Féminisation de la langue, terrorisme linguistique et usage

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D’abord, arrêtons de confondre le sexe et le genre grammatical des mots. Les genres féminin, masculin ou neutre en français n’ont rien à voir avec les sexes. Ce qui détermine le genre d’un substantif, c’est comme pour beaucoup de choses en français, l’usage. « Une table » est de genre féminin, mais elle n’a évidemment pas de sexe, et l’usage qui détermine qu’un substantif soit féminin ou masculin n’est ni déterminé par le droit ni par la logique. L’usage seul commande. Personne n’a déterminé et imposé aux autres qu’une table devait être de genre féminin. C’est ainsi que quand on évoque « une belle enflure », ça désigne plus probablement un homme alors même que le substantif pour le désigner est féminin ; même chose avec « un cordon bleu » qui pourra s’appliqua à une femme.

Quand on a compris que le genre des substantifs n’avait rien à voir avec les sexes, il devient inutile de chercher à féminiser des termes dont l’usage a fait qu’ils étaient de tel ou tel genre. Doit-on féminiser le substantif « utérus » sous prétexte qu’il n’est pas la propriété de ces messieurs ? Donc un homme « sage-femme », ça ne devrait poser aucun problème. La langue ne discrimine pas, c’est l’usage pratique cette fois des métiers qui discrimine. Ce n’est pas la langue qu’il faut féminiser, mais la société. Et si de nouveaux usages se mettent en place, ce n’est encore une fois à aucune autorité supérieure ou lobby de décider ce qui est bon pour la langue et pour tous (parce que nous sommes tous propriétaires de notre langue) : ce sera, à l’usage, des pratiques, des habitudes nouvelles prises qui s’imposeront ou non par rapport à d’autres. L’usage, c’est l’affaire de tous, à l’image d’un consensus dans le domaine scientifique ou en histoire. Les idéologies sont les pires parasites trouvés sur le chemin d’une langue quand il est question d’en changer l’usage. Au même titre que des règles d’orthographe nouvelles, décidées il y a vingt ans, et qui ne sont toujours pas appliquées dans l’usage, rien ni personne n’a le pouvoir de dicter aux autres ce qui est notre bien commun, la langue. Ça vaut à la fois pour les Académiciens dont on prête ces jours-ci un peu trop de pouvoir de décision, comme pour les féministes extrémistes qui trouvent dans la féminisation de la langue une nouvelle croisade à mener contre les hommes.

Quand on m’explique que la langue a besoin d’être à nouveau féminisée parce qu’elle a été il y a quatre siècles masculinisée, c’est donner d’une part un peu trop de crédit à une institution comme l’Académie française qui, hier comme aujourd’hui, n’a pas autorité pour changer à ce point l’usage de la langue (hier sans doute plus qu’aujourd’hui, mais je doute que des décisions prises il y a quatre siècles par des Académiciens aient pu être suivies à ce point dans la population au point de modifier la langue, les usages en cours, pour les figer sous une autre forme — jolie théorie du complot, forcément celui de ce bon vieux patriarcat) ; d’autre part, la langue ne fonctionne pas selon un principe de droit ou de justice. Si une telle décision avait été prise il y a quatre siècles, et si l’usage a changé, pourquoi devrions-nous penser que l’usage doive revenir à ce qui se faisait avant ? Parce que « c’était mieux avant » ?

Il est assez consternant de voir que cette question de la langue, nécessaire pour certains corps de métier qui se féminisent (mais c’est l’usage formel d’une société qui pousse à un usage pratique de la langue) sert d’étendard à ces extrémistes de tout poil. Celles-ci voudraient imposer l’écriture inclusive à tous et voudraient justifier leur totalitarisme (pas seulement linguistique) en prétendant que la langue, et ceux censés l’établir (sic) se sont au cours de l’histoire servis de la langue pour opprimer les femmes. L’hypocrisie, le politiquement correct et la peur de ces casseuses de couilles pourraient, ironiquement (ou tragiquement) avoir raison des plus sensés, et ainsi, on pourrait voir des usages se répandre par peur de passer pour un ignoble macho. Cela passera au moins pour un certain nombre de termes féminisés, mais je doute que cela aille un jour jusqu’à l’adoption d’une écriture inclusive (autrement ce serait une victoire bien triste du totalitaristiquement correct). L’exemple d’« auteur » pour une femme (alors même qu’une fonction, par un substantif, n’avait donc pas besoin d’être « féminisée ») sera intéressant à suivre. Parce que les plus totalitaires voudraient réparer la prétendue injustice faite il y a des siècles au terme « autrice », quand il est plus vraisemblable que celui d’« auteure » suffise à l’avenir. L’usage ira probablement au plus simple, et il y a au moins une chose contre laquelle les totalitaristes de la langue ne pourront pas lutter, c’est que si certains usages deviennent des marques idéologiques, cela compromettra de fait leur passage dans l’ensemble de la population.

En attendant, au lieu de chercher à définir ce que devrait être un bon français (au lieu du bon usage), on devrait se féliciter que de telles polémiques permettent aussi de voir de nouvelles propositions de langue et des usages alternatifs peu à peu cohabiter avec d’autres. Parler de la langue, c’est lui donner vie. S’il y a quatre siècles des Académiciens ont voulu masculiniser la langue, c’est peut-être aussi que c’était le signe d’une époque, pas forcément ou seulement plus par sexisme, mais aussi durant laquelle le français était moins inscrit dans le marbre. Une chance alors, parce qu’à perdre certains usages, et pas seulement au niveau des ouvertures féminisantes de la langue, figer une langue, même si on peut en comprendre l’intérêt jusqu’à une certaine mesure, c’est aussi un peu lui nuire. Tant qu’on ne touche pas trop à la grammaire, qui elle doit rester figée, l’usage de ce qu’on fait de notre vocabulaire ne s’en portera que mieux si on en accepte de multiples variantes. Des usages mous, et des usages forts. Mais des usages toujours. Et cela, que ce soit de pauvres petits Académiciens qui ne font plus autorité depuis longtemps (si tant est qu’ils l’aient jamais fait un jour), ou des féminazis (les néologismes sont aussi toujours les bienvenus, surtout quand ils sont formés de mots-valises amusants), ils n’y changeront rien.


 

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Spoutnik, Laïka, Gagarine, Apollon 11, AGC, Mars

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Science, technologie, espace, climat

Qu’est-ce qui sera plus important dans quelques siècles ?

  • le 1ᵉʳ objet artificiel envoyé dans l’espace (Spoutnik 1)
  • le 1ᵉʳ micro-organisme dans l’espace (ceux présents dans Spoutnik)
  • le 1ᵉʳ être vivant dans l’espace (la chienne Laïka)
  • le 1ᵉʳ homme dans l’espace (Youri Gagarine)
  • le 1ᵉʳ homme sur la Lune (Neil Armstrong)
  • le 1ᵉʳ ordinateur dans l’espace (l’Apollo Guidance Computer)
  • le 1ᵉʳ homme sur Mars
  • le 1ᵉʳ bébé né dans l’espace ou sur un autre monde
  • le 1ᵉʳ vaisseau quittant le système solaire et premier (voire seul) témoin de l’existence d’une présence de vie intelligente dans un système qui disparaîtra dans quelques milliards d’années et nous avec (Voyager 1)

L’histoire n’est pas une science, on est toujours esclave d’un certain point de vue. Aujourd’hui encore, et puisqu’on fête cette année les cinquante ans des premiers pas d’Armstrong sur la Lune, notre vision de l’histoire est toujours aussi liée à l’influence américaine.

Pourtant, l’exploit de l’homme sur la Lune, il est peut-être plus d’avoir échappé à une myriade de risques et d’écueils technologiques sur toute une décennie (deux, si on compte l’ensemble du programme). Des ratés, surtout au début de la NASA, il y en a eu, et il y en aura après (accidents de navettes notamment), mais la conquête de la Lune à travers le programme Apollo est un petit miracle, c’est vrai, qui a lui seul pourrait encore faire figurer cet exploit longtemps dans la représentation qu’on se fait de l’histoire.

Mais cette représentation se fait aussi toujours à travers le prisme du contexte historique imprévisible et forcément changeant. Demain, rien ne dit que la NASA continuera d’être l’agence dominante en matière de conquête spatiale (la Chine ou l’Inde pourraient prendre la relève). Rien ne dit non plus si bientôt ce ne seront pas des entreprises privées qui réaliseront ces prochains exploit(-ation)s. Imaginons que les Chinois et Elon Musk non seulement envoient les premiers hommes sur une autre planète (en bons communicants, les Américains parlaient avec la Lune de « premiers pas de l’homme sur un autre monde »), mais y développent des colonies ou des stations pérennes, est-ce que les premiers pas sur la Lune ne prendraient-ils pas un autre sens et y perdraient en intérêt ? Et ne serions-nous alors pas obligés de reconsidérer la place des exploits antérieurs des Soviétiques avec Spoutnik et Gagarine ?

Et qu’en sera-t-il dans quelques siècles ? Si les hommes étaient amenés à disparaître mais que les chiens, grâce à leur esprit de meute ou autre chose, parvenaient eux à survivre à la disparition de leurs anciens maîtres, est-ce qu’ils ne réhabiliteraient pas la place du premier être vivant dans l’espace, une chienne, comme eux ?

