Notes de visionnage 2023

Janvier – Juin 2023

 

mai 2023

 
Une famille formidable, Mario Monicelli (1992)

On penserait presque voir un remake réussi de Pourvu que ce soit une fille. Au-delà du film de réunion de famille (un genre presque en soi), pas beaucoup de similitudes. Pourvu que ce soit une fille avait probablement un meilleur scénario, mais si Une famille formidable est plus réussi, c’est que Monicelli semble avoir comprit la leçon : fini les acteurs cosmopolites, on retrouve des acteurs du terroirs, pas de stars, mais assez efficaces et crédibles. Ce n’est apparemment pas le cas, mais j’aurais juré que c’était adapté d’une pièce de théâtre : l’écriture, les séquences tournées pour trois quarts dans le même lieu, le jeu souvent très… latin (sonore), mais pas seulement, la direction d’acteurs est beaucoup plus précise avec des acteurs souvent dans le même cadre capables de proposer un jeu en arrière-plan conforme à leur personnage et à la situation, détail qui est souvent le signe d’une mise en scène de théâtre certainement pas celui du réalisateur qui avait précédemment mis en scène Pourvu que ce soit une fille. 

Le film est d’abord vu comme une chronique familiale à l’heure des fêtes de fin d’année, jusqu’à ce qu’un tournant réellement dramatique, avec tous les enjeux, les choix et les conflits resserrés autour d’une seule question (la choix de définir chez qui les parents iront vivre) vienne rabattre les cartes et fasse tourner le film vers une satire particulièrement acide (honneur à Monicelli de ne pas avoir cédé à la facilité de la farce, car cette fin a plus d’effet si on se garde de rire, et si c’est au contraire la consternation qui prend le dessus). Cette fin, assez peu crédible, sonne comme une morale brutale et provocatrice dans un pays autrefois si attaché à ses vieux et qui comme toutes les grandes puissances laissent place à l’individualisme des populations en âge de travailler et à l’invisibilisation, la déconsidération, l’ostracisme, voire la paupérisation des anciens. 

Pourvu que ce soit une fille, Mario Monicelli (1986)

Jolie entreprise de démolition. D’une histoire somme toute bien écrite, Mario Monicelli n’arrive à rien en faire, faute à une distribution trop hétéroclite et internationale (une Norvégienne, trois Français, et des Italiens) ou encore à sa paresse. on retrouve pourtant pas mal des thématiques propres à la comédie italienne avec son mélange de nostalgie, de bienveillance heureuse, d’humour tendre ou cruel… Le problème, c’est qu’on ne peut tout simplement pas trouver une alchimie entre les acteurs quand ils parlent chacun leur langue sur le plateau et que tout ce petit monde finit dans une cabine de synchronisation pour enregistrer sa partition. Ajoutez cela que la plupart ne semblent pas forcément comprendre que certains de leurs personnages sont des archétypes italiens (et nous-mêmes, on ne comprend qu’au fur et à mesure, grâce aux situations) auxquelles ils ne correspondent pas toujours, et que Monicelli ne les aident pas beaucoup à trouver leur voie : avec des personnages quels qu’ils soient, des archétypes ou non, et il faut arriver souvent à jouer sur différents tableaux, l’objectif d’un personnage en général ou dans une scène en particulier, la situation générale d’une scène dans laquelle chacun a sa propre partition, et puis, souvent ce qu’il y a de plus difficile à trouver, une forme de sous texte qui permet d’éviter la redondance, l’explication de texte. On le voit notamment avec Liv Ullmann et Catherine Deneuve, elles ne savent pas quoi faire de leur corps, signe pour un acteur qu’on arrive pas  à se situer dans une situation, à comprendre l’état d’esprit du personnage et peine à être assez à l’aise pour détacher parfois l’accessoire et l’essentiel. Quand un acteur est perdu il met tout au même niveau, il joue au premier degré le texte qu’on lui donne et s’y accroche comme une bouée, pire, il interprète toutes les nuances du texte sans en comprendre le sens général, et c’est notamment ce que fait l’actrice norvégienne dans une des dernières scènes du film où on la voit repasser au crépuscule en compagnie de ses deux filles. La scène est bien écrite, elle arrive à point nommé dans le film, la petite note nostalgique est bonne, pourtant rien ne marche, l’actrice semble complètement perdue. Monicelli ne prend sans doute pas assez son temps, le film est trop dense, avec trop de personnages, alors il précipite les choses, on peut penser que certaines séquences ont été coupées au détriment du développement de certains personnages, et surtout, jamais il n’arrivera à coller à l’humeur tout à la fois joviale et triste du scénario (voire de la musique).

Le sujet était pourtant en or, mais c’est assez ironique que dans un film où on loue la sororité (rurale, aristocratique, mais la sororité tout de même), dans un monde où les hommes ne sont jamais à la hauteur, le seul qui s’en tire avec les honneurs, c’est celui qui interprète le dernier d’entre eux, jugé inoffensif, et pourtant joué génialement par Bernard Blier. Les autres ont peut-être l’excuse de ne pas jouer tout à fait dans leur registre habituel, loin de leurs repères, mais c’est aussi le cas pour Bernard Blier, bien que son registre est bien plus étendu que celui des actrices qui l’accompagnent (Noiret disparaît vite du film, et on aurait imaginé un Vittorio De Sica dans le rôle ; j’adore Noiret, mais s’il peut être bon dans les comédies, il est bon dans certains excès, la veulerie, la sincérité et une gouaille assez populaire, il n’a rien d’aristocratique, d’à la fois bouffon et suffisamment distant pour être « bien né » ; pour le reste, il a le talent d’être toujours à l’aise dans ce qu’il fait, même quand il ne correspond pas au rôle). Blier a tout compris de comment jouer la maladie (Alzheimer en l’occurrence), comme pour la folie, il faut la jouer avec la plus grande des sincérités. Pour le coup, dans un tel rôle, le second degré n’existe pas (ou plutôt, il est permanent dans le regard de ceux qui l’accompagnent et connaissent ses troubles, et ceux qui sont spectateurs devant l’écran). On retrouve le Blier qui avait une scène géniale dans Buffet froid : comment jouer l’absurde ? Comme si c’était une évidence. Ne surtout pas jouer l’étrangeté, l’étrangeté, le rire, c’est toujours celui qui regarde qui commente. Et si les mauvais acteurs commentent ou expliquent toujours ce qu’ils font pour être sûrs que le spectateur comprend leur subtilité (un paradoxe), les bons acteurs rendent les choses simples et évidentes. Un fou ne joue jamais la folie : la folie, elle est autour de lui. Quand son personnage dit vouloir passer un coup de fil (de son invention), rien de plus naturel pour lui : ce sont les autres (et nous avec) qui savent et qui comprennent. Et c’est ainsi qu’on ne voit que lui. Le seul à faire rire (tendrement, parce qu’il respecte justement les malades qu’il représente en en faisant quelque chose de lunaire, pas une « folie ») et le seul à être crédible. Là encore, un paradoxe, alors qu’a priori, les autres n’avaient pas à composer ainsi un personnage… Il était là le secret. Dès que tu forces, que tu cherches encore la voie menant au personnage au lieu de l’avoir trouvé, tu composes, tu tâtonnes, tu erres, et tu végètes. 

Difficile de voir ainsi agoniser le cinéma italien. Le film donne un peu l’impression de forcer là encore les coproductions pour s’assurer des financements et un retour sur investissement dans les pays d’origine des acteurs. Le pire des choix possible. Si cela peut marcher dans des grandes productions ou avec des cinéastes suffisamment cosmopolites comme Luchino Visconti, c’est typiquement le genre d’assemblages baroques qui sans bon la fin de règne. Manque d’authenticité flagrante, d’alchimie entre les acteurs, rien de mieux pour rater un film. Je n’ai pas beaucoup d’exemples non plus qu’avec des acteurs parlant la même langue, réunir tout un parterre de vedettes pour le moindre rôle aide beaucoup à servir un film. C’est souvent un signe de paresse de la part de cinéastes établis ayant peur de ne plus compter (Wes Anderson, Martin Scorsese font ça de nos jours, mais toutes les époques, et souvent tous les cinéastes vedettes sur le déclin, ont connus ces facilités). 

