Un bourgeois tout petit, petit, Mario Monicelli (1977)

Du Grand-Grand-Guignol

Note : 2 sur 5.

Un bourgeois tout petit, petit

Titre original : Un borghese piccolo piccolo

Année : 1977

Réalisation : Mario Monicelli

Avec : Alberto Sordi, Shelley Winters, Vincenzo Crocitti, Romolo Valli

Les limites supportables de la satire explosées.

J’avoue avoir du mal à suivre l’avis général sur ce film. La comédie italienne connaît un vrai déclin au cours des années 70, mais on touche tout de même ici l’horreur en matière de mélange des genres. La satire est le genre le plus difficile qui soit. Un coup de volant à gauche ou à droite en trop, une pincée de sel de trop, d’acidité, et l’alchimie attendue s’effondre.

Alors, peut-être que ce n’est pas une satire, mais une farce macabre. Quoi qu’il en soit, dès les premières minutes du film (donc bien avant le retournement criminel et vengeur du film), j’ai senti un malaise. Le même malaise que j’éprouve parfois quand je vois débarquer… Ugo Tognazzi sur l’écran. Acteur formidable de farces, mais un acteur qui n’aura jamais été meilleur que dans les petites comédies ; le monstre Tognazzi ne m’a jamais séduit à cause de la trop grande distance qu’il prenait avec les personnages, les monstres qu’il caricaturait. Le génie de la farce, et a fortiori de la satire (malgré tout l’acide), c’est de ne jamais pour autant faire des personnages épinglés des personnes antipathiques. Il est arrivé à Alfredo Sordi de jouer des personnages intéressés, cupides, mais jamais il ne faisait d’eux des êtres malfaisants. Ils étaient veules, de petits personnages comme le titre du film ici le décrit bien, mais le récit ne les condamnait jamais complètement : ils étaient petits et c’est pour ça qu’on pouvait encore en rire, ils étaient ridicules, et surtout, étaient parfaitement inoffensifs. Comme de grands enfants à qui on peut tout pardonner. Des personnages de guignols : la caricature, la satire ne s’arrêtait jamais à leurs traits de caractère personnels, c’était toujours la classe ou leur type de personnages qui étaient moqués. La grande majorité des personnages comiques du cinéma italien des années 50 et 60 sont ainsi inoffensifs, de grands enfants, des archétypes du théâtre (commedia dell’arte, théâtre napolitain, guignol, peu importe, les principes sont les mêmes), et on garde ainsi pour eux malgré tous leurs défauts, une forme de sympathie. Le vieil acariâtre, le pauvre roublard, le mâle séducteur, le matamore, l’avare, etc., tous sont ridicules et moqués pour leur trait de caractère particulier. Ici, au contraire, la farce tourne très vite au vinaigre. La satire contre la petite bourgeoisie est dure, cruelle et illégitime, au lieu d’être moquée, on tire gratuitement sur elle, et malgré les efforts de Sordi pour rendre son personnage plus sympathique (selon Jean-François Rauger à la projection), Monicelli semble s’en foutre totalement et prend plaisir au contraire à rendre les personnages principaux non plus des caricatures, mais des monstres antipathiques et laids, non plus des caricatures typiques de la société italienne, mais des individus particuliers : on ne vise plus les petits-bourgeois, mais un petit-bourgeois. Monicelli ira jusqu’à faire du personnage de Sordi un parfait salaud, un vengeur froid qui n’a plus rien à voir avec un personnage de comédie de caractères, mais l’évolution problématique de la comédie italienne arrivait déjà bien avant que le film tourne ainsi au revenge movie. C’est une évolution propre à ces années 70, pas au film de Monicelli.

La satire, on peut l’accepter (en tout cas, selon ma sensibilité, vu l’accueil du film) quand on fait la critique et la caricature d’un certain type de personnages par petites touches ridicules autour d’un trait de caractère parfaitement identifiable. C’est du travail d’impressionnisme autour d’un archétype connu de tous. À partir du moment où on décrit sur la longueur les desseins particulièrement bas d’un personnage, et non plus d’un certain type de personnage, ce n’est plus une caricature, c’est autre chose. On passe de l’acide de la satire au venin de la comédie noire, voire au film politique. Le film devient celui d’un bourgeois déchargeant son fiel contre une classe sociale en particulier susceptible de devenir responsable de tous les maux d’une société : le bourgeois se moque des petits en leur disant presque « dévorez-vous ». Et au lieu de se retourner contre lui, les petits se dévorent entre eux.

Montrer ainsi l’obstination du personnage de Sordi à trouver une place pour son fils, ce serait amusant si ça servait de toile de fond et que se faisant, il ne rencontrait que des freins à sa stupide quête. Au contraire de ça, tout va dans le sens de ses bas desseins jusqu’à ce retournement digne du Grand-Guignol : son boss l’appuie en lui proposant de lui faire intégrer la loge maçonnique du coin et en lui refilant le sujet du concours pour son fils… Je ne vois plus en quoi ces stratagèmes d’une bassesse inouïe relèvent de la satire. C’est de la haine, du mépris de classe, rien de plus. Et c’est d’autant plus malsain que la satire, on peut, et on doit y adhérer, quand elle s’applique à faire la nique aux puissants. Or, comme le titre l’indique ici, on ne s’en prend qu’aux petits-bourgeois, autrement dit à ceux qui aspirent à la bourgeoisie. Autant je peux comprendre la logique de critiquer ces “petits” qui sont les premiers esclaves serviles et volontaires de leurs maîtres, autant les petits-bourgeois exposés dans le film sont surtout… des fonctionnaires. La haine du fonctionnaire traité comme un fainéant et un parasite. De la satire à la haine, il n’y a qu’un pas. Et c’est là qu’on voit toute la différence entre les satires des décennies précédentes avec celles, grossières, outrancières et malsaines des années 70. Elles ne sont plus gauchistes en prenant le parti des petits contre les gros, elles s’attaquent aux petits et à leurs petites aspirations venant d’auteurs embourgeoisés. Un grand classique. Ce qui finit tout compte fait par ne plus faire de ces films que des comédies réactionnaires. La satire vient toujours du petit pour moquer les puissants, quand ce sont les puissants qui se moquent des petits sur qui ils s’assoient, ce n’est plus de la satire, c’est de la saloperie.

Ensuite, dès qu’on plonge dans le revenge movie, dès que le guignol laisse place au Grand-Guignol, plus rien ne va, c’est malaise sur malaise. Mais le mal était déjà bien présent avant cet écart de mauvais goût. Dieu qu’on est loin du génie satirique (et bienveillant) d’Une vie difficile par exemple.

Le film était donc suivi d’une discussion avec Jean-François Rauger, son fils, également critique et programmateur (partageant les mêmes goûts d’ailleurs pour le cinéma japonais et italien de son père). J’avais envie de prendre le micro et de lui demander s’il ne se reconnaissait pas un peu dans le film, et si au fond, ce n’était pas un peu ça qui leur plaisait tant dans le film au Rauger. Pour finir, je lui aurais demandé ce qu’il aurait fait du meurtrier de son fils s’il avait été ainsi victime d’un coup de malchance. Au mauvais endroit, au mauvais moment. Ça aurait été drôle… Ou parfaitement déplacé. Comme le tournant criminel du film.



Un bourgeois tout petit, petit, Mario Monicelli (1977) Un borghese piccolo piccolo | Auro Cinematografica

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