Chantal mange le gâteau qu’elle a préparé pour elle. Le cocasse s’invite dans un documentaire sérieux, et peu à peu Akerman délaisse son sujet : la grand-mère l’invite à dîner chez elle, elle accepte, mais ça tourne au cauchemar, car la vieille dame regarde la télévision en mangeant et décroche quelques regards vers son invitée. Akerman fait alors mine de s’endormir, offense quelque peu son hôte… Un personnage étrange cette Akerman, à la fois attachant et provocateur, une audace troublante, qui peu être certes la marque d’un certain génie, mais paradoxalement aussi d’une certaine maladresse ou d’un inaccomplissement coupable parce que de ce génie à peine esquissé, on en verra trop peu tout au long de sa carrière, finalement. C’est ce qui apparaît dans ce court de 18 minutes, avec une actrice faite pour elle, et dont on peut regretter qu’elles ne se soient pas croisées par la suite : Maria de Medeiros.


J’ai faim, j’ai froid, Chantal Akerman 1984

Sur La Saveur des goûts amers :

Top Films français

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Dionysos, Jean Rouch (1984)

Dionysos

Dionysos Année : 1984

6/10 IMDb

Réalisation :

Jean Rouch

Joyeux bordel volontaire. On est plus dans la fiction que dans l’ethno, et même si Rouch peut être amusant dans le baroque (ou le surréalisme), il épuise avec ses danses antiques, ses références lourdes ou incompréhensibles. Espéré un temps que ça tourne à L’Héritage de la chouette de Marker, autrement dit que le film devienne pour de bon didactique, éclairant. Dans l’ethnofiction de Rouch, c’est rarement la fiction qui captive. Cocorico Monsieur Poulet, tourné avec ses fidèles acolytes, avait la même veine absurde, sorte de mélange improbable entre Easy Rider et Vanishing Point, le tout bien sûr en Afrique. Mais Rouch n’est jamais aussi meilleur que quand il fait dans l’ethnographie. Et Dionysos est surtout un grand n’importe quoi


Dionysos, Jean Rouch 1984 | CNRS Audiovisuel, Films A2, Les Films du Jeudi


La Maison et le Monde, Satyajit Ray (1984)

La Maison et le Monde

Ghare-Bairela-maison-et-le-monde-ghare-baire-satyajit-ray-1984Année : 1984

Réalisation :

Satyajit Ray

avec :

Soumitra Chatterjee

Victor Banerjee

Swatilekha Sengupta

7/10  IMDb

Certaines longueurs, parce qu’on y retrouve le petit défaut des films de Ray des dernières décennies, à savoir, un refus, un peu étouffant, à filmer des plans ou des scènes à l’extérieur. On croit même presque y reconnaître le palais de Charulata, et Soumitra Chatterjee y reproduire de la même manière une chanson a cappella comme il le faisait vingt ans plus tôt.

C’est le titre qui pourrait presque résumer à lui seul l’espèce de dichotomie bancale rencontrée dans la filmographie de Ray. Dans ses premiers films, très souvent, les deux “mondes”, celui du foyer et celui du monde extérieur, sont liés, puis petit à petit il resserre ses intrigues dans des intérieurs en négligeant toute forme de contextualisation (même dans Kanchenjungha, Ray utilise sans cesse les mêmes décors extérieurs jusqu’à les faire passer pour de simples décors de théâtre).

Heureusement le film retrouve un second souffle dans son dernier acte où la nature trouble du leader révolutionnaire est révélée au grand jour et où tout ça finit par déteindre sur sa relation sentimentale avec la femme du maharadja. Le maharadjah, lui, au contraire (à l’image du mari cocu à la fin de Charulata, toujours) gagne encore un peu plus de noblesse d’âme.

La dernière image, faite de surimpressions multiples pour montrer le temps qui passe jusqu’au deuil final, est tout à fait saisissante. Trois petits points qui s’effacent en fondu…

Un Satyajit Ray correct est un Satyajit Ray dispensable.


La Maison et le Monde, Satyajit Ray, Ghare-Baire 1984 | National Film Development Corporation of India


Heimat, Edgar Reitz (1984)

Les Mouches

Note : 4 sur 5.