Mes chers amis, Mario Monicelli (1975)

Film souvent à la limite de la vulgarité, on sait qu’avec Ugo Tognazzi, on y échappe rarement, mais la note finale est assez conforme à ce qui a toujours fait le succès de la comédie italienne : un savant mélange d’humour parfois burlesque et de mélancolie. C’est un peu Une vie difficile à la sauce Les Femmes des autres en somme : des retrouvailles entre potes (un genre en soi), forcément potache et mélancolique. Les quatre potes et demi seraient insupportables dans la vraie vie, mais il faut reconnaître une certaine créativité dans leurs audaces malgré un certain recours parfois à la cruauté niaise. Les plus courtes sont les meilleurs : les baffes balancées sur les quais de gare, il fallait y penser, étonnant que le slapstick hollywoodien n’y ait pas pensé (ou ça m’a échappé), et l’étron dans le pot de bébé, j’avoue un peu honteux que ça me fait rire (bien plus que l’humour qui vise à se moquer des personnes naïves, Blier ici en l’occurrence). Le problème, il est peut-être un peu là aussi. Si le film navigue aussi entre la distance à prendre avec cette bande de crétins (on ne tombe jamais dans le burlesque total et on sent malgré tout un certain regard critique, voire satirique, contrairement à d’autres comédies de la même époque, qui permet de changer de regard envers ces grands enfants de cinquante ans passés), il s’attarde trop sur certaines situations qui n’ont rien d’amusant. Pour une comédie, on rit d’ailleurs rarement voire jamais, ce qui pour le coup n’est pas forcément une fin en soi, parce que c’est peut-être en reniant cette possibilité d’entre-deux, entre comédie et drame, qui est la plus grande qualité du film, ce à quoi d’autres comédies italiennes cesseront bientôt d’aspirer. Et à force de chercher à provoquer le rire, on tombe dans le grotesque. Ces cinq idiots ne sont pas si inoffensifs, ils sont aussi surtout immatures, inconscients et seuls. C’est bien ce dont se rendait compte Sordi à la fin d’Une vie difficile. Faire de crétins des personnages finalement aimables, c’est aussi et surtout ça le talent de la comédie italienne. Mais en 1975, elle est comme déjà pratiquement morte. Phillipe Noiret fait bien la transition d’ailleurs : ce ton de bon vivant, un peu salopard et mélancolique, désabusé, ce sera sa marque de fabrique dans le cinéma français des décennies suivantes. L’occasion de se rappeler que les comédies françaises des années 80-90, comparées à ce qu’on connait aujourd’hui, c’était peut-être le dernier âge d’or de la comédie française…

Annette ,  Leos Carax (2021)

Difficile de trouver un intérêt pour une histoire aussi stéréotypique abreuvée de si peu de péripéties finalement (malgré la longueur, mais c’est aussi l’effet musical qui veut ça, et c’est bien pour ça qu’il vaut mieux instiller un minimum d’originalité dans les histoires dans ce genre particulier) et servie par une distribution aussi médiocre. Adam Driver en comique, il faut oser, le garçon n’a pas un brin de fantaisie, tout dans la gravité, aucune nuances. La Cotillard me sort par les trous de nez. Carax fait n’importe quoi avec sa caméra et le montage comme d’habitude pour faire arty. Seul rayon de soleil, l’usage de la marionnette (même si on sent comme pour le reste le symbole grossier), qui pour le coup est une forme d’audace formelle qui ne peut que me séduire (c’est aussi à travers elle qu’on trouve le seul élément original de l’histoire, fantastique, celui que la mère chante à travers la mère — pour le reste, l’exploitation du père qui en est fait, on retombe dans le cliché), ainsi que le dernier duo avec la gamine « incarnée ». 

Courrier diplomatique, Henry Hathaway (1952)

Scénario à ranger du côté des récits d’espionnage extravagants, voire abracadabrantesques.  On est juste après L’Attaque de la malle-poste où déjà Hathaway cassait les codes du genre (le western). S’il fallait choisir, je miserais plutôt ici sur des scénaristes ayant un peu abusés des psychotropes. On pourrait être dans Hitchcock ou un film d’espionnage et d’action contemporain : Tyrone Power est un chargé d’ambassade à qui on demande de retrouver une ancienne connaissance, ce qui le poussera malgré lui à jouer les espions. Meurtre dans un train, femme fatale, bonde lumineuse en pleine quête de rédemption émancipatrice en expiant sa soviétitude en passant à l’Ouest, militaires pas très finauds une fois mêlés à des affaires d’espionnage, et bien sûr, monsieur tout le monde qui se découvre une âme de patriote et des aptitudes insoupçonnées en boxe et acrobaties diverses.

Il n’y a donc pas grand-chose qui va dans l’histoire (la prime au comique, parfait imitateur de Bette Davis, qui reproduit au téléphone la voix d’un responsable militaire ou à un Macguffin retrouvé sur le tard après un concours de circonstances digne des vieux serials d’espionnage), mais finalement, on y prend beaucoup de plaisir, parce que ça voyage beaucoup (en train notamment, et quoi de mieux que le train pour un bon thriller), les péripéties (souvent idiotes sans tomber non plus dans de la pure série B) s’enchainent comme il faut, et surtout on y retrouve une brochette d’acteurs phénoménaux. On aperçoit en hommes de main des rouges Charles Bronson et Albert Salmi à ce qu’il semble (génial dans Les Frères Karamazov, mais il n’est pas crédité ici), puis avec des petits rôles dialogués Lee Marvin et surtout Karl Malden (un an après sa performance dans Un tramway nommé désir et dans un rôle ici d’abruti qu’il arrive comme d’habitude à rendre sympathique. À côté de Tyrone Power, il faut surtout profiter du génie, du charme, de l’ironie de Patricia Neal, parfaite en femme fatale spécialiste des insinuations et du double-jeu. Il n’y a guère que le personnage de Tyrone Power qui ne la voit pas venir gros comme une maison, son personnage est mal ficelé, mais elle se régale (et nous avec) dans un personnage qui se colle aux guêtres de Power comme une chatte aux chevilles de son maître. Elle a déjà tourné dans Le Rebelle et sort de Le Jour où la Terre s’arrêta…, comme pour tous les autes acteurs (en dehors des premiers cités qui ne font que des apparitions), ils sont déjà des stars, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’une grosse production, et si on considère les défauts du film toujours à flirter avec la série B, on pourrait trouver le film décevant, mais mon amour pour ces acteurs me perdra. Voir Patricia Neal et Karl Malden dans un film, c’est déjà plus de la moitié du plaisir qu’on peut espérer quand on est cinéphile.

