
(un titre pompeux pour un billet vague et vite pissé, mais je n’avais pas encore fait de billet sur ce sujet)
Assez indigné dans un premier temps par cette critique de Moi, Daniel Blake par Pepper.
Maintenant, c’est intéressant, je pense que c’est justement dans ces situations (un désaccord profond sur un film, une heuristique — au sens cognitif — d’indignation) que je fais jouer dans mon cerveau la carte du relativisme. Non pas un relativisme qui voudrait dire que « tout se vaut » comme souvent certains voudraient l’entendre pour mieux le décrédibiliser, mais un relativisme de positionnement qui nous pousse à accepter des postures, des goûts, des avis, des opinions qu’on pourrait tout aussi bien avoir exprimées sur un autre sujet, un autre film ou autre chose.
Ce relativisme, ce n’est pas que tout se vaut, c’est dire au contraire que toutes les choses ont une valeur propre dans l’esprit de chacun. Que leurs couleurs, même si elles donnent l’illusion d’appartenir à la même famille ne le sont en réalité jamais. On s’accorde sur une opinion, sur la qualité d’un film ; en réalité, on s’accorde sur un constat, sur une gamme de couleurs générales, et tout ce qui nous a amenés à le voir tel qu’on le voit nous est totalement personnel et demeure en grande partie étranger à celui qui nous entend l’exprimer ou qui nous lit.
Les images mêmes du monde qui se présentent devant nos yeux et pour lesquelles nous avons inventé tout un vocabulaire commun pour le caractériser ne sont qu’une illusion de notre cerveau. Pour ces opinions et ces appréciations de films ou autre, c’est la même chose. On aura beau mettre une note, se contenter de dire qu’on apprécie ou non, d’en louer la qualité générale ou même chercher à en définir mille détails qui prouvent selon nous ces qualités, et s’accorder, à travers toute une gamme de vocabulaire complexe, avec ceux qui nous lisent ou nous écoutent, on pourra toujours partager les mêmes idées et opinions politiques, ce qu’on en perçoit ne sera jamais qu’un leurre, qu’une illusion. Ça ne veut pas dire que la réalité n’existe pas ou qu’il est impossible de s’accorder, car tous les « goûts ou les opinions se vaudraient », ça veut dire qu’il faut être conscient des limites de nos jugements, et qu’avant de s’indigner sur une réaction lue ou entendue ici ou là, on aurait tout à gagner à se demander si nous-mêmes n’avons pas un jour suscité une même réaction d’indignation face à un jugement porté sur un film ou une opinion.
Ce qui me choque dans cette critique de Pepper, c’est le côté petit-bourgeois qui se moque d’un film où sont exposés les « petits » malheurs des pauvres. Mais ça, c’est parce que dans ma perception du film, son message politique fait passer tout le reste pour anecdotique. Normal alors de s’indigner d’un commentateur éclipsant cet aspect comme s’il prenait soin à ne pas vouloir le voir pour s’attaquer à sa forme. Peut-être aussi que celui qui s’exprime a une tout autre perception de ce que peut ou doit être un film. C’est un exercice assez difficile à faire, mais tant que ça reste dans le domaine des avis créatifs et qu’on n’en vient pas à des sujets moraux et politiques particulièrement délicats, c’est toujours un exercice bon à prendre…
Dans quelle situation aurais-je moi-même suscité l’indignation de ceux qui me lisaient ? Eh ben, probablement assez souvent, il faut le craindre. Je ne prendrais qu’un seul exemple, le film Hope. Un film, à mes yeux, outrancier et racoleur. Et voilà, comme Pepper, c’est la forme peut-être plus que tout autre chose dans ce film qui m’exaspérait, et qui m’a éclipsé le reste : car le sujet du film, son intention, c’est de nous émouvoir. Que certains spectateurs soient sensibles à ça sans venir à s’interroger sur les outils mis en œuvre pour les faire pleurer, eh bien, c’est là où il faut être relatif… C’est leur droit, comme c’est le mien de ne pas du tout y être sensible.
Indignons-nous donc de tout, mais ne soyons pas dupes. On ne voit, on ne cherche et on ne commente jamais le même film.