Heimat

Année : 1984

Réalisation : Edgar Reitz

Il y a quelque chose qui donne le vertige dans Heimat. Un de ces vertiges qui nous font prendre conscience tout à coup que nos existences ne valent rien. On le sait pour avoir entendu tous très tôt des vieux nous dire « tu verras, quand tu seras plus vieux, tu comprendras… ». Et on comprend jamais. Savoir n’est pas comprendre. Le privilège de la jeunesse, c’est bien ne rien comprendre, de se croire important, invincible. Parce qu’on s’agite comme des mouches. Certaines partent au loin pour découvrir le monde, d’autres restent où elles sont nées, mais toutes finissent de la même façon, à s’enfermer dans une pièce et à tourner comme des connes à attendre de tomber. On ne vaut pas mieux qu’elles : on vient, on repart, sans avoir fait le moindre bruit, et ce qui reste de nous, ce ne sont que nos misérables chiures. On peut bien s’échiner à vouloir foutre des plaques commémoratives un peu partout pour qu’on se rappelle de nous, ou finir sous la dernière d’entre elles avec notre nom au milieu de milliers d’autres, les chiures ne parlent pas, ne vivent pas. C’est de la mémoire en carton. On les gratte, et elles aussi disparaissent, comme cette statue inaugurée en grande pompe après la guerre de 14-18 et qu’on déplace sans ménagement cinquante ans après parce qu’elle est vilaine et fait tache au milieu de la place du village… Des chiures, des chiures, toujours des chiures.

La série met un peu de temps à se mettre en place. Je pense même pouvoir dire que l’ensemble vaut bien mieux que les épisodes pris séparément. C’est qu’au début, tout est anodin. Des amours, des bisbilles, des ambitions, des échecs, et la guerre, partout et nulle part, parce qu’on ne la voit jamais que quand on apprend la nouvelle de la mort d’un membre de la famille, ou un voisin, ou quand un autre revient au village. Et puis, au fil des épisodes, on s’attache à ces trois protagonistes, ces mémoires vivantes, qui enregistrent tout pour eux seuls, ne restituent rien, ou presque (c’est la magie des histoires que nous pouvons, nous, raconter), et qui crèveront au milieu des chiures et des bulles de savon. La plus évidente d’abord, Maria, qui pourtant ne devient le personnage principal qu’à partir du second épisode (voire jamais en fait, c’est juste le personnage le plus récurrent, et pour cause, puisqu’elle seule hantera jusqu’à la mort ces mêmes lieux). Puis le village donc, et plus particulièrement la maison familiale qui ne bougera pas d’un pouce en trois quarts de siècles (c’est que des chiures de mouches, elle en a vu, puisqu’elle a trois siècles, elle ; ça donne le vertige, et pourtant, on n’en voit jamais qu’une petite parcelle… humaine). Et enfin, le voisin célibataire, le mec bizarre, toujours bien accueilli chez les Simon, dont on saura finalement très peu de choses, sinon le principal : né la même année, et que le siècle, que Maria, il mourra finalement peu de temps après elle, tout comme elle, il n’avait jamais, lui, quitté le village, tout comme elle, il aurait pu raconter toutes les histoires de chiures de mouches du village, et c’est bien pour cette raison (une des meilleures idées de la série) qu’il est, lui, le solitaire inamovible, le narrateur de ce récit multidécennal. Pour lui, le dernier épisode, se permettra quelques écarts puisque lui qui assistait toujours aux activités du village (un peu comme le type qui apparaît dans chacun des épisodes du Décalogue de Kikislowski), voilà qu’arrive enfin son triste instant de gloire, à l’image de sa vie : à l’heure de rendre l’âme, il rencontrera tous les habitants qu’on a croisés au cours de sa vie ; et à sa mort, aucun éclat, on dira juste qu’il vaut mieux le mettre à l’écart pour ne pas gâcher la fête du village… Une encyclopédie humaine vient de disparaître, et c’est toute la mémoire du village qu’on écarte de la main comme on le fait avec une mouche. Cachez cette chiure, on vaut mieux qu’elle… Oui, pour combien de temps ? Maria n’avait eu qu’un peu plus de considération, mais déjà l’histoire était tout à la fois cruelle et juste, puisqu’au moment de la procession, un orage s’abat sur le village, et on abandonne son cercueil au milieu de la route en attendant que ça se passe. Le temps passe, les mouches s’abritent, puis elles s’agiteront à nouveau pour savoir si leurs chiures sont plus belles au printemps… « Dans le vain, la vérité », comme se la pète Otto, un jour, pour séduire sa Maria. Les mouches, quand ça ne fait pas encore des chiures, on les sent déjà péter.