La Piste de Santa Fé, Michael Curtiz (1940)

Étrange western pseudo historique. On se laisse prendre par le rythme et par les magnifiques acteurs, mais l’intérêt est peut-être ailleurs… dans sa capacité à jouer avec les faits historiques et proposer une vision confuse de l’histoire. Il faut voir la page erreurs sur IMDb, si on savait que Shakespeare aimait prendre des libertés avec l’histoire, ici, on pousse le bouchon un peu loin. Tous les personnages ont en somme réellement existé, sont a priori tous des personnages historiques connus de public américain, mais leur coexiste n’est pas avérée voire inexacte et impossible. Mais là encore, le plus intéressant est ailleurs. Car le film met en scène un autre personnage historique : John Brown, un terroriste abolitionniste. Le film n’est pas tendre avec lui, mais en regardant vite fait son profil Wikipédia, il y a un peu de quoi. On traite beaucoup plus souvent de l’histoire de la Guerre de sécession, Nord contre Sud, beaucoup moins souvent des événements qui les précèdent. Avant les belles paroles de Lincoln et la scission du pays ayant mené la guerre, il y a donc eu des politiciens favorables aux actions violentes. Comme il est dit dans le film : sa cause est juste, mais les moyens pour y parvenir ne le sont pas. Au-delà de la figure clairement présentée comme négative dans le film, on en viendrait presque à trouver ce sujet follement contemporain (et finalement assez récurrent dans l’histoire, de Spartacus aux anarchistes de la belle époque, aux terroristes palestiniens, à ceux qui se revendique de l’islam, bientôt sans doute les défenseurs de la planète, etc.). Parce que ce qu’il y a de surprenant dans l’approche idéologique du film (puisqu’on pourrait presque la deviner en supposant tel ou tel raccourci historique — et ça doit être plus évident pour des spécialistes, ou pas), c’est que si d’une part, l’abolitionniste en prend pour son grade, on n’en est pas pour autant devant un film ouvertement pro-confédérés, puisque les deux rôles principaux, tout en étant originaires du Sud refusent d’être déloyal envers l’Union, la nation américaine. C’est même le sujet récurrent du film : les élèves se battent et sont punis pour avoir exprimés des idées politiques (ce qui est interdit), Flynn rappelle une fois à Ronald Reagan (non, ce n’est pas un nouvel anachronisme) leur devoir de neutralité et celui de loyauté envers la nation (donc bientôt l’Union), et même le personnage interprété par Olivia de Havilland montre une sympathie réelle pour les idées abolitionnistes. La différence, comme on pourrait le concevoir aujourd’hui avec les idées sur le climat, la question n’est pas d’être en accord sur des idées, mais de faire en sorte qu’elles soient appliquées, parce que c’est justement cette absence de prise de conscience de l’urgence d’une situation, l’agacement face à ce qu’il faut bien définir comme du conservatisme (ou de l’adhésion molle), qui provoque les violences des individus qui estiment que la société ne va pas assez vite ou qu’elle est hypocrite en adhérant à des idées sans les appliquer concrètement en les convertissant dans la loi. Le film donnerait ainsi presque l’impression d’avoir été écrit à quatre mains en essayant de faire interagir le point de vue des deux futurs camps. Là encore, le personnage d’Olivia de Havilland sert à illustrer la crainte ou la prémonition que les soldats encore unis aux moments des faits pour chasser un terroriste abolitionniste ne le seront bientôt plus. Au-delà donc des écarts étranges forcés par le scénariste, force est de constater que le procédé induit certaines questions historiques générales intéressantes et j’insiste qui ont un écho particulier aujourd’hui à une époque où la société, sur beaucoup de sujet, semble se scinder en deux, où on remet tant en question la légitimité du pouvoir et que l’usage de la violence (public ou citoyenne) est au cœur du débat public.

À souligner également l’excellente de la distribution : au-delà des acteurs cités, on retrouve William Lundigan, Raymond Massey (qui ironiquement interprète Abraham Lincoln la même année) et une des premières apparitions de Van Heflin.

Bergman Island, Mia Hansen-Løve (2021)

Pas étonné par le résultat, vide complet, autofiction ou je ne sais quoi. J’avais snobé la rétrospective de la dame à la Cinémathèque parce que je ne pense pas qu’il faille encourager les gens qui n’ont pas de talent et n’aime pas trop qu’une institution comme celle-là mette en avant les copains, mais j’avoue une certaine faiblesse à la curiosité quand j’ai appris qu’il était question de l’île de Bergman (oui, je parle bien anglais) et espérais donc un peu en tirer quelques informations comme dans un safari pour fans débiles. Tout pue dans le film, sauf peut-être l’épilogue qui brouille les pistes entre fiction et réalité. Ah oui, je reconnais à la dame un certain talent pour la concision : deux phrases souvent tout au plus, puis on poursuit la discussion dans un autre lieu, ça donne l’idée qu’on évite le bavardage, mais on n’échappe pas aux situations sans intérêt. Mais peut-être qu’à force de voir ses films, je finirais par y trouver un intérêt, car comme son double fictif le fait remarquer (dit par son mari) : plus on regarde une chose, plus on y trouve un intérêt. Et là dessus, je serais tout à fait d’accord. Seulement, si ça marche avec un Hong Sang-soo, il y a certaines personnes avec qui tout simplement on n’a pas envie de faire l’effort : on est au lendemain du couronnement de Charlie, pour lui comme pour d’autres, en particulier chez les artistes, je suis un pouilleux, je n’aime pas les aristocrates et n’aiment pas ceux qui en font la promotion. Ça se fait toujours au détriment des autres, plus méritants, plus talentueux. Il faudra encore enfoncer la porte bien des fois pour me faire changer d’avis, or, on le sait déjà, Mia aura l’occasion bien plus que d’autres d’enfoncer la porte de mon attention, donc je ne me laisserai pas si facilement faire.

Mank, David Fincher (2020)

Le père d’un cinéaste connu qui écrit un scénario sur le frère d’un cinéaste connu écrivant le chef d’œuvre pour un autre cinéaste connu. Ca pourrait être un résumé de la logique de la politique des auteurs où les cinéastes finissent toujours par être crédités comme les auteurs des films qu’ils réalisent au détriment de ceux qui le plus souvent les écrivent… les scénaristes. Reste à savoir à quel Fincher le public donnera du crédit pour vanter ou critiquer le film…

Je suppose qu’il faut être cinéphile pour apprécier toutes les références et le contexte évoqués par le film. Le moindre personnage qui fait une apparition peut être un chef décorateur, nommé par un simple prénom, le plus respecté et le plus crédité sans doute d’un studio, et je doute de l’intérêt de jouer ainsi des références même pour les plus avertis des cinéphiles. C’est au fond tout le problème des biopics, et on n’échappe pas par ailleurs à tous les poncifs du genre, à commencer par le commentaire final pour évoquer l’épilogue de ce qu’on nous montre dans le film…

Au-delà de cet aspect un peu pénible du film, il faut noter quelques touches d’intérêt : le père de Fincher est mort au début du siècle, je ne sais donc pas à quel époque il a écrit le script, mais il y aurait presque quelque chose de visionnaire. Si au milieu des années 40, raconter la vie de Hearst à travers une « fantaisie » avait quelque chose d’encore bien contemporain, force est de constater que l’évocation d’un monde en crise dans lequel les leaders se serviraient des médias pour influencer le peuple aurait presque quelque chose de prémonitoire, car en 2020, cette critique du pouvoir est sans doute encore plus contemporaine qu’à l’époque où Fincher père a écrit le scénario. Peut-être que c’est le fils d’ailleurs qui a appuyé cet élément et qu’on n’en saura jamais rien parce qu’il a eu la délicatesse (contrairement à ce que l’on apprend du Welles du film) de laisser son père comme seul « auteur » du film. Malheureusement, le film est peut-être un peu trop éclaté (à la Citizen Kane) pour qu’on s’attache réellement à son histoire : papa Fincher n’a pas songé peut-être que dans un film, les personnages étaient parfois plus importants que la manière dont on les met en scène. Il est cent fois plus intéressant de voir les personnages de Don Quichotte dans leur élément qu’évoqués simplement par leur auteur cloué au lit. 

Dernière chose : les reconstitutions en extérieur, que je suppose en réalité tourné en studio, sont assez laides. On pourra dire ce qu’on veut, la luminosité du soleil dans les yeux, la densité de l’air, à cause notamment de la pixellisation des raccords entre différentes profondeur de champs ou tout simplement trahit par le jeu des acteurs (un projecteur dans les yeux ne produit pas un même type de réaction que le soleil), aucune technique numérique ne peut encore parfaitement les rendre. Content en revanche d’avoir pu voir à nouveau Charles Dance dans un film de David Fincher.

Griffes jaunes, John Huston (1942)

Intrigue d’espionnage en temps de guerre. Rien de très original sinon qu’on nous laisse croire quelques minutes que le personnage du désormais star Hymphrey Bogart après La Faucon maltais (réalisé avec la même équipe) puisse être infidèle à sa patrie. It was a feint à laquelle personne n’était dupe. L’occasion surtout de voir Bogey en dehors de ce qu’on lui connaîtra par la suite être sa zone de confort : on le voit sourire à pleines dents, plaisanter et même manier une arme de guerre (bien plus « grosse » que celle de ses adversaires). 

On remarquera surtout de bons passages dialogués avec Mary Astor (qui assurent les notes humoristiques du film, mais assez pince-sans-rire qui colle à la fois avec les années d’entre-deux-guerres et les années noires qui viennent de débuter avec la guerre et le précédent film de Huston), la présence toujours suspecte de Sydney Greenstreet, et une distribution asiatique incapable de parler japonais correctement. Et pour cause : tous les acteurs potentiels d’origine japonaise étant sans doute déjà victimes de l’internement préventif et xénophobe des Japonais dans le pays, les Japonais semblent être joués par des Sino-Américains… La face sombre de l’histoire du pays que la guerre fera par ailleurs bientôt passer d’une entité militaire négligeable dans le monde à celui qui développera l’arme la plus absolue et la plus radicale en moins d’une moitié de décennie…

L’Intruse, Alfred E. Green (1935)

Film bâclé et sans grand intérêt hormis ses deux acteurs principaux. L’intrigue est resserré comme un un vieux slip de grand-mère et on doit compter les péripéties sur les doigts d’une main. Heureusement d’ailleurs, parce que rien d’autre que de l’attendu, ça abrège les souffrances. On a donc un architecte qui tombe amoureux d’une ancienne actrice à succès, réputée pour porter la poisse et alcoolique. Il délaisse sa dulcinée, a l’honnêteté de lui dire (les personnages honnêtes au cinéma, c’est ennuyeux, ça coupe direct toute possibilité de corser un peu l’intrigue), retourne vers sa belle. Et là, quand l’actrice lui demande comment sa fiancée a réagi, il balance ça d’un magnifique revers de main : « Tu sais, elle est plus forte que nous tous. » L’excuse idéale pour ne pas se soucier des problèmes que l’on cause aux autres, magistral d’inconsidération. 

C’est le premier Oscar pour Bette Davies. On ne va pas dire qu’elle est formidable, mais sa récompense annonce comment les acteurs seront récompensés par la suite : surtout pour un certain type de personnage, sur une manière d’aborder un rôle, plus que pour leur talent. Pour être plus clair : des personnages devant passer par toutes sortes d’états d’âme, d’émotion, de vicissitudes (on doit les voir au plus bas et au plus haut) et en particulier les voir composer des personnages soit en rupture totale (ici, misère et alcoolisme) soit en décalage avec leur emploi (ce qui forcera l’admiration des « professionnels » pour la « composition » de l’acteur en question). Le talent de Bette Davies est ailleurs. Une personnalité d’abord, un sacré sens du rythme (à Hollywood, il faut savoir donner à voir, avoir l’œil vif et expressif, capable de jouer les changements d’humeur dictée par la situation, quitte encore à manquer de justesse) et donc malgré tout une justesse rare à l’époque (même si quand on compare à ce qui arrivera vingt ans plus tard, tout sonne forcé). On la connaitra bien meilleur, notamment dans Eve.

L’Inquisition, Arturo Ripstein (1974)

Excellente reconstitution, même si je doute que la toute jeune Mexico ressemblait à la fin du XVIe à ce qui nous est présenté, mais j’en demande peut-être beaucoup là.

Les chuchotements permanents donnent le cachet du film, son ambiance, ce qui fait qu’on peut y croire et mesurer le degré de peur, de persécution et de suspicion à l’égard des juifs en pleine période épidémique. (C’est malheureusement aussi pas mal d’actualité, le thème des sacrifices humains opérés par les juifs ayant été récemment réactivés…)

Le film souffre un peu d’une baisse de rythme à la sortie de prison : difficile de rester sur un tel rythme tout en développant un nouveau départ, mais faut respecter le ton du film. L’absence de musique n’aide pas, mais elle aurait pu tout aussi bien tout gâcher et en faire un Grand Inquisiteur bis. Les acteurs et la mise en scène sont assez remarquables, mais c’est une habitude, j’ai l’impression dans le cinéma mexicain. Mes films préférés de Buñuel sont mexicains, il doit y avoir toute une production restant encore largement sous les radars…

avril 2023

Un bourgeois tout petit, petit, Mario Monicelli (1977)

commentaire :

L’Impossible Amour, Vincent Sherman (1943)

Belle ironie. Le film épingle les romans à l’eau de rose (et les auteurs qui les produisent à la chaîne « comme des saucisses ») alors que le film lui-même n’est rien d’autre qu’un jeu de chaises musicales amoureux. On a le trio amoureux, le carré amoureux, mais quand on tricote un cadenas à cinq ou six prétendants, on appelle ça comment ?…

Le passage d’une époque à l’autre est assez brutal (le film est tirée d’une pièce, et on peut imaginer qu’à chaque nouvel acte, on laisse passer une dizaine d’années au compteur) ce qui casse le rythme du film. Miriam Hopkins en fait des tonnes, et on ne sait pas toujours si c’est de l’autodérision ou si Vincent Sherman la laisse faire n’importe quoi. Ça correspond bien au personnage, mais c’est parfois un chouilla dérangeant. Bette Davies est comme toujours incroyable de justesse, même si comme d’habitude, elle parle bien trop fort. Elle a été parmi celles qui à l’arrivée du parlant ont donné le ton en donnant à voir au spectateur tout l’attirail des nuances visuelles capables de ponctuer les moments d’écoute et le phrasé des répliques (des « trucs » qu’on devait probablement déjà bien retrouver au théâtre, mais que le cinéma parlant a rendu plus familiers jusqu’à sans doute faire des acteurs arrivant après des imitateurs), malheureusement, en 1943, ce qui autrefois avait permis une forme de réalisme inédite à l’écran, est devenu théâtral. Le film semble ainsi avoir été tourné dix ans plus tôt. Reste quelques répliques savoureuses.

Gendarmes et Voleurs, Mario Monicelli (1951)

Première demie heure un peu répétitive (la même course poursuite s’étire et n’en finit pas), puis quasiment une heure de mise en place pour en arriver à ce qui représente le cœur de la comédie italienne : un sens populaire certain, de la fraternité (on devine ici entre qui) et la comédie qui se mue en mélodrame. Tous les ingrédients qui feront pas mal des meilleurs films de Monicelli ou de Risi (par exemple avec Une vie difficile). Tout tient évidemment grâce aux acteurs, malheureusement, tous géniaux qu’ils sont, ils ne peuvent que ramer pendant une bonne partie du film. Loin d’être mauvais, mais assez décevant au final compte tenu de la réputation du film.

La Légion noire, Archie Mayo (1937)

Volontaire ou non, cinq ans plus tard, le film Échec à la Gestapo de Vincent Sherman, avec le même Humphrey Bogart reprend une scène où l’acteur se retrouve dans une réunion d’un groupe dangereux en sous-sol. La scène est devenue même sans doute une sorte de cliché, peut-être déjà utilisée dans les films de série B de l’époque du muet, vu que ça tient un peu du fantasme et de la peur des groupes secrets. Si ici et dans Échec à la gestapo, ces groupes ont bien existé, on en reprend presque toujours à l’identique la construction : les « intrus » ou comme c’est le cas ici, l’initié, arrive alors que la séance secrète a déjà démarré. Dans d’autres films plus récents, on joue au contraire sur la peur induite de groupes inexistants comme dans Eyes Wide Shut ou dans Un bourgeois tout petit, petit.

