Les Nouveaux Monstres, Scola, Risi et Monicelli (1977)

Perdre la farce

Note : 2.5 sur 5.

Les Nouveaux Monstres

Titre original : I nuovi mostri

Année : 1977

Réalisation : Dino Risi, Mario Monicelli, Ettore Scola

Avec : Vittorio Gassman, Ornella Muti, Alberto Sordi, Ugo Tognazzi

C’est bien de s’y mettre à trois pour acter la mort cérébrale de la comédie italienne…

La première séquence donne le ton : la mort du cinéma italien viendra par la télévision avec ses tours de chant ridicules. La vulgarité est aussi déjà, ou encore, de la partie. Et on y échappera rarement par la suite.

La comédie italienne, ce n’est pas toujours de la grande subtilité, c’est souvent aussi parfois de la farce, du grotesque, voire de la satire lourde tirée par les poils des fesses. Alors, le mieux qu’on puisse tirer de tous ces sketches lourdingues est sans doute à trouver du côté de la satire ; mais comme il est toujours question de mesure dans « l’art de la fable », que ce soit dans le drame, dans la comédie, et plus encore dans la satire qui est une mayonnaise complexe et délicate, la vulgarité de ces Nouveaux Monstres explose les limites supportables de la mesure… Et difficile alors, au milieu de ce brouillard grotesque et vulgaire, de tirer ce qui pourrait appartenir à la satire.

On se contente donc de sauver ce qu’on peut de cette horreur. Des intentions tout au mieux. Satire sur l’église, sur le petit-bourgeois, sur les jet-setteurs, sur les pauvres, sur les artistes (mais pas trop, on est toujours moins durs avec les copains), sur le vieux fils ingrat…

Ça tâche, ça dénonce, ça se moque, avec le plus mauvais goût, alors comme le tableau nous donnerait presque des aigreurs d’estomac, on se rabat sur le seul rayon de soleil du film : et paradoxalement, il faut le trouver sans doute dans le seul sketch destiné à ne pas être comique du film, d’une noirceur rude et brutale, celui où Ornella Muti apparaît pour la seconde fois. Après l’auto-stoppeuse, l’hôtesse de l’air. Du rire jaune un peu moqueur, au rire noir embarrassant. Allez comprendre…

Le cinéma italien s’est sans doute fait d’abord à travers ses acteurs, et un des trois vieux réalisateurs de ce chant du cygne ne s’y est pas trompé en voyant à travers cette actrice la dernière bombe éphémère mal exploitée du cinéma domestique. D’une beauté ravageuse, pleine d’assurance, l’œil joueur et insolent, on devine derrière ce charme fatal et pourtant encore toujours adolescent l’intelligence des grandes actrices, celle qui était familière aux actrices des années cinquante et soixante du cinéma italien et qui n’est plus, bientôt remplacée par la vulgarité, télévisuelle celle-là, des années 80…

Ornella Mutti, un talent évident : un mélange de spontanéité (la justesse sans forcer des grands acteurs) et de maîtrise. Il est rare pour une si jeune actrice d’être capable de jouer autant déjà sur la maîtrise : elle sait jouer de son regard, mais elle sait aussi, comme disait un vieux professeur, « retenir les chevaux », autrement dit, tenir son audience (ou son partenaire) au creux de sa main (les grands acteurs savent jouer principalement sur le sous-texte : il y a ce qu’on dit, et ce que le corps, l’intonation ou l’expression du visage disent, parfois en contradiction avec les mots). Une alliance des contraires qui fascine toujours autant…

Dans le premier sketch, elle était déjà parfaite ; dans le second, elle se contente de parler avec le regard, et Ornella Muti qui regarde, ça pourrait presque faire un film à lui seul — et quelques paragraphes supplémentaires. (Dino Risi en était sans doute aussi convaincu et enchaînera avec l’actrice avec Dernier Amour, à peine plus inspiré.)

Au rayon des vieux acteurs, Alberto Sordi étouffe la concurrence dans deux sketches où il assure à lui seul le show : d’abord en jouant un propriétaire stoïque de Rolls-Royce, puis dans un rôle d’acteur comique faisant l’oraison funèbre de son comparse mort qui lui permet d’étaler toute l’étendue de son talent d’acteurs de music-hall (de ses talents devrait-on dire, puisque l’art de cette scène, aujourd’hui pour beaucoup disparue, est précisément de savoir manier différents talents : comique, chant et danse, au minimum).

Puissent ces laborieuses, et monstrueuses, années 70 italiennes reposer en paix… Rideau.


