Les Contes des chrysanthèmes tardifs, Kenji Mizoguchi (1939)

Mizo calligraphe

Les Contes des chrysanthèmes tardifs

Note : 4 sur 5.

Titre original : Zangiku monogatari

Année : 1939

Réalisation : Kenji Mizoguchi

Avec : Shôtarô Hanayagi, Kôkichi Takada, Gonjurô Kawarazaki

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Le fils d’un grand acteur vit dans l’ombre de son père. On rit de ses talents médiocres ; personne n’ose lui dire. Alors, il décide de partir et de se faire tout seul…

Beaucoup d’histoires nippones fonctionnent en tableaux. C’est une des meilleures manières de raconter une histoire. Cela permet un regard distant, objectif sur les événements, de ne pas forcer le trait, la compassion envers les personnages se fait petit à petit, en suivant leur destin chaotique, et non en usant de focalisations mièvres et lourdes pour appuyer, et être certain que le spectateur a compris où on veut en venir.

Le principe est simple, mais difficile à mettre en place. Le but, c’est d’avoir une situation de base dans chaque scène (tableau). Tout paraît anodin, on est au cœur de la vie du personnage, on assiste à son train-train quotidien ; ça se laisse regarder, on est comme un fantôme atterrissant au hasard de la vie sur une période de la vie d’un homme, sans comprendre au début pourquoi on est là.

On comprend vite qu’on n’est pas là par hasard.

Au bout d’un moment (et on peut attendre longtemps), un nouvel élément contrarie le destin des personnages (en général, un seul : ici un acteur, mais ça peut être une prostituée comme dans La Vie d’O’Haru femme galante). Les personnages décident alors de l’attitude à adopter (des décisions qui poussent à un changement de vie) et là où parfois quelques récits commencent, c’est ici qu’il s’achève dans cette construction en tableaux. Dans un récit linéaire, ce qui compte c’est de montrer consciencieusement les conflits, toutes les étapes poussant les personnages à les résoudre ou à y échapper. Ici, c’est au contraire le récit qui cherche à échapper à toutes ces descriptions. Inutile de s’attarder sur les tergiversations, on sait, en gros, ce qui va se passer. Le pire, l’inattendu.

On prend donc de la hauteur. Place à l’ellipse.

Nouveau tableau, nouvelle scène d’introduction anodine. Sorties d’un contexte plus général, ces scènes n’ont aucun intérêt. C’est à nous, fantômes-spectateurs de ce destin, de faire le lien avec ce qui précède. On sait quelles décisions les personnages ont prises dans le tableau précédent, et on est là pour voir si les objectifs, les attentes, les espoirs ont été atteints. L’intérêt en tant que spectateur, il est là, de se construire une image mentale de cette histoire, plutôt qu’elle nous soit imposée sous nos yeux. Et le plaisir, il naît de la crainte de voir les désirs des personnages se réaliser ou non. La compassion d’un dieu fantôme, spectateur des tracas des simples hommes.

Et ainsi de suite. C’est comme un château de cartes : les nouvelles se superposent aux précédentes pour former la base d’un nouvel étage et on se demande par quelle magie tout cela arrive encore à tenir.

Prendre ainsi de la hauteur en ne se préoccupant que de l’essentiel (les intersections de la vie des hommes), c’est surtout une manière efficace d’entrer en empathie avec ces hommes en prise avec leurs contradictions, leurs contraintes. On se demande à chaque fois si leurs vertus et leurs forces mentales suffiront à avancer. Au lieu de suivre en détail le parcours sur un seul épisode de la vie d’un héros, on le suit et le juge sur toute sa vie. Comme si c’était ce qui comptait vraiment. La vie comme initiation. La nôtre. Je t’ai montré le kaléidoscope de la vie d’un homme, penses-tu être capable de faire autrement ? On n’est pas loin de la distanciation qu’affectionnait Brecht. Il utilisait la même technique, et instinctivement, ou pas, beaucoup d’auteurs adoptent ce point de vue. Un point de vue qui semble au départ une omniscience confortable et dont on comprend peu à peu qu’elle n’est destinée qu’à nous interroger sur notre propre parcours. Pour remplir ce vide entre les ellipses, il faut bien y mettre un peu de logique, mais aussi beaucoup d’imagination. Et l’imagination, on ira la chercher dans notre propre expérience. Le dieu fantôme spectateur de la vie, se rappelle son passé perdu, reprend forme humaine. Certains spectacles sont dans le “monstrer” : le monstre est devant nous, on en rit, on en a peur, l’éloigner de nous, cet étranger, c’est une forme d’identification du trouble, du non conforme ; on le voit pour ne plus le voir. Et d’autres spectacles sont dans les “démonstrer” : inutile de chercher les monstres. S’ils existent, ils sont à l’intérieur de nous. Les premiers confortent les enfants ; les seconds nous apprennent à devenir des hommes.

La mise en scène de Mizoguchi met tout en œuvre pour souligner cette distanciation. Il place loin la caméra, capte souvent toute une scène en plan-séquence, parfois même d’une pièce voisine ou de l’extérieur (la scène est une boîte confidentielle qu’il serait malvenu de venir contrarier avec des gros plans). Le rythme, il arrive à en donner dans la composition de ses plans, faits de mouvements de caméra minimalistes. Notre œil est comme jamais pris au dépourvu : quand il place une caméra à un endroit, c’est qu’il sait qu’à un moment les personnages vont y venir (même de loin) et qu’on pourra les suivre… en tournant la tête, paresseusement, de quelques degrés. Encore une fois, certains spectacles veulent donner l’impression d’improvisation en suivant les mouvements des personnages. Ici, on les précède. Comme si tout était déjà joué et que l’intérêt était ailleurs.


Les Contes des chrysanthèmes tardifs, Kenji Mizoguchi 1939 Zangiku monogatari | Shochiku


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