Pour le reste, le film fait parti de ces films politiques « humanistes » des années 30 cherchant à mettre en garde contre les mouvements « séparatistes » on dirait aujourd’hui. Il manque alors peut-être un peu de relief, mais certains films, s’ils ne tombent pas totalement dans les évidences, peuvent se révéler nécessaire à faire car ils décrivent une situation politique réelle et contemporaine. La fin, avec un retournement vite expédié du principal accusé, est trop facile, mais là encore, c’est assez conforme aux films d’époque qui s’encombraient rarement de détours psychologiques ou de mise en suspension du récit pour gagner en relief. De l’action, de l’action, de l’action. A noter que Bogart n’est pas encore une star quand il tourne le film, il vient seulement de s’assurer un rôle de second couteau sur les films grâce à La Forêt pétrifié du même Archie Mayo et sera ainsi employé par la Warner jusqu’au Faucon maltais qui lui assurera un place en tête d’affiche le reste de sa carrière. Ceci explique pourquoi on l’y retrouve ici à contre-emploi.

Blonde Crazy, Roy Del Ruth (1931)

commentaire : 

Noises Off, Peter Bogdanovich (1992)

Du théâtre filmé tout ce qu’il y a de plus infilmable. Pourtant, on s’y laisse prendre : ça commence comme un vaudeville, ou plutôt, déjà, une pièce de boulevard mettant en scène un vaudeville avec portes qui claquent et amant ou presque dans le placard, et puis une fois le premier acte passé (dans tous les sens du terme), qui est en fait ici la répétition générale (ou la technique, on ne sait plus bien) avant la première, on retrouve les mêmes acteurs lors d’une représentation en province…, toujours pour le premier acte, mais depuis les coulisses. C’est sans doute là que la pièce au théâtre prenant déjà toute sa saveur, on imagine un plateau tournant, et puisqu’on connaît déjà un peu le « revers du décor », le premier acte, on peut s’amuser du style en coulisse qui a d’excellentes raisons de tourner au slapstick, au burlesque ou au n’importe quoi : eh oui, en coulisses, les acteurs sont censés faire silence. Jolie chorégraphie qui serait un joli hommage au film muet de la première époque (même si la difficulté de la répétition des « slaps », surtout pour des acteurs de cinéma, oblige à une sorte de chorégraphie absurde souvent plus que drôle). A de nombreuses reprises pourtant l’humour fait mouche, mais c’est sans doute plus dans l’absurdité de certaines situations, l’outrance des relations entre personnages qui finissent par un troisième acte (reproduisant une nouvelle fois la premier acte, si c’est clair…) lors d’une dernière représentation où rien ne va plus. Le crescendo est parfait, on peut juste regretter que ce soit difficile à voir avec des sous-titres : les répliques, donc les sous-titres, s’enchaînent à vitesse folle, et on sature souvent. Le problème serait sans doute tout autre en français. Bel hommage aux acteurs et aux personnes qui font tourner les représentations depuis les coulisses en tout cas. Les couacs, les représentations ratées, la pagaille, l’impréparation, l’improvisation, l’improvisation ratée, les inimitiés et les amours qui se font ou se défont, en coulisses, c’est aussi ça qui font les bons souvenirs… et les jolies pièces.

Sarah Bernhardt – Pionnière du show business, Aurine Cremieu &  Artem & Eva, Evgeniy Milykh (2023)

Télescopage des documentaires Arte entre deux époques. Une actrice de la fin du XIX sortie du ruisseau par la Comédie française qui fera le tour du monde et dépensera sans compter. Et une actrice du XXI sortie du ruisseau par PornHub amenée à faire le tour du monde. Malheureusement, on voudrait voir ce que devient cette gamine de Omsk dans trente ans (et son juriste de mari). À part des stars du porno qui s’en sorte en vendant leurs fesses au type le plus puissant du monde, il y en a qui finissent « monstre sacré » ou « trésor national » comme Sarah Bernhardt ?

Targets, Peter Bogdanovich (1968)

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Wonder Bar, Lloyd Bacon (1934)

Tournée juste après la trilogie à succès de la Warner des Gold diggers, une comédie musicale sans grande prétention. On profite des chorégraphies kaléidoscopiques de Busby Berkeley, mais bien plus encore des pitreries chantées d’Al Jolson, l’interprète du Chanteur de jazz. Ses numéros de cabaret, typiques du music-hall de l’époque consistent à proposer différentes vignettes chantées et dansées des cultures du monde (le bar en question possède une enseigne lumineuse écrite en plusieurs langues, ça donne le ton cosmopolite du film). À noter quelques sketches pleines de jeux de mots en russe malheureusement incompréhensibles (un coté Marx Brothers), un duo sadomasochiste de domination du mâle sur la femme où Dolores del Rio danse et se soumet au fouet avant de poignarder son amoureux… Et surtout un finale où Al Jolson reprend son numéro qui l’a rendu célèbre, dit-on, celui du black face : les visionneurs contemporains qui ne comprennent rien à cette représentation positive (c’est souvent le cas au cinéma) des Noirs du sud pourront être scandalisés parce qu’on y trouve un numéro rempli de centaines de black faces façon Busby Berkeley (disponible ici). En réalité, ces artistes, dès l’époque du ragtime, puis avec le jazz, n’ont cessé d’être des ponts entre les cultures. Si certains minstrel shows dans le Sud étaient clairement racistes, ragtime et jazz ont définitivement cassé les barrières culturelles : chacun empruntait aux autres pour ne finalement plus constituer qu’une culture, une histoire, commune. Celle des artistes. Sur d’autres extrait, Jolson reprend les gants blancs rapporté aux grooms ou aux gentlemen, costume repris par Eleanor Powell, puis repris des années après par Michael Jackson qui poursuivra cette tradition de passerelles entre les cultures pour ne constituer qu’une communauté, celle des artistes. Sacré interprète que cet Al Jolson : formidable chanteur, une autorité certaine, et un sacré talent aux claquettes.

Sunhi, Hong Sang-soo (2013)

Joli film sur la multiplicité des femmes qui se finit un peu comme une farce. On a en fait une sorte de redite de Oki’s movie, avec une fin quasi identique. Ce n’est pas encore abouti comme les meilleurs films du cinéaste, parce que l’atout des films de Hong Sang-soo, c’est leur multiplicité… narrative, interprétationnelle, pas celle d’un seul personnage. Mais clairement, entre 2010 et 2013, on sent une hausse indéniable du niveau : même un film sans grande ambition, beaucoup grâce aux acteurs, on s’amuse des petites propositions dramatiques et du moindre dispositif hoquetant film après film. Chaque hoquet d’ivresse serait presque comme une nouvelle gorgée de bière venant nous rappeler les scènes passées vues dans d’autres films bien mieux réussis. Ce n’est pas la politique des auteurs, c’est une dépendance. De l’alcoolisme par procuration presque. Des clopes, de la bière et des filles… … est-ce que ce petit malin ne s’est jamais soucié d’autre chose ?

mars 2023

Sur l’Adamant, Nicolas Philibert (2023)

