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Le FN on y aura droit, et c’est pas plus mal. Oui, oui, vous me lisez bien. Parce qu’après des décennies de diabolisation façon « attention, les méchants vont arriver au pouvoir » sans que ça arrive, ben les gens en ont marre d’être pris pour les cons dans Pierre et le Loup, et ils y vont franchement. Ici, peu probable que la Marine décroche la timbale, mais Macron selon toute vraisemblance va mettre un peu de proportionnelle à l’assemblée (son pote centriste le réclame et il était temps). Parce que si le petit peuple vote pour le FN, ça n’a jamais été pour leurs idées (ou peu) mais parce que ceux-là, en ont marre d’être trimbalés par des politiques successives qui les ignorent, c’est le même réflexe que ceux qui disent vouloir voter blanc aujourd’hui ou s’abstenir avec la seule différence qu’ils ont un peu plus de conscience et peut-être d’éducation. C’est le même dégoût qui pousse à voter blanc que FN. Or, si par la proportionnelle, comme c’est déjà un peu le cas avec certaines villes, le FN s’installe à l’hémicycle, plus personne ne pourra dire qu’ils n’ont jamais été au pouvoir, qu’ils sont ostracisés et surtout qu’ils feraient peut-être mieux. Et merde, que ceux qui votent extrême droite assument maintenant et sachent qu’un vote pour, c’est possibilité d’une petite place au pouvoir, autrement dit à l’Assemblée, mais aussi une place “banalisée” dans les médias. Si une personne sur quatre vote FN dans ce pays, que ceux-là apprennent que ça doit avoir des conséquences et que voter pour le FN, c’est aussi voter pour un programme, des idées, et non plus contre un système. Le petit jeu mittérandien qui consiste à lever le chiffon rouge du FN pour en recueillir les fruits et s’asseoir au pouvoir, tout le monde l’a bien compris, et tout le monde en ras-le-bol de devoir voter pour « faire barrage », ou de devoir se rabaisser à « appeler à voter front républicain » (parce que ça, ça sonne un peu comme « continuez de voter pour ceux qui ont la main sur le pouvoir depuis toujours »). D’une génération 80-90 à celle d’aujourd’hui, c’est bien ce qui a changé. Le manège de l’instrumentalisation du Loup, ça va une ou deux décennies, mais à la troisième, on préfère encore faire entrer le loup pour que Pierre arrête de nous casser les burnes. Et le loup, on lui fait la fête, et on n’en parle plus.

À une époque, le FN était passé à moins de 5 %, de mémoire, et devait faire face à l’explosion du parti mais aussi à des problèmes financiers. On disait, on espérait, que c’en était fini. Puis ne voilà-t-il pas que les démagogues du front “républicain”, ceux-là qui crient au Loup, pour faire oublier le reste, reprennent les vieilles rengaines du FN pour profiter des mêmes peurs irrationnelles. Sarko ne comprenait pas qu’en évoquant à nouveau le spectre du loup, ce n’était pas seulement la peur qu’il allait ramener, mais son premier et légitime représentant, le Loup lui-même. Faire campagne sur la haine, la peur, la pseudo-sécurité, c’est faire campagne pour le FN, parce qu’on « préfère toujours l’original à la copie ». Et on y est encore parce que droite comme gauche ont instrumentalisé les questions d’immigration : la droite pour faire comme le copain du fond de la classe, absent, et à qui on pouvait prendre la place, et la gauche pour faire du vent comme Hollande le bien nommé avait toujours su y faire. Parce que si pour certains, des petites guerres, c’est bien utile pour faire oublier des problèmes domestiques bien réels, bah par chez nous, on a nos faits divers provinciaux, nos petits feuilletons de scandales financiers qu’on peut faire tourner sur vingt ans parce qu’un seul juge d’instruction a déjà trois autres scénarios de feuilletons du même calibre sur son bureau, et toujours, nos saloperies d’immigrés qu’on nomme désormais migrants ou dans le meilleur des cas, demandeurs d’asile, tout ça c’est bien utile aussi pour ne pas parler du reste et maintenir artificiellement la pression sur des sujets qui, à l’échelle de la nation, n’en sont pas (les faits divers sont des faits divers, les scandales judiciaires impliquent au mieux quelques personnalités certainement pas l’avenir de la nation, quant aux migrants ils n’ont jamais atteint des niveaux tels qu’en pratique il aurait été difficile de les accueillir).

Alors voilà, que Macron passe, avec ou sans les votes des gauchistes (les vrais), avec ou sans les votes de droite (Hollande a déjà dit qu’il voterait Macron mais c’est vrai que Hollande, ce n’est pas la France), et que d’une manière ou d’une autre, avec un peu de proportionnelle, que cette fois, quand on vote FN, c’est bien pour qu’ils mettent en place leur politique. Pas parce que les autres nous emmerdent. Ceux-là vont devoir apprendre à bouffer à la table du loup, lui serrer la pince, le respecter et pas le diaboliser (oui, oui), parce que la « menace FN », ça suffit. Un vote républicain, ce n’est peut-être pas voter blanc, mais ce n’est pas non plus un blanc-seing qu’on file à des professionnels de la politique. Peu importe la stratégie dans l’urne, ce qui compte c’est bien ce qui sera fait ensuite, et la proportionnelle, ça doit être fait. Parce que s’il y a une bonne proportion de connards en France, c’est démocratique qu’ils soient représentatifs à l’Assemblée, qu’ils soient sous le feu des projecteurs, à l’intérieur de la ville, et non à l’extérieur où on pourra sans cesse crier au Loup pour se marrer d’avoir fait peur à tout le monde sans conséquences. Les conséquences il va falloir les assumer.

Et puis, si les connards de tous bords (les fascistes comme les fascistes improvisés qui crient au loup pour garder les rênes du pouvoir) sont tout aussi incapables de se faire un peu moins cons à travers la proportionnelle, eh bien les autres, ceux qui votent pour eux, réclameront cette fois un FN avec tous les pouvoirs. Si ça n’arrive pas là, et si ces messieurs-dames dans cinq ou dix ans n’ont toujours pas compris, ben ça arrivera, même avec la proportionnelle. Du temps de Mitterrand, on disait que la France avait toujours dix ans de retard sur les États-Unis, faudra voir si ça vaut encore. Avec un peu de merde dans le vin parlementaire, le haut fonctionnaire, ou le politique professionnel ira peut-être aller chercher ses revenus ailleurs, et peut-être qu’il laissera à des vrais de la « société civile » se charger de nettoyer la fosse. Et peut-être qu’après ça on aura du vrai vin et non plus cette vinasse frelatée que certains osent appeler “politique”. Peut-être aussi que le journaleux qui ne se rêve qu’en éditorialiste sera forcé alors de poser des questions de fond intelligentes et non plus s’interroger sur la très intéressante politique politicienne qui met au centre de toutes les préoccupations la quête du pouvoir, les luttes d’ego et non les oppositions d’idées. Peut-être que. Peut-être. Vote pieux.

Et peut-être alors que j’irai voter. Parce que moi voyez-vous, j’ai jamais voté. Je trouve ça irresponsable. Je ne vote pas pour des représentants, je ne votais déjà pas pour des délégués de classe, alors… La gauche, la droite, les programmes, je m’en tape…, si ce qui est déjà décidé, voté, n’est jamais appliqué. Tu fuis d’un pays en guerre, tu te fais dépouiller par des passeurs parce que les pays qui doivent t’accueillir ferment leurs frontières, tu as la chance de pas crever en route, tu arrives sur les rotules pour faire valoir des droits, et là on te dit « t’existes raclure, t’as aucun droit, nous, on est les puissants, on décide d’accords internationaux, mais on regarde ensuite au cas par cas, et personne ne nous dira que ce n’est pas bien parce que c’est nous les puissants ». C’est déjà du fascisme dilué. S’il faut augmenter la dose pour qu’on sente bien que ça a la même couleur, la même odeur, pour comprendre que c’est la même chose, eh bien il faudra passer par là. Parce que les loups sont déjà là, et à eux aussi, il faut leur faire la peau.

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