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Le FN on y aura droit, et c’est pas plus mal. Oui, oui, vous me lisez bien. Parce qu’après des décennies de diabolisation façon « attention, les méchants vont arriver au pouvoir » sans que ça arrive, ben les gens en ont marre d’être pris pour les cons dans Pierre et le Loup, et ils y vont franchement. Ici, peu probable que la Marine décroche la timbale, mais Macron selon toute vraisemblance va mettre un peu de proportionnelle à l’assemblée (son pote centriste le réclame et il était temps). Parce que si le petit peuple vote pour le FN, ça n’a jamais été pour leurs idées (ou peu) mais parce que ceux-là, en ont marre d’être trimbalés par des politiques successives qui les ignorent, c’est le même réflexe que ceux qui disent vouloir voter blanc aujourd’hui ou s’abstenir avec la seule différence qu’ils ont un peu plus de conscience et peut-être d’éducation. C’est le même dégoût qui pousse à voter blanc que FN. Or, si par la proportionnelle, comme c’est déjà un peu le cas avec certaines villes, le FN s’installe à l’hémicycle, plus personne ne pourra dire qu’ils n’ont jamais été au pouvoir, qu’ils sont ostracisés et surtout qu’ils feraient peut-être mieux. Et merde, que ceux qui votent extrême droite assument maintenant et sachent qu’un vote pour, c’est possibilité d’une petite place au pouvoir, autrement dit à l’Assemblée, mais aussi une place “banalisée” dans les médias. Si une personne sur quatre vote FN dans ce pays, que ceux-là apprennent que ça doit avoir des conséquences et que voter pour le FN, c’est aussi voter pour un programme, des idées, et non plus contre un système. Le petit jeu mittérandien qui consiste à lever le chiffon rouge du FN pour en recueillir les fruits et s’asseoir au pouvoir, tout le monde l’a bien compris, et tout le monde en ras-le-bol de devoir voter pour « faire barrage », ou de devoir se rabaisser à « appeler à voter front républicain » (parce que ça, ça sonne un peu comme « continuez de voter pour ceux qui ont la main sur le pouvoir depuis toujours »). D’une génération 80-90 à celle d’aujourd’hui, c’est bien ce qui a changé. Le manège de l’instrumentalisation du Loup, ça va une ou deux décennies, mais à la troisième, on préfère encore faire entrer le loup pour que Pierre arrête de nous casser les burnes. Et le loup, on lui fait la fête, et on n’en parle plus.

À une époque, le FN était passé à moins de 5 %, de mémoire, et devait faire face à l’explosion du parti mais aussi à des problèmes financiers. On disait, on espérait, que c’en était fini. Puis ne voilà-t-il pas que les démagogues du front “républicain”, ceux-là qui crient au Loup, pour faire oublier le reste, reprennent les vieilles rengaines du FN pour profiter des mêmes peurs irrationnelles. Sarko ne comprenait pas qu’en évoquant à nouveau le spectre du loup, ce n’était pas seulement la peur qu’il allait ramener, mais son premier et légitime représentant, le Loup lui-même. Faire campagne sur la haine, la peur, la pseudo-sécurité, c’est faire campagne pour le FN, parce qu’on « préfère toujours l’original à la copie ». Et on y est encore parce que droite comme gauche ont instrumentalisé les questions d’immigration : la droite pour faire comme le copain du fond de la classe, absent, et à qui on pouvait prendre la place, et la gauche pour faire du vent comme Hollande le bien nommé avait toujours su y faire. Parce que si pour certains, des petites guerres, c’est bien utile pour faire oublier des problèmes domestiques bien réels, bah par chez nous, on a nos faits divers provinciaux, nos petits feuilletons de scandales financiers qu’on peut faire tourner sur vingt ans parce qu’un seul juge d’instruction a déjà trois autres scénarios de feuilletons du même calibre sur son bureau, et toujours, nos saloperies d’immigrés qu’on nomme désormais migrants ou dans le meilleur des cas, demandeurs d’asile, tout ça c’est bien utile aussi pour ne pas parler du reste et maintenir artificiellement la pression sur des sujets qui, à l’échelle de la nation, n’en sont pas (les faits divers sont des faits divers, les scandales judiciaires impliquent au mieux quelques personnalités certainement pas l’avenir de la nation, quant aux migrants ils n’ont jamais atteint des niveaux tels qu’en pratique il aurait été difficile de les accueillir).

Alors voilà, que Macron passe, avec ou sans les votes des gauchistes (les vrais), avec ou sans les votes de droite (Hollande a déjà dit qu’il voterait Macron mais c’est vrai que Hollande, ce n’est pas la France), et que d’une manière ou d’une autre, avec un peu de proportionnelle, que cette fois, quand on vote FN, c’est bien pour qu’ils mettent en place leur politique. Pas parce que les autres nous emmerdent. Ceux-là vont devoir apprendre à bouffer à la table du loup, lui serrer la pince, le respecter et pas le diaboliser (oui, oui), parce que la « menace FN », ça suffit. Un vote républicain, ce n’est peut-être pas voter blanc, mais ce n’est pas non plus un blanc-seing qu’on file à des professionnels de la politique. Peu importe la stratégie dans l’urne, ce qui compte c’est bien ce qui sera fait ensuite, et la proportionnelle, ça doit être fait. Parce que s’il y a une bonne proportion de connards en France, c’est démocratique qu’ils soient représentatifs à l’Assemblée, qu’ils soient sous le feu des projecteurs, à l’intérieur de la ville, et non à l’extérieur où on pourra sans cesse crier au Loup pour se marrer d’avoir fait peur à tout le monde sans conséquences. Les conséquences il va falloir les assumer.

Et puis, si les connards de tous bords (les fascistes comme les fascistes improvisés qui crient au loup pour garder les rênes du pouvoir) sont tout aussi incapables de se faire un peu moins cons à travers la proportionnelle, eh bien les autres, ceux qui votent pour eux, réclameront cette fois un FN avec tous les pouvoirs. Si ça n’arrive pas là, et si ces messieurs-dames dans cinq ou dix ans n’ont toujours pas compris, ben ça arrivera, même avec la proportionnelle. Du temps de Mitterrand, on disait que la France avait toujours dix ans de retard sur les États-Unis, faudra voir si ça vaut encore. Avec un peu de merde dans le vin parlementaire, le haut fonctionnaire, ou le politique professionnel ira peut-être aller chercher ses revenus ailleurs, et peut-être qu’il laissera à des vrais de la « société civile » se charger de nettoyer la fosse. Et peut-être qu’après ça on aura du vrai vin et non plus cette vinasse frelatée que certains osent appeler “politique”. Peut-être aussi que le journaleux qui ne se rêve qu’en éditorialiste sera forcé alors de poser des questions de fond intelligentes et non plus s’interroger sur la très intéressante politique politicienne qui met au centre de toutes les préoccupations la quête du pouvoir, les luttes d’ego et non les oppositions d’idées. Peut-être que. Peut-être. Vote pieux.

Et peut-être alors que j’irai voter. Parce que moi voyez-vous, j’ai jamais voté. Je trouve ça irresponsable. Je ne vote pas pour des représentants, je ne votais déjà pas pour des délégués de classe, alors… La gauche, la droite, les programmes, je m’en tape…, si ce qui est déjà décidé, voté, n’est jamais appliqué. Tu fuis d’un pays en guerre, tu te fais dépouiller par des passeurs parce que les pays qui doivent t’accueillir ferment leurs frontières, tu as la chance de pas crever en route, tu arrives sur les rotules pour faire valoir des droits, et là on te dit « t’existes raclure, t’as aucun droit, nous, on est les puissants, on décide d’accords internationaux, mais on regarde ensuite au cas par cas, et personne ne nous dira que ce n’est pas bien parce que c’est nous les puissants ». C’est déjà du fascisme dilué. S’il faut augmenter la dose pour qu’on sente bien que ça a la même couleur, la même odeur, pour comprendre que c’est la même chose, eh bien il faudra passer par là. Parce que les loups sont déjà là, et à eux aussi, il faut leur faire la peau.


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Le dérailleur socialiste, ou l’histoire racontée des petits tours et puis s’en va

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Comment se hisse-t-on au second tour d’une élection présidentielle ? Mode d’emploi pour nos neuf décrochés du premier tour.

Comment ? Eh bien comme on gagne un Tour de France. Un tour, ça ne se gagne pas, mais ça peut se perdre. Gagner, c’est voir tous les autres chuter avec soi.

Les raisons du flop du candidat leader de l’équipe PS, vainqueur de l’étape des primaires ? La faiblesse de sa communication de campagne ? Peut-être, pourtant, c’est le même homme, avec un manque de charisme certain qui a gagné ces primaires, le même désintérêt de la presse aussi, bien incapable de trouver dans son discours un angle d’attaque autre que « le revenu universel est-ce bien sérieux ? », et probablement, les mêmes lacunes en termes de « storytelling » qui encore une fois avaient aidé Hamon à gagner la primaire.

Alors c’est quoi ? Comment qu’on perd la marche du premier tour alors même qu’on a gagné une primaire ?

Attention le vent tourne… Tic-tac. Réponse ? Chacun l’a sur le bout de la langue, bien sûr, on le sait tous, mais on les a entre les fesses depuis la première semaine du tour et on les sent qui frotte, et on se dit qu’éviter de les évoquer c’est oublier qu’ils existent… Personne n’ose souffler dessus ? Je vous souffle la réponse ?

Les sondages. Oui, messieurs les suiveurs, les veaux en ont plein le derche mais c’est bien par là qu’on nous les fait passer — par la vessie, par la lanterne rouge — et que ni vu nu connu je t’andouille, d’un tour de passe-passe rectumal, les commissaires n’y verront que du feu.

En vélo comme en campagne, il faut savoir d’où vient le vent pour savoir le suivre, jamais le prendre en pleine face. Pour sortir du peloton, un élan suffit pour gicler. La bonne échappée, c’est celle qu’on prend quand on a levé les bras avant la ligne pour gagner les primaires. Mais les sondages ont leur raison que la raison (ou les programmes) ignore. Une fois échappé, celui qui gagne c’est celui qui prend le moins de vent, jamais le plus fort.