Si on regarde encore plus loin, si on oublie les chiens, et si on doute des capacités des hommes à survivre à leur inclination à l’autodestruction (et compte tenu du fait qu’ils se perfectionnent toujours plus dans ce domaine), que restera-t-il finalement de ces conquêtes ? Une panspermie d’origine humaine à travers tout le système solaire dont il aurait été le principal vecteur mais bientôt plus le principal bénéficiaire. On aurait un peu fait tout le travail pour des micro-organismes. Retour à la case départ, avec dans le nouveau logiciel d’évolution, une théorie du ruissellement appliquée à la biologie. Beaucoup d’appelés, peu d’élus, mais les mêmes chances pour tous ou presque. Pour ces micro-organismes résistants à ces nouvelles conditions de vie, et même si on peut douter un jour qu’ils se découvrent un quelconque intérêt pour l’histoire, eh bien l’événement majeur de leur histoire, leur « petit blop pour le protozoaire, un grand splash pour la vie », ce serait les premiers microbes, envoyés et sacrifiés, voyageurs malgré eux du premier satellite artificiel de l’histoire, Spoutnik 1.

Dernière hypothèse, qui aurait presque mes faveurs… L’intelligence artificielle, les robots intelligents, les automates, les ordinateurs couplés à des systèmes d’évolution matériels…, appelons ça comme on veut, mais on est, nous, en train de donner « vie » à ces entités nouvelles qui seront un jour sans doute plus que nous à même de s’adapter à toutes sortes d’environnements hostiles dans le système et ailleurs. La vie, c’est au fond un système élaboré archaïque dont l’évolution hors de son environnement cumule deux handicaps : la rareté et la lenteur. Il faut une infinie d’éventualité, de tentatives aléatoires, pour qu’un organisme finisse par s’adapter à un nouvel environnement. Il a fallu plusieurs milliards d’années pour voir les premiers organismes complexes dans nos océans, et il faut plusieurs millions d’années pour voir des mutations dans des espèces capables, dans des environnements différents, susceptibles de faire « naître » de nouvelles espèces. C’est long, c’est laborieux, c’est peu réactif, et c’est idiot (ça ne répond à aucune logique). Alors qu’une entité intelligente robotisée et autonome pourrait être capable de modifier ses propres propriétés matérielles et logicielles pour s’adapter, coloniser et pérenniser le rêve d’éternité dont ils auraient hérité de ceux qui sont en train de les créer aujourd’hui. Trop fragiles, difficilement inadaptables, soucieux souvent de bien autre chose que de son expansion, les hommes deviendront peut-être alors obsolètes dans un monde de machines… On en voit déjà des prémices : on commence à avoir l’idée d’appareils autonomes capables de résoudre le problème des débris spatiaux ou de sonder divers corps célestes en vue d’en exploiter les ressources de manière autonome sans intervention humaine. Et dans cette optique un peu glaçante, le premier ordinateur dans l’espace deviendrait alors l’événement majeur de ce début de conquête spatiale…

Bientôt la gloire pour l’Apollo Guidance Computer, peut-être.

La crise ne paie pas

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Violences de la société

Au cours de l’histoire moderne, les progrès techniques, scientifiques, commerciaux ou environnementaux se sont faits au profit d’abord des élites bourgeoises, et si une classe moyenne riche a pu apparaître, c’est parce qu’à la fois le fruit de leur travail mais aussi leur consommation en masse, profitaient à ses mêmes intéressés, les élites. Ce système gagnant-gagnant a permis aux démocraties de connaître leur âge d’or et une sorte de concorde est apparue entre ces différentes classes. À une période où le monde doit faire face à des changements environnementaux affectant leur développement et remettant en cause leur logique basée sur une surproduction et une surconsommation, toute la question est de savoir comment les élites bourgeoises qui tiennent le pouvoir de ces démocraties vont arriver à continuer à évoluer si c’est désormais au détriment des classes moyennes et de l’environnement.

Tout porte à croire que les bouleversements climatiques pèseront de plus en plus dans le prix que chacun devra payer pour maintenir son niveau de vie. Sauf progrès technique majeur, le niveau de vie moyen des pays historiques de la révolution industrielle devrait baisser. Et cela ne peut être acceptable pour les classes moyennes que si pour la première fois depuis le début de l’ère moderne ces élites bourgeoises acceptaient de prendre leur part dans ce déclin. C’est le prix de la concorde entre les classes.

En 2008, la crise financière a prouvé que quand les élites fautaient, elles continuaient d’en faire payer le prix par les classes inférieures. Depuis, rien n’a changé. Les dettes des États continuent de peser lourd sur les citoyens des classes moyennes et inférieures, tandis qu’ironiquement, les élites continuent de ne pas voir la crise et de s’enrichir toujours plus. Toutes les crises démocratiques découlent de cette logique inégalitaire qui a fait qu’après les trente glorieuses ces « premiers de cordée » ont refusé de prendre leur part à la crise.

Aujourd’hui, avec la crise des gilets jaunes, c’est un autre exemple de ces déséquilibres qui s’expriment. La crise n’est plus financière, mais de confiance vis-à-vis de cette classe dominante qui à leurs yeux profite de la crise environnementale en devenir pour faire payer aux classes moyennes et inférieures le prix d’un ralentissement voire d’un déclin productif nécessaire pour atténuer les effets d’un changement climatique à moyen et long terme.

De la même manière que la crise financière de 2008 aurait dû être payée par ces élites bourgeoises pour en avoir été les seuls responsables, ce sont à elles de payer la plus grosse part d’un aménagement productif, industriel et inter-commercial, sans quoi aucune paix entre les classes ne pourrait être désormais possible.

Décroissance, aménagements industriels, et accompagnements sociaux : face à une crise environnementale, ce sont les seules solutions à long terme pour préserver ce qui peut l’être d’un mode de vie qui, quoi qu’il arrive maintenant, et dans sa forme actuelle, est voué à disparaître.

Si c’est à eux de montrer l’exemple, c’est que s’ils le font, en tant que premiers de cordée pour gravir une montagne, ils ne peuvent être les premiers à s’en sortir quand la montagne s’effondre sous leurs pas. C’est une question de dignité, et de fraternité. Jusqu’alors, la fraternité n’avait un sens pour ces élites qu’à l’intérieur même de leur classe, de leur « monde ». La révolution française avait porté la bourgeoisie au pouvoir, il serait temps qu’elle apprenne à son tour le sens de la « fraternité », s’ils ne veulent pas être délogés de leur piédestal comme leurs prédécesseurs de haute classe.

Faire payer les élites, qu’est-ce que ça signifie ? Que chaque fois que de l’argent public doit être trouvé, ce sont ceux avec des revenus et un patrimoine important qui en proportion paient les premiers. La notion de premiers de cordée, c’est ça. Ceux qui profitent de la concorde, de la paix sociale, sont ceux qui devraient en être les premiers garants. Une évidence, sauf pour eux.


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Violences de la société



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La marche des cons vaincus

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Violences de la société

Sérieusement, mesdames, vous voulez… marcher pour faire entendre votre voix contre les violences sexuelles et sexistes dont vous êtes victimes ? Encore un coup d’épée dans l’eau du féminisme de prétention et de réseaux sociaux. Quelle époque… Entre le féminisme de façade qui s’affiche sur Twitter et le féminisme extrémiste, prendriez-vous le temps de la réflexion pour adopter un féminisme qui avance, et qui refuse enfin les techniques de postures qui ne sont pas à la hauteur de ce contre quoi vous prétendez lutter ? Le but, c’est une nouvelle fois de dénoncer une situation pour la simple satisfaction cathartique de la dénoncer ou c’est d’adopter des comportements capables de faire changer les mentalités et les comportements ?

Il y aurait une déferlante féministe dans la rue, ça changerait quoi ? Vous auriez enfoncé des portes ouvertes. Toutes les victimes, toutes les femmes abusées, victimes, rabaissées, freinées, humiliées, toutes sont d’accord pour dénoncer les mêmes situations et comportements. Les hommes de leur côté, quand ils ne sont pas agresseurs, profiteurs, offenseurs, approuveront avec la même hypocrisie, ou au mieux, useront comme vous de pensée magique pour prier les cieux que « cela change ». Parce que c’est curieux, tout le monde semble être d’accord, et pourtant rien change. L’unanimité en trompe-l’œil, on connaît ça depuis la France black blanc beur.

Il est où le problème ? Puisque le problème persiste depuis la déferlante « vue sur les réseaux sociaux » met/balancetonporc, pas vrai ? Rien n’a changé ou je me trompe ? Alors quoi, c’est la faute de l’alliance nationale du patriarcat en danger ?… Manque de chance, le lobby des mâles contre les femelles n’existe pas. Ce serait trop simple. Et c’est peut-être bien beaucoup aussi parce qu’on ne fait pas changer des usages avec des belles paroles approuvées par tous (ou même applaudies à coups de likes ou de retweetes).

Sérieusement, un type qui met la main aux fesses à une stagiaire, il va arrêter de profiter de la situation parce qu’une armée de bonnes femmes pleines de bonnes volontés ont battu le pavé ? Il n’en a strictement rien à battre. Pire, ça le confortera dans l’idée qu’il est puissant, et qu’une stagiaire, ça adopte un comportement de réserve ou ça démissionne. Preuve en est, pour lui : pour se défendre les victimes ont besoin de se réunir et d’en appeler à l’autorité supérieure de l’État, de l’opinion… Quelle merveilleuse preuve de sa puissance !… Quel adoubement !… Eh, oui, parce que la seule raison pour laquelle il profite de la situation, c’est qu’il sait, ou pense encore, qu’une main au cul, ça ne lui vaudra aucune poursuite. Il sait, par habitude peut-être, que la majorité des femmes, au pire, vont se renfrogner, se fendre d’un petit commentaire plaintif et outragé qui ne fera encore que conforter son impression de toute puissance, et puis plus rien.

Bref, ce n’est pas une marche, c’est une moisson qui n’aura qu’une efficacité : nourrir l’orgueil des agresseurs.

Donc, le but est-il de prêcher les convaincus, faire de la psychologie de groupe pour panser ses blessures et déverser sa frustration en imaginant qu’il suffit d’être unis pour faire changer les comportements ? Sérieusement, mesdames, si vous pensez qu’une telle manœuvre profite à la cause que vous défendez, vous allez au-devant d’une jolie déception. Cela ne fera qu’augmenter frustration, incompréhension, et pire que tout encore, cela nourrira encore la certitude de ces hommes qu’ils peuvent jouir d’une impunité totale et que tout leur est permis.

Comment être efficaces ?

Il y a quelques semaines, c’était la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire. À cette occasion, une responsable d’association expliquait que se plaindre auprès des parents ou de l’administration n’était pas la meilleure solution (et jusqu’à un certain niveau de harcèlement subi) si c’était ces mêmes personnes qui venaient ensuite faire la leçon à l’agresseur. Car l’agresseur se trouvait toujours conforté dans son idée qu’il avait des raisons de s’en prendre à sa victime : sa demande d’aide de tiers était la preuve de sa vulnérabilité. Vulnérabilité que les agresseurs tentent toujours de mettre en évidence pour exercer leur supériorité sur des personnes qu’ils suspectent d’être plus faibles. Cette responsable d’association expliquait alors que son rôle à elle était d’aider les victimes à répondre elles-mêmes de manière adéquate à leurs agresseurs. Aller voir ces derniers quand on est adulte serait alors non seulement la solution de facilité parce que la plus naturelle, et parce qu’on voudrait croire que l’enfant agresseur se conformera à la volonté du « plus grand », mais était surtout la solution la plus efficace : l’enfant écoutera sans broncher sa leçon, mais l’idée que la personne qu’il harcèle est plus faible que lui n’aura pas changé, elle sera même confortée dans son idée, et le harcèlement pourra reprendre parce qu’elle repose toujours sur une idée de soumission du plus faible au plus fort. Or c’est précisément ce rapport de soumission qu’il faut contester.

Comparaison n’est pas raison. Mais une grosse part du harcèlement que subissent les femmes, quand elles ne sont pas encore suivies d’agressions physiques, sexuelles, procède de la même logique. « Je suis fort. Je te mets à l’épreuve. Tu me prouves ton infériorité et ta vulnérabilité par ton absence de réponse. Je profite de cette faiblesse. »

Se réunir toutes un samedi pour une grande messe pédestre ne changera rien. Apprendre à répondre aux harceleurs, si.

C’est aux harcelées de changer de comportement. Et la difficulté, elle est de leur donner les clés pour apprendre à se défendre, à répondre, à ne pas se laisser faire. La solidarité, elle n’est pas de se réunir toutes ensemble pour dénoncer des agissements personnels, et malheureusement naturels ; la solidarité, elle est d’aider les femmes les plus exposées, les plus fragiles, celles qui ne savent pas répondre ou reconnaître des situations à risque, pour qu’elles adoptent des comportements qui à la longue indisposeront les agresseurs et leur passera l’envie de voir la relation à l’autre uniquement sur un rapport dominant/dominé.

Alors certes, à partir d’un certain niveau d’agression, il n’est plus question de trouver une réponse seule face à son agresseur. Mais on aurait tort de négliger l’importance de ces petites agressions : c’est d’abord parce que les agresseurs se trouvent confortés dans leurs tentatives de réduire l’autre à l’idée d’un simple objet qu’ils franchissent la ligne rouge suivante avec la conviction qu’ils pourraient jouir de la même impunité.

Sinon, bonne chance avec les convaincus, les hypocrites et la pensée magique.

Et si le constat est identique entre les questions liées au harcèlement et aux dérives sexistes, c’est qu’elles procèdent d’un même processus. Il n’y a rien de spécifique dans les inégalités entre hommes et femmes, ces inégalités sont communes à tous les rapports de domination. S’attaquer aux violences masculines ou aux inégalités de genre ne fait que condamner et chercher à traiter les conséquences du problème quand tout découle des rapports de domination. S’il faut éduquer et changer les usages, c’est sur cette question qu’il faut le faire. Il n’y a pas de lutte sur les inégalités qui est plus légitime qu’une autre, et aucune essentialisation des individus en fonction de leur appartenance à tel ou tel groupe ne réglera les problèmes. Apprendre au contraire que toutes les inégalités systémiques découlent des rapports de domination entre sexes, entre groupes, entre ethnies, entre classes sociales, entre générations, oui. Qu’importent les marqueurs identitaires revendiqués, perçus ou accolés aux individus, il y a toujours un individu, qui à travers son groupe, se perçoit supérieur à un autre qui lui autorise alors de rentrer dans une logique de domination à l’autre. C’est cette logique qu’il faut combattre. Toutes les sociétés ont créé des usages pour codifier les rapports sociaux. Certaines ont imaginé des méthodes pour aller dans le sens de cette domination ou au contraire pour les limiter. Il est possible de créer une société dont les usages condamnent les rapports de domination. À la révolution française, on s’appelait « citoyen » ; les communistes s’appellent « camarades ». Ce sont des usages horizontaux. Il faut arriver à trouver d’autres usages illustrant cette volonté de nous remettre tous à niveau.

La fascisation correcte

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Politique(s) & médias

La fascisation correcte

Juger un homme en fonction de sa nature supposée au lieu de le juger en fonction de ses actes indépendamment les uns des autres, c’est comme juger qu’un Noir ou un Juif sont par nature différents des autres hommes. La pensée binaire fascisante, c’est la même qui a fait des millions de victimes au XXᵉ siècle à travers les dictatures fascistes que celle qui aujourd’hui invente pour un maréchal un droit de mémoire d’exception. Quand le politiquement correct flirte avec la « fascisation correcte ». Pensez binaire, messieurs dames.

Pour une fois que le Président Tréma dit quelque chose de juste et de nuancé, les terroristes de la fascisation correcte lui tombent sur le dos.

Le plus beau sophisme de cette pensée crapuleuse : « La gloire d’un homme ne couvre pas ses crimes. »

C’est de ses crimes dont il est question lors des commémorations de la Grande Guerre ?

Mêmes pitreries nuisibles que ce soit pour Céline ou pour Polanski.

 

L’art de la chute

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Éducation

pensée à la con #34432

Quand un enfant trébuche, est-ce qu’il pleure parce qu’il a mal ou parce qu’il a honte ? À quel âge a-t-on suffisamment de recul pour comprendre que s’il y a un « mal », c’est celui que l’on place dans le regard de l’autre et que ce regard, c’est à nous de l’apprivoiser ? Celui qui se prend les pieds dans le tapis et ne blesse que son amour-propre doit apprendre à en ressortir grandi et sans honte si toutefois il sait trouver immédiatement en lui le recul nécessaire pour ne pas s’assujettir au regard de l’autre.

Quel peut être ce détachement sinon l’humour ?

L’humour n’est-il pas le signe le plus élémentaire d’intelligence ? On rit de celui qui tombe et qui prend sa mauvaise fortune comme un drame. Mais celui qui se relève aussitôt, arrive à en plaisanter avec le plus parfait détachement, et non pas « à faire comme si de rien était » mais à repartir réellement en passant à autre chose, celui-là, on le respecte pour sa capacité à se détacher de lui-même, à ne pas s’apitoyer, à ne pas fléchir au moindre écueil. Un enfant qui comprend ça est déjà grand. Et certains grands demeureront toujours petits.

Mais l’art de la chute, ou du détachement de soi, parce que oui c’est un art, comme tous les arts, il s’apprend. C’est en l’exerçant qu’il se perfectionne.

Il faudrait apprendre à trébucher dans des écoles où ceux qui rient ne sont pas ceux qui regardent mais celui qui chute. Chacun devrait alors juger l’autre en sa capacité à se détacher de lui-même. À rire d’une chute, ou à en rester indifférent. Princes de toutes autorités devraient ainsi s’y plier. Parce que la seule autorité véritable est celle du cœur (violons).

La honte, c’est une peur du regard de l’autre, une peur qui bouillonne en nous et qui attend son heure avant de jaillir à la moindre catastrophe (parfois même à la moindre occasion). Elle nous fragilise un peu plus si on est tenté de la contenir au lieu de la laisser s’échapper : mettre à l’épreuve cette honte, l’apprivoiser, la démystifier, c’est apprendre à regarder au-delà de soi, à tendre vers l’humilité des petites âmes qui ne prennent rien trop au sérieux, c’est l’interdire de grandir en nous avant qu’elle ne devienne un monstre incontrôlable auquel on serait devenu captif.

Il y a de la noblesse dans la chute. Seulement quand offerte au regard d’autrui, elle est suivie d’un rebond. Il n’y a pas un homme qui ressemble moins à un autre homme que quand il trébuche. Mais aucun homme ne se relève comme un autre. La noblesse est bien dans la capacité des êtres qui exposés au regard de leurs semblables font montre, au mieux d’humour, au pire d’un simple détachement désintéressé.

Apprendre à se détacher de soi n’aide-t-il pas à se rapprocher des autres, se mettre à leur place, les comprendre, les accepter tels qu’ils sont… C’est en cela aussi qu’on respecte ceux qui quand ils tombent ne s’enferment pas en eux mais se rapprochent au contraire de nous.

Alors chutons. Apprenons à nous prendre les pieds dans le tapis, à glisser sur des peaux de banane. Se vautrer est une chance. Celle de prouver à nos contemporains qu’on peut mieux que personne nous relever. Pour les rejoindre. Ceux qui s’y refusent sont des imposteurs. Ils préfèrent jeter des peaux de bananes pour ne pas avoir à s’y laisser prendre, et profiter au contraire du fait que les autres trébuchent à leur place. Ceux-là mériteraient quelques séances de tarte à la crème, avant que ceux qui sont tombés à leur place les invitent à la fête.

Avoir les fesses rougies par les chutes, plutôt que les joues cramoisies par la honte.

Humour, détachement, intelligence. C’est la même chose.