Sympathique, mais un peu facile. Après les enfants, les fous. Bien sûr qu’ils sont attachants ces fous, mais peut-être aussi parce que ces des fous trillés sur le volet. Une péniche pour des artistes essentiellement. Tous poussent plus ou moins bien la chansonnette, alors vous pensez que tout cela devient follement photogénique. Mais Philibert est peut-être plus proche de Freaks que de Frederick Wiseman dont le réalisateur semble se revendiquer (l’un étant venu découvrir le film de l’autre dans la salle) : une fois qu’on a compris à qui on avait affaire, on attend le prochain tour offert par ces fabuleux freaks. Et on commence à se questionner sur son propre regard, sur celui, presque indécent de celui du réalisateur (avec des enfants, les parents donnent le consentement, avec des fous, vu la détresse et l’isolement général de ces personnes, on peut douter qu’ils puissent mesurer les conséquences de l’accord donné à utiliser leur image). Et comme le film ne propose strictement rien d’autre sinon des plans de coupe admiratifs sur la structure architecturale plantée sur la Seine, on n’échappe pas à l’effet bêtes de foire. On entend déjà Elephant Man nous beugler à la tête : je ne suis pas un animal… Philibert cherche pourtant à nous adresser un message (les panneaux indicatifs en introduction et en conclusion — pardon, mais niveau zéro du documentaire). Message selon lequel la société abandonne ses fous (et que cela sera sans doute pire demain avec la fermeture des lieux : là, on ne peut s’empêcher de penser que le documentaire est alors le fruit d’un copinage entre psychanalyste œuvrant dans les lieux et le milieu bien parisien du cinéma). Désolé, mais ce qui est appréciable chez Wiseman, c’est que tous ses films dévoilent d’infinis détails et situations qui assemblées prennent une valeur universelle, parce que ce qui y est décrit, c’est le monde réel. Ici, au contraire, on ne dévoile pas les conditions de vie dans un centre psychiatrique pour parler de tous les centres psychiatriques, pour parler de tous les fous, tous les humains, on décrit un centre psychiatrique bien particulier, et pas forcément le moins bien loti. Faire un film centré sur L’Adamant, c’est un peu comme faire un film sur la détresse adolescente au lycée Henri IV. 

Pas foulé donc le Nicolas. Reste le respect qu’on s’efforce à avoir pour tous les pensionnaires. Eux ne mentent pas et ont vraiment du talent. Plus en tout cas que celui qui tourne sa caméra vers eux.

L’incendie du Reichstag – Quand la démocratie brûle (2023)

Le génie du fascisme : lancer des coups d’Etat qui échouent, tenter alors d’entrer dans la « bergerie » de la démocratie pour la vaincre avec ses propres armes (méthode cheval de Troie), préparer un complot pour s’emparer enfin des pleins pouvoirs tout en criant aux complots de cibles toutes trouvées, des boucs-émissaires parfaites. Vous voulez fomenter un complot ? Rien de plus facile : accusez vos adversaires (ou mieux, une masse informe incapable de se défendre : au choix, les juifs ou les étrangers) de les préparer au détriment du peuple. Les vrais complots existent : ils sont opérés par des manipulateurs qui voient des complots partout. Le complot est comme une infection : en avoir peur ne signifie pas qu’il existe ; s’il existe, on ne le sait qu’après, car s’il existe, c’est qu’on est déjà touché et qu’il est déjà trop tard. Les armes du fascisme : le populisme, l’appel à l’émotion, la suspicion, la désignation de faux coupables pour apparaître comme un sauveur. C’est fou de voir qu’il faudrait si peu de choses pour qu’on y retombe. Tous ces ingrédients sont déjà là. 

J’avais noté précédemment les correspondances entre Richard III et l’ascension de Poutine. Il faut avouer que Brecht ne s’y était très tôt pas tromper avec son mix entre Richard III, Al Capone et le nazisme : Arturo Ui. Le totalitarisme a assez peu d’imagination au bout du compte. Richard III profite d’un pouvoir fatigué et quasi vacant, complote, et papy Hindenburg vaut bien Eltsine pour se faire piquer la place par un nouveau mâle alpha qui ne s’encombrera pas de diplomatie pour asseoir sa tyrannie. (On a même un épisode avec un coupable idéal, forcément communiste, étranger, qui se révèle finalement être manipulé et stupide. Je suis presque étonné que Poutine n’a pas eu besoin de son Lee Harvey Oswald. Comme quoi, le totalitarisme nous surprendra toujours…)

L’Ultime Garçonnière (1969)

Dans la veine des films de vide-greniers des années 60-70. Le chemin est encore long pour arriver au génie loufoque des Monty Python (la critique prétend qu’on y voit là les prémices). Les pitreries burlesques et grossières ne passent jamais. Un peu à cause des acteurs, beaucoup parce qu’il n’y a rien de drôle. La seule chose qui m’a fait sourire est verbal, pas burlesque ou absurde :  « C’est la voix de Dieu, j’ai reconnu sa voix. » Tout le reste est lourd. Et je le dis souvent, j’ai du mal avec le cinéma de vide-greniers. Il y a En attendant Godot en haut de la liste (et encore, c’est plus minimaliste qu’un vide-greniers parce qu’on se limite à quelques ustensiles), Dodeskaden, Miracle à Milan peut-être, Fando et Lis (mais version théâtre, la version de Jodo a ses limites, celles de son réalisateur, qui est plus intéressé par le vide-greniers que par Arrabal), et puis le reste, tout ce qui ressemble à Les Oiseaux, les orphelins et les fous où la scénographie, les accessoires, l’errance sans but trouve vite ses limites (dans ce film de Richard Lester, il n’y a aucun scénario, ce sont des rencontres, mais on ne va nulle part, là encore, c’est les limites de faire une histoire avec des personnages qui ne suivent aucune logique : chez Beckett, la quête est absurde, mais elle existe, chez les Monty Python, versant slapstick et absurde du vide-greniers, on vise aussi le pastiche, donc la quête existe, mais avec des fous rescapés de l’apocalypse, j’avoue ne pas suivre).

La différence avec l’humour des Monty Python, c’est bien le degré. Chaque acteur des Monty Python a en permanence l’œil qui frise, une forme d’insolence au second degré qui force la connivence avec le spectateur. Chez Lester, au contraire, tout est au premier degré. Et pour cause, les acteurs ne sont pas des acteurs de comédie et Lester fait le pari que le spectateur sera amusé par la seule cocasserie suscitée par le décalage des images et par les situations proposées. Pour qu’il y ait humour, il faut connivence. Lester est Américain, son humour est plus burlesque et tarte à la crème (on y manque pas d’ailleurs ici) : si prises séparément certaines propositions comiques jouent avec le flegme britannique présenté en toutes circonstances, sans lien logique et ainsi multipliées sans but, ça tourne en rond et à vide (un peu comme chez un Jodo d’ailleurs ou un mauvais Caro et Jeunet). Plus qu’un précurseur des Monty Python, ce sera surtout plus celui d’un Bennie Hill. Dans Le Knack… et comment l’avoir, le contexte citadin et les relations entre les personnages pouvaient encore séduire : on reste dans l’humour potache 1901 employé avec les Beatles. Mais dans un univers post-apocalyptique où chacun est fou et ne suit donc aucune logique dans son comportement, tout devient forcé. Et puisque plus rien n’a de sens, on frise à l’absurde, et on se heurte alors au seuil que j’ai évoqué dans Le Daim qui touche à peu près tous les films absurdes au cinéma. Dans ce genre particulier post-apocalyptique, la meilleure réussite est sans doute à trouver du côté du cinéma soviétique : Kin-Dza-Dza doit là encore son succès principalement à ses acteurs, bien plus capables que l’univers dans lequel ils sont projetés de jouer de créer une forme d’insolence et de connivence avec le spectateur, et à sa capacité à suivre une quête logique (même si c’est discutable, j’en n’ai pas un si précis souvenir que ça, mais dans mon souvenir, le film évite l’écueil du récit absurde en donnant un sens à la présence des personnages).

 
Matins calmes à Séoul, Hong Sang-soo (2011)

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Oki’s Movie, Hong Sang-soo (2010)

Je suspecte le cinéaste d’avoir voulu réaliser le film pour ses seules dix dernières minutes. Un nouveau croisement narratif dont Hong Sang-soo est friand, mais avant ça, on doit se farcir une heure de présentation pas bien finaude. Pour le prix qu’a dû coûter le film, c’est toujours bon à prendre…

C’est tout de même étrange de voir la piètre qualité de ses films dans les premières années du siècle. Deux ou trois premiers bons films à la fin des années 90, puis Turning Gate, et je crois que je n’aime plus grand-chose. Il faut attendre cette année 2010 où le cinéaste réalise également Ha ha ha pour sentir une évolution positive et un regain créatif.