Celui qui veut aller contre le vent parcourra-t-il dans un même jour autant de chemin que celui qui va dans son sens ? (citation de Sade détournée*)

Qu’est-ce qu’un sondage ? Une photographie nous dit-on. Soit. D’où vient le vent alors ? Eh bien de la multiplicité des sondages. Un sondage, c’est une photographie d’avant-tour, pas une photo-finish, pas une prévision. On est d’accord. Mais alors… plusieurs sondages ? Eh bien c’est ça le vent. La multiplicité des sondages produit une force d’attraction, un sillon invisible, que plus ou moins consciemment, parce qu’on veut influencer sa direction, le faire parvenir au but souhaité, on fait basculer dans un sens ou l’autre en soufflant dessus.

Lors d’un sondage, on ne dit pas pour qui on va voter, on exprime une « intention de vote ». Ah… le doigt mouillé, l’art de la girouette qui pense pouvoir influer sur le cours du temps. Eh oui ! la démocratie, c’est comme l’amour, il n’y a pas de vote, il n’y a que des intentions de vote (attention, une coquille vide s’est faufilée sous mon cale-pied).

Et à force de souffler sur ses genoux avant que de tomber…, on tombe.

Ceux qui gagnent (ou qui restent), ce ne sont alors pas les plus forts, pas les plus charismatiques, les plus dopés, les mieux préparés, les plus chanceux non plus. Non, ce sont ceux qui ont sorti la voile et se sont laissés porter par cette force invisible.

Une règle, celle de l’impulsion. Celle pour gicler du peloton, une autre pour sortir le premier du petit groupe d’attaquants. C’est là qu’il faut montrer le maillot, à la flamme rouge, quand on s’est calé dans la roue de son voisin pendant que lui se tuait lors des primaires. C’est qu’on est bonne pomme nous : on fait un tour de qualification qu’on appelle primaire, pour ne finalement pas en garder une fois le dernier kilomètre annoncé.

Alors oui, il faut mettre du Mercurochrome, cesser de souffler à droite et à gauche et s’interroger une bonne fois pour toutes sur la pertinence de proposer des photographies successives qu’on prendrait presque pour des lanternes magiques à force de nous recomposer le film de nos peurs passées.

Au lieu de craindre le monstre du FN, on ferait mieux d’ôter le sifflet qu’on porte à la bouche qui ne fait qu’exciter la peur, l’alimenter comme un ogre vert.

Souffler n’est pas jouer. Un sondage oui, des sondages, bonjour les dégâts.

Qui se demande d’où vient le vent récolte la tempête.

Voilà les sondages, petite mère du « vote utile ».

Au-delà des petits jeux de communication, qui sont certainement utiles en début de parcours pour prendre la bonne échappée dans les sondages, c’est bien la multiplication des sondages, notre nécessité de connaître le sens du vent avec l’illusion qu’en soufflant avec les autres ça nous fera éviter le pire, c’est bien donc tout cela qui creuse les écarts que l’on voit sur la ligne d’arrivée, et qui biaise la nature même du vote.

Au tiercé, on mise sur celui qu’on voudrait voir gagner, avant la course, pas sur celui qu’on ne voudrait surtout pas voir gagner sur la dernière ligne droite.

Autant changer les règles de scrutin et mettre dans l’urne le bulletin du candidat qu’on ne voudrait surtout pas voir en tête.

Ça sert à sert les sondages. Ils servent moins aux « commentateurs » qu’aux électeurs pour tromper leur vote. Les sondages ne sont pas des prévisions de résultat pour les sondeurs, mais ils le sont pour les électeurs qui ne peuvent voter en prévision d’un résultat craint.

Lutter ? Contre le vent ? Jamais. Toujours à l’abri.

Le vent des sondages, cette force invisible que l’on croit inerte parce qu’on ne le voit pas mais sur laquelle on compte bien à notre échelle souffler, ce film d’horreur tourné en 24 photographies par semaine, c’est un monstre auquel, je crains, aucune communication ne peut résister, aucun programme, aucune stratégie, sinon à profiter d’un couac, d’un scandale, d’une roue crevée.

Comme sur le Tour, on ne gagne pas parce qu’on a la meilleure équipe, la plus habile stratégie, mais parce qu’on a le souffle des sondages dans le dos, qu’on reste abrité pour éviter les polémiques, et qu’on tâche le plus souvent de faire fructifier un capital de départ façon roue libre.

Venez à moi les petits enfants, sinon l’ogre marine viendra.

Une fois qu’on est dans le vent, ce qui compte, c’est l’impulsion de départ, l’élan, et on surfe toujours sur lui, abrité, même du guidon, en faisant le dos rond.

On ne souffle pas une intention de vote pour faire gagner le candidat avec le programme qu’on estime être le meilleur, on souffle une intention de vote pour faire tomber les autres.

Un Tour de France, ça ne se gagne pas en un jour, mais ça peut se le perdre, eh ben un premier tour de présidentielle, c’est pareil. Celui qui attaque contre le vent le prend dans la tronche et se fait débarquer, celui qui n’a pas d’équipe reste à l’arrière avec son quota de passages en caméra 3 le temps de rire un peu de son maillot grand ouvert, sans ses porteurs d’oseille, et celui qui reste dans le ventre mou du peloton en profitant d’une jolie impulsion et en comptant les morts, a les meilleures chances pour l’emporter.

Autant en emporte les sondages. Ce n’est pas le candidat qui prend le vent, c’est le vent qui prend le candidat. Abrite-toi ! Souffle en silence. Et ne vote pas en fonction de ta conscience, mais des vents dominants.

Dès que le vent soufflera je réfléchira

Dès que les vents tourneront nous le suiverons


*véritable citation de Sade : Celui qui veut remonter un fleuve parcourra-t-il dans un même jour autant de chemin que celui qui le prend en Hamon ?

La raison d’État est toujours…

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Violences de la société

Quand une population à Beaumont-sur-Oise suspecte une bavure après la mort d’un des leurs interpellé par la gendarmerie, la raison voudrait qu’on se dise que, même si les interrogations sont légitimes, il n’y a aucune raison de penser qu’un légiste ait mal fait son travail. Dans tous les cas, la prudence est de mise, et si contre-expertise il y a, la raison voudrait qu’avant de se prononcer, on fasse preuve de retenue et de doute.

Mais quand, cette fois, un tireur massacre plusieurs personnes à Munich, malgré la prudence affichée, raisonnée, de la police locale et de la chancelière, le Président Hollande parle immédiatement « d’attaque terroriste », on pourrait être en droit de demander d’un chef d’État autant de prudence qu’on pourrait le faire à l’encontre des proches d’Adama Traoré.

Au lieu de ça, le Président Hollande s’engouffre sans honte dans un discours opportuniste qu’on pourrait taxer de naïveté s’il n’était pas un habitué de ce type de déclarations provocatrices. Déjà pour lui, après le massacre de Nice, il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait là d’un « acte terroriste » (« le caractère terroriste ne peut être nié »).

Comme le disent les enfants, c’est celui qui le dit qui l’est.

C’est celui qui parle de « terreur » qui entretient la terreur. Le terroriste, c’est aussi celui qui instrumentalise et attise la peur à des fins calculées et personnelles.

Ces déclarations stupides et dangereuses pourraient être prises pour de la maladresse si tout n’était préparé et pensé à l’avance. Loin d’être en guerre, les États doivent non seulement faire face à des faits divers plutôt sordides, mais en plus doivent se laisser manipuler par certains opportunistes, manipulateurs, lâches qui en sont à leur tête. Du moins en France.

Inutile de voter pour le Front National, il est déjà au pouvoir. Il y a peut-être même pire qu’un monstre. Un monstre se présentant avec la face bonhomme d’un petit homme joufflu et à la voix tremblotante. Parce qu’aux jeux des apparences, il passera rarement pour ce monstre craint.

Cet homme-là est un escroc pour avoir déjà menti à ceux ayant voté pour lui sur ce qu’il ferait s’il serait élu, mais en plus, nous avons affaire ici à un traître.

Les politiciens depuis quelques années se vantent d’avoir fait de la communication un élément essentiel de la politique. La communication est donc une arme.

Et quand on utilise cette arme contre son propre pays, contre les intérêts particuliers de la nation et de sa population, on se rend coupable de haute trahison.

Ce Président est un traître.

Un terroriste.

Il n’y a peut-être pas de raison à suspecter une bavure après le décès d’un jeune homme après son interpellation par les forces chargées de faire respecter l’ordre. Mais vivre dans la terreur, la suspicion permanente à l’égard d’un pouvoir qui montre chaque jour sa volonté de tromper et de trahir les siens, peut légitimer beaucoup de suspicions, et une certaine défiance menant parfois à des violences.

Le traître aurait alors le beau rôle en cherchant à apaiser une situation qu’il participe, en premier chef, à tendre et à envenimer.

La raison d’État (de terreur) est toujours la plus forte. Mais attention aux traîtres qui jouent avec le feu. On manipule, et puis arrive un moment où on se rend compte qu’on ne contrôle rien.

État de terreur

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Violences de la société

État d’urgence prolongé. Autant dire qu’on organise la terreur. Vive le populisme. Il faudrait peut-être comprendre qu’on n’empêche pas (plus) un malade d’agir quand il l’a décidé. Les flics interviennent avant, après enquête, ou après, en intervention. Aucun flic au monde posté comme un piquet et faisant de la surveillance passive ne pourrait déjouer un attentat.

L’urgence est ailleurs. Il faut d’abord virer les flics, l’armée et les vigiles, des rues, des entrées et sorties des bâtiments. Un surveillant sera la première victime d’une attaque. Un piquet avec marqué “Police” ou “Sécurité”, ce n’est pas un bâton magique censé pouvoir hypnotiser un assaillant. Le tout sécuritaire, c’est la terreur. Parfaitement inefficace en termes de sécurité pour un déploiement de moyens humains et financiers hors norme. Seulement, c’est visible, ça rassure la vieille dame et l’imbécile qui se croient en état de siège permanent. Contre la terreur, la peur, on doit réagir rationnellement et ne pas entretenir au contraire cette terreur. « Vous avez raison d’avoir peur ! » L’urgence, la terreur, ne rassure pas, parce que la population n’a ni besoin d’être protégée ni d’être rassurée. Seulement raisonnée.

On n’arrête donc pas un terroriste qui a décidé d’agir et qui rejoint son « terrain d’action ». C’est trop tard. Il aurait fallu combien de vigiles au Bataclan pour stopper trois terroristes ? Il aurait fallu combien de policiers pour protéger l’entrée de Charlie Hebdo ? Il aurait fallu combien de barrières et combien de flics pour stopper un camion ? Il aurait fallu combien de policiers en civil dans chaque wagon pour éviter des tueries dans des trains ? Foutez des portiques, des fouilles, à l’entrée des aéroports, des bâtiments ou des fans zones, et le terroriste ira agir dans la rue. Foutez des barrières pour rendre impossible l’accès à des voitures, et le terroriste ira prendre un 20 tonnes.