Banana_Peel

Paie ta contribution à la culture de la bêtise

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Politique(s) & médias

Paie ta contribution à la culture de la bêtise, version Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes :

« C’est ce qui contribue à la culture du viol que de minimiser ou de relativiser les viols et les agressions sexuels selon le talent, selon la notoriété, de la personne qui est mise en cause. » « Je me suis aperçu qu’en janvier il y avait un autre cinéaste qui était programmé à la Cinémathèque française qui a été condamné deux fois, donc ça me choque. J’en ai parlé avec la ministre de la Culture, nous pensons que la Cinémathèque française pourrait programmer des cinéastes femmes par exemple, ou des cinéastes femmes et hommes qui n’ont pas été condamnés pour agression sexuelle ou pour viol, il y en a pléthore. Ce serait de notre point de vue plus pertinent. »

Ce qui serait pertinent, ce serait qu’une femme secrétaire d’État évite de parler d’un sujet que manifestement elle ne connaît pas en ignorant complètement et probablement volontairement la programmation à la Cinémathèque. Bel exemple d’un opportunisme crapuleux et démagogique.

Parce que ce qui est choquant, et j’en ai parlé avec mon chat il est d’accord avec moi, c’est de suggérer que la Cinémathèque française ne « mettrait à l’honneur » que des cinéastes (présumés ou non, mais quand on se mêle à la foule pour conspuer le même type, secrétaire d’État ou non, on se pense bien protégé au milieu des autres, et la présomption d’innocence, on s’en balance) agresseurs sexuels. Puisqu’on est dans la dénonciation pure et simple, je rappelle donc que Claire Denis a fait l’objet d’une rétrospective complète en début de saison et que Chantal Akerman aura droit aux mêmes honneurs. Et puisqu’il n’est visiblement pas inutile de le préciser à des secrétaires d’État volontairement inculte et/ou malhonnête, non la Cinémathèque ne programme pas lors du prochain trimestre que Roman Polanski et Jean-Claude Brisseau.

Alors, puisque la culture de la bêtise est un virus qui s’insinue un peu par capillarité, je m’y plonge avec joie et demande : Que peut-on espérer d’une secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes qui cultive ainsi la bêtise et la malhonnêteté intellectuelle ?

Rien, au revoir.


Les semailles de la bêtise opportuniste :

http://www.lci.fr/politique/video-pour-marlene-schiappa-l-hommage-rendu-a-roman-polanski-contribue-a-la-culture-du-viol-cinematheque-francaise-2068944.html

Weinstein et compagnie

Les capitales

Violences de la société

C’est sympa de nous rejouer le coup des “scandales” sexuels presque un siècle après qu’on a accusé Roscoe “Fatty” Arbuckle de viol et de meurtre de Virginia Rappe, et presque une demi-douzaine d’années après les accusations de viol de DSK sur Tristane Banon. Manifestement, la presse, la rumeur, les scandales et les lynchages en règle qui suivent avec le même systématisme, les mêmes procédés puants et contre-productifs ne nous apprennent rien. Alors on recommence.

Quand on est victime d’un délit et a fortiori d’un crime, il y a ce qu’on appelle dans les sociétés civilisées, la Justice. Personne ne veut aller en justice, on le comprend, ce n’est pas drôle, mais si on y renonce, et plus on y renonce, moins il sera facile, voire carrément possible, de prouver qu’on a bien été victime.

La question n’est pas de savoir si Fatty Arbuckle était coupable, si DSK l’était ou aujourd’hui Weinstein, car les circonstances sont différentes, et au moins pour le premier, il est assez vraisemblable, un siècle après, de penser qu’il avait été accusé à tort. En revanche, c’est tout l’emballement qui suit, les “scandales” relayés et alimentés par la presse et la rumeur, les lynchages, les attaques de tous côtés (que ce soit à l’égard de l’accusé en question ou des victimes), qui procèdent de la même logique.

Un crime, ça se juge devant de la Justice. Pas au tribunal populaire. Alors les petits collabos de circonstances qui sont toujours du bon côté de la barrière et dans le sens du vent, les opportunistes, tous ceux qui ont peur de ne pas participer au mouvement de foule et de dénigrement (là encore en s’attaquant à la fois à l’accusé populaire ou la victime), tous ceux-là, c’est en fait eux, toujours les mêmes, nous, qu’il faudrait accuser. Parce qu’ils n’apprennent jamais rien et n’ont jamais qu’un seul désir : profiter, non pas du crime, mais du scandale. Il y a des profiteurs de scandale comme il y a des profiteurs de guerre. On juge (et je le fais ici à mon tour, mais je ne juge pas un cas particulier), on se lave pas mal les mains en fait des victimes qu’on prétend défendre, car encore une fois, quelques mois après, on se foutra pas mal de savoir s’il y a ne serait-ce qu’un procès, vu que tout ce qui importe, ce n’est pas de protéger les victimes, mais de participer au scandale, au mouvement, aux accusations ; sinon on comprendrait, à force d’expérience, puisque ces scandales ne font que se répéter avec les mêmes résultats, à savoir que ça se retourne contre les victimes, et que les crimes et délits qui entourent toutes ces pratiques bien réelles, et dont on ne parle pas au quotidien, elles continuent sans que cela change.

Parce que profondément, est-ce que la mise en lumière de tels scandales, de telles accusations, aide-t-elle à changer les comportements ? Non. Que les faits soient réels ou non, pour une affaire médiatisée, il y en a des millions d’autres qui n’attirent l’attention de personne et qui tiennent de la même logique. En l’occurrence, un bon gros et gras prédateur sexuel capable, par le pouvoir qu’il détient sur sa (ou ses) victime potentielle, par la sympathie et la confiance dont il peut jouir, et grâce à leur environnement commun, d’agir sur elles a sa guise et sans risque de poursuites (immédiates, et au prix parfois de chantages, d’ententes forcées, de menaces, etc.). Il y a donc un siècle, éclatait cette affaire du viol et du meurtre de Virginia Rappe. Les pratiques ont-elles alors changé à Hollywood ? On serait tentés de dire : « la preuve que non puisqu’on y est encore un siècle après ». Mais encore une fois les affaires ne sont pas identiques, ce n’est que le traitement qui en est fait. Mais les affaires de mœurs ont-elles disparu à Hollywood, ou ailleurs ? Pense-t-on vraiment aller dans le bon sens en nous acharnant sur des affaires sur lesquelles on ne sait rien au lieu de nous attaquer à ce qui fait système ? L’impunité, l’intérêt que chacun a de se taire, la difficulté à porter plainte, l’impréparation des commissariats à recevoir les victimes, la justice débordée… La question des violences dans un milieu en particulier, par un type d’agresseurs en particulier, ou même dans une société tout entière, c’est un problème qui ne peut se résoudre à la lumière d’un seul fait divers ou de ses petites sœurs balancées sur la place publique. Un peu à la manière de la lutte contre le terrorisme, la passion, le manque de raison, la nécessité de montrer les muscles, ou simplement d’agir, presse certains à prendre des décisions au mieux inutiles, au pire, contre-productives. La famille et les amis croient un ou une proche quand elle se dit victime d’un abus ou d’un crime. Mais ce n’est pas à la société entière de la croire. Pour ça, il y a la suspension de jugement. Ce n’est pas parce que 99 % des plaintes seraient issues de victimes réelles qu’il faudrait accepter de systématiser un verdict, justement pour les 1 % qu’il reste. La justice ne peut pas créer de nouvelle victime. C’est pour ça que c’est difficile, et c’est pour ça qu’il faut donner les moyens à la justice de travailler.

Il y a un siècle, le scandale de Fatty a bien ruiné sa carrière, au point qu’aujourd’hui rares sont ceux qui pourraient citer son nom ou un de ses films (ou oublie les scandales et les personnes qui y sont mêlées comme des furoncles passent et repassent sur notre peau : ça jaillit, c’est vilain, on tente à peu près tout pour colmater, on empire la chose, on se salit soi-même les doigts, et puis un an après c’est tout oublié), et au final, sur quoi a débouché l’affaire ? Arbuckle sera acquitté et cette affaire sera le point de départ d’une prise de conscience des faiseurs d’Hollywood (leur bonne conscience, leur agence de presse) et on aboutira quelques années après à la mise en place d’un code de conduite, le code Hays (le but n’étant alors pas de préserver les bonnes mœurs américaines mais bien d’éviter de nouveaux scandales). De rien, on en a conclue qu’il fallait non plus se taire, mais ne plus montrer en laissant penser aux milieux conservateurs que ce que l’on ne voit pas n’existe pas.

De la même manière que dans l’élucidation d’un crime on en vient à se demander à qui profite le crime, en la matière de scandale, il serait bon de se demander à qui il profite. Certainement pas aux victimes. Qui le sont bien souvent deux fois.

J’insiste donc. Aucune justice légitime ne peut passer par la presse. L’emballement ne ferait qu’y rappeler ce qu’on y voit parfaitement décrit dans des films comme Fury, La Rumeur ou L’Étrange Incident. Le citoyen ne sort jamais grandi d’accusation sans preuve, et la victime n’aura jamais gain de cause en accusant publiquement (par voie de presse, quand un système se dessine autour d’un même prédateur, oui). Sans preuves suffisantes, elles laissent la possibilité à leur(s) agresseur(s) une nouvelle fois de les attaquer. D’où l’intérêt pour les victimes de pouvoir se manifester à la justice pour qu’elle puisse lancer, elle, des procédures quand des victimes n’ayant parfois aucun rapport entre elles ne pourraient rien faire seules. Faire appel à l’opinion publique, c’est à la fois se trahir soi-même, se fourvoyer sur l’issue d’un jugement qu’on a jusque-là renoncé à porter devant les tribunaux, c’est espérer une compassion, certes légitime, mais qui se révélera vite éphémère et réellement destructrice pour soi quand on verra que ce n’est pas suffisant. Si les victimes ne s’en rendent pas compte au moment de porter, souvent trop tardivement, leurs accusations, c’est encore ce vacarme étourdissant comme un poulet sans tête qui viendra cruellement leur rappeler.

Un crime, ça se dénonce le plus rapidement possible, à la police, et ça se juge devant un tribunal. C’est cet accès qui doit être renforcé. Il faudrait par exemple pouvoir créer une plateforme de signalement et de plainte. Si les scandales ne font intervenir qu’une poignée de protagonistes, il salit surtout ceux qui s’avilissent à juger une affaire dont ils ne savent rien sur la place publique. Donc tout le monde, la société dans son ensemble. Le scandale Weinstein, comme autrefois celui d’Arbuckle ou de DSK en disent moins sur les petites personnes concernées que sur une société capable de s’agiter sur de tels faits divers. Hier, le code Hays avait servi aux réels agresseurs de se cacher derrière la nouvelle image que cherchait à se donner le milieu ; aujourd’hui, nul doute que de mêmes hypocrites se lient aux mouvements « on te croit » pour mieux cacher leurs crimes. Les belles intentions ne font que préserver les agresseurs. Il n’y a pas à « croire », il y a à donner aux victimes et à la justice les moyens, concrètement, à poursuivre les criminels.

(Et pour ceux encore qui prétendaient ne pas savoir et qui dégueulent sur « ceux qui savaient », rappelons que Peter Biskind parlait déjà du comportement suspect du bonhomme dans Sexe, mensonges et Hollywood.)


À lire : le commentaire écrit plus bas en commentaire d’article concernant la rétrospective Polanski à la cinémathèque française.

(Mieux de le mettre ici… :)

(On recommence quelques jours après. Même improductivité, autres méthodes — la manifestation — cette fois concernant la polémique de la rétrospective Polanski à la Cinémathèque. Ayant posté une réponse à la demande de manifestation par je ne sais quelle activiste mal inspirée, je la poste également ici pour mémoire.)

Sinon vous venez et vous vous intéressez à ce que la Cinémathèque programme par ailleurs, ou vous venez juste cracher votre venin stérile et racoleur dans un seul but promotionnel ?

Les intégristes pseudo-féministes étaient déjà venues chialer l’année dernière lors de l’inauguration de la rétrospective Dorothy Arzner pour réclamer la mise en avant de plus de femmes cinéastes avant de ne plus voir personne lors des projections régulières (preuve si c’était encore nécessaire que seule la publicité est recherchée lors de telles manifestations pseudo-féministes). Et là encore, quand Claire Denis a été mise à l’honneur par la même Cinémathèque, en cette saison, personne dans les salles.

Certaines chialeuses sont très fortes pour dire aux autres ce qu’il faudrait faire, beaucoup moins quand il est question de manifester leur soutien à des prétendues victimes (du sexisme, du patriarcat) par la plus simple et la plus démocratique des méthodes : bouger ses fesses et aller les poser dans une salle. Si la Cinémathèque avait certes pu faire une rétrospective en se gardant bien d’inviter le personnage, d’autres seraient également bien avisés de cesser de parler de la culture que d’autres devraient presque s’infliger à leur place. Ces agitateurs sont aussi féministes que les sociaux-démocrates sont de gauche. Ils servent leurs propres intérêts, nourrissent une haine systématique des hommes et se rangent du même côté de l’extrême droite en piétinant les principes du droit au lieu de chercher à le renforcer. Il faut défendre radicalement le droit. S’agiter et jouer les juges à la place des juges, ce n’est pas être radical, c’est être intégriste.

Il est tout joli le royaume de l’indignation dans lequel vous semblez vivre. Cessez de vous indigner ; cessez d’interroger la programmation d’une institution culturelle quand vous avez manifestement aucun intérêt pour elle, et faites avancer le droit des femmes là où elles en ont.

Soyez par ailleurs certaine(s) d’une chose : que si on peut comprendre que toute cette publicité vous soit profitable (vous existez autrement qu’à travers les polémiques ?), elle sert également, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la personne que vous attaquez. La légende d’Hollywood s’est créée dans les années 10 à partir de scandales qui alimentaient la publicité. De ces scandales ne restera pratiquement rien. Un Fatty Arbuckle, par exemple, sera blanchi dans son affaire ; et même si, contrairement à d’autres qui lui ont succédé, il n’a plus recouvré le succès, restent un siècle après, ses films, rien que ses films. Innocemment ou non, vous participez ainsi un peu plus à la légende d’un cinéaste qui n’aurait probablement pas eu toute son attention qu’à travers son supposé génie. Et cela, en entretenant votre publicité en même temps que la sienne.

Vous prétendez défendre les victimes ? Foutaise. Au lieu de soigner la publicité, cessez de vous attaquer vainement à des symboles et à des crimes vieux d’un demi-siècle, à de simples faits divers qui loin de contribuer pour la cause des femmes et des victimes peineraient même à faire croire que les agitations coutumières dont elles sont à l’origine servent les quelques victimes concernées.

Manifestez son indignation, est-ce protéger les victimes ou les futures victimes ? Certainement pas. C’est au contraire maintenir l’idée répandue que les agressions ne proviennent toujours que de criminels parfaitement identifiables laissés en liberté par on ne sait quelle main invisible ; c’est identifier des « loups » ou des « ogres » qui justement parce qu’ils ont la gueule de l’emploi ne doivent jamais cesser d’être craints ; c’est alimenter une peur ne servant jamais la cause des victimes mais au contraire l’intérêt de ceux ou celles qui prétendent toujours les défendre.

Le même biais, totalement inopérant et contre-productif mais donnant la bonne conscience aux agitateurs qui ne recherchent pas autre chose, ce matin, aux nouvelles : les accusations de viol par un migrant. L’exception fait toujours les gros titres, les têtes de gondole, les symboles sont des cibles parfaites pour servir les intérêts de faux défenseurs de la veuve et de l’orphelin. Et c’est oublier, nier, que l’exception, facile à dénoncer, n’est jamais la règle.

Des centaines, des milliers, de victimes, chaque année, qui celles-là restent dans l’ombre et le silence et qui pourtant sont les plus nombreuses, agressées non par des « mythes », des « loups », des « migrants », des Weinstein ou des Roman Polanski, mais par des proches, des connaissances, des collègues, bref, par tout sauf des criminels qui n’ont rien de l’apparence évidente, dangereuse, du mythe que vous contribuez à entretenir à travers votre recherche permanente de publicité, eh bien de toutes ces victimes, on n’en saura pas plus, victimes également d’un crime bien trop commun ; et celles-là, suivies bien plus encore qui arriveront après elles, pourront rester dans leur ignorance, leur naïveté, confortées dans leur idée, rassurées qu’elles seront par vos agitations stériles, que les agresseurs dont elles sont potentiellement victimes ressemblent tous à des # porcs.

Lancez en temps venu une autre pétition à l’attention de Jean-Claude Brisseau (sans concertation, c’est à craindre, avec ses victimes) et vous ne servirez pas plus la cause que vous prétendez défendre. Mais la vôtre. Pire encore, vous assurerez un peu plus la publicité et la postérité d’un cinéaste qui ne mérite peut-être pas autant d’attention et d’honneur.

Les totems de l’idéologie

Les capitales

Violences de la société

Quand des groupes érigent des totems idéologiques supposés répondre à une menace que l’on croit bien définie, on insiste sur le caractère étranger et intrusif de cette menace. Cela a deux conséquences : le totem ainsi érigé devient le symbole vénéré d’une union du « nous » contre une union d’abord mal définie du « eux », mais on aide du même coup, en ostracisant, stigmatisant, des membres de notre propre groupe aux contours d’abord flous, eux, à rejoindre et composer un totem idéologique opposé se nourrissant uniquement du rejet du groupe désormais mieux défini.

Ainsi naissent certains groupes : en s’opposant les uns par rapport aux autres. Ainsi fleurissent les idéologies de la violence.

À l’image des trolls, les idéologies, comme les religions, se nourrissent du rejet qu’elles suscitent. « Qu’importe qu’on parle de moi en mal, pourvu qu’on parle de moi » : même principe. Combattez une idéologie et vous ne faites que l’alimenter.

Mais totem contre totem, ce qui est en jeu, c’est ce qu’on trouve derrière les symboles, contre quel ennemi on combat. Si on pense toujours qu’il y a derrière le terrorisme une question légitime idéologique liée à la supposée radicalisation d’une religion, l’islam, alors on ne pourra qu’échouer à résoudre la question des attaques terroristes et on ne fera que nourrir le monstre et aider à bâtir, à rendre consistant, un peu plus ce totem qu’on prétend vouloir abattre.

Aucune idéologie ne pourrait motiver et légitimer une logique mortifère dans laquelle on tue des innocents. On trouve des motifs derrière les crimes passionnels, derrière les attentats politiques, mais derrière l’idéologie supposée des djihadistes, il y a des hommes rejetés par leur société qui trouvent par opportunisme avec cette idéologie (et leur totem) une manière d’exister et de donner sens à leur vie. La cause n’en est pas une, mais puisqu’elle est désignée ainsi par tous, y compris par ceux qui en sont victimes, elle apparaît alors comme réelle et légitime. Mais ce n’est jamais l’idéologie, prônée le plus souvent cette fois à l’étranger, qui éveille les consciences à leurs idéaux ; c’est au contraire les rejetés de la société qui trouvent là un prétexte à se retourner contre elle. Ces rejetés se retourneront alors plus volontiers contre leur société si en son sein les groupes tendent toujours plus à se lier contre des ennemis de l’intérieur qu’on ne voit pas, qu’on redoute, et qui sont secrètement liés aux idéaux étrangers.

Le terrorisme est moins une question idéologique qu’un problème d’ostracisation sévère des membres de la société dont on se méfie. L’origine des violences est non pas idéologique, mais bien sociétale et psychologique.