Woman on the Beach,  Hong Sang-soo (2006)

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Juste sous vos yeux, Hong Sang-soo (2021)

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La Femme qui s’est enfuie,  Hong Sang-soo  (2020)

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Seule sur la plage la nuit, Hong Sang-soo (2017)

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février 2023

Un jour avec, un jour sans, Hong Sang-soo (2015)

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In Another Country, Hong Sang-soo (2012)

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Haewon et les hommes, Hong Sang-soo (2013)

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Nom de code: Shiri, Kang Je-kyu (1999)

Thriller qui lorgne pas mal à la fois sur les codes du genre à Hollywood et sur le style violent et sensible des films hongkongais. On est même peut-être un tournant, le cinéma d’exploitation coréen prenant à l’occasion du nouveau siècle la place laissée vacante par le cinéma désormais chinois tourné à Hong Kong. Le film aurait eu en son temps un énorme succès, et en veux bien croire, tous les ingrédients y étant réunis pour plaire au public. Le film emprunte pas mal semble-t-il à Une journée en enfer, le scénario multiplie les astuces et les passages obligés d’un thriller américain : des plantings à foison (décidément, après les films de Hong Sang-soo, et même dans The Spy Gone North, c’est une spécialité coréenne), des revirements obligés, des histoires d’amour contrariées, une amitié mise à l’épreuve par les circonstances, la perte des êtres chers, la révélation sur la nature de ceux que l’on aime, la découverte élémentaire et surprenante qui nous oblige à revoir ce qui précède autrement, le personnage idiot qui fait la preuve de son courage, les objets fétiches capables de vous soutirer quelques larmes, etc. Le film par ailleurs reproduit certains excès des films hongkongais : le personnage féminin innocent, l’opération de chirurgie esthétique, le mariage opportun, la sensiblerie, les guns fights peu crédibles… Malheureusement, le film n’arrive jamais au sommet et, dans sa réalisation (ou ses excès), n’arrive jamais au niveau des films de John Woo. Mais pour le public coréen, je veux bien croire que le démonstration ici est faite qu’une production de films commerciaux et de genre dans la péninsule puisse être crédible. On retrouve d’ailleurs dans le film beaucoup des acteurs qu’on retrouvera par la suite.

The Spy Gone North, Yoon Jong-bin (2018)

Film d’espionnage qui aborde la question politique habilement et qui s’achève en ode à l’amitié. On tire un peu sur la corde sensible, mais étrangement on s’y laisse prendre et on échappe même une petite larme sur la fin… Un peu de nuance dans le cinéma coréen sur un sujet aussi sensible que la partition, c’est plutôt inattendu et le signe peut-être d’une nouvelle maturité…

Le Festin chinois , Tsui Hark (1995)

Amusant, parce que sorti la même année que The Blade, le film en partage pas mal d’aspects “chorégraphiques”. On y retrouve aussi la même énergie et la même outrance burlesque que dans Pékin Opéra Blues ou de celle plus mélodramatique du Syndicat du crime. Arriver à proposer un nouveau personnage burlesque féminin, ce n’est pas donné à tout le monde, même si elle est beaucoup moins au centre de l’intrigue que dans Pékin Opéra Blues. C’est peut-être le souci d’ailleurs. Le rythme du film retombe complètement dans le dernier acte où les deux pitres amoureux ne font plus que de la figuration. Et pour un tournoi qui est censé être de gourmets, on frôle beaucoup le mauvais goût. Le film étant par ailleurs pas mal construit comme un film de Bruce Lee (l’intrus venant secourir un père et sa fille en prise avec des truands cherchant à s’emparer de leur restaurant), il se perd un peu en reléguant le personnage de Leslie Cheung « en cuisine ». Comme dans Le Syndicat du crime, c’est son personnage qui aurait dû d’une manière ou d’une autre assumer le « tournoi final » (tout en faisant tout pour que le tournoi n’aille pas à son terme : les rebondissements nécessaires sont présents, mais ça fait pas mal pshitte). Parce qu’ici, le maître déprimé, on avait le même dans Le Syndicat du crime et « l’intrus » devrait rester au centre du récit. Mais possible aussi qu’en faisant cela, l’intrigue se serait trouvé mis face à d’autres écueils… Peu importe, ce finale plombe un film qui était pourtant parti dans la lancée d’un Pékin Opéra Blues.

Les Trois premiers films de Hong Sang-soo (+Night and Day)

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Le Temple des oies sauvages, Yûzô Kawashima (1962)

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Fûsen / Le Ballon, Yûzô Kawashima (1996)

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Le Village dans la brume, Im Kwon-taek (1983)

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Ascension, Jessica Kingdon (2021)

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janvier 2023

Le Jardin des désirs, Ali Khamraev (1987)

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La Nuit des espions, Robert Hossein (1959)

Jolie allégorie de l’incommunicabilité entre amoureux. L’un se fait une idée de ce que l’autre pourrait être, s’il a l’intention de le tromper ; l’autre pense la même chose. L’un se fait passer pour quelqu’un qu’il n’est pas mais qu’il pourrait être ; l’autre joue un jeu similaire et craint de l’autre la même chose sans pouvoir lui dire…

Le film est peut-être un peu répétitif lors de deux ou trois échanges, mais l’idée de départ (et ce n’est pas toujours le cas avec les bonnes idées de départ) tient la route jusqu’à la fin. Les deux acteurs sont parfaits et arrivent parfaitement à nous faire croire à un coup de foudre lors des premiers échanges de regards. La mise en place dans un espace aussi restreint de Robert Hossein, en parfait homme de théâtre, est là encore d’excellente qualité. À la réalisation, Hossein se débrouille pas mal avec une bonne inventivité, un bon choix des angles de caméra ainsi que quelques mouvements de caméra assez élégants. Manque peut-être dans ces jeux de caméra une plus grande audace et une plus grande prise de risques dans le lyrisme amoureux après que les deux espions ont fait l’amour (Hossein propose une mise en place des acteurs tête-bêche assez mal exploitée visuellement). Un 8 pour les acteurs et le sujet surtout.

Un film qui rappelle par certains aspects Le Silence de la mer, de Jean-Pierre Melville.

Nocturne (chanson triste), Marcel Silver (1927)

Magnifique petit film Albatros. C’est parfois quand on va au plus simple qu’on produit les meilleurs films… Le bonheur voudrait frapper à la porte, mais il se fait tard et préfère aller se coucher ; la mort en profite pour frapper à sa place. La cruauté des occasions manquées.

Une histoire sans dialogues qui est le paradis pour un montage alterné efficace. De jolis mouvements de caméra. Et une actrice tout en retenue puissamment tragique… Vive le réalisme. Elle a des boucles noires aussi d’une grande beauté… Dans sa simplicité et sa pesanteur tragique, on dirait presque du Kirsanoff.

L’histoire du film est assez amusante. « Il fait un temps de merde, pour occuper l’équipe qui attend de tourner la grosse production, on va tourner un chef-d’œuvre ».

Le film est ici.