Ces mesures sont non seulement inefficaces, mais ne font qu’aggraver un peu plus les tensions tout en donnant du crédit, et de la publicité, face aux misérables qui décident d’agir. Un terroriste veut instaurer la terreur : bravo, il l’a, grâce à toute cette agitation organiser pour le pouvoir sécuritaire. Un terroriste veut dresser des pans d’une population contre une autre : bravo, c’est ce qu’on laisse faire et ce qu’on provoque en « menant une guerre ». Un terroriste agit parce qu’il ne peut pas faire la guerre contre un ennemi : bravo, on tombe dans le piège, et on lui dit qu’un pays entier est en guerre (contre qui, on ne sait pas, mais on a la rage, et on va tout faire péter, c’est-à-dire nous).

Qu’est-ce qu’un terroriste ? Un individu qui s’est laissé perdre, seul, ou embobiner par des agitateurs, des gourous. Tous ces individus sont d’anciens détenus, des condamnés, des misérables. Ce qui pousse un individu à agir, ce n’est pas une idéologie, c’est la misère dans laquelle il se trouve. La misère sociale d’abord, puis la misère carcérale et la misère psychiatrique. Nos prisons sont les pires d’Europe. Pourquoi ? Parce qu’on y rencontre des djihadistes ? Non. Parce qu’elles sont vétustes et surpeuplées. Au lieu de balancer des bombes à droite et à gauche, au lieu de foutre un flic à chaque coin de rue, les moyens, c’est là qu’il faut les mettre. Éducation, réinsertion, prisons, assistances sociales et psychologiques… Une société qui organise la misère, l’entretient, la fructifie récolte ce qu’elle sème. Au bout du bout, un délinquant se voit proposé quoi comme alternative ? Tu sors le bâton, et celui qui ne se voit offrir plus aucune alternative sort la bombe. Ce n’est pas qu’il aura raison, mais il sera, ainsi traité, toujours le plus fort. À la société de voir s’il apparaît toujours pertinent de brandir le bâton…

Ne confondons pas « état d’urgence » et « état de terreur ». L’état de terreur, c’est ce que nous vivons, et elle profite à ceux qui l’organisent. L’état d’urgence, elle est contre la misère, et on se complaît à ne pas vouloir la voir, parce que c’est une guerre sale, une guerre de l’ombre, et une guerre qui ne se fait pas à coups de déclarations et de communication.

Marre.

L’imposture de la posture, ou les facilités rhétoriques des guerres auto-immunes

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Violences de la société

« faire bloc » « faire la guerre au terrorisme » « rehausser le niveau de sécurité » « l’état d’urgence » « c’est la France qui est touchée, la liberté »

Faire bloc, c’est se faire grossier contre un ennemi invisible, le plus souvent intérieur, qu’on se complaît à modeler symboliquement pour lui donner une consistance identifiable, comme la nécessité de nommer un mal insaisissable tout en se rassurant de la savoir à l’extérieur du « bloc » identitaire. On cherche donc à se prémunir d’un intrus fantomatique qui n’existe qu’à travers notre volonté de le voir prendre corps. Quand des événements graves se produisent alors, leur gravité en est « grossie » par la nécessité d’identifier une menace unique ou la volonté de lier différents événements tragiques à une cause commune et immédiatement identifiable. On attend alors la confirmation qu’une attaque soit formellement identifiée comme « terroriste » comme si cette marque et la possibilité de la réunir à un même mal suffisaient à elle seule d’en faire un événement encore plus tragique et exceptionnel. Alors qu’à raison, il est toujours question d’événements pluriels sans rapport les uns avec les autres. Dans la logique, à la fois des criminels mais aussi des commentateurs, la facilité à relier des agissements criminels à une idéologie, une cause unique, est surtout un prétexte à opposer des « blocs » qui ne sont que des mirages.

Les discours biaisés qui opposent alors ces différents « blocs » ne seraient pas aussi tragiques s’ils ne s’alimentaient pas l’un et l’autre. Que des individus pour x raison décident de tomber dans cette facilité pour légitimer leurs crimes, c’est l’affaire d’un petit nombre, et nul n’ira remettre en cause leur responsabilité dans les crimes perpétrés ; en revanche, il est plus regrettable que des responsables politiques utilisent ce discours de haine, de rhétorique populiste pour s’offrir des petits bénéfices personnels en totale contradiction avec l’intérêt général qu’ils disent pourtant défendre.

En réalité, on ne peut réagir plus mal qu’en cherchant ainsi à identifier « grossièrement » des événements, à « faire bloc », à chercher à mener « une guerre contre ». C’est non seulement perde la « guerre » de la communication, mais c’est aussi offrir un but, un point de chute, à tous ceux qui pourraient se sentir visés, ostracisés, expulsés, méprisés suite à cette volonté de certains opportunistes et démagogues de « faire corps ». On ne fait corps que « contre », que face à un ennemi identifiable. Et quand cet ennemi est mal défini ou pluriel, on grossit le trait pour donner « corps » à cet ennemi. Si l’ennemi n’existe pas, il faut l’inventer. Autant donner à son bourreau la hache qui vous tranchera la tête.

Parler de « guerre contre le terrorisme » ne fait que donner « corps » à un monstre craint, mais en réalité invisible, et pour cause. Il n’y a de « terrorisme » que dans un régime de terreur. Et ce régime est tout autant sinon plus maintenu à travers la volonté d’opportunistes, d’agitateurs et de populistes d’identifier grossièrement des menaces à travers d’une cause ou une idéologie unique, parfaitement identifiable. Un gourou sanguinaire se ferait appeler le fils de Dieu qu’on tomberait dans le piège en le nommant ainsi.

Si guerre il y a, elle est sémantique et logique. Il est facile de plaire, d’adhérer aux passions communes ou de se formaliser à la bienséance, à la répétition des memes sécuritaires, d’appel à l’action. On a toujours le beau rôle. Il est plus dur de se taire ou de s’appliquer à adopter un discours modéré ou de reconnaître la difficulté de se mesurer à des situations dont on aurait tort de nier la complexité.

Une guerre ne se gagne pas, elle ne s’alimente que de haine et de bêtise. Les opportunistes ont tout intérêt à identifier et à définir grossièrement les choses, car les guerres profitent toujours à ceux qui la nomment et la souhaitent sans la faire. Ces opportunistes voudraient faire croire que « l’assaillant », le « terroriste », est un barbare de l’extérieur contre qui il serait urgent de se prémunir. État d’urgence et état de terreur, c’est la même chose. Tout comme les perquisitions sans bases légales, facilitées par un « état de terreur » permanent, sont des « rafles ». C’est une imposture de la posture qui profite à ceux qui la décrètent et la recherchent. La guerre, la terreur, l’urgence ? Une macabre agitation plutôt. Parce que s’il n’y a pas de guerre, c’est une agitation qui crée ses morts.

L’Empire romain a commencé son déclin en offrant une part importante aux étrangers dans leur société que ce soit localement dans les colonies (voire aux étrangers originaires des régions « barbares »), mais aussi au sein même de Rome. Pourtant, les Romains n’ont jamais cessé d’opposer à cette tolérance (qui était probablement aussi pour beaucoup dans la capacité des Romains à faire accepter leur suprématie dans tout l’empire) une logique sémantique de l’exclusion et de l’a priori. Identifier ainsi certains peuples comme des « barbares » tout en leur laissant une grande part dans la vie de l’empire, c’était alimenter un monstre que l’on voulait voir prendre consistance à l’extérieur du « bloc » commun quand en l’identifiant ainsi ils ne faisaient que le faire grandir à l’intérieur. Identifier son ennemi, déjà, c’était lui donner « corps » et amorcer son propre déclin.

Bloc contre bloc.

On ne gagne jamais contre un mur. Surtout quand on participe très largement à le bâtir et qu’il ne fait que réfléchir la haine qu’on lui porte. On ne hait que des totems et des idéologies contraires (la rhétorique grossière du « si je vilipende ceux qui font la guerre contre la liberté, c’est donc que je me bats moi-même pour cette liberté » qu’il faut opposer à la même rhétorique grossière mais tout aussi efficace du « si je dis qu’il faut anéantir les infidèles, c’est donc qu’on ne peut questionner ma Foi et que Dieu est de mon côté »).

Faire la guerre au terrorisme pour instituer un état permanent de terreur pour satisfaire des intérêts politiques personnels, dans une logique de basse communication, comme on fait la guerre aux « barbares », c’est déjà accepter et œuvrer pour la défaite du « bloc » dont on se prétend être le garant, le défenseur.

On ne perd pas de guerre quand on refuse de la nommer comme on refuse de s’établir sur un terrain défavorable choisi par l’ennemi, quand on se refuse de se laisser aller aux facilités des « blocs » identitaires ou de l’imposture de la posture. La terreur, c’est la guerre des pauvres d’esprit, des individus grossiers, des manipulateurs et des opportunistes. La guerre est leur arme pour se défendre de leur médiocrité et de leurs fautes. En la nommant, en l’appelant de leurs vœux, ils la déclarent et laissent d’autres en être les victimes. Plutôt être grand dans un champ de ruine qu’un petit dans un monde encore debout. Il est bien dommage qu’on se perde ainsi à nommer aussi bêtement des monstres sujets à nous faire peur.

Événements pluriels qu’on transforme en « guerre ».

De la même manière qu’une guérilla n’est pas une guerre, un assaut (ou une attaque, un assassinat) n’est pas une guerre. Quand bien même ces assauts seraient multiples, leur nombre n’en ferait pas une guerre. Le singulier aide à laisser penser à un mal, une cause, un ennemi à la fois commun et unique. Une guerre se pratique entre deux entités équivalentes. Si le « monde » est en guerre contre le terrorisme, c’est donc que ces terroristes auraient légitimité à se prévaloir d’un monde équivalent, d’un « bloc » commun. On dit « diviser pour mieux régner ». Certains règnent manifestement très mal, profitant des petits bénéfices de communication à court terme, mais niant tout intérêt commun. Ceux-là mêmes qui ont une logique de « blocs » sont les premiers qui en font douter de la cohérence. Il n’y a ni « bloc », ni guerre, ni « terrorisme » (sinon intérieure). Il n’y a que des opportunistes et des manipulateurs (souvent les deux en même temps).