 

Les Nouveaux Monstres, Scola, Risi et Monicelli 1977 I nuovi mostri | Dean Film


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Boccace 70, Vittorio De Sica, Federico Fellini, Mario Monicelli, Luchino Visconti (1962)

Note : 3.5 sur 5.

Boccace 70

Titre original : Boccaccio 70

Année : 1962

Réalisation :   Vittorio De Sica, Federico FelliniMario Monicelli, Luchino Visconti

Avec : Anita Ekberg, Sophia Loren, Romy Schneider, Marisa Solinas, Peppino De Filippo, Tomas Milian, Germano Gilioli

Le premier segment de Monicelli est un bijou. Satire à l’italienne avec quelques délires sur le modernisme à la Tati. Un jeune couple travaillant dans la même entreprise doit tenir secret leur mariage parce que, contractuellement, elle, jeune épouse, doit rester jeune fille ; de son côté l’époux n’a qu’un petit poste de livreur. C’est d’une extrême bienveillance pour ces deux tourtereaux. En quelques minutes, le résumé des petites bisbilles sans conséquences entre deux jeunots magnifiques qui s’aiment d’un amour tendre et sincère. Une particularité de la comédie italienne, capable de toucher là où ça gratte avec la plus grande justesse et, malgré tout, bienveillance. Désolant de voir que ce cinéma est révolu. Qui aurait cru qu’une femme aussi pingre pouvait la rendre aussi sexy. C’est beau les amoureux, surtout quand ils font un bras d’honneur au monde, et qu’ils restent dans le leur.

La partie de Fellini ne vaut que pour la présence technicolorée d’Anita Ekberg. Fellini y développe déjà ces délires démesurés, ses fantasmes ridicules. C’est parfois brillant, souvent vulgaire ou vain. Globalement, c’est long et répétitif. J’ai failli piquer du nez plusieurs fois. Peut-être que les fantasmes imagés étaient les miens.

Le gros morceau de Visconti est insupportable de bout en bout. Les personnages sont antipathiques, des aristocrates, comme par hasard. On voit le talent à venir de Romy par intermittence, mais elle force tellement qu’on a du mal à n’y voir encore que la sottise de Sissi. Fallait vraiment y mettre de la bonne volonté pour repérer le talent, parce que le personnage ne lui convient finalement pas très bien (à moins que ce soit elle qui soit encore incapable de la tirer plus vers une forme de gravité et de dignité, d’intelligence et d’intériorité, qu’on lui connaîtra par la suite ; cette légèreté la rend franchement insupportable). Tomas Milian en fait aussi des tonnes, mais on ne l’appelle pas Milian pour rien. Dès que Visconti devient bavard, j’ai envie de lui faire chier les tomes de la Recherche. L’élégance de l’aristo, Luchino, c’est de la fermer. Fais-moi taire ces deux emmerdeurs. Cela dit l’idée de départ — enfin qui prend surtout corps à la fin — est pas mal du tout : pour ranimer la flamme entre les deux, elle se voit rabaissée à proposer à son mari qu’il la paie pour faire l’amour. Sont quand même d’un compliqué ces aristos… Ça ferait une bonne nouvelle, mais là, non, juste non. Les plaintes au milieu des fastes et des serviteurs, c’est d’un vulgaire…

La dernière partie de De Sica est sympathique. Après les deux qui précèdent, ça fait du bien de se retrouver à Naples. L’impression de prendre un grand bol d’air frais au milieu des collines de Sophia Loren. Cette femme est si bien constituée, si généreuse, qu’on peut la trouver dans tous les atlas géographiques… Pas humain. Et je ne voudrais pas dire, mais dans l’exercice du fou rire, la Loren grille sans discussion la petite Romy. On n’honore pas assez les acteurs de comédie, c’est pourtant bien plus dur que tirer des tronches d’enterrement d’un kilomètre de long (Milian approuve, mais avec sa gueule, lui, la terre tremble…).


> un « raté » de la Cinémathèque

Boccace 70, Vittorio De Sica, Federico Fellini, Mario Monicelli, Luchino Visconti 1962 Boccaccio 70 Cineriz, Concordia Compagnia Cinematografica, Francinex, Gray-Film


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Le Pigeon, Mario Monicelli (1958)

L’Armée branquignol

Le Pigeon

Note : 5 sur 5.

Titre original : I soliti ignoti

Année : 1958

Réalisation : Mario Monicelli

Avec : Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Renato Salvatori

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Peut-être l’une des meilleures comédies qui soit. Une comédie, une farce, hilarant du début à la fin, tournant autour des bêtises de quatre ou cinq malfrats stupides et ridicules.

