Science, technologie, espace, climat

Fatigué de voir toutes ces polémiques concernant le réchauffement climatique. Faire du réchauffement climatique une urgence absolue est un piège. Parce que ses conséquences et ses implications ne sont pas comprises. Le citadin, l’homme consumériste du XXIᵉ siècle, le réchauffement climatique, ça ne peut avoir dans sa représentation du monde qu’un impact anecdotique, ça se limite à modifier quelques habitudes de consommation histoire d’être citoyen, un peu comme on donne aux bonnes œuvres. Il n’y a alors pas plus d’urgence pour lui que pour la faim dans le monde ; c’est pour lui une sorte de marronnier citoyen, une problématique dont il a vaguement conscience, mais dont il refusera toujours de comprendre à long terme les réelles conséquences. Et presque à raison on pourrait presque dire. La planète se réchauffe ? On s’adaptera pense-t-il ; on ira moins dans certaines régions du monde ; on créera un budget climatisation pour les heures chaudes de l’été comme on a un budget chauffage en hiver ; et puis on acceptera en fonction de son implication des « petits » sacrifices de consommation pour « faire un geste pour la planète », un peu comme on décide de manger plus de légumes pour sa santé.
Parce qu’au fond, cet homme-là, il n’en a rien à foutre du réchauffement climatique. Et s’il s’en moque, c’est que les conséquences d’un tel dérèglement lui échappent.
Et là, c’est la faute des écologistes, des scientifiques, qui peinent à fixer les priorités de notre époque, à traduire pour l’imaginaire collectif, pour ce citadin du XXIᵉ siècle qui s’est forgé des habitudes de vie héritées du siècle passé, non pas l’urgence, mais la catastrophe environnementale déjà opérée grosso modo depuis l’ère industrielle. Quand on parle de « nature », de « planète », ou même comme je le fais ici « d’environnement », on ne parle pas de la catastrophe bien réelle qui se déroule sous nos yeux et pour laquelle on ne fait rien à force de parler du réchauffement climatique. « Nature », « planète », « environnement », ça sonne creux pour l’homme des villes, ce sont des concepts creux car éloignés de son propre environnement.
Cette catastrophe qu’il faudrait plus mettre en lumière, c’est l’extinction massive des espèces. Ce n’est plus une « urgence », c’est un fait, c’est une catastrophe, et la seule chose que l’homme peut encore faire, c’est en limiter l’impact à l’avenir. Et dans cette perspective, la lutte contre le dérèglement climatique, ce n’est qu’un aspect du problème. Le climat, il a toujours changé, oui, c’est un drame, oui, on peut agir sur lui, oui on peut espérer changer la tendance au prix d’énormes efforts, mais si on ne comprend pas l’enjeu bien plus dramatique qui se cache derrière, c’est une lutte perdue d’avance. L’enjeu, c’est le ralentissement de la disparition des espèces animales et végétales. Le climat change, les espèces les plus adaptées changeront avec lui. Seulement au rythme où nous allons, la seule espèce capable de s’adapter à une telle crise environnementale, c’est la nôtre. Le citadin n’a aucun souci à se faire, il est en haut de l’échelle, et au prix d’éventuelles crises sociales, il y a peu de chances qu’il disparaisse à moyen ou long terme. En revanche, c’est pour la diversité que c’est dramatique, pour les autres espèces, et là il ne faudrait pas croire que la disparition des espèces ça se limite à préserver les lions ou autres animaux de cirques ou de zoos. Parce que si encore une fois on se réfugie derrière des symboles, des arbres-écrans, c’est toute la forêt en péril qu’on ignore.
L’enjeu, c’est donc bien l’extinction massive des espèces. Pour une espèce qui s’adapte au stress environnemental, il y a cent, mille, dix mille, qui disparaissent, qui ont déjà disparu et qui disparaîtront encore. La terre se réchauffe ? « On » s’adapte. Mais les espèces disparues ne s’adaptent plus. Ce qui est perdu est perdu. Et ce qui est perdu, ce sont des espèces qui ont évolué en même temps que nous, qui sont parfois plus anciennes que la nôtre, qui sont les héritières d’une longue évolution, les survivants des précédentes extinctions de masse et les témoins du miracle de la vie.
Préserver la biodiversité, ce n’est pas non plus œuvrer pour maintenir une ressource éventuelle dans le cycle du vivant : les espèces ne sont pas au service de l’homme. Que nous puissions tirer profit à tous les niveaux et cela déjà depuis des dizaines de milliers d’années, de certaines espèces, c’est pour beaucoup ce qui nous a permis de nous élever en tant qu’espèce au-dessus de toutes les autres, oui. Mais si cette exploitation est réelle et doit pouvoir se maintenir dans des proportions raisonnées, elle n’est pas la finalité de la préservation des espèces. On mange de la viande, des végétaux, toute notre pharmacopée est tirée et dépend de cette richesse, mais on ne préserve pas la nature à notre seul profit. Autrement, on ne chercherait qu’à préserver les espèces dont on tire profit. Difficile à concevoir pour un homme citadin du XXIᵉ siècle que tout l’environnement de la planète ne doit, et ne peut être, formaté à son seul usage et profit. Ici, l’ennemi, c’est l’urbanisme grandissant. On ne préservera pas les espèces dans une logique de « réserves naturelles ». L’exception, il faudra le comprendre, c’est l’urbanisme. La règle devrait être la préservation des espaces naturels pour garantir l’habitat des espèces dans leur milieu d’origine. Le dérèglement climatique impose des migrations. Les hommes peuvent migrer. Les espèces séquestrées dans des réserves, non.
L’enjeu, il est là. L’intérêt supérieur de toutes les espèces peuplant encore ce monde. Des espèces, tout comme la nôtre, qui sont le fruit de millions d’années d’évolution, de crises, de catastrophes. Le danger, il n’est pas pour demain, il n’est même pas pour nos générations futures qui ne peuvent craindre que pour leur confort de grands consuméristes ; le danger, il est de voir disparaître toujours plus d’espèces de la surface de la planète et d’être continuellement au chevet d’une poignée d’autres qu’on aura décidé de préserver pour notre seul profit. Continuons à avancer avec des œillères, et ce ne sera pas notre environnement climatique qui sera chamboulé, mais bien la surface de la terre, ce qu’on appelle biomasse, biodiversité, le « vivant », et qui pourra alors se conformer à l’idée anthropocentriste qu’on se fait d’elle : entre les villes, il n’y aura plus que des routes et des terrains vagues stériles.
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