C’est vrai après tout, faisons « front » et bientôt nous nous sentirons petits en creusant nos tranchées et en y cherchant ceux, devenus grands par leurs discours, qui s’étaient tant agités pour nous y plonger.

Construisons donc des blocs, des totems, des murs, pour mieux nous y taper la tête. Continuons de voir une terreur de l’autre et de l’ailleurs quand c’est bien plus une terreur de nous-mêmes et de l’intérieur dont il est question.

Les fous sont tout autant ceux qui se rendent coupables de crimes ignobles que ceux qui donnent du crédit à leur folie en y voyant des actes d’un même légitime ennemi.

Il n’y a de guerres que celles des fous qui nous y mènent.

De l’amour du prochain au mépris de l’autre

Les capitales

Violences de la société

Une société qui ne cesse de prôner, et d’afficher comme principe, le respect du prochain, mais qui en fait méprise l’autre (l’étranger) est vouée à la disparition.

La distinction parfois entre le « prochain » et « l’autre » se limite à peu de choses. C’est en fait toute la subtilité, et le vice, contenu dans ce qu’on dit, et ce qu’on fait. Ce qu’on voudrait, dans l’absolu, que « les autres » appliquent (potentiellement pour nous ou « nos prochains »), mais qu’on n’hésiterait pas à ne pas appliquer pour soi-même si on était sûrs de s’en tirer sans dommage.

C’est bien pourquoi, en plus des règles, des lois, des principes, des belles paroles creuses, les sociétés ont toujours mis en place des systèmes pour les faire appliquer. Contrôler, réguler, apaiser, alerter. Si ces systèmes défaillent ou n’ont pas les moyens d’exercer leur contrôle, les lois ne sont que du vent.

Plusieurs facteurs peuvent gripper la machine. La crise, susceptible de moduler les rapports de force alors tenus en équilibre (et toutes les sociétés sont organisées selon des modèles indépendants, des boules de neige non assujetties aux influences extérieures) ; la compétition, qu’on accepte toujours avec facilité et dont on admet aisément les principes “vertueux” quand on en est les principaux bénéficiaires ; et la corruption (j’entends par là toutes les formes de corruption, autrement dit toutes les activités ou comportements susceptibles de profiter à des individus dans une situation où il n’aurait rien gagné en agissant selon la “règle”, que l’on parle de loi ou de simple morale).

Notre société souffre. Et c’est bien parce que tous les facteurs sont réunis pour qu’il n’en soit pas autrement. La compétition accentue la crise, augmente la nécessité d’avoir recours à la corruption ; la compétition profite aux petits corrupteurs et se nourrit de la crise, etc.

Ça, c’est le constat. Parfaitement personnel, mais qui aurait légitimité de présenter autre chose qu’un constat personnel ? Si l’histoire n’est pas affaire de politique, le constat, le regard sur le monde donc, ne l’est pas non plus. Au mieux, la politique se satisfera d’un consensus, mais même quand « un constat consensuel » lui est proposé (à dame politique), elle peut fermer les yeux et ne pas en tenir compte. Il y a ceux qui constatent, et ceux qui jouent avec le feu. (On le voit notamment avec le « réchauffement climatique ».)

Maintenant un exemple, plus ou moins fictif, pour voir comment le petit effet pervers décrit en titre (différence subtile entre le respect que l’on porte au prochain et le mépris de « l’autre ») peut s’appliquer à l’échelle de l’individu. À l’échelle de « l’autre ».

Imaginons un homme vivant seul, sans travail, sans amis s’installant discrètement dans une plus ou moins grande ville. Cela pourrait être un migrant (moi, que je déménage, je migre), un célibataire, un individu louche ayant choisi de changer d’identité et de vie (oui, ça existe), ou le retour attendu de David Bowie sur Terre.

Imaginons encore que cet homme, pour des raisons inconnues ou qui lui sont propres, interagisse peu avec ses voisins, ni avec personne d’autre, étant donné que cet homme-ci n’est entouré d’aucun “proche” ou “semblable” (il n’y a qu’un David Bowie, des migrants seuls, ça existe aussi, quant aux célibataires et aux hommes ayant changé de vie, de fait, ils n’ont pas de proches).

Quel serait les réactions des habitants, des autorités, à l’égard de cet homme plutôt louche ? Est-il à l’écart de la société ? Au-dessous ou au-dessus des lois ? Passons les détails qui auraient pu pousser cet individu à être effectivement un « hors-la-loi » (ah, pour migrer, vu que les demandes d’asile ne sont pas respectées, ça devient un délit fort condamnable ; et pour changer d’identité, il faut bien trafiquer quelque part…), et concentrons-nous sur les réactions « des autres ».

Dans les années 70, on a expérimenté la capacité des individus à se comporter comme des tortionnaires en milieu carcéral et cette joyeuseté est depuis connue sous le terme « d’expérience de Stanford ». Eh bien dans notre société, il y a de ça, et notre David Bowie réincarné en ferait l’expérience. Si dans une société encore prospère (une telle société a-t-elle jamais existé ?), on pourrait penser que cet “autre” puisse encore faire valoir ses droits, au respect de son intégrité, de son intimité, de son droit à l’indifférence, de l’équité, et être ainsi considéré, comme « les autres », comme un “prochain”, et non un “étranger” ; dans une société soumise aux cahots des forces contraires, à la crise, au doute, à la peur, à la suspicion…, cet homme servirait alors de fusible, de réceptacle aux frustrations de ses contemporains, de mouton noir, et serait responsable de tous les maux, réels, supposés ou fantasmés, craints par ses mêmes contemporains.

En détail, lentement, insidieusement, ce qui était alors louche deviendra alors que trop suspect, et cette suspicion sera alors confirmée, puis légitimée par l’échange de doutes des uns et des autres. On oublie rarement dans cette situation que les monstres n’existent pas, ou que quand ils existent, ce ne sont jamais que des monstres à cinq (ou plus) têtes. Les monstres sont des créations de la société, non des individus. On voit des monstres quand on veut en voir. On les crée, quand on veut les voir prendre forme. Mais ce faisant, on oublie là encore, qu’on participe soi-même à fabriquer et à être ce monstre, et que ce monstre, ce n’est pas celui qu’on désigne, mais l’espèce de masse informe et dégoûtante qui se cache derrière une somme d’individualités molles. Et on retrouve ici, la crise, la compétition et la corruption.

Notre David Bowie kurde national devrait alors supporter les premières insultes, incivilités ou agressions de ces “prochains”, mais le plus dur resterait à venir. Car notre homme, ainsi harcelé, pourrait être en droit de faire appel à l’autorité de la ville, de la police, à Bruce Willis…, rien n’y ferait. Parce que quel intérêt aurait une quelconque autorité à faire respecter le droit pour un individu seul contre plusieurs autres ? On s’accommode très bien des règles d’exception, et cela, sans avoir à en faire la propagande, au contraire. Car chacun des représentants de ces “autorités” s’appliquerait personnellement à ne prendre aucune initiative pouvant nuire à sa propre tranquillité (et à ceux de ses “proches”). Ne pas intervenir face à un individu commun, c’est prendre le risque que cet individu fasse jouer ses relations, sa propre autorité auprès d’autres services “compétents” ; mais un homme n’ayant aucune accroche, aucun recours, une bête, et qui plus est, une bête traquée par les citoyens de la ville, un nuisible… pourquoi prendre ce risque quand il n’y en a aucun à ne rien faire ? La corruption (passive) est là. À la question de principe bien connue « qu’est-ce que tu aurais fait pendant la guerre ? » on oublie de préciser qu’il ne sert à rien de répondre, car la proposition de principe, « dans l’absolu », s’opposera toujours dans les faits à une situation, un contexte personnel, dont les implications seront toujours jugées plus essentielles par rapport à ces implications de principes. L’amour du prochain vaut bien un peu de mépris pour l’autre. « Ma fille vaudra toujours plus que ce dangereux criminel ». Pourtant, on prétendra toujours le contraire. Prétendre et faire. C’est ce que l’expérience de Stanford avait plus ou moins illustré : notre capacité à nous cacher derrière des principes, qui, en dehors de toute régulation ou contrôle, volent en éclats. Mieux, pour abattre « la bête », le monstre supposé, on se portera toujours candidat, comme une preuve de notre appartenance au groupe des “prochains” contre l’autre, l’étranger, l’intrus.

D’où l’importance, non pas de décider de règles, mais d’être en capacité de les faire appliquer. Or, à des situations de crises, on voit bien que le législateur aura toujours tendance à ajouter ou à adapter des règles communes. Le problème ne vient pas des règles, mais bien à ce qu’elles ne sont pas appliquées sans moyens de contrôle.

Imaginons encore où tout ça pourrait nous mener. Notre homme est donc harcelé, agressé et aucune autorité légitime ne prête attention à lui. Démarches, lettres, appels à l’aide, appels téléphoniques…, tout cela lui serait automatiquement refusé. La machine n’est plus grippée, c’est déjà un monstre. Un monstre nourrissant un autre monstre et n’attendant plus qu’elle s’éveille pour la frapper, lui couper la tête et la présenter fièrement à la foule déchaînée…

« J’ai vaincu le monstre qui était source de tous nos problèmes ! Accueillez-moi en héros ! »

Et cela se passe toujours ainsi. Pour qu’il y ait des héros, il faut qu’il y ait des monstres. Puisque les monstres ne naissent pas spontanément, on les crée, on les nourrit, et on les abat.

Les héros sont tous des imposteurs.

Quelles alternatives pour notre David Bowie national ? La fuite, l’autodestruction et la rébellion. Le plus souvent, notre homme choisira la solution la plus commode : la fuite. Mais parfois, les circonstances font que notre homme est en incapacité à fuir (on remarquera d’ailleurs que souvent les sociétés dans lesquelles ils ne sont pas les bienvenus préfèrent les bannir, et si autrefois le bannissement était une sanction commune, on parle aujourd’hui plutôt d’expulsion, et quand il n’est pas question de “migrants” on parlera alors plus de harcèlement, ce qui est toujours plus pratique parce qu’on n’a pas à se salir les mains et on a jamais à répondre de son mépris pour l’autre — on peut toujours faire entrer le harcèlement dans le Code civil, il sera plus question de harcèlement au travail, non de celui dans une société et en particulier quand ceux qui s’en rendent coupables sont précisément ceux chargés de la constater — corruption, toujours).