Et Maria, pourtant, avait déjà tout compris : quand son fils croit lui faire plaisir en lui offrant une télévision couleur, elle n’en veut pas. « C’est pour pas que tu t’ennuies ! » Mais non. Maria, ça fait presque un siècle que son connard de mari l’a quittée pour Detroit, USA, alors elle sait comment se tenir compagnie : en se promenant le soir dans les rues du village et regarder tous ces vieux accrochés à leur télévision comme à une branche avant de tomber pour de bon. Pour elle, elle est là la solitude. Et peut-être même qu’elle se sentirait moins seule si sa belle-sœur ne lui avait pas mis dans la tête, l’idée de vendre sa vache pour se payer un séjour en Floride. Peut-être même qu’elle serait moins seule, si ses mouches à elle ne s’éparpillaient pas aux quatre coins de la brousse après avoir découvert le pet à réaction. Oui, parce que c’est beau le progrès, on se marie même par téléphone !…

À partir de l’avant-dernier épisode, toute la série prend son sens, tragique, cruel, presque philosophique (les mouches, toussa), et c’est en effet plutôt déprimant, de faire le compte, comme les petits vieux, de tous ceux qui sont morts. Alors, on regarde les pierres, les murs, les chemins, et on se dit que si les mouches passent, tout cela reste. Et ça fait quelques centaines de millions d’années que ça, ça n’a finalement pas tant changé que ça… Mais les mouches ne peuvent jamais voir que des chiures de mouches. Ces espaces, ces terrains, ces maisons, on les partage avec d’autres mouches, qui elles aussi ont déposé leurs chiures un peu partout, des chiures censées rappeler leur mémoire et que personne ne sait lire. Parce que c’est con les mouches. Et que les chiures, ce n’est pas éternel. Ah oui, contemplons nos murs, nos chemins, parce que s’ils ne disent rien, ils en savent plus que nous. Et quand on y dépose avec emphase nos chiures préférées, il faut comprendre qu’il n’en restera bientôt rien. Un portrait, une plaque commémorative, une tombe, tout ça fait bien joli, mais on gratte et ça disparaît aussi sec comme une bulle. Les pierres, elles, portent les chiures de la terre, et leur mémoire est plus vivante que la nôtre.

Petite note d’espoir pour finir, tout de même (je ne suis pas une raclure de chiure). S’il ne fallait garder qu’un épisode, ce serait celui dédié à l’amour interdit du jeune Hermann. C’est un peu un film à l’intérieur du film puisque cette histoire aurait pu parfaitement faire l’objet d’un film indépendant.


Heimat, Edgar Reitz 1984 | Edgar Reitz Film, Sender Freies Berlin, Westdeutscher Rundfunk 


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2084, Chris Marker (1984)

Les années crise

2084

Note : 4 sur 5.

Titre complet : 2084: Video clip pour une réflexion syndicale et pour le plaisir

Année : 1984

Réalisation : Chris Marker

Marker éclaircit là où Godard obscurcit. Après avoir vu la lettre incompréhensible et prétentieuse de Godard faite à Gilles Jacob, j’avais envie de me replonger dans le phrasé clair de Marker. Si tous les deux peuvent offrir à l’occasion des œuvres basées sur le montage se rapprochant de ce que pourrait être un essai filmique, Godard adopte presque toujours une vision hautement personnelle et introspective qui rend son discours opaque, alors que Marker prend plus de hauteur et met son discours au service de l’idée qu’il défend. Godard se rêve en philosophe, je le vois surtout comme un poète. Et Marker est un pédagogue. Non seulement son discours est clair et didactique mais il sait aussi se servir de procédés ludiques pour mettre en scène son propos. Ça commence déjà par cette idée farfelue de fêter le centenaire du syndicalisme en se projetant cent ans plus tard, ça continue avec l’utilisation de code couleur pour définir des humeurs ou des positions, et ça finit par le ton un peu désinvolte de la voix off. Le style de Marker est unique, si lui aussi peut aussi être abscons, ou en tout cas être trop brillant pour ma petite tête, il reste toujours le style, qui globalement offre un regard sur le monde, une information, un fait, le tout, comme il dit, pour lutter contre l’ignorance. On peut ne pas tout comprendre, mais ce qu’on saisit sonne juste. C’est bien pour ça que L’héritage de la chouette est aussi indispensable. La forme est avant tout au service du fond. Et le fond de l’affaire, c’est le partage d’un savoir ou l’expression d’un point de vue.

