Politique(s) & médias

Je me permets de rebondir dans mon coin sur cet article de Christian Lehmann dans Libération, puisqu’il est moins question de sciences que de politique. Et malheureusement, je suis assez d’accord avec ce papier. Les « élites » gèrent l’épidémie comme ils gèrent le dérèglement climatique et l’ensemble des problèmes qu’ils sont censés chercher à résoudre à leur échelle : la prime va toujours au court terme, et persiste au sein de cