Jolie entreprise de démolition. D’une histoire somme toute bien écrite, Mario Monicelli n’arrive à rien en faire, faute à une distribution trop hétéroclite et internationale (une Norvégienne, trois Français, et des Italiens) ou encore à sa paresse. On retrouve pourtant pas mal des thématiques propres à la comédie italienne avec son mélange de nostalgie, de bienveillance heureuse et d’humour tendre ou cruel…
Le problème, c’est qu’on ne peut tout simplement pas trouver une alchimie entre les acteurs quand ils parlent chacun leur langue sur le plateau et que tout ce petit monde finit dans une cabine de synchronisation pour enregistrer sa partition. Ajoutez à cela que la plupart ne semblent pas forcément comprendre que certains de leurs personnages sont des archétypes italiens (le spectateur ne le comprend lui-même qu’au fur et à mesure grâce aux situations) auxquels ils ne correspondent pas toujours, et que Monicelli ne les aide pas beaucoup à trouver leur voie et le film tourne à la catastrophe (avec des personnages quels qu’ils soient, des archétypes ou non, il faut arriver souvent à jouer sur différents tableaux : l’objectif d’un personnage d’abord, que ce soit son objectif général ou dans une scène en particulier, puis la situation générale d’une scène dans laquelle chacun joue sa propre partition, sert ses propres intérêts, et enfin, souvent ce qu’il y a de plus difficile à trouver, une forme de sous texte qui permet d’éviter la redondance, l’explication de texte, etc.).
On le voit notamment avec Liv Ullmann et Catherine Deneuve : elles ne savent pas quoi faire de leur corps, et cette maladresse est souvent le signe pour un acteur qu’il n’arrive pas à se situer dans une situation et par rapport aux autres, à comprendre l’état d’esprit du personnage et peine à être assez à l’aise pour faire la part entre l’accessoire et l’essentiel. Quand un acteur est perdu, il met tout au même niveau, il joue au premier degré le texte qu’on lui donne et s’y accroche comme une bouée. Pire, il interprète toutes les nuances du texte sans en comprendre le sens général, et c’est notamment ce que fait l’actrice norvégienne dans une des dernières scènes du film où on la voit repasser son linge au crépuscule en compagnie de ses deux filles. La scène est bien écrite, elle arrive à point nommé dans le film, la petite note nostalgique est bonne, pourtant rien ne marche, l’actrice semble complètement perdue, et ne comprenant pas la situation et l’état d’esprit du personnage, elle se cramponne au texte et joue toutes les nuances possibles qui lui apparaissent derrière chaque virgule ou allusion.
Monicelli ne prend sans doute pas assez son temps, le film est trop dense, avec trop de personnages, alors il précipite les choses, on peut penser que certaines séquences ont été coupées au détriment du développement de certains personnages, et surtout, jamais il n’arrivera à coller à l’humeur tout à la fois joviale et triste du scénario (voire à la musique qui retrouvera elle après coup le ton suggéré par les événements et la couleur générale du film).
Le sujet était pourtant en or, mais c’est assez ironique que dans un film où on loue la sororité (rurale, aristocratique, mais la sororité tout de même), dans un monde où les hommes ne sont jamais à la hauteur, le seul qui s’en tire avec les honneurs, ce soit celui qui interprète le dernier d’entre eux, jugé inoffensif, joué génialement par Bernard Blier. Les autres ont peut-être l’excuse de ne pas jouer tout à fait dans leur registre habituel, loin de leurs repères, mais c’est aussi le cas pour Bernard Blier, bien que son registre soit bien plus étendu que celui des actrices qui l’accompagnent (Noiret disparaît vite du film, et on aurait imaginé un Vittorio De Sica dans le rôle ; j’adore Noiret, mais s’il peut être bon dans les comédies, il est bon dans certains excès, la veulerie, la sincérité et une gouaille assez populaire, il n’a rien d’aristocratique, d’à la fois bouffon et suffisamment distant pour être « bien né » ; pour le reste, il a le talent d’être toujours à l’aise dans ce qu’il fait, même quand il ne correspond pas au rôle).
Blier a tout compris de comment jouer la maladie (Alzheimer, en l’occurrence). Comme pour la folie, il faut la jouer avec la plus grande des sincérités. Avec un tel rôle, le second degré n’existe pas (ou plutôt, il est permanent dans le regard de ceux qui l’accompagnent et connaissent ses troubles, et ceux qui sont spectateurs devant l’écran, mais pour le principal intéressé, les arrière-pensées sont inexistantes). On retrouve le Blier qui avait une scène géniale dans Buffet froid. Comment jouer l’absurde ? Comme si c’était une évidence. Ne surtout pas jouer l’étrangeté, le rire : c’est toujours celui qui regarde qui commente. Et si les mauvais acteurs commentent ou expliquent toujours ce qu’ils font pour être sûrs que le spectateur comprend leur subtilité (un paradoxe), les bons acteurs rendent les choses simples et évidentes. Un fou ne joue jamais la folie : la folie, elle est autour de lui. Quand son personnage dit vouloir passer un coup de fil (de son invention), rien de plus naturel pour lui : ce sont les autres (et nous avec) qui savent et qui comprennent. Il forcerait sur l’idiotie, la naïveté ou la fragilité, et on ne pourrait y croire.
Et c’est ainsi qu’on ne voit que lui. Le seul à faire rire (tendrement, parce qu’il respecte justement les malades qu’il représente en en faisant quelque chose de lunaire, pas une “folie”) et le seul à être crédible. Là encore, un paradoxe, alors qu’a priori, les autres n’avaient pas à composer ainsi un personnage… Il était là le secret. Dès que tu forces, que tu cherches encore la voie menant au personnage au lieu de l’avoir trouvée, tu composes, tu tâtonnes, tu erres, tu oublies tes partenaires de jeu, et tu végètes.
Difficile de voir ainsi agoniser le cinéma italien. Le film donne un peu l’impression de forcer là encore les coproductions pour s’assurer des financements et un retour sur investissement dans les pays d’origine des acteurs. Le pire des choix possibles. Si cela peut marcher dans des grandes productions ou avec des cinéastes suffisamment cosmopolites comme Luchino Visconti, c’est typiquement le genre d’assemblages baroques qui sentent bon la fin de règne. Le manque d’authenticité, d’alchimie entre les acteurs, rien de mieux pour rater un film. Je n’ai pas beaucoup d’exemples par ailleurs qu’avec des acteurs parlant la même langue, réunir tout un parterre de vedettes pour le moindre rôle aide beaucoup à servir un film. Une myriade de stars iront plus difficilement vers leur personnage. Au mieux, avec des vedettes qui ramènent tout à elles, les seconds rôles arrivent à rendre crédibles des situations en collant parfaitement à leur personnage, chose que font rarement les vedettes souvent plus habituées à forcer des personnages à coller à leur personnalité que le contraire. C’est souvent aussi un signe de paresse de la part de cinéastes établis ayant peur de ne plus compter (Wes Anderson et Martin Scorsese font ça de nos jours, mais toutes les époques, et souvent tous les cinéastes vedettes sur le déclin, ont connu ces facilités).