Demandons-nous ce qui précède entre l’idéologie (donc l’idée, la pensée, menant à la lutte, à la violence) et la simple idée de tuer, de s’en prendre à ses semblables, ses voisins. Dans la quasi-totalité des cas, si on essaie de comprendre le parcours des terroristes, l’idéologie vient toujours après et semble bien légitimer une violence contenue jusque-là et qui ne se serait certes pas exprimée avec une telle violence si l’idéologie en question, le totem, n’avait pas pris corps. Les frustrations d’une intégration bâclée, les désillusions de jeunes adultes ne trouvant pas leur place dans la société qui les entoure, le rejet ressenti réel ou supposé des autres, c’est tout ça qui mène les individus à rejoindre les totems d’une idéologie que le plus souvent d’ailleurs ils connaissent mal. Les terroristes sont des opportunistes, des psychopathes, et penser qu’ils sont créés à l’extérieur est la pire manière pour espérer s’en débarrasser.

On prétend que les terroristes ne sont pas des loups solitaires parce qu’ils sont armés, préparés et sont liés à des réseaux. D’accord, mais les idéologues eux n’agiront jamais. À l’image des gourous, ils incitent leurs disciples à faire ce qu’eux seraient incapables de faire. Comme dans les sectes, l’idée est bien de trouver des individus fragiles et rejetés par la société pour qu’ils puissent exercer sur eux l’influence souhaitée. Que ce soit chez les tyrans, les gourous ou les commanditaires d’attentats, ce sont les architectes des totems qu’ils aident à élever principalement par la peur et la haine d’un ennemi parfois imaginaire. Les terroristes, ceux qui disent partir en martyrs selon les principes du dieu totem, de l’idéologie qu’ils sont censés défendre, sont bien des loups solitaires, d’anciens loups solitaires réunis autour non pas d’un même chef de meute, parce qu’on ne suivrait pas la quête personnelle d’un seul homme, mais autour d’un totem idéologique. Le symbole d’une union construite autour d’une même haine.

Des loups solitaires, qui ne choisissent pas de devenir terroristes, mais qui ont, contenu en eux, une violence commune, la société en construit tous les jours. Ce qui les pousse, et leur donne l’occasion de se mettre à l’œuvre, et alors de quitter leur frustration solitaire, c’est de trouver une idéologie, un totem, capable de leur correspondre. On se rapproche de ceux, les seuls désormais, qui disent vouloir tirer le meilleur de nous, nous mettre en valeur et nous accepter non pas pour nos valeurs (on est opportuniste et on se lie au maître qui nous tend la gamelle) mais pour ce qu’on est, ou supposé être. Un individu aux origines étrangères cherchera en vain ses modèles dans la société qui l’entoure et se tournera plus volontiers vers un groupe capable de lui dire « cela, c’est toi, c’est nous ».

un totem dressé

Comme il est aisé de trouver de nouveaux totems idéologiques quand les membres d’une société qu’on a fini par abhorrer construisent si facilement leur propre totem vous désignant comme leur ennemi… L’ennemi (son totem) de mon ennemi (son totem) est mon ami (mon totem, ma nouvelle idéologie).

Logique destructrice.

Pointer du doigt l’islam, qu’on l’accompagne ou non du terme « radical », c’est aider à l’érection du totem des ennemis qu’on souhaite s’inventer pour affirmer, par contradiction, son appartenance à un groupe qu’on cherche par là à souder et à définir. Désigner son ennemi, c’est nourrir deux monstres. Celui qu’on alimente chez « l’ennemi désigné », mais aussi celui qui est en nous, parce qu’il se nourrit avant tout de peur, de haine, de rejet, de méconnaissance, de préjugés ou de raccourcis faciles de pensée devenus légitime par la seule existence supposée de ce monstre dont on se complaît et participe à donner corps et à nourrir. Ceux qui désignent les éléments perturbateurs d’un groupe ont toujours, à première vue, le beau rôle, parce qu’ils semblent œuvrer pour l’harmonie des leurs ; les membres d’un groupe ont toujours besoin de sceller leur identité et appartenance commune en dansant autour d’un même totem idéologique ; et ceux qui parlent en allant dans ce sens sont alors perçus comme des architectes, des bienfaiteurs, de grands prêtres de l’identité commune qui nous compose. Le groupe, pour se définir et s’unir autour de valeurs communes, a besoin d’un ennemi commun ; et quand cet ennemi n’existe pas, il faut l’inventer. Le nourrir. Dans une société pourtant prospère, on peut voir apparaître une haine et un ostracisme à l’égard de certaines de ses composantes ostensiblement exotiques, et pour nourrir cette peur qui est censée réunir ceux qui sont ostensiblement, eux, indigènes, on scrute tous les faits et gestes de ces éléments jugés perturbateurs. Le moindre dérapage « confirme la règle », nourrit la haine, et prend des proportions aberrantes. Un crime terroriste perpétré au nom du totem malfaisant et ennemi aura un impact bien plus grand qu’un crime de même nature généré par un membre de son propre groupe. Un crime de masse, un meurtre isolé, ce n’est pas une attaque terroriste, et on relayera ça dans les pages des faits divers.

un totem dressé

Comme il est réconfortant, et facile, gratifiant même, de jouer avec les illusions de masse pour se cacher derrière son propre totem, se hisser en son sommet pour qu’on nous y voie chanter en son honneur contre l’« ennemi ».

C’est une illusion à laquelle il faut lutter. Les véritables ennemis sont ceux qui s’y laissent prendre ou s’amusent à attiser le feu d’un malaise bien intérieur.

Quand la guerre froide a pris fin, le monde n’a pas mis longtemps à se réorganiser pour que de nouveaux blocs puissent se faire face et se haïr. On aurait pu nous contenter de lancer la guerre au rhume des foins, à la grippe ou aux accidents de la route, mais ces ennemis-là ne font que des victimes collatéraux qu’on accepte parce qu’ils nous semblent communs et non dirigés par la même main invisible d’un méchant monstre. L’ennemi doit être idéologique, peu importe quelle nuisance réelle il opère sur notre société, c’est l’intention qui compte, l’idée, tournée contre « nous ». Il est important qu’un « eux » se définisse rapidement pour qu’un « nous » réconfortant puisse jaillir de terre et s’ériger en totem. « L’ennemi » n’aura alors qu’à profiter de la place laissée vacante par l’ancien totem abattu, et tout recommencera comme avant. Parce que les sociétés se créent ainsi un peu comme la poussière s’agrège sous une armoire pour enfin constituer des moutons qui se feront bientôt la guerre. Avant que tout se mêle et se confonde, il faut que tout se percute et s’anime. Curieuse danse de moutons.

On saute à pieds joints dans le piège des illusions et on en vient à légitimer nos propres crimes pour ne pas voir les défaillances qui au cœur de nos sociétés portent en elles les véritables maux qui pourrissent, de l’intérieur, l’harmonie tant souhaitée. Et quand ce ne sont pas des crimes qu’on légitime, c’est la remise en question de nos libertés fondamentales. Sans comprendre qu’en attisant la tension et le feu intérieur, on nourrit chaque fois plus les maux préexistants qu’on se complaira ensuite très vite à interpréter et voir comme une menace éminemment exotique.

Maurice Pialat un jour à Cannes lançait : « Si vous ne m’aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus », en réponse au public qui le sifflait. Action de rejet, réaction de rejet. L’idéologie, le bras levé pour ériger on ne sait quel totem imaginaire, n’est alors qu’un prétexte : on ne s’érige jamais d’abord que contre un ennemi imaginaire, craint, supposé, et en le désignant, on aide à lui donner une consistance bien réelle. Parce que parmi ceux désignés comme « ennemis » du groupe seront tentés par un « si vous ne m’aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus », non pas d’abord par une logique idéologique. Les totems se dressent grâce à l’irrationalité, à la peur irrationnelle de l’autre ou au rejet compulsif de ceux qui en premier lieu nous rejettent.

Les totems de l’idéologie ne sont pas seulement nécessaires pour alimenter les ennemis « extérieurs ». On se plaît à les ériger aussi en politique (où pour discréditer un ennemi, il est plus profitable de jouer sur les peurs qu’il inspire ou en « radicalisant » son discours) ou dans la culture (parfois jusque dans l’absurde, quand par exemple on voit de l’idéologie à travers une œuvre qui ne peut pas par définition exprimer, ou même illustrer clairement, une « idée » : telle œuvre devient raciste, tel cinéaste est suspecté d’être misogyne, etc. celui qui dénonce a toujours là encore le beau rôle).