L’autodestruction, plus communément appelée “suicide”, est probablement moins fréquente que les fuites, les exils, mais la société aura toujours une réponse toute prête à ces petits drames personnels : la victime était inadaptée. Ou « pas heureuse », ou « mal dans sa peau ». On peut, c’est certain, être malheureux de voir que ses “prochains” se complaisent dans des agressions permanentes à son encontre et cela en toute impunité ; et plus que mal dans sa peau, il est à parier que ces victimes soient plus incommodées par la “peau” des autres… Il y a une vidéo sur Youtube d’un film pas très drôle mais qui illustre très bien cette situation : un diable s’amuse à taper une victime avec une petite cuiller, partout, tout le temps, et ça n’en finit pas…

C’est aussi le principe du supplice de la goutte d’eau ou de la lapidation. On peut faire face à une goutte, même à cent, mais à la millième on est déjà noyé. « Vous allez me faire croire que vous êtes harcelé par les bonnes gens du village… qui vous crachent à la figure ? » (Et une goutte de plus, une.)

Je vais bien me garder de faire de la statistique, mais à vue de nez, on retrouve donc en troisième position, après la fuite et l’autodestruction : la rébellion. Il est probable même que dans nos sociétés actuelles, cette troisième possibilité l’emporte sur la seconde. On pourrait se dire, que se rebeller contre des institutions, c’est formidable, surtout dans le pays de la révolution… Sauf que je place dans cette rébellion, toutes les formes de rébellions, pas forcément les plus populaires, et donc plus précisément ici celle décrite par la situation de notre homme, exilé dans son propre pays, David Bowie perdu sur terre… Et là, ça fait mal, parce que cette rébellion-là, on ne l’accepte pas : une rébellion de masse d’individus se révoltant contre une autorité, quand elle finit par tourner l’histoire à son profit, c’est toujours raconté avec des trémolos dans la voix par les héros de ces guerres qui y ont survécu. Un rebelle solitaire ne tourne jamais l’histoire à son avantage. Il n’est le héros de personne. Il sera toujours le monstre. L’autre. Celui qu’on a nourri pour se faire peur ou pour satisfaire son propre petit confort. Avant l’explosion, qu’on sait venir, mais qu’on espère toujours plus tardive, toujours plus loin de « nos proches ». Rien n’explose innocemment. La logique des kamikazes ou des terroristes par exemple, ou des assassins de masse comme on en rencontre parfois aux États-Unis, échappe à la logique des sociétés qui se disent en être victime. Pourtant, la logique est là. Du basculement coupable entre le principe de respect du prochain vers le mépris de l’autre. Les monstres, s’ils existent, ne se font pas tout seuls. La société aura toujours le beau rôle à se présenter comme la victime de tels monstres. Mais ce faisant, elle ne fera toujours plus que pointer du doigt le fruit, le résultat, le monstre, de sa propre cruauté. Des individus seuls ne peuvent détruire une société. C’est la société elle-même qui se détruit, seule, par déni de la réalité, déni de la responsabilité, déni de justice, déni de ce sur quoi elle se base. Une telle société sera toujours le mirage de ce qu’elle prétend être. Derrière le paravent, se cache le monstre. Le seul.

Restons à l’abri. Ou disparaissons.

La politique nominative et les petits papiers de la cour

Les capitales

Politique(s) & médias

Dans un jeu politique où la communication est au centre de tout, les réunions et papotages entre journalistes et « politiques » sont des exercices incontournables pour les sociétés « démocratiques » dans lesquelles nous vivons. Au premier regard, on pourrait se dire que tout ce qui produit du sens (politique) a du bon, sauf que ces rendez-vous n’en produisent aucun, et s’ils peuvent à l’occasion évoquer quelques idées ou avoir le mérite d’exprimer une position (politique), le principe en est toujours le même : jouer. En politique, il y a ceux qui jouent, et ceux qui avancent des idées.

Les premiers sont poussés par l’ambition (la gagne). Qu’on commente le jeu ou qu’on y participe, les enjeux sont toujours les mêmes. Qui ? Qui va gagner ? Qui va se présenter ? Qui pour tel ou tel poste ? Qui a dit quoi ? Qui pense quoi de qui ? C’est ce que j’appelle la politique nominative.

Et à côté de ceux qui font ainsi mumuse, il y a ceux qui se refusent de jouer et qui conçoivent la politique comme une affaire sérieuse. Inutile de dire que quand on refuse de jouer le « jeu », soit ce qu’on dit reste inaudible, soit on finit malgré soi par y jouer. La cour, même quand on ne veut pas en être, on y est poussés de force…

Le jeu de cour, la courtisanerie, le jeu politique, la politique politicienne, la politique spectacle, ou la politique nominative, donc…, devraient être identifiés, condamnés, parce qu’ils rendent de fait illégitime, suspecte, toute décision ou affirmation.

La courtisanerie est partout : quand on papote avec un ami au sujet d’un autre, on entre dans ce jeu, peut-être inconsciemment, mais on cherche l’appui de l’autre, contre un autre, pour son intérêt personnel ; quand on discute avec sa concierge, on ne fait rien d’autre que de parler « des uns et des autres », et tout ce qu’on pourrait apprendre pourrait être utilisé contre eux… Dans un monde ou le « réseau social » est devenu si important, on comprend qu’il soit devenu la règle jusque dans la logique de l’espace public et dans l’organisation de la société par ceux qui la font. Mais en politique, l’individu, seul, est un nuisible qui agit contre l’intérêt général, pour son intérêt particulier. La démocratie est censée organiser au mieux les activités, échanges, débats, politiques, pour décider ensemble ce qui est le mieux pour tous. C’est un système pensé pour agir contre les réflexes individualistes, aristocratiques, qui sont le propre des organisations politiques primitives. Mais il arrive que « l’appareil » démocratique perde de vue ses principes fondateurs et mette en place de nouveaux usages obéissant, à nouveau, à des logiques de cour et à des guerres de personnes. Le « qui » est toujours plus facile à identifier que le « quoi » ou le « comment ». C’est pourquoi il se partage et se communique mieux. Ainsi, dans la vie (le jeu) politique française, les hommes politiques se lancent dans des carrières (politiques) comme d’autres se lancent dans le football ou la chanson. La politique, on y vient faire carrière. Les citoyens votent pour des candidats, puis applaudissent leurs représentants, et au final, tout ne devient plus qu’un jeu de cour où chacun doit user des meilleurs stratagèmes (on parle de « bons stratèges ») pour arriver à ses fins (d’abord entrer à la cour, puis se hisser au plus haut du pouvoir). Où est l’intérêt « politique » dans tout ça ? Nulle part. Mais l’honneur est sauf, parce qu’un responsable politique peut toujours chanter la Marseillaise pour prouver son attachement aux valeurs républicaines.

Il ne faudrait pas confondre « ère de l’information » avec « ère de la communication ».

Si on échange des contenus, il est souvent vide de sens, ou compressé pour être au mieux échangé : plus c’est grossier, plus ça se répand. Et si les « politiques » suivent les conseils de leurs communicants, le problème, c’est bien également que les animateurs de ces « débats politiques », ou commentateurs de cour, les journalistes, font plus de la communication que de l’information.

Ainsi, la situation ne serait peut-être pas aussi critique, si les différents acteurs de ce « jeu » n’acceptaient pas de participer de la même manière à ces enfantillages. Autrement dit, à la fois « politiques », mais également « journalistes », s’acoquinent un peu trop facilement avec les facilités (et les bénéfices) de la politique nominative. Un homme politique pourra toujours tenter de se positionner sur le terrain des idées, il sera malgré lui (ou pas) rappeler sur celui des personnes et des ambitions. Tout cela aurait été follement amusant au XVIIIᵉ siècle dans les jardins de Versailles, seulement le petit peuple a faim…

Un exemple illustre mieux ce décalage entre le jeu « politique » auquel prennent part « aristocrates de la politique » et « chroniqueurs de la cour ». Voici une transcription de la bien nommée « interview politique » à la matinale sur France Info. En gras, tout ce qui a trait aux considérations personnelles. (On voit qu’au début, c’est encore pour initier un semblant de discours sur un sujet de société réel, ensuite, on se perd totalement dans les discussions de cour.)