Il est donc amusant de voir ce film tourné en 1984 et de remarquer qu’au début de la crise, les craintes, les attentes et les critiques du modèle socio-économique, du monde quoi, de la politique, étaient ceux qu’on retrouve aujourd’hui. La crise de 2008, la crise économique, la crise de l’euro, la crise de la gouvernance européenne, la crise des années 80…, tout ça, c’est la même chose. Après les trente glorieuses, « la crise ». Une crise qui a commencé par les premiers chocs pétroliers, la perte des illusions dans les années Mitterrand, voyant la naissance du Front National et le début d’une dette qu’on en finira plus de refourguer à son successeur, et donc une crise qui court encore aujourd’hui, avec les mêmes acteurs, les mêmes causes, les mêmes enjeux, et globalement une même désillusion et une défiance envers « le système ». La seule idée paradoxalement qui semble un peu datée du film, c’est celle du syndicalisme. Le syndicalisme, c’est encore l’idée d’un possible, l’idée « d’une passerelle entre la colère et l’espoir ». Or s’il n’y a plus d’espoir et seulement de la désillusion, il n’y a plus de syndicalisme. Pour être syndiqué, il faut travailler, et avant de chercher à défendre ses droits, on est avant tout citoyen. Ah, et encore… Parce que si on s’autorise à critiquer « la politique », la marche du monde, la participation à la démocratie comme expression du peuple ne cesse de reculer, et quand les opinions s’expriment, ce n’est plus pour décider d’un choix politique, mais d’exprimer cette colère face à l’aveuglement « des politiques » qui croient encore pouvoir bercer le peuple de ces mêmes illusions. Nul besoin d’imaginer un robot présentateur pour 2084, les robots de la crise, ils sont déjà là et répètent incessamment la même prose, les mêmes erreurs, depuis les années 80. Et donc, nous aussi.


 

2084, Chris Marker 1984 La Lanterne, Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT) (2)

2084, Chris Marker 1984 | La Lanterne, Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT)

2084, Chris Marker 1984 La Lanterne, Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT) (3)


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L’obscurité de Lim

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Terminator, James Cameron (1984)

La Nuit des masques

Terminator

Note : 5 sur 5.

Titre original : The Terminator

Année : 1984

Réalisation : James Cameron

Avec : Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton, Michael Biehn

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C’était l’époque où Internet n’existait pas, c’était le temps des cerises, où quand on parlait, mômes, des films qui nous faisaient rêver et qu’on ne pouvait pas voir, car le cinéma était trop loin ou parce qu’on était trop jeunes, il n’y avait qu’un ou deux films dans toutes les têtes, pendant des années. L’image qu’on pouvait se faire de Terminator s’embrouillait avec celle d’Alien, parce que n’ayant vu ni l’un ni l’autre, racontés par les rares copains qui les avaient vus, on ne voyait ces films, devenus de véritables mythes impalpables, que dans notre imagination d’enfants.

Et puis, quand finalement, on pouvait voir le film, religieusement affalés sur un canapé, le plus souvent devant M6 (quelle autre chaîne passerait ce film à 20 h 30 à l’époque ?), elle était là : la révélation. On connaissait déjà tout de l’histoire. Manquait juste… les aliens. C’était plus beau qu’un rêve, un rêve devenu réalité. Un mythe prenant corps : le Terminator existe, je l’ai enfin vu ! Terminator était un film fauché, probablement plus proche dans sa simplicité des Warriors de Walter Hill que, même, de Terminator 2, aux effets spéciaux à la pointe de l’épée.

Terminator, c’est la série B qui déclasse tout à coup toute la production des années 80, et qui donne à ces années, avec Blade Runner et Thriller, leur identité.

Comme quelques années auparavant avec le succès des Dents de la mer, c’était cette absence d’effets, de moyens, qui faisait la réussite du film. Moins on voit, mieux c’est. Parce qu’on peut laisser les enfants se faire le film dans leur tête.