Minding the Gap, Bing Liu (2018)

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Le Sel de Svanétie, Mikhail Kalatozov (1930)

Des images fabuleuses. Comme d’habitude dans les documentaires de l’époque du muet, on prend des libertés avec la rigueur objective qui deviendra plus tard la règle : si le film décrit bien quelques dizaines de minutes la vie quotidienne et difficile des montagnes, il prend par la suite un tournant résolument dramatique, pour ne pas dire tragique et lyrique, l’occasion de faire intervenir à la fin le parfait sovietus ex machina quand l’effort bolchevique met fin à l’enclavement de la région. On est aussi entre Terre sans pain et The Epic of Everest. « L’âge de pierre tourne en rond » en Svanétie…

Mais le plus remarque reste encore les images. Les Soviétiques utilisaient des objectifs qui offraient d’étranges effets de lumière, de flou et de profondeur de champ. J’avais déjà noté cette étrangeté dans La Nouvelle Babylone ou dans certains films japonais muets (voire dans Le Dernier des hommes). En fait, certains plans semblent avoir été tourné avec une petite focale, et alors que la profondeur devrait être grande, par certains défauts d’objectif, de sensibilité ou de luminosité, des parties du champ n’apparaissent pas aussi nettes qu’elles le devraient dans un plan à grande profondeur de champ. Et qu’est-ce qu’il se passe quand dans un plan d’ensemble (mais pas que) censé être en petite focale certaines parties sont floues ? Eh bien ça donne un effet miniature, aussi connue de nos jours comme l’effet « tilt-shift ».

Quelques exemples :

Revoyure de La Guerre des espions, Masahiro Shinoda (1965)

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Cap et Poignard, Fritz Lang (1946)

Encore un film d’espionnage baroque. Gary Cooper joue un scientifique (fonction rare au cinéma) à qui on demande de jouer les espions en Europe afin de débusquer les activités suspectes des nazis que l’on suspecte de mener parallèlement à ce qui se passe en Amérique avec le projet Manhattan un projet identique pour arriver à produire une bombe nucléaire. Le film pendant un moment paraît assez bien documenté (j’y ai reconnu les quelques rares bribes de connaissances que j’ai du sujet, notamment sur la nécessité de détenir certaines mines spécifiques en Europe, seules capables de délivrer des produits indispensables à la construction de la bombe), et puis tout prend un tournant romantique avec le personnage de Lilli Palmer. Le générique du film prétend que c’est son premier rôle (« introducting… »), ce n’est pas tout à fait exact. Ce qui l’est en revanche, c’est qu’elle tient tête à Gary Cooper. Elle y parle en plus italien, à se demander combien de langue elle a pu parler… Quelle actrice fabuleuse ! (Elle enchaînera avec Sang et Or.) Cooper, lui, s’essaie à l’allemand, mais on peut imaginer qu’il a bien été coaché dans l’affaire… Loin d’être du grand cinéma, un peu baroque donc en oubliant le sujet principal du film, mais assez appréciable.

Le Secret du ninja (Shinobi no mono/Ninja, a Band of Assassins), Satsuo Yamamoto (1962). 

Réalisation, atmosphère, musique, photo, décors intérieurs comme extérieurs… : la grande classe du début des années 60 au Japon.

Quelques mouvements de caméra que l’on qualifiera « d’encerclements » parfaitement merveilleux (car subtils et toujours utiles à préciser une atmosphère). Des stars à toutes les sauces (on peut croiser l’actrice de La Femme des sables et l’acteur de Baby Cart, entre autres). Un complot diabolique et machiavélique bien réel digne des meilleurs romans-feuilletons. Des trappes en veux-tu en voilà : au plafond, sous le plancher, dans un mur. Des passages et des cabinets secrets, des intrusions nocturnes, des échappées sur les toits, les façades, les poutres et les arbres. Des assassinats camouflés en accident. Des prostitués qui semblent sortir du couvent. Des intrus cachés dans la nuit. Des combats expéditifs (avec une musique tragique, et non héroïque, parce que, oui, tuer des opposants, même très méchants, ce n’est jamais anodin). Des mèches explosives, du poison qui suinte sur un fil, des étoiles de ninja qui sifflent comme des balles, des chausse-trapes lancées au sol pour préserver sa fuite, des grappins qui se faufilent entre les branches ou sur le rebord des façades. Voilà un catalogue non exhaustif qui explique que je me régale.

On y retrouve aussi dans le parcours du personnage principe une certaine filiation avec le destin de Miyamoto Musashi (le soldat brillant, un peu trop attiré par le côté obscur de la Force avant de suivre, après ces premiers échecs, la voie de la lumière…). Il faut également noter qu’en général assez peu convaincu par les prestations de Raizô Ichikawa, il l’est ici tout à fait dans un registre qu’on qualifierait en France de « jeune premier » (c’est dès qu’il doit jouer l’autorité qu’il est moins à mon goût).

La suite est à voir assurément.

Ordre de tuer, Anthony Asquith (1958)

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La Terre qui flambe, F.W. Murnau (1922)

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Life of Crime 1984-2020, Jon Alpert (2021)

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Casier judiciaire, Fritz Lang (1938)

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L’Argent du charbon, Bing Wang (2009)

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Chasseurs de truffes (2020)

Chantal Ackerman trouve un trésor en fouillant son grenier : une GoPro. La truffe animale filme des plans fixes à petite focale interminable et assaisonne la gourmandise d’une jolie omelette voguant à rase-motte et la truffe à l’air en quête d’un autre de ces trésors olfactifs qui fera bientôt le délice de riches gourmets…

Jeanne Dielman peut se rhabiller avec ses pommes de terre. Parfois un peu trop mis en scène (le dernier plan ne trompe pas, c’est de la fiction plus que du documentaire ; faut sans doute être un peu escroc parfois), mais c’est pour la bonne cause. Et je viens de comprendre qu’en fait, les bêtes nous écoutent sans comprendre, poliment, comme nous on écouterait de vieux Piémontais sans les sous-titres. Jolie pépite qui sent bon la fraîcheur des bois (à défaut d’avoir la moindre idée de ce à quoi peut ressembler l’odeur de la truffe).

(On remarquera aussi le titrage à la Godfather, d’un goût, cette fois, assez douteux.)

Le côté fabriqué ou documentaire orienté (je ne dirais pas « fiction dans la fiction ») est surtout gênant dans le dernier plan, dans les lettrages (voire les lumières, qui là encore font penser au Parrain), et peut-être dans les quelques scènes de négociation, qui là encore font un peu trop penser à un film de mafia. C’est à la fois le plus grand défaut du film, mais aussi sa principale qualité : ce n’est pas un documentaire, mais une escroquerie. Je le répète souvent, au cinéma, ça passe et ça me fascine. Tout simplement parce que les mises en place à la limite du grand angle, assez lentes, de face à la Wes Anderson, et où comme par hasard il se passe un truc qui rentre dans le cadre d’un documentaire “narratif”, c’est du cinéma, c’est forcément fabriqué, mais on ne voit pas les coutures : c’est gros, mais ce n’est pas de l’improvisation, donc difficile de dire comme les réalisateurs s’y sont pris pour orienter les divers “acteurs” de sa fable.

D’ailleurs, je suis persuadé qu’on retrouve ce côté fabriqué et narratif dans L’Argent du charbon (ce serait amusant d’ailleurs de comparer les deux produits : charbon contre truffe). À quel point les “acteurs” acceptent-ils ainsi que la caméra les filme ? Que se passe-t-il si un des deux ou trois acheteurs dit au réal : « désolé, ne me filmez pas ». Son film tombe à l’eau. Donc j’ai quand même un peu dans l’idée qu’il a dû leur donner une petite compensation financière. Dès que ça raconte un peu trop bien une histoire, un documentaire est suspect. Et le dilemme, c’est bien que souvent ça les rend plus intéressants. C’est juste comme les dopés, le tout est de ne jamais se faire prendre par la patrouille… (Et après, ces deux films sont particuliers, ils jouent sur une ambiance, et un récit autour d’un sujet unique. Je pense qu’ils arrivent à ce résultat avec des milliers d’heures de rushs. Tandis que dans Les Chasseurs de truffe et dans L’Argent du charbon, ils sont limités en plans : tu rates l’événement, tu ne le prépares pas : plus de film.)

Un raisin au soleil, Daniel Petrie (1961)

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