— Bonjour Jean-Christophe Cambadélis.
— Bonjour.
— Faut-il interdire les Nuits debout place de la République à Paris ? Pierre Aidenbaum, maire socialiste du IIIᵉ arrondissement dénonçait ce matin sur Franceinfo l’occupation permanente de la place, et ce, après des violences commises ce week-end. Que faire ?
— Dénoncer, ce n’est pas interdire. Il est vrai que tant que c’était bon enfant, on pouvait tolérer, même si l’occupation, la privatisation d’une place n’est pas totalement possible. Et même si nous sommes dans une période pour le moins troublée du point de vue des risques de terrorisme. Mais là, depuis quelques jours, la violence s’est invitée, à tel point que les organisateurs de la Nuit debout ont été chercher, le comble, les CRS pour les aider samedi dernier. Donc la difficulté est là. C’est-à-dire qu’on peut discuter, dialoguer, c’est un élément extrêmement important dans notre vie publique, dans notre moment présent. Mais si ça tourne à la violence, on ne peut pas le tolérer.
— Alors justement, qu’est-ce qu’on fait puisque nous sommes au douzième jour de ce mouvement ? (On va en dire deux mots d’ailleurs.) Que faire ? François Fillon, chez les républicains, s’étonne qu’on ait d’un côté l’état d’urgence, et de l’autre, dit-il, on tolère ce type de rassemblement.
— Écoutez, moi je crois que… il faut le tolérer. Mais il faut l’encadrer. Donc, il faut que les forces de l’ordre soient là pour…
— Une Nuit debout avec des CRS ?
— Ce serait les CRS debout… qui seront là pour faire en sorte que les violences ne viennent pas perturber ceux qui veulent discuter.
— Des CRS debout dit Jean-Christophe Cambadélis, c’est un nouveau concept ? Que dit le responsable politique que vous êtes face à ce mouvement dans lequel les politiques ne sont pas les bienvenus ?
— Pas simplement les politiques, ce qui prouve que c’est très intéressant. Pas de politiques, pas d’experts, pas de journalistes. La volonté de discuter entre soi, d’échanger de répondre à des questions, il y a une dimension contre-société, c’est pas du tout, moi, mon orientation, mais je crois que c’est une sorte de re-politisation par le bas.
— Vous y êtes passé vous-mêmes, ils ne vous ont pas reconnu d’ailleurs.
— Oui, on m’a reconnu. Il pleuvait. C’était le premier jour.
— Vous aviez un chapeau ?
— J’avais une casquette.
— C’est ça !
— Donc ils n’avaient pas l’habitude de m’voir dans cet accoutrement.
— Quand vous dites qu’il n’y a pas d’experts. Il y a par exemple Frédéric Lordon*, c’est plutôt un expert…
*  beau paradoxe, puisque Lordon refuse de se voir comme un leader, mais pour un « journaliste », il faut des noms, alors on le met en avant, et ne se pose alors plus qu’une question, fondamentale, courtisane : « Mais jusqu’où Frédéric Lordon ira-t-il ? ». Passionnant.
— Oui mais vous savez, ces émissions où on met trois experts avec un politique, et qui tourne en rond dans les chaînes d’info, etc. Bah, là, les gens en ont ras le bol. Ils veulent discuter entre eux. Je trouve que c’est pas mal.
— Jean-Christophe Cambadélis, Manuel Valls reçoit ce matin les syndicats étudiants et l’unef réclame toujours le retrait pur et simple de la loi El Khomri, qu’est-ce qu’on fait ?
— On continue…
— On continue quoi ?
–… au niveau du gouvernement, et du parlement, à améliorer la loi. Il y a un processus parlementaire qui est en marche, la commission à l’assemblée nationale a traité le sujet. Il y a pas mal de propositions qui sont intéressantes, et on va dans ce sens. Voilà. On n’a pas décidé de la retirer, donc on va l’améliorer.
— Vous entendez ces parents d’élèves qui témoignent, qui redoutent des dérapages policiers : il y a des gosses dans la rue ?
— Bien sûr.
— Qu’est-ce qu’on fait ?!
— Qu’est-ce qu’on fait… bah ils sont pas obligés de manifester. Vous êtes drôle, vous… Les manifestations, c’est une prise de risque*. Tout le monde le sait, donc aux parents de discuter avec leurs enfants, et de leur dire ce qu’ils pensent de la loi. S’ils pensent qu’il faut la retirer, bah ils manifestent, s’ils pensent qu’il ne faut pas la retirer, ils ne manifestent pas…
* la question portait sur les dérapages policiers…
— L’unef est déterminée. C’est le retrait, sinon rien.
— Écoutez, l’unef… Rappelez-moi depuis 1960, quand l’unef* a défendu une loi présentée par un gouvernement ? Jamais. Donques, là ils sont pour le retrait. Prenez les bouts de film de ma jeunesse, donc il y a quarante ans, et vous verrez que mot à mot, c’est exactement la même chose que maintenant.

* on change le cheval pour une écurie, c’est pareil.
— Ce matin, on lit dans la presse, Monsieur Gattaz qui dit qu’il en veut plus. À gauche, on en veut pas. Monsieur Gataz n’en veut plus… Enfin, on a l’impression, d’un incroyable embrouillamini.
— Écoutez, on ne fait pas des réformes sous le diktat, ou la recommandation, de Monsieur Gattaz. On fait des réformes pour l’ensemble des Français. À partir du moment où on veut une réforme équilibrée, évidemment que Monsieur Gattaz est contre. Parce que lui, il veut une réforme qui soit en résonance avec les revendications du MEDEF. Moi, je veux des réformes qui soient équilibrées, où il y a à la fois de la souplesse, mais en même temps, de la sécurité pour les salariés. Je sais que ça défrise, mais ça, c’est pas mon sujet.
— Jean-Christophe Cambadélis, vous êtes le premier secrétaire du PS, c’est ça hein ?
— Absolument.
— Il y a une question à vous poser ce matin. Parce qu’on discutait entre nous avant cette interview, est-ce qu’il y aura un jour une primaire à gauche ? On n’a pas très bien compris c’que vous aviez dit lors du conseil national du parti socialiste. Est-ce que vous pourriez nous expliquer ce qui va se passer, concrètement, quoi ? (Quelque chose de simple.)
— Vous z’avez pas compris parce qu’on a voté à l’unanimité. Je remarque que quand le parti socialiste vote à l’unanimité, les journalistes ne comprennent pas. Parce que, c’est pas possible… les socialistes…
— C’est une synthèse.
— Non, pas du tout ! À l’unanimité. Donc, c’est très simple. Donc, c’est très simple… Nous sommes, pour répondre positivement, à l’appel de notre primaire. Point un. Nous sommes pour une primaire, sans préalable, sans préjugés, avec une seule condition (toute petite condition, très simple) : que tout le monde soit derrière le gagnant.
— Donc, si au mois de décembre François Hollande, président sortant, décide de se représenter, il en passera par la primaire, c’est ça ?
— Il passera par la primaire s’il le souhaite, et à ce moment-là…
— Nan, nan, c’est pas s’il le souhaite…
— Jusqu’à présent, ce n’est pas le parti socialiste qui dicte au président de la république. Donc il passera par la primaire s’il le souhaite. Moi, je le souhaite. Mais à lui de décider. C’est dans le texte. Si vous lisez les textes du parti socialiste, c’est « si le président de la république le souhaite ».
— Donc, il n’y aura pas de primaires si François Hollande se représente et ne veut pas passer par la primaire.
— Mais il (le) passera par la primaire, si tout le monde est dans la primaire. Si c’est simplement un regroupement de personnes qui sont contre sa politique, il peut pas y passer.
— Mais il y a des gens, sauf erreur de ma part, qui ont dit qu’ils ne seront pas dans cette primaire. Donc on est en train de parler d’un truc qui n’aura pas lieu.
— Ça j’en sais rien, mais en même temps moi je souhaite la primaire, parce que, c’est très simple s’il y avait une primaire, ce serait le moyen le plus économique de rassembler la gauche. On discuterait, à la fois sur le bilan de ce que nous avons fait, on serait en capacité de (se) projeter dans l’avenir, et le premier janvier, c’est terminé, le débat à gauche est fini : on se tourne vers la droite. Ce serait tout de même très économique. Bah voilà, maintenant, il faut essayer de la construire, il faut essayer d’apaiser les craintes des uns et des autres. J’ai bien compris que la crainte du parti communiste et des verts, c’était que François Hollande gagne la primaire, m’enfin bon… quand on est pour une primaire, il faut quand même accepter le résultat du match.
— Donc, rendez-vous, au mois de décembre.
— Avant. Rendez-vous au mois de juin où on prendra les décisions définitives.
— Jean-Christophe Cambadélis, vous avez vu Emmanuel Macron au 20h de France2, hier soir ? Le ministre de l’économie est « en marche ». Et il va faire du porte-à-porte. Est-ce que c’est la bonne idée, est-ce que c’est la bonne méthode ?
— C’est vachement moderne. De faire du porte-à-porte. Nan ?… C’est vachement moderne !
— Et pan !
— Moi je trouve ça vachement bien. Voilà, il faut du porte-à-porte… D’ailleurs je l’invite dans le XIXᵉ à le faire ensemble.
— Vous lancez l’invitation ce matin à Emmanuel Macron ?
— Oui, oui. Viens Emmanuel, on va faire du porte-à-porte tous les deux dans le XIXᵉ arrondissement.
— Sérieux ? C’est ironique ?
— Pourquoi ce serait ironique ?
— Bah, parce que ça l’est !
— Mais pas du tout !
— Donc vous invitez le ministre de l’économie… enfin vous voulez l’accompagner dans sa démarche… de porte-à-porte.
— Non. Je veux qu’il vienne avec moi dans le XIXᵉ arrondissement de Paris, c’est ma circonscription. Donc, on ferra les cages d’escalier ensemble.
— Il revendique 13 000 adhérents depuis le lancement de son mouvement. Un toutes les trente secondes, a-t-il dit. Vous le croyez ?
— Pourquoi ne devrais-je pas le croire le ministre de l’économie ? Je crois ce qu’il dit. Il est ministre du gouvernement, je n’ai pas raison de mettre en cause la parole d’un ministre du gouvernement de la gauche.*
* la question porte sur le nombre d’adhérents d’un homme politique, pas sur une question économique, c’est beau comme du Jarry.
— Franchement, Jean-Christophe Cambadélis, il est candidat, intrinsèquement, vous le sentez candidat ?
— Mais écoutez, tout le monde sait que Emmanuel Macron ne sera pas candidat contre le président de la république s’il se présente. Tout le monde sait qu’il est comptable du bilan de Manuel Valls au gouvernement. Tout le monde sait qu’il n’est pas au parti socialiste. Et tout le monde a compris qu’il voulait cette idée un peu baroque, mais que je regarde avec attention, c’est faire triompher la gauche dans la droite. Voilà, c’est très bien.
— Faire triompher la gauche… dans la droite ?!
— C’est ça, non ? Quand on est ni de droite ni de gauche.
— Il dit, ni gauche, ni droite…
— Voilà… Donques, c’est faire triompher la gauche dans la droite.
— Il prône une solution radicale.
— Oui, c’est quoi les solutions radicales ? Pourquoi il les a pas proposées au gouvernement ?
— Donc pour vous, vous n’y croyez pas.
— Mais c’est pas que je ne le crois pas ! J’écoute. Moi je fais ça avec tout le monde. J’écoute et j’essaie de comprendre. Vous voyez, il n’y a pas que les journalistes qui ont du mal à comprendre.
— Il vous agace terriblement, monsieur Cambadélis.
— Pas du tout. Mais pas du tout.
— Au ton qui est le vôtre, on voit bien…
— Si on veut faire un peu d’humour, on est agacé. Mais moi je ne suis pas agacé par monsieur Macron. Je trouve que… il est de quelqu’un de très intéressant dans l’espace public en ce moment. Les médias en raffolent. Tant mieux, comme ça on parle pas du reste.
— Quand vous voyez Emmanuel Macron qui agace un peu autour de lui, peut-être vous, on ne sait pas ce matin, que vous voyez Ségoleyne Royale critiquée pour sa gestion de la région Poitou-Charente, par Alain Rousset qui a récupéré la grande région, que dites-vous ce matin ? Halte au feu ?
— Oui, un peu. Je crois qu’on peut essayer de trouver des solutions. Il y a un audit qui a été fait. À partir de là, il ne s’agit pas de s’envoyer le bilan à la face des uns et des autres (la droite le fait assez). Mais d’essayer de surmonter… S’il y a eu des difficultés, moi je connais pas le dossier, mais s’il y a des difficultés, il faut les surmonter ensemble. On est quand même membre de la même famille.
— Jean-Christophe Cambadélis, vous allez lancer cette semaine, comment ça s’appelle… l’alliance ?
— La belle alliance populaire ! Pourquoi…
— C’est quoi… comme « en marche », c’est encore un machin politique.
— C’est « marchons ensemble », là. Il s’agit de rassembler des citoyens qui seront majoritaires dans l’affaire. Des syndicalistes, des responsables associatifs, et des politiques de différents horizons, il y aura quelques surprises, vous verrez… et qui veulent réfléchir… ensemble*. Et faire des propositions, travailler à ce que sera un nouveau progressisme dans le moment que nous traversons.