Bref, concernant les seuls « ennemis » politiques, transnationaux, après les communistes, c’était donc au tour des musulmans (radicaux donc, précise-t-on comme pour corriger ce qui ne peut l’être ou pour apporter de la nuance à ce qui est biaisé par essence), et si ce n’était eux, ç’aurait été les Chinois, les juifs ou les pizzas aux anchois.

un totem abattu

Le processus menant aux préjugés et à la peur d’un ennemi (d’abord) imaginaire est précisément naturel et… dans la majorité des situations, profitable. Les préjugés, ou les facilités de pensée, permettent, en général, d’avancer, de disposer d’une réponse immédiate à un dilemme ou à un danger. Une fois qu’on comprend, et accepte l’idée, que le préjugé est à la fois la norme dans notre esprit, mais aussi qu’il a son utilité, et qu’il est par conséquent une forme d’intelligence sommaire, on peut comprendre que ce même processus vienne à nous tromper dans des cas où elle (notre intelligence) doive composer avec les faux-semblants ou des dilemmes bien plus complexes. La tolérance est un exercice d’équilibriste, comme celui qui devrait nous forcer à la retenue, la prudence, le doute. Or l’esprit a besoin du confort qu’offrent les certitudes, les affirmations toutes faites, ou les idées simples. C’est bien pour nous réfugier dans la facilité qu’on érige des totems idéologiques. Parce qu’un totem dessine les contours d’un problème qui resterait flou autrement. À la manière d’un sophisme auquel on peut difficilement opposer autre chose qu’un autre sophisme pour le contredire, on ne peut parfois que dresser un totem contre un autre totem. La raison demande toujours plus de temps, de précision, moins de facilités, plus de doutes et d’efforts. La complexité ici, c’est bien qu’on puisse aussi nourrir le « monstre » qui s’oppose à nous quand on cherche à éviter les écueils de la facilité : car si on a souvent tort quand on choisit la facilité (surtout sur ces questions complexes de perception qu’on se fait d’un « ennemi »), on n’aura pas forcément raison quand on prend conscience de tous ces écueils et qu’on ne s’abrite pas dans l’ombre d’un totem. On remarquera toujours vos maladresses comme si elles devaient discréditer totalement votre démarche (sophisme) ; on vous suspectera toujours une « idéologie » non avouée que vos interlocuteurs tenteront de dévoiler en questionnant vos doutes et vos hésitations ; autrement on vous fera passer pour un naïf ou pour quelqu’un aux idées trop vagues pour être crédibles. Les totems sont des jalons qui permettent à ceux qui les utilisent de ne pas se perdre tout en restant dans l’erreur. Refuser de se voir conduire par eux non seulement vous oblige à une prudence de chaque instant, mais la suspicion que cela entraînera vous condamnera en même temps à une autre forme d’ostracisme. « Tu es avec nous ou avec eux, tu ne peux pas être entre les deux. » L’idée encore que le totem sert notre intégration dans le groupe et que le refus de se tourner vers lui, l’honorer, entraîne de fait une exclusion. Si les sociétés s’inventent des ennemis, c’est surtout parce qu’individuellement nous y avons tous intérêt. Avant l’inéluctable confrontation.

Le doute, la tempérance, la tolérance, ne sont pas des voix qui portent loin ; elles ne se relayent pas facilement parce que le discours qu’elle transmette est fait de nuances, de détours, voire d’hésitations, qui ne passent ni en 140 caractères, ni en punchlines. Le jeu des apparences est toujours gagnant. Certains ne s’y trumpent pas : dans un monde perçu comme une chasse permanente à l’intrus ou au faible, il n’y a que deux sortes d’individus, les gagnants et les perdants. Avoir un totem à soi, qu’on partage avec d’autres, c’est en fait, paradoxalement, être toujours vainqueur. Ceux qui naviguent péniblement entre les lignes jouent les équilibristes, et ceux-là ont bien du mérite. C’est pourtant ceux-là qu’il faudrait, parfois, écouter.

un totem abattu

Demandons-nous si ces totems ne nous protègent pas de nous-mêmes en nous imposant le confort des idées toutes faites, du politiquement correct. Parce que si les prêtres qu’on entend tout près des totems sont ceux-là mêmes qui nous gouvernent, et si ceux-là toujours profitent des facilités de discours pour avoir le beau rôle, c’est avant tout à chacun de faire l’effort de la nuance, de la tolérance et du doute. Cet effort, il semblerait que nous le faisons, mais peut-être pas encore suffisamment. Juste assez pour ne pas tomber dans la guerre civile.

Les totems idéologiques ne sont pas à abattre, ils doivent être ignorés. On ne se bat pas contre une idée, encore moins une idéologie, ni même ici contre un ennemi (le groupe État islamique, Al-Qaida…) opportuniste capable de commanditer et de s’approprier des actes terroristes perpétrés loin de leur base ; on se bat contre la bêtise, les idées reçues, l’amalgame (comme on dit), contre les malentendus ou les raccourcis, les biais et le manque de connaissance. Autrement dit, l’ennemi ne vient pas de l’extérieur, on le construit, et on le combat, à l’intérieur. Nous sommes notre propre ennemi. Les totems ne servent que de prétexte, d’illusion, pour ne pas nous poser les bonnes questions, et dans son ombre avoir la satisfaction et le confort d’avoir toujours raison, avec les autres, les « nôtres ».

Ces questions, cela devrait être aux hommes en charge de la politique, à ces représentants élus, de les poser. Trop souvent, c’est encore la facilité qu’on entend, qui passe, et qui prévaut quand on veut être audible, crédible et convaincant. Il y a trop de risques à lutter contre le vent et les apparences. Chaque nouvel incident, attaque terroriste, crime suspecté d’être « en lien avec », et c’est l’occasion pour proposer de nouvelles mesures censées gravir symboliquement ou non une nouvelle marche vers le tout sécuritaire, vers l’augmentation supposée des moyens, des niveaux de danger ou des mesures censées abattre le totem tant redouté. Ces affichages sont non seulement liberticides quand ils changent concrètement le droit, mais elles sont inefficaces d’une part pour identifier les véritables causes des tensions, mais par conséquent aussi pour commencer à chercher à les résoudre. Les facilités encore, celles des « mesures » prises, très utiles sur le court terme en matière de communication, et au détriment des intérêts du long terme. On ne cherche pas à résoudre un problème, on montre sa volonté (sa « fermeté ») à le résoudre.

un totem abattu

La première des facilités, c’est de réagir à chaque « attaque » par une « nouvelle mesure ». L’arsenal législatif (comme on dit) sert à protéger les citoyens à l’intérieur de la nation. Commencer à l’amender, c’est répondre comme en écho à la déflagration de l’attaque contre laquelle on prétend pourtant lutter. Amender en réponse à un ennemi désigné, c’est s’autoriser des règles d’exception, c’est céder à la terreur souhaitée par ces mêmes ennemis désignés, c’est créer le chaos, c’est échafauder les bases d’un totem qui sera bâti contre l’ennemi. La peur du « eux » contre l’harmonie du « nous ». Or, les incidents doivent rester des « incidents » ; des attaques ne sont pas des batailles ; il est dangereux de se faire l’écho de leur puissance en jouant sur la peur, la haine ou le mépris. Par définition, la réaction viendra toujours après ; si on veut agir, il faut identifier l’origine du problème et agir en conséquence.

Le problème est ni politique, ni religieux, il est social et psychologique.

Il y a des opportunistes qui se servent des incidents pour se placer au pied du totem et faire entendre leur voix. Et il y a des opportunistes qui trouvent sur le tard une cause censée légitimer une violence contenue en eux depuis des années. C’est contre cette violence qu’il faut lutter, pas contre ceux qui en sont victimes. Les attaques terroristes sont la face émergée d’un problème bien plus profond : la rencontre d’une haine ou d’une peur de l’étranger et d’un manque de repère identitaire. On pourrait parler aussi d’intégration, de ghetto. Et si des citoyens décident au nom d’une cause exotique de s’attaquer aux leurs, à leurs voisins, à ceux qui devraient être leurs semblables mais qui n’ont eu de cesse pourtant de lui montrer le contraire, et si ceux-là se rendent bien sûr coupables de crimes particulièrement odieux, il ne faut pas oublier que les origines de ce malaise ne sont pas à l’étranger mais bien chez nous. Ce n’est ni l’islam, ni les musulmans, les fautifs ; mais bien nous, la société dans son ensemble, incapable de résoudre la question de l’intégration des populations issues des anciennes colonies. La question que l’on doit se poser est celle-ci : peut-on être fier de se revendiquer comme arabe, noir, ou musulman aujourd’hui en France. Un homme qui voit une femme se revendiquer comme féministe, au pire il sera indifférent, au mieux il trouvera ça légitime et formidable ; un autre voyant une personne originaire d’Espagne ou d’Italie revendiquer ses racines trouvera là encore cela très bien. Un Noir, un Arabe, un musulman, se revendiquant comme tel, et on suspectera sa volonté réelle à s’intégrer, on le priera parfois même de retourner on ne sait où. Le problème ne vient pas de celui qui revendique une identité, mais de celui qui suspecte le degré d’implication de celui qui se revendique d’un autre groupe au groupe commun, national. Le problème ne vient pas des « migrants », mais de ceux qui refusent de les intégrer à leur monde. C’est cette suspicion, ce rejet permanent, qui sème le trouble, et qui plus encore est à l’origine d’inégalités, qui sont, elles, sources de frustrations légitimes.

« Si vous ne m’aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus. » Si votre totem n’est pas le mien, j’irai m’en trouver un autre.

Qui est coupable ? Celui qui réagit à des années de frustration, ou celui qui n’agit pas pour regarder autrement celui qu’il se doit d’accepter dans son groupe au nom de la fraternité ?

Les meurtres de masses, les attentats, ont toujours existé. La question politique, voire religieuse, s’il y en a une, n’est qu’un prétexte. C’est contre la violence contenue et qui grandit par rejet de l’autre qu’il faut lutter. Pas une autre.

Attendre de l’État une réponse active et ferme, c’est accepter qu’on établisse des règles d’exception pour des événements qui ne bousculent en rien la vie de la société. Au contraire, c’est en faisant appliquer de nouveaux usages législatifs et policiers, en s’attaquant au mauvais ennemi (au totem d’en face) qu’on ajoute de l’agitation, de la confusion, de la tension à la société. C’est bien là l’objectif du « terrorisme » : faire céder son ennemi à la panique et à la terreur. On ne s’y prendrait pas autrement si on voulait augmenter un peu plus l’injustice, faire peser sur une population déjà stigmatisée encore plus le poids d’une culpabilité qui n’est pas la sienne, et par conséquent œuvrer à long terme pour toujours plus de tensions et de terrorisme. L’état d’urgence plonge la société dans un état où l’exception devient la règle. Le sentiment de persécution que pouvaient ressentir certaines de ces populations stigmatisées ne devient plus seulement un « sentiment » mais une réalité car les mesures d’exception servent justement à diminuer un peu plus leurs droits et leurs libertés. La persécution devient réelle. Action, réaction : en chassant les terroristes sans base légale et en plaçant la société dans une tension permanente, on crée des vocations et on multiplie les « loups solitaires » craints, qui, blessés, persécutés, chercheront à se venger de la société qui les rejette. C’est en fait une forme insidieuse de xénophobie : au lieu de dire ouvertement qu’on a peur et qu’on rejette l’autre, on dit vouloir s’attaquer à ses éléments perturbateurs. Mais au lieu de dire qu’on protège les siens, cela veut surtout dire qu’on estime que parmi les « nôtres », certains ne devraient pas en être, et que ceux-là méritent plus que les autres à être suspectés et encadrés. C’est cette xénophobie insidieuse qui ralentit la nécessaire « intégration ». Les traîtres ne sont pas du côté désigné, mais bien de ceux qui prétendent agir pour la sécurité intérieure. Ce sont eux les loups solitaires, les apprentis sorciers, les profiteurs de guerre, les agitateurs et les véritables terroristes. Ils pourront toujours s’abriter derrière les apparences, leurs bonnes volontés et leur totem.

un totem terrorisant à abattre

La première réponse au terrorisme, c’est d’arrêter de chercher à y répondre ostensiblement. C’est une affaire d’abord de renseignements quand les réseaux sont déjà actifs ou prêts à l’être, mais surtout, sur le long terme, une optimisation des moyens d’intégration et de réduction des injustices sociales ou ethniques. Il est urgent de dire « stop » à l’urgence sécuritaire. Ne jamais donner l’impression qu’on répond, car c’est précisément ce qu’attendent les commanditaires et qu’on grimpe un niveau supérieur dans l’échelle de la violence. Cessons enfin d’ériger des totems idéologiques les uns contre les autres. Le terrorisme est le symptôme d’une misère sociale, culturelle, identitaire et psychologique, non pas une « guerre » comme certains opportunistes, qui se rêvent probablement en « chef de guerre », voudraient le laisser croire.


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Violences de la société



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Les capitales

Relations personnelles

Plaidoyer pour le partage des tâches dans la drague, ou quand la « charge mentale » du premier pas pèse sur l’homme.

À l’heure où il est question pour nos chères féministes de se plaindre de leurs bonhommes en théorisant la charge du travail domestique qui pèse statistiquement sur leurs épaules en nommant cette charge “mentale”, il serait temps aussi que les hommes fassent entendre leur voix pour se plaindre d’une autre inégalité.

‘- Inversion de la charge mentale. -‘

Qui drague, et qui a dragué l’autre, dans le couple ? Ma main à couper que dans la très grande majorité des cas, en France, c’est l’homme qui a fait le premier pas, qui a fait l’effort. Parce que culturellement, socialement, hommes et femmes veulent et pensent que ça doit se passer comme ça.

Le rôle du lourd dragueur, les lauriers pour le dragueur compulsif, le gendre idéal capable de sortir le grand jeu pour appâter sa dame avec la plus parfaite danse nuptiale, bref, celui qui se démène et qui est actif, qui prend les risques et les râteaux, qui doit faire preuve d’imagination, c’est globalement l’homme qui s’en charge. Pour la femme, le rôle de la draguée harcelée, de choisir, de se laisser séduire, tenter, changer d’avis, se sentir offensée quand l’homme ne lui plaît pas et flattée quand il lui plaît (le privilège quasi schizophrénique de se plaindre d’être constamment draguée tout en espérant l’être par un autre plus à son goût). Bref, l’homme est actif, la femme passive. La charge mentale repose sur l’homme. C’est lui qui commande, c’est lui qui assume, c’est lui qui propose.

Et c’est vrai qu’une fois les couples unis, il y a comme une inversion de la charge, que l’homme se repose, s’infantilise presque, et qu’il aurait envie de dire à sa douce : tu proposes de me donner quelque chose à faire, je disposerai.

Justement. L’égalité, ça vaut pour tout. Je doute que c’est en se plaignant d’une situation pour laquelle les deux sont responsables, et qui trouve ses origines non pas seulement dans la seule mauvaise volonté des hommes, mais bien de la manière dont les deux voient les rapports à l’autre dès… la rencontre, qu’on œuvre pour l’égalité, le partage des tâches ou autre chose, dans son couple. La rencontre, la drague, c’est elle qui doit donner l’impulsion. Si on accepte l’idée que c’est à la femme de se mettre en position d’attente et que c’est à l’homme de venir la séduire, on donne une mauvaise impulsion à son couple.

Alors voilà, les hommes (français) prendront peut-être l’initiative de laver les petites culottes de leur tendre ou d’acheter des yaourts pour les mioches, quand ils auront été élevés avant ça dans une logique où la charge mentale du premier pas dans la rencontre amoureuse ne pèsera plus uniquement sur leurs frêles mais viriles épaules.

S’il y a, on peut bien le croire, une incapacité des hommes à prendre l’initiative dans certaines tâches domestiques, c’est bien avant que l’inégalité s’opère, et elle n’est pas toujours forcément dans le même sens. Avant de prêcher pour leur paroisse et d’œuvrer pour l’égalité et l’harmonie des couples, il faudrait peut-être se demander si l’origine (ou une des) d’un tel déséquilibre n’est pas ailleurs. Pourquoi faudrait-il que ce soit forcément les hommes (ces goujats, ces machos qui s’ignorent) qui aient toujours mieux à faire, ou à faire autrement, pour trouver l’harmonie ? Les femmes auraient-elles toujours le comportement idéal… ?

À d’autres.

Il y a aussi la charge de la faute qui en permanence repose sur les épaules de l’homme. Comme pour bien autre chose, montrer du doigt les fautes (supposées) de l’autre, permet de détourner des siennes. Pointer du doigt les inégalités (réelles) en sa défaveur en se refusant de voir celles agissant en sa faveur (même minimes) relève de la malhonnêteté et de la manipulation. La charge mentale est un principe qui relève de cette idiotie. Si le constat est bon, il en est pourtant malhonnête car il culpabilise l’autre, et théorise donc légitime, la plainte. Le but recherché n’est plus l’égalité, le partage et l’harmonie dans le couple, mais le confort intellectuel de se croire victime du comportement inapproprié de son compagnon.

Alors mesdames, avant de réclamer à votre bonhomme qu’il prenne lui-même l’initiative d’une machine, commencez par vous demander si vous avez déjà dragué des hommes, fait le premier pas, invité à sortir. Là aussi « faut demander » ? En France, et globalement dans les pays latins, les femmes ne draguent pas. Ne draguent-elles pas parce qu’on leur interdit ou trouvent-elles que c’est vulgaire, déplacé ou… que ce n’est tout simplement pas à elles de faire le premier pas, et que c’est à ces hommes de le faire ? La charge mentale de la drague est-elle partagée ou repose-t-elle, culturellement, habituellement, sur les seules épaules de l’homme, ce dragueur, de ce lourd, casse-couilles qui vient aux femmes, maladroit, en recherche d’un peu d’amour (ou d’autre chose), mais qui “demande”, lui, quand les autres, elles « se laissent faire » ?

Faut demander, mesdemoiselles. Cela donnera peut-être une nouvelle impulsion à nos vies, aux relations hommes-femmes, pour une harmonie de couple que tous désirent.

Infantiliser les hommes en pointant systématiquement leur rôle dans le couple et lui imputant seul la charge mentale du manque d’harmonie, tout en acceptant les bons côtés que la charge mentale du travail domestique implique (quand on est le chef, on décide de la manière dont les choses doivent être faites, or si tant est que certains hommes se prêteraient aux efforts qu’on leur réclame, certaines argueraient toujours que ce travail est mal fait, reprenant, imposant même, alors la charge mentale à leur compte vu que l’autre, cet homme-enfant, serait incapable de l’assumer), n’aidera en rien les hommes et par conséquent les rapports qu’hommes et femmes entretiennent dans le couple. Si la charge mentale doit être certes partagée, elle ne peut passer que par une entente, un compromis, et un dialogue permanent. Reprocher à l’autre de s’y prendre mal, ou pas assez, théoriser ce qui relève de l’histoire commune et intime des couples, c’est toujours le moyen de se poser en chef du couple, comme la seule à être en mesure de déterminer ce qu’il faut ou manque dans le couple. Quand on se complaît à infantiliser son homme, à juger, à se plaindre, à se laisser influencer par la dernière théorie à la mode pour expliquer son mal-être, plutôt qu’à avoir un discours constructif et proactif pour faire en sorte que chacun aille vers l’autre, et qu’au final, ces tâches domestiques soient mieux partagées, on ne va pas dans le bon sens. On n’encourage pas un homme à changer de comportement si on lui dicte la marche à suivre et en le désignant comme responsable des inégalités dont on se sent victime.

Ça commence dès l’enfance…, je veux dire, dès la rencontre nuptiale. Si on accepte que, pour la drague, ce soit à l’homme de “gérer”, on accepte d’entamer une relation où l’idée que les tâches (pas seulement domestiques) incombent à telle ou telle composante du couple. Et on peinera par la suite à légitimer à son homme l’idée qu’il doive prendre un peu plus l’initiative puisqu’on s’est laissée depuis le départ influencer par des usages qui nous dépassent et qu’on reproduit sans avoir vu alors la nécessité de lutter contre.

Inversion de la charge mentale. CQFD. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, vous savez ce qui vous reste à faire pour construire de nouveaux usages relationnels entre homme et femme au sein de votre couple. Ça commence là. Au premier regard, à la première rencontre. Le premier pas, c’est celui qui donne l’élan et laisse entrevoir l’harmonie. (Violons.)

Sifflez les hommes, mesdemoiselles, qui vous plaisent dans la rue, accostez ces mignons garçons qui s’effaroucheront alors de votre insistance. Draguez ! La charge mentale est pour tout le monde. Égalité pour tous. Et on en reparle dans cinquante ans pour faire les comptes.