
L’école de Brighton… et autres pionniers britanniques
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Introduction
L’école de Brighton est ce qu’a appelé l’historien du cinéma Georges Sadoul, le mouvement cinématographique opéré en Angleterre dans cette ville, Brighton, principalement par deux cinéastes qui allaient, au tournant du siècle, transgresser les premiers l’unité archaïque du film pour lancer ce qu’on appellera plus tard « langage cinématographique », « récit filmique », « grammaire du cinéma », etc. Ces deux cinéastes sont George Albert Smith et James Williamson.
À leur actif : le gros plan, l’idée de collage narratif de deux plans, le raccord invisible, le champ contrechamp, le plan subjectif…
Parmi les autres pionniers de la même période en Grande-Bretagne, on peut citer Robert W. Paul, Frank S. Mottershaw et William Haggar. Tous trois ont utilisé certains de ces procédés le plus souvent dans des genres différents mais avec une constance qui fera leur succès mais qui inspirera surtout aux États-Unis : le chase film.
Souvent basés sur une histoire simple de poursuite, ces chase films sont les premiers films d’action dont l’idée est simple et novatrice : des personnages courent, d’autres les pourchassent, et de plan en plan on suit ainsi cette course poursuite. C’est bien le pays de Benny Hill, seulement, des plans raccordés par le mouvement, avec des entrées et des sorties du champ raccords, tout ça filmé en décor naturel (in location comme on dit avec l’accent), ou même avec des panoramiques d’accompagnement, eh bien chapeau. Une Grande-Bretagne qui a du génie en silence, sans profiter industriellement, économiquement de ces innovations, ça se respecte. Alors qu’on se le dise, sur cette petite île insignifiante, ne sont pas nés seulement la révolution industrielle, le football ou le pudding, ces messieurs parfaitement civilisés ont également posé les bases d’une langue cinématographique. Le cinéma devenait un art à part entière, l’égal de la littérature, avec le même pouvoir évocateur, la même liberté expressive. Et aussi, un spectacle.
Que serait la finance sans les montages financiers, les profiteroles sans les pièces montées, l’industrie sans les chaînes de montage, les Kazakhs sans leur monture, l’Uruguay sans Montevideo, et donc, le cinéma sans le montage ? Tout commence par les films de l’École de Brighton : La Loupe de grand-mère, L’Astronome indiscret, The Big Swallow, Fire! et quelques chase films pour comprendre l’influence des petits Anglais sur les cowboys.
Les films
Seuls les films significatifs (ou simplement visibles) sont répertoriés ici. En particulier, les sept premiers :
Le Baiser dans un tunnel (1899)
The Kiss in the Tunnel
Réalisation : George Albert Smith
L’audace et l’humour d’un coquin bisou. Trois plans montés racontant une histoire simple : 1ᵉʳ plan, vue subjective à l’avant d’un train qui rentre dans un tunnel, fondu au noir naturel ; 2ᵉ plan, notre scène probablement tournée en studio ; 3ᵉ scène, retour au premier plan du train cette fois pour quitter le tunnel.
Un début, un milieu et une fin composée et mis en relief par la structure même du film, grâce au montage. C’est beau comme une histoire Carambar.
L’Astronome indiscret (1900)
As Seen Through a Telescope
Réalisation : George Albert Smith
Au premier plan, un homme s’amuse avec un télescope. Derrière, mais devant lui, un homme et une femme à vélo. L’homme au télescope le pointe sur la scène qui se joue en arrière plan. Cut. Gros plan. Et ce qu’on voit n’est pas joli joli. Une jambe tripotée. Retour au plan maître : le premier homme est découvert par le second qui se fait gentiment molester par le second.
« Et pourtant, ça tourne ! » dit l’astronome…
L’humour grivois britannique à l’origine de la grammaire du cinéma. Avant l’usine à rêves, le cinéma devient une machine à fantasmes et à plaisanteries.
La Loupe de grand-mère (1900)
Grandma’s Reading Glass
Réalisation : George Albert Smith
Un gros plan ne suffisait pas, alors Smith en propose plusieurs dans ce montage. Tous sont en vue subjective comme dans l’astronome (on montre ce que le personnage regarde). Autrement dit, ce qui passe aujourd’hui parfois pour une audace (la vue subjective) est la première audace ayant rendu possible la convention du montage.
L’astronome indiscret était un vieil homme avec un télescope ; ici, il s’agit d’un garçon avec une loupe aux côtés de sa grand-mère. Le ton est le même : on s’amuse avec les possibilités d’un nouveau joujou. On aurait donné une caméra à un singe qu’il aurait eu l’idée du raccord du vaisseau dans 2001, l’Odyssée de l’espace… Le film commence même par un gros plan (le journal). Viendra ensuite la cage de l’oiseau, l’œil de la vieille dame, puis le chat (cherchez l’erreur). L’utilisation des gros plans impose un nouvel emplacement de la caméra. Et avec ça, un peu la naissance du champ, du contrechamp, du hors-champ. Ce qu’on voit, et ce qu’on ne va plus voir mais dont on se souvient… Le spectateur voit tout, et ce qu’il ne voit plus, il peut l’imaginer. Il y avait avant cela, ce qu’on disait et ce qu’on ne disait pas ; désormais, le montage permet de jouer le même « cinéma » des apparences, avec ce qu’on montre et ce qu’on ne montre pas. La caméra est une souris, une mouche, un ange, qui se faufile partout. Avec le plan subjectif, paradoxalement, c’est l’omniscience qu’on invente. Comme en littérature, la capacité de passer comme un dieu d’un point de vue à un autre. Viendra donc plus tard la notion de valeur de plans : général, moyen, américain, rapproché, gros plan.
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