À notre époque, on ne parle que de spoilers (ou spoils, je ne parle pas cette langue). Grâce à Internet, et au reste (l’âge sans doute), on a plus facilement accès aux images, aux avis, aux commentaires, aux secrets ou aux critiques qui provoqueront l’inévitable démystification d’un film. Et puis, on fait semblant de croire qu’il ne faut surtout rien apprendre de l’histoire d’un film.

Eh bien autrefois, c’était le contraire : on connaissait tout de l’histoire (ou presque, c’était vague, au moins les grandes lignes), et à part l’affiche sans doute, et quelques images volées dans des magazines, on ne voyait rien. Même les bandes-annonces, je me plais à croire qu’on y montrait le moins possible. En tout cas celles qui pouvaient nous servir à une heure de grande écoute, en France ; et on passait rarement les bandes-annonces, juste quelques extraits. Et ça émoustillait nos sens, bien plus que si on avait vu la bande-annonce dans son entier.

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Terminator, James Cameron 1984 | Cinema ’84, Euro Film Funding, Hemdale

Toutes les histoires se ressemblent, on n’invente rien. La difficulté est de réécrire un mythe en l’actualisant, tout en sachant rester simple. Malgré lui peut-être, c’est ce qu’est arrivé à faire James Cameron. L’histoire est simple : on évoque Skynet, la révolution des machines, John Connor, et on ne voit jamais rien de tout ça. On ne fait qu’imaginer. On imagine toujours mieux le pire (et donc le meilleur pour notre plaisir) que quand on ne nous impose pas ces images. Le Terminator est une machine venant du futur ? Du futur, on ne verra pas grand-chose, et la machine, on n’en verra surtout que le squelette terrifiant rappelant la bataille des squelettes dans Jason et les Argonautes. L’espèce de blob de mercure que sera Robert Patrick a beau refléter les humains à envie, il ne dépassera jamais cette image, non pas qui nous impose un reflet humain, mais nous suggère l’image de notre propre mort. Pas la mort personnifiée, la mort, tout court, la nôtre. Un squelette, qu’il soit fait de métal ou d’os, reste un squelette. Et celui-ci est censé nous pourchasser pour nous obliger à ôter à notre tour le masque de chair dont on se pare, encore vivants… Voici le vrai visage de l’humanité. Un masque de mort, un crâne inexpressif et sans vie qui nous court après, et finira tous par nous rattraper. Elle est là l’image du futur, plus que celle du futur de l’humanité, c’est la nôtre. Et c’est bien ce qui était terrifiant dans Terminator.

Chacun ses mythes, ses héros, ses croyances. Dans ma région, les enfants ne croyaient ni en Rocky ni en Rambo (les deux autres religions monothéistes de l’époque ; Starwars étant plus… animiste), mais on croyait dur comme fer au Terminator. Et je ne renie pas mes origines. À chaque fois que j’ai revu le film, c’était comme une grand-messe, une célébration de mon dieu, celui des enfers, qu’on respecte parce qu’on le craint. Et bien sûr, à chaque fois, comme ailleurs on brûle les idoles à la Saint-Jean ou on passe à travers un feu, chez moi, on regarde, le jour de la Saint-James, Terminator, et à la fin, on l’écrabouille à la décharge du coin. Et tous les ans, ma conviction est la même : sa simplicité, son bon goût (oui, oui) font de lui un chef-d’œuvre. Une pièce (de métal) unique à vénérer.

 novembre 2013

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Relecture du film en janvier 2017.

Avant d’être un pionnier technologique, Cameron est avant tout un formidable raconteur d’histoire, avec un sens certain du montage, et un auteur de ce qui n’aurait pu être à l’époque qu’une vulgaire série B. Il faut du tact pour mettre en scène des éléments pouvant très vite tomber dans le grossier et le ridicule.

36 15 Mylife (tu-tulu-tu-tutu-tu-lu-tulu…bzzbzz… ne quittez pas, tut-tulu-tutu…). (Reboot du commentaire précédent)

Au milieu des années 80, mon grand frère, qui faisait tout mieux et toujours en double, voit avec sa classe deux films coup sur coup. Alien et Terminator. (Les seuls films que j’ai vus avec ma classe c’est Germinal et Nuit et brouillard). Le soir même, il raconte ces deux films à table. Mon frère me déteste, il ne me parle jamais, il raconte donc à ses parents, mais je n’en rate pas une miette. C’est mon grand frère, il a toujours raison, il fait tout mieux et toujours tout en double.