* l’idée du progrès, ce n’est donc pas d’échanger des idées, mais de se réunir. C’est une partouze en fait, et on peut dire qu’elle est politiquement correcte parce que non discriminante… Tout le monde peut venir, on se fout de vos idées, seul votre cul compte.
— Et il y a quand même un décalage absolument phénoménal quand on vous observe les uns les autres comme on peut vous observer ici tous les matins, entre ce que vous nous dites et les gens qu’on croise dans la rue… La belle alliance populaire, OK super, en marche, Manuel Valls de son côté… Enfin tout ça n’est pas un peu lunaire, monsieur Cambadélis ?
— Pas du tout. À partir du moment où vous avez cette capacité à mettre au centre des citoyens… Vous me dites les citoyens, ceux qu’on rencontre dans la rue… eh ben là, on les met dans un regroupement. Nous, nous ne nous opposons pas…
— À un an des élections, toujours… on fait des regroupements citoyens et après on les abandonne.
— Pas du tout. C’est pour ça que nous avons fait les états généraux dès que je suis arrivé au parti socialiste. Mais nous, nous n’opposons pas, comme certains, le citoyen aux organisations politiques…
— Ça, c’est pour Emmanuel Macron.
— Pas du tout, pas du tout. Nous pensons, que nous devons gagner ensemble. Et que nous devons proposer ensemble. Et qu’il n’y a pas d’experts ou de politiques au-dessus du citoyen, et qu’il n’y a pas de citoyen qui sait sans aussi dialoguer avec les experts et les politiques. Donc, nous allons travailler… ensemble.
— Jean-Christophe Cambadélis, le chef de l’État va parler aux Français, sur France2, jeudi soir. Comme Chirac d’ailleurs, avril 2005, c’était il y a onze ans. À quoi ça sert ?
— Il me semblait… je sais pas, j’avais lu un peu partout que… on s’étonnait que le président de la république ne parle pas. Donques, quand il ne parle pas, on le critique, quand il parle, on le critique. Ça fait partie du Hollande-bashing, c’est très porté en ce moment. Il s’exprime dans un dialogue, avec des Français, c’est bien ce qu’on lui demande ? Je crois qu’il doit faire la pédagogie de son quinquennat, expliquer ce qu’il a voulu faire, ce qu’il a fait, ce qu’il a réalisé, ce qui a le moins marché.
— Tout à l’heure, vous moquiez, avec sympathie, le porte-à-porte d’Emmanuel Macron, là aussi, ça va être une émission, qui va être intéressante, mais c’est aussi une recette un peu déjà vu : le président qui souhaite s’adresser directement aux Français.
— C’est une sorte de porte-à-porte devant l’ensemble des Français. Je trouve que c’est une très bonne idée. La vie est cruelle, c’est ça le slogan du jour, non ?
— Très sincèrement, vous pensez que le chef de l’État peut rebondir avec ce type de dialogues ?
— Mais il ne cherche pas à rebondir. Il cherche à s’expliquer. Après, on verra s’il rebondit… C’est pas le sujet du jour. Ne réduisez pas une intervention à une déclaration qui viserait à changer la face de la France dans le moment présent. Il s’agit simplement de dialoguer. Je crois que c’est nécessaire pour notre pays.
— Merci à vous.

C’est ça. Merci à tous de saloper la vie politique en la réduisant à une chronique de cour.

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Hollandie

Les capitales

Politique(s) & médias

Pour expliquer qu’un président élu avec un programme de gauche fasse une politique d’extrême-droite (pardon pour l’épouvantail), celui-ci rhétore :

Quand le monde change, il faut changer avec lui.

C’est beau.

Je résume, donc. Quand il dit que le monde change, je doute qu’il parle du changement climatique ou du non-respect des droits des réfugiés, mais des conséquences de la crise de 2008.

En 2008, la crise naît de financiers véreux, profitant du laxisme (idéologie parfois appelée libéralisme ou néolibéralisme) des régulateurs pour faire n’importe quoi (parfois qualifié d’escroquerie organisée et autorisée). Le monde, les marchés, l’économie, tout s’écroule, alors que selon les prévisionnistes (parfois appelés économistes) une telle catastrophe n’aurait jamais dû arriver.

Le monde, l’économie, toussa, est sauvé malgré lui par le petit peuple à qui on n’a pas demandé son avis (système politique parfois qualifié de démocratie représentative), et tout recommence comme en 40 (le CAC).

Et pis, le petit peuple, qui a compris la leçon, envoie un président au château avec son programme de gros gauchiste… et le gros gauchiste, nous explique, donc, tout le long de son mandat pourquoi, puisque le monde a changé, il faut mener une politique de droite extrême (parfois qualifiée d’extrême droite).

C’est l’histoire des quarante chèvres qui sautent de la falaise. Une première dérape, puis une seconde. Et une troisième croit comprendre qu’il faut sauter dans le vide, et une autre, puis encore une autre. À la fin, ne reste plus que deux chèvres qui ont eu le temps de cogiter en voyant leurs copines bêler dans le vide. La première dit à l’autre : « T’es sure qu’il faut sauter ? Ça va nous mener où cette histoire ? » Et l’autre répond : « Il faut toutes y passer, ma grande. Le monde change, le temps est aux chèvres sauteuses. Alors il faut sauter. » Et elles sautent.

Que le capitaine du Titanic décide de rester à bord, c’est son problème. Mais qu’il dise aux femmes et aux enfants, et aux autres, de rester près de lui, j’appelle ça un escroc de la pire espèce. De ceux qui n’auront jamais de compte à rendre à personne et qui sont toujours dans leur bon droit.

Tous pourris. Et je ne parle pas des politiques. Mais des autres, nous. « Pourris par ».

On s’est fait niquer une fois, pourquoi pas deux après tout ? Le feu ne peut pas brûler la main deux fois de suite…

Rationalisme et scepticisme, méthode scientifique, doute

 

 

 

 

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Réponse apportée à la question du scepticisme

Il faudrait sans doute commencer l’apprentissage des sciences par le commencement, c’est ça qui est un peu idiot et qui entraîne des comportements assez peu “conforme” à l’esprit scientifique. L’histoire des sciences (et donc des “paradigmes”), la logique, les pièges de la rhétorique, les biais cognitifs, l’histoire des supercheries, l’épistémologie, etc. En fait, on commence par les mathématiques, ce qui est une base logique (elles mènent à la philosophie et à la physique) et très vite apparaît l’enseignement de la physique ; c’est un peu un contresens. Si tu n’enseignes pas le doute, l’esprit de recherche, la connaissance de l’importance des erreurs dans l’histoire, tu es incapable d’avoir ce recul “sceptique” sans quoi il n’y a pas de méthode scientifique. On enseigne aux petits la physique comme on enseigne le coran dans une madrasa, ce qui peut bien sûr provoquer par la suite une approche dogmatique de leur pratique.

Cependant, il me semble que la recherche se fait en équipe et que dans une discipline particulière on parle toujours de « communauté scientifique ». Or, si individuellement, on peut imaginer que certains éléments de cet ensemble puissent manquer de “scepticisme” (pour faire court), il n’en reste pas grand-chose au niveau du discours “officiel” (comme aiment à le décrire certains), c’est-à-dire quand la “communauté” s’entend sur un consensus. On peut difficilement penser qu’à ce niveau, il reste encore des dogmes, l’expression d’intérêts ou de biais personnels. La question des “scientifiques” a surtout un sens quand on la comprend entant que communauté, parce que prise individuellement, finalement, si certains ont des “croyances” ou manquent de discipline rationnelle, il n’en restera rien dans ce qui est essentiel pour la recherche : l’expression d’un consensus (et avec cette idée de consensus, c’est déjà les idées de dogme, d’aboutissement, de certitudes, qui volent en éclats). Si l’ensemble de la communauté respecte les principes de la méthode scientifique, il n’y a aucune raison de penser que cette communauté puisse dans son ensemble manquer de scepticisme. Après, il y a peut-être une différence fondamentale entre sciences dures et sciences humaines…

Il y a une confusion souvent en français avec le terme de “sceptique” qui dans le langage courant signifie “douteux” et qui pour les « sceptiques scientifiques » seraient plus synonyme de “scientisme” (perso, je préfère parler de scientisme quand on est dans le dogme, à l’absence d’ouverture, donc le refus de toute possibilité de “doute” — une des grandes “vertus” pourtant de la science est d’être capable de dire qu’elle n’a pas réponse à tout, ou qu’elle ne sait pas, on ne sait pas encore avec certitude) ou de zététique.

N’étant pas scientifique moi-même, j’essaie d’appliquer ce “scepticisme” dans mes “croyances” personnelles et cela jusqu’à la perception de l’art et en particulier du cinéma, et là aussi on me reproche souvent mon “nihilisme”. En l’occurrence ici, en l’absence de méthode ou de paradigme, chacun forge un peu tout seul ses propres conceptions, et on se heurte trop souvent à celles des voisins (mais c’est bien cette absence de “canon” qui participe à l’intérêt de l’art, et ça ne me semble pas si éloigné de la science, chaque artiste devant chercher à créer sa propre cohérence à l’intérieur de son œuvre).

