La Reine de Broadway, Charles Vidor (1944)

Gilda musicale !

La Reine de Broadway

Cover Girl

Note : 5 sur 5.

Titre original : Cover Girl

Année : 1944

Réalisation : Charles Vidor

Avec : Rita Hayworth, Gene Kelly, Lee Bowman, Phil Silvers

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Certains chefs-d’œuvre ne se laissent apprécier qu’après plusieurs relectures, d’autres vous retournent les tripes après avoir mijoté longtemps ou d’autres sortent du lot simplement quand ils émergent d’une période où on ne voit rien d’autre de bien enthousiasmant. Là… oubli total. Pourquoi ? L’humeur y joue pour beaucoup. Peut-être que c’était le film que j’avais envie de voir (ou de revoir) après Guys and Dolls

Quoi qu’il en soit, cette histoire d’une Rita Hayworth qui « atteint la gloire » en étant choisie pour la couverture d’un magazine de mode, qui joue alors sur une scène minable de Brooklyn où elle travaille avec des amis à Broadway, la scène du centre du monde… Elle finit par tout lâcher pour revenir auprès de son beau (ou des siens plus généralement) après avoir rencontré les futilités de la gloire.

Eh bien, c’est naïf, ça ne vole pas bien haut, mais c’est réjouissant. Une sorte de petit bijou. Dans Guys and Dolls, on sent le fric de la grosse production à chaque image, chaque décor, chaque personnage secondaire, c’est du spectacle forcé. Là, au contraire, la comédie musicale renoue avec sa source, l’opérette à la française, le cabaret — le vaudeville comme on disait à l’époque (aux États-Unis, déformation du style en vogue au même moment en France mais qui n’avait rien à voir avec le music-hall).

Pas de grand numéro dans les rues avec trois cents danseurs, c’est l’opérette romantique à quatre ou cinq tout au plus. Et les numéros sont portés par un très bon scénario. Une véritable histoire forte, d’une grande simplicité. Mais qui fait son petit tour : tout est centré sur le personnage de Rita Hayworth.

La Reine de Broadway, Charles Vidor 1944 | Columbia Pictures

Belle rousse ambitieuse, mais dont l’ambition n’est pas assassine, jalouse… Elle n’est pas prête à tout en somme. Sa réussite, lui tombe dessus un peu par hasard, elle l’accepte, avant de se rendre compte que ce n’est pas ce qu’elle recherche, ou en tout cas, qu’elle n’est pas prête à renoncer à son véritable amour, à son bonheur, pour se prostituer à sa gloire naissante. Personnage sympathique, il évolue rapidement, fait un petit tour avant de revenir sur sa base quand tout redevient comme avant, un peu pareil, en mieux, parce qu’on est allé voir de l’autre côté pour se rendre compte que l’herbe n’était finalement pas si verte que ça. C’est la base de la dramaturgie : tout va bien ou presque, puis arrive l’élément déclencheur d’un conflit, naît alors un dilemme, on subit les conséquences de ses actions et de ses choix, on essaye d’abord de faire avec, de résister, puis on atteint son but, le réel but, celui qui s’est révélé en cours de route, qui n’est parfois pas le même que celui qu’on croyait au début, et c’est un ainsi que tout revient à la normale, que tous les problèmes sont résolus, on revient au point de départ et on mesure le chemin parcouru : on est à la fois identique et différent. Une histoire est réussie quand le personnage principal découvre qui il est vraiment, après un certain nombre d’aventures, d’expériences qui lui ont révélé qui il n’était pas, qui il devait être. Une expérience, une initiation. Par empathie, par catharsis, c’est ce qu’on recherche dans une histoire : voir des personnages qui se cherchent et qui se trouvent, c’est finalement ce que nous rêvons tous de faire et nous voudrions pousser la catharsis jusqu’à l’imitation… ou au moins la catharsis produite en voyant ces personnages résoudre leurs problèmes et se révéler à eux-mêmes tempère notre frustration de ne pouvoir faire de même.

Autour de Rita Hayworth, il y a ses deux amis. Gene Kelly, l’amant (dont c’est l’un des premiers rôles), et Phil Silvers (Genius), l’ami qui complète une sorte de sainte trinité pré-maternelle, pré-nuptiale. Les deux beaux ne sont pas en reste du tout, puisque former ce trio magique, c’est ce dont cherche sans le savoir encore Rita. C’est bien le bonheur d’être avec les gens qu’elle aime. Et le récit traduit merveilleusement bien la perfection, l’utilité, de ce trio. Bien sûr dans les numéros musicaux (qui ne sont pas sans rappeler ceux de Chantons sous la pluie : les numéros à trois, joyeux, et un numéro de Kelly seul dans la rue, pourchassé, dansant, avec son reflet) mais également dans les scènes de bar où les trois personnages aiment se retrouver comme un rituel.

On n’est pas dans le triangle amoureux. Ce trio, c’est comme la base de la vie avant que la famille ne se crée, avant même que l’amour nous tombe dessus, parce qu’on a l’impression que l’amour entre Rita Hayworth et Gene Kelly n’est jamais consommé, pour ne pas mettre à l’écart le personnage de Booman. Ici, le bonheur, c’est avant celui de la famille, celui de ces amis. Et le récit ne s’éparpille pas, il ne risque aucun malentendu : on ne sait rien des familles des protagonistes (en dehors des flashbacks avec la grand-mère du personnage d’Hayworth, mais qui n’est qu’une évocation, elle n’intervient pas dans le récit). Le sujet du film, il est là : aucune gloire ne peut (ou ne doit) vaincre la loyauté, l’amitié, ou en d’autres termes, aucune gloire ne doit corrompre qui on est vraiment. Ce n’est pas une romance, ce n’est pas le choix entre deux hommes. Et jamais, ni le récit ni la mise en scène de Vidor ne tombent dans cet écueil. Ça aurait été si simple de s’attacher un peu plus à la relation Rita-Kelly. Pour preuve, Vidor (pas King, l’autre, celui qui gilda les bras de Rita de gants longs) ne fait jamais réellement embrasser Hayworth et Kelly sur la bouche, on ne ressent aucune passion entre eux deux, ils sont presque comme frère et sœur, il ne s’agit que d’amitié forte, bien sûr leur amour est suggéré, mais on ne sait jamais jusqu’à quel point il a pu aller, à quel stade ces deux-là en sont, ce n’est pas le sujet du film, on ne mélange pas tout, et c’est là peut-être que réside la réussite du film. Voilà pourquoi paradoxalement, le personnage le plus important de cette histoire c’est celui de Genius, l’ami, qui est le ciment, le lien entre Hayworth et Kelly, le maître-ton du film, le confident on pourrait dire aussi (là encore on sent l’influence de la culture française, puisque c’est un personnage de la tradition classique — d’ailleurs on pourrait voir dans la disparition des comédies musicales us, la perte de l’influence de la culture française dans la leur, puisque les comédies musicales sans influence ou sans évocation de la culture française existent bien sûr, mais très souvent, il en est question de près ou de loin, que ce soit quand ça se passe à Paris, ou que ce soit dans les thèmes : la mode, le cabaret…).

Bref, une véritable réussite. Une perle. Comme celle du film : irrégulière donc sans valeur… autre que celle qu’on veut bien lui donner nous. « Tout ce qui brille n’est pas d’or »… comme on dit dans Guy and Doll, et qui s’appliquerait mieux ici…



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