Le premier, Alien, il me faudra une décennie pour le voir, le second, Terminator, je guettais ses passages à la télévision, probablement sur la 6 alors qu’on captait mal cette nouvelle chaîne dans mon patelin. Mais pourquoi chercher à voir des films qu’on connaît déjà presque par cœur. Deux films qui pendant un certain temps n’en ont fait qu’un. Alien et Terminator, le diptyque magique où le cyborg était roi.

Alors quand je vois comment est perçu le film aujourd’hui, je me dis que souvent, oui, « on passe à côté des films ». Tout bonnement parce qu’on ne voit jamais qu’un seul film : le nôtre. On aime les films qui nous façonnent, on aime les films qui nous ressemblent. C’est rassurant finalement. Quand l’image des parents (ou des grands frères) se dégrade avec le temps, il reste toujours quelques bobines auxquelles on peut se fier et dire « ça, c’est moi, c’est mon histoire, ça me ressemble ». On ne passe jamais à côté de ses films. Et ces films, s’ils sont vivants en nous, ce n’est pas parce que le réalisateur, le machiniste, l’acteur principal sont bons ou que les effets spéciaux nous pètent à la gueule comme il faut, c’est parce qu’on les rapproche, parfois, à notre histoire. Nos histoires.

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Quand on vieillit, on devient con ; et être con, c’est ne plus rien apprendre de son environnement. Le gosse est une éponge et il se nourrit de tout. Le bon goût, c’est le goût de celui qui n’a plus faim et qui se nourrit alors de sophistication, de rationalité, de rigueur, de cadre, de confort, d’habitude, de principes, de répétition… Les années 80 sont contraires au bon goût, peut-être, mais je les aime parce que je les ai vécues, elles m’ont forgé, et je les ai aidées à mon échelle à ce qu’elles soient un peu moins toc (j’ai eu beaucoup de mal et on m’écoutait encore moins qu’aujourd’hui — mais je faisais déjà le pitre).

Quelques années plus tard, sortait au cinéma RoboCop. Je me foutais du réal, je me foutais des critiques, je me foutais de l’histoire. Je voulais voir un film avec un type qui se dandinait à poil dans un scaphandre dans les rues et qui invectivait les loubards avec la rigidité d’un sexe souverain. C’était cool et à 9 ans je bandais mou. Après avoir saoulé la famille pendant des années avec des « Iti, téléphone maison ! iti téléphone maison !!! » ils en avaient un peu ras le bol de me voir imiter un robot avec un balai dans le cul et des bras en portemanteaux. J’étais le petit, c’était ma soirée. Mais j’étais trop petit. Terminé. Robocop c’était pour les plus de dix ans. La cervelle au vermicelle acide, ce ne serait pas encore pour moi. Et je restais avec mes vieux souvenirs composés d’Alien et de Terminator.

J’ai dû voir plus tard RoboCop vingt fois en K7.

Alors, oui, parfois, on passe à côté de certains films. Parfois même on les rate. Mais on se rattrape. Et c’est un peu ça aussi être cinéphile. Ce n’est pas seulement voir des films, c’est passer à côté, les retrouver, les oublier, les snober. C’est être face à un film.

Les films ne sont faits que pour être vus, méprisés, adorés. Non pas pour être “bons” ou “mauvais”. Ça, c’est pour les grands. Et devant des films, on ne devrait jamais jouer au plus grand. J’aime en tout cas l’idée d’être resté le cadet, d’être à la place de celui qui regarde, qui apprend, et dont ses idoles ignorent la présence. Un spectateur, dans une salle obscure ou dans une chambre.

Et aujourd’hui, 14 janvier 2017, je serai cadet dans une salle pleine à craquer (elle sera vide), un samedi après-midi, pour voir mon fétiche, mon doudou, mon ami, mon frère.

Je suis un cyborg, et je vais chier mes cinquante rognures de métal sur le monde. Bling-bling.

Popom-pom-popom.

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Old Enough, Marisa Silver (1984)

Tendres Années

Old Enough Année : 1984

Réalisation :

Marisa Silver

6/10  IMDb

Film d’adolescen(tes) plutôt sympathique. Présence d’Alyssa Milano ! Déjà impeccable à sept ou huit ans (ça me rappelle mon adolescente où j’étais amoureux d’elle en regardant Madame est servie…). Sinon c’est la rencontre pendant l’été à New York d’une ado de bonne famille qui se cherche avec une autre du même quartier mais pas vraiment du même monde et déjà plus affirmée en tant que “femme”.

Plutôt un film de fille donc, mais c’est comme « Femme actuelle » ou “Elle”, il y a bien la moitié des revues qui sont lues par des mecs.

L’actrice principale, Sarah Boyd, devenue adulte, travaillera comme monteuse.


Old Enough, Marisa Silver 1984 | Silver Films


Mrs Soffel, Gillian Armstrong (1984)

L’Amant de Mrs Soffel

Mrs Soffel

Note : 3 sur 5.

Année : 1984

Réalisation : Gillian Armstrong

Avec : Diane Keaton, Mel Gibson, Matthew Modine

La première partie est intéressante. Diane Keaton en visiteuse de prisons se la jouant un peu Susan Sarandon dans la Dernière Marche. La description du Pittsburgh du début du XXᵉ siècle. La qualité de la réalisation assez discrète dans ce début. Du rythme… Bref, ça se laisse regarder.

Puis, dès que Keaton s’évade avec son homme (Mel Gibson) et son frangin (Modine) et que leur cavale commence, on n’y croit plus du tout. On prend conscience que Keaton est bien trop vieille pour le rôle, qu’elle a trop d’autorité pour ce personnage de dévote facilement manipulable, à la santé fragile et au mariage sans amour (sorte de Madame Bovary locale). Surtout, il y a trop d’écart entre l’image que le spectateur a de Diane Keaton et celle qu’elle donne à voir dans le film. Hitchcock disait que les rôles précédents d’une star étaient importants pour construire un background au personnage. Encore faut-il qu’il corresponde au personnage. Keaton, c’est l’actrice de la liberté sexuelle, de la femme moderne qui sait ce qu’elle veut, de la femme forte dans ses errances et ses échecs. Là, rien à voir avec les rôles qu’elle tient chez Woody Allen, dans Looking for Mr Goodbar, ou dans le Parrain. La seule correspondance, détruit un peu son rôle ici, car en totale contradiction avec le personnage…, c’est celui de personnage de mère protectrice qu’elle a dans le Parrain.

Le scénario, la mise en scène et elle-même semblent vouloir donner de la dignité à cette femme en prenant cet angle de la mère protectrice en dépit de ses agissements. Or, son personnage est une dévote paumée et fragilisée par la maladie, qui se réfugie dans les bras de Dieu avant de tomber dans ceux de son amant. C’est une grande naïve, une ingénue, une ignorante. Cela ne tient pas avec Keaton, beaucoup trop vieille et trop “moderne” pour le rôle.

Mrs Soffel a plusieurs enfants et une aînée de seize ans qui cherche déjà à se marier. Elle l’a eue à dix-sept ans, ce qui signifie qu’elle devrait avoir trente-trois ans. Keaton en fait plus de quarante. Malade, c’est l’aînée de ses filles qui joue le rôle maternel. C’est parfaitement rendu, mais il fallait appuyer sur le manque de responsabilité, la jeunesse, de Mrs Soffel, qui ne peut assumer son rôle de mère dans une grande famille. Si elle part avec son amant, c’est en partie pour échapper à ses responsabilités. Je n’ai pas bien compris de quoi elle était malade au début du film (vu le film en VO intégrale), mais pour moi c’est une maladie feinte, comme pour échapper à son rôle de mère. Quand sa fille lui dit qu’elle veut se marier, le scénario suggère plus que ce Keaton laisse transparaître : ça la fait paniquer. Elle a été mariée trop jeune, elle est trop naïve, etc. Une proie facile pour un beau garçon manipulateur comme Gibson. Et si elle tombe si facilement amoureuse de lui c’est que derrière toutes les femmes qui ont ce petit côté sainte-nitouche, c’est qu’il y a derrière une bonne grosse chaudasse qui ne demande qu’à être réveillée. Elle passe sans trop sourciller de la foi au plan cul. Et sans trop de remords. Faire de cette histoire une histoire amoureuse banale entre une visiteuse de prison et un criminel, c’est passer à côté du sujet réel du film : l’irresponsabilité d’une mère adolescente qui voit dans cette fuite une manière de survivre.