En revanche, les reproches faits aux sceptiques scientifiques vont très souvent bien au-delà de leurs certitudes. Bien sûr, le scepticisme n’est pas une discipline en soi ; c’est une posture, une méfiance rationnelle, qui se veut rigoureuse, une modération, un recul… (une forme d’ascétisme, si j’osais). Il doit donc se pratiquer dans sa vie de scientifique, tous les jours et pour toute chose, en particulier quand il est question de juger de son propre travail et de celui de ses pairs. Mais pour les côtoyer parfois en dehors de ce cadre (encore une fois je n’ai aucune formation scientifique), ils sont surtout amenés à s’exprimer, ou à exprimer ce “scepticisme” dans le cadre des discussions scientifiques ou pseudo-scientifiques ouvertes à tous et qui se sont multipliées depuis Internet. Or là, il y a de très nombreuses critiques à faire concernant ces “dialogues” ou “échanges” qui vont donc bien au-delà des simples certitudes de quelques-uns. D’abord, l’expression de ce “scepticisme” s’exerce le plus souvent en dehors de leur champ de compétence (on ne sait d’ailleurs jamais qui est spécialiste de quoi, et souvent les intervenants n’ont aucune formation particulière — ça a en revanche une vertu, celle d’échapper à pas mal d’arguments d’autorité, même si au final, l’autorité devient celle de la renommée — ce n’est donc pas forcément mieux). On peut voir ça comme un problème parce qu’on entend souvent dire qu’on est “sceptique” dans un domaine qu’on connaît, a fortiori dans son domaine de prédilection ou sa spécialité, et qu’on peut ne pas l’être dans un tout autre domaine (par manque de connaissance, à cause de préjugés, etc. ici les scientifiques dans des domaines qui ne sont pas les leurs ne seront pas forcément mieux armés que les non scientifiques — c’est en tout cas une forme de scepticisme qu’ils expriment souvent eux-mêmes). Par ailleurs, on peut voir ces échanges interdisciplinaires comme des pratiques ou des exercices enrichissants justement parce qu’ils permettent d’être confrontés à des logiques ou des méthodes différentes (donc prendre du recul sur ses propres pratiques, avoir un regard critique sur sa discipline, etc.) On peut donc voir ça comme des forums (au sens presque premier) où tout sujet devient prétexte à un exercice d’échange, de débats, et… d’engueulades. Plus que des certitudes, ce qui leur est reproché, c’est surtout une absence de volonté d’échanger, d’expliquer ; et ça peut se comprendre, avec des pseudoscientifiques ou des naïfs venant faire part de leurs interrogations (ou formidables découvertes). Le “scientifique” ici finit par manquer de patience et peut donner en effet l’impression qu’il a la tête faite de plein de certitudes ; mais je pense que c’est surtout une fatigue de devoir « faire la leçon » à des apprentis savants, des rigolos, des ignares, et même souvent des fous. Or — et là je me fourvoie peut-être complètement — mais il me semble qu’il y a là, dans ces échanges, un formidable outil de promotion, à la fois de la science, mais aussi et surtout de l’esprit scientifique, de la rigueur, du “cartésianisme” (au sens populaire). Et Dieu sait si notre monde fourmille d’idées à la con, de croyances rigolotes mais potentiellement dangereuses, et pour lesquelles ces échanges, parfois confus, qui n’ont évidemment rien de scientifiques (et souvent même rien de sceptiques, il faut être honnête — il y a des idiots partout, les “sceptiques” n’échappent pas à la règle), sont des mines.

Cet enseignement, ce savoir, si on ne nous le transmet pas dans les premières années de notre vie (on a bien des cours d’éducation civique, on pourrait aussi avoir des cours d’éducation logique…), il n’est pas inutile de pouvoir découvrir certains principes plus tard, si ce n’est donc à travers une pratique sérieuse de la science, à travers de tels “forums”. Étant “littéraire” à la base, je peux dire que je n’ai eu aucune de ces notions qui sont propres à la méthode scientifique ; et les découvrir, même en simple observateur, en dilettante, je crois, entant que citoyen ou qu’homme, m’a été très utile (même si bien sûr, je serai toujours incapable de raisonner avec une logique “scientifique”).

Peu importe donc si certains effectivement font preuve de certitudes, d’un faible esprit pédagogique, manque de patience, ou se révèle comme certains pas du tout “sceptiques”. L’important en les côtoyant est de s’interroger sur soi-même sur ce à quoi on croit, sur notre capacité à douter, sur notre capacité à reconnaître certaines erreurs, certaines méprises, les supercheries, à se pousser à raisonner rationnellement, justement en évitant les certitudes… Et pour reprendre la phrase que je citais précédemment, là où ça devient intéressant, là où les “sceptiques” et de manière générale les “scientifiques” deviennent encore plus utiles (ou font comprendre leur utilité — combien de fois on peut entendre dire « à quoi ça sert ces trucs, franchement ? »), c’est quand ils appliquent leur scepticisme… non pas à eux-mêmes, mais aux autres. Pour les autres, pour la collectivité, pour la connaissance (populaire). Qu’ils soient sceptiques, j’aimerais dire « j’espère bien ! c’est la moindre des choses », mais qu’ils aident la société à l’être un peu plus, voilà qui devient “intéressant”.

(J’ai essayé de faire un effort de concision au début, et puis… Comme j’ai souvent les idées qui se faufilent sur les routes comme un grand jour de départ en vacances, c’est l’embouteillage.)


 

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Les Sauvage c’est les autres

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Violences de la société

Accorder la grâce, c’est accepter les règles d’exception. Pour un de sauvé, on en ignore mille autres.

Et le sauve-t-on vraiment ? Sommes-nous sûrs de rendre la justice, ou en tout cas, la détordre ? J’en doute. On répond aux échos assourdissant de la rumeur, et pour qu’elle cède, on se mêle à son tumulte. C’est la négation de la rationalité et de la justice. Le règne de la facilité et de la bêtise.

Que deviennent les mille autres qui pourraient, peut-être légitimement aussi, faire valoir leur droit à la grâce pour avoir été mal jugés, mal compris, stigmatisés comme coupables alors qu’ils n’étaient avant tout que victimes ; et qui eux ne servaient pas opportunément de porte-étendard à une cause discriminatoire (oui). En ces temps où on chasse tant les discriminations, leurs injustices, leurs exceptions, où chacun peut se plaindre des petites intrigues pour arriver à des desseins particuliers, contre l’intérêt général, c’est non seulement idiot, mais c’est aussi un symbole de la médiocrité et de l’opportunisme de notre temps et de ceux qui y prennent part.

Pour un de sauvé, combien de couteaux remués dans la plaie à ceux qui, comme “elle”, s’estiment mal jugés ? J’insiste. Chacun ses échos. En sauver un, c’est non seulement se laver les mains du sort de tous les autres, mais c’est augmenter encore les injustices, donc la défiance et le manque de confiance à l’égard des institutions de son pays. En sauver un, c’est condamner tous les autres. En sauver un, opportunément, c’est se donner le visage du sauveur, du réconciliateur, du juste, quand on ne fait que tout le contraire. Si la grâce est ostensible et semble d’une formidable magnanimité, on ne fait que favoriser, dans l’ombre, les disgrâces à venir.

Que Pilate reçoive ses lauriers et s’en lave les mains donc. Des “autres”. De ceux qui n’existent pas à travers la rumeur, que les opportunistes dédaignent parce qu’ils sont les tristes silhouettes de la normalité. Les oubliés, les disgraciés, les ombres qui sont la masse et qui ont le tort de ne pas présenter le visage d’une exception possible… Une cause… juste (sic).

Qu’on s’en lave les mains donc. Salomon a tranché. La rumeur a eu raison de la justice. La sagesse, ce sera pour une autre fois. Continuons à multiplier les exceptions, à réparer une injustice prétendue par d’autres injustices. L’époque, c’est vrai, ne fait jamais autre chose. Cassez un vase, tentez d’en recoller les morceaux, et s’il vous manque quelques pièces, cassez-en un autre pour espérer lui faire reprendre son apparence d’autrefois. Ou… Pour garder le cap au nord, alors qu’on fait route à l’ouest, on décide tout à coup de basculer vers l’est en espérant y retrouver le nord. Au foot, on dit bien qu’on ne compense pas une injustice par une autre injustice. Tout cela est logique. Mais la rumeur a ses raisons que la logique ignore.

Alors, que faire ?

On regarde. On écoute. Et s’il y a dans les lois certains détails qui restent à mieux définir, on décide de légiférer. Mais il serait alors raisonnable de ne jamais répondre à chaque fait divers par des “mesures”, par des “réponses” gesticulatoires qui ne servent que celui qui les donne, jamais l’intérêt général. On légifère, pour les autres, pour tous. On appelle ça l’égalité, et c’est une cause aujourd’hui sans étendard. Le fait divers, c’est l’exception. La grâce, c’est l’exception. Dans un système qui s’enorgueillit d’être et de prolonger un “état d’urgence” — qui ne peut être que le contraire de l’État de droit, parce qu’aucune justice ne se rend dans la précipitation — dans l’exception d’une grâce possible, il ne fallait pas en attendre davantage de celui qui la donne pour combler de bonheur, et d’illusions, ceux qui la réclament.

Peut-être que chacun espérera alors qu’il aura lui aussi droit à un petit coup de pouce, exceptionnel, pour le tirer d’embarrassantes décisions en sa défaveur. Rien de plus normal là encore dans un monde où tout est fait pour que chacun puisse espérer son petit quart d’heure de célébrité. On se nourrit de mirages et d’espoirs. Et l’exception, elle, se nourrit des mille et une petites injustices plongées dans l’ombre pour qu’une parvienne à la lumière…

J’attends le prochain fait divers sordide impliquant des tueurs d’enfant et on pourra alors songer à réhabiliter la peine de mort.

Magnifique pays. Un pays d’exception. Où il est bon de se prononcer pour des causes justes (sic), parce qu’elles sont censées rendre justice aux petites gens. De la poudre aux yeux. De l’hypocrisie. Celui qui prononcera tout haut une parole discordante passera, lui, pour un ignoble bonhomme, sans cœur et à l’idéologie douteuse (l’apparence est la force des princes). Non, je ne suis pas “féministe”, on ne défend pas “les femmes” face à “des hommes”, parce qu’on ne retrouve pas le nord en basculant à l’est quand on allait à l’ouest, parce qu’on ne répare pas un déséquilibre en poussant la barre à l’opposé, parce qu’on ne répare pas une injustice par une autre injustice… L’équilibre, on le trouve en définissant ce qui est juste et droit. Une injustice ne se répare pas. Et tout ce qu’on fait, on le fait, en tant que législateur, pour les suivants, pour les ombres, les autres, que nous sommes tous.

Un roi et sa cour. Le peuple est content, on a montré le visage du petit dernier et la foule applaudit.

La facilité, toujours. Et j’en reviens à cette citation de Sade :

Celui qui veut remonter un fleuve parcourra-t-il dans un même jour autant de chemin que celui qui le descend ?