L’écriture est presque aussi précise qu’une pièce de théâtre. Cela commence par la mise à l’ombre de Cosimo pour une tentative de vol de voiture (pendant le générique). Il demande alors à sa petite amie de partir à la recherche d’un “pigeon” qui pourra avouer être l’auteur du délit et ainsi lui permettre de sortir moyennant paiement après la substitution. Vient ensuite toute une série de scènes pour trouver ce pigeon, scènes prétextes en fait à la présentation de ce qui constituera le futur gang malheureux. On propose d’abord à Mario, sans emploi et qui vit de petits recels, mais celui-ci a déjà servi deux fois de pigeon et il risquerait une plus lourde peine. Il va donc avec Capanelle, qui lui avait proposé (et qui a lui tout à fait la physionomie du pigeon : sorte de Sim italien s’exprimant le plus souvent d’onomatopées et toujours à picorer quelque chose), retrouver Michele, un Sicilien aux manières forcées d’aristocrate habitué aux histoires louches. Mais lui non plus ne peut pas…, ils vont donc tous à leur tour retrouver Tiberio, un photographe sans camera, et qui a un casier vierge. Il ne peut pas… Et ils proposent enfin à Peppe, boxeur prétentieux mais sans talent. Qui accepte.

Le plus remarquable dans ces scènes de présentation, c’est qu’en dehors de la caricature de la traditionnelle scène de formation de groupe (montrée en plus là de manière dramatique, avec le groupe se grossissant à mesure des rencontres comme si pour tous, il devenait vital de trouver un pigeon dans cette histoire), c’est que tous ont une situation bien particulière dans leur vie. Ce sont évidemment tous des ratés et à mille lieues les uns des autres. Capanelle est un vieillard limite de la sénilité. Mario est un séducteur qui parle toujours de sa bonne mère qu’il faut préserver (alors qu’il est, on le saura plus tard, orphelin, et donnera lieu à une scène surréaliste lors de son retour à l’orphelinat). Michele est petit et laid, et séquestre chez lui sa magnifique sœur (Claudia Cardinale) avant de lui trouver un mari. Tiberio (Marcello Mastroiani) élève seul son bébé car sa mère est en prison. Et Peppe (Vittorio Gassman) est un séducteur qui est déjà la caricature du Fanfaron de Risi.

Peppe va donc servir de pigeon, mais suite à une scène de commedia dell’arte entre Peppe et Cosimo (énorme moment d’anthologie : « comment mais c’est toi ! — oui c’est moi je l’avoue, quand j’ai su qu’un vieil homme innocent était inculpé à ma place, j’ai accouru »…, tout ça joué avec une telle vérité qu’on s’y croirait) tous deux se retrouvent incarcérés. C’est là que Peppe va mettre à contribution son passage en cellule pour soutirer les informations à Cosimo pour préparer leur prochain coup : s’emparer du contenu du coffre du mont-de-piété en passant par l’appartement voisin. Pour se faire conseiller, il demande à Dante (Toto) de les aider. Après quelques semaines de préparation, et quelques contretemps (appartement finalement occupé, séduire la bonne, Mario se retirant pour épouser la sœur de Michele, Tiberio se cassant le bras mais participant tout de même à l’aventure…) le gang, réduit à quatre éléments (Peppe, Tiberio, Capanelle et Michele) se lance à l’assaut de l’appartement tel Cervantes face à ses moulins… Cela ne va évidemment pas se passer comme prévu.

Le film se termine sur une image à la fois hilarante et symbolique : Peppe qui cherchait à échapper à deux policiers, se réfugie dans une foule qui le happe. C’est en fait une queue de travailleurs se massant devant une usine en attendant l’ouverture des portes. Contre sa volonté, il suit le mouvement et se retrouve obligé d’aller travailler. On est plus très loin de Chaplin à ce moment-là.


Le Pigeon, Mario Monicelli (1958) | Cinecittà, Lux Film, Vides Cinematografica


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Mario Monicelli

Classement : 

10/10

  • Le Pigeon (1958) 

9/10

8/10

  • La Grande Guerre (1959)
  • Pères et Fils (1957)

7/10

  • Larmes de joie (1960)
  • Boccace 70 (1962) 
  • Un héros de notre temps (1955)

6/10

  • Les Camarades (1963)
  • L’Armée Brancaleone (1966)

5/10

  • Drôles de couples (1970)
  • Caprice à l’italienne (1968)
  • Les Nouveaux Monstres (1977)

Films commentés (articles) :

Mario Monicelli