La mise en scène, en insistant sur l’histoire d’amour (et non un drame de l’abandon, une sorte de Bovary qui s’accomplit en réalisant ses fantasmes) se retrouve piégée en étant obligée d’assumer ce choix. Et d’appuyer comme dans tout mélo, les sentiments des personnages à grand renfort de musique pompeuse. Notre regard pour cette femme devrait rester distant, ne pas rentrer dans son trip amoureux « mon Dieu, c’est terrible, leur amour ne sort pas vainqueur ! c’est triste ! ». Encore une fois, le sujet, ce n’est pas l’amour, l’épopée amoureuse… Le titre le dit bien, le sujet, c’est Mrs Soffel ! Sa naïveté, sa bêtise. Pas une femme, pas une mère, pas une dévote, mais une gamine qu’on n’a pas laissée mûrir et qui se venge dans cette fuite.

On est loin des récits d’amants criminels mythiques comme Bonnie and Clyde, les Amants criminels ou ceux de They Live by Night (Cathy O’Donnell a alors 26 ans, de quoi paraître encore bien ingénue).

Keaton, a défendu son personnage, elle est dans son rôle. C’est ce que chaque acteur doit faire (parce que n’importe quel criminel se trouve des raisons, des excuses, et qu’un acteur doit être le meilleur, parfois le seul, avocat de sa cause…). Mais le metteur en scène est là pour canaliser les envies des acteurs de rendre leur personnage présentable, digne. Il faut cacher leur intelligence, détruire leur bonne conscience, parce que les personnages placés dans ces situations ne réfléchissent pas. Ils ne font qu’obéir à leur instinct (c’est ce qui est intéressant d’ailleurs, parce que les personnages qui réfléchissent, c’est chiant…). Ces personnages sont des désaxés, des monstres de la société (et de la religion), des causes perdues. Le devoir d’une mise en scène est de nous faire adopter un point de vue distant en nous épargnant les raisons, les justifications, les causes expliquant les agissements de ces personnages. Un peu comme un journaliste rendrait compte des événements sans les juger. Ici, le pathos de la fin ne peut pas passer. On ne peut cautionner une telle histoire d’amour. Vouloir en faire des personnages dignes, des héros en quête d’un amour sincère, contre la société, en faisait de Mrs Soffel, presque une caricature de la féministe, du genre « je suis une femme, j’ai le droit d’aimer qui je veux et d’abandonner mes enfants parce que je suis une femme libre » c’est faussement subversif parce que le personnage est trop désaxé et on ne voit plus qu’une folle. Et ça n’a sans doute aucun rapport avec l’histoire originelle (vraie) de cette dévote tombant amoureux d’un criminel et l’aidant à prendre la fuite. Mrs Soffel, c’est une conne et une rêveuse au même titre que Mme Bovary. Il faut assumer l’antihéros… Si elle a quelque chose de subversif, il est dans sa bêtise, pas dans ses audaces.

Dans le récit on nous sucre volontairement une évolution crédible des sentiments qu’a Gibson pour Keaton. On finit par y croire, parce qu’on y est bien obligé : il agit à la fin comme s’il l’aimait vraiment. Sauf qu’au début ça nous était présenté comme une manœuvre de Gibson pour s’échapper. S’il s’agit d’un film d’amour improbable (et non celui du bovarysme de Mrs Soffel), il faut respecter le personnage de Gibson et crédibiliser l’évolution des sentiments qu’il a pour elle. Il fallait qu’il le dise explicitement à son frère, histoire de lui dire qu’il ne se servait pas seulement d’elle et qu’une histoire d’amour était en train de naître entre deux… Mais ce film-là était moins intéressant que celui suggéré par le titre (et je veux le croire par le fait divers réel qui a inspiré le film). La première chose que doit réussir à faire un film, une histoire, c’est déterminer le sujet, définir parfaitement le cadre et savoir où on va. Ici, on commence par un film qui tourne autour de Mrs Soffel, puis ça devient une fuite d’amants amoureux… Il faut choisir, on ne peut faire qu’un film.


Mrs Soffel, Gillian Armstrong 1984 | Edgar J. Scherick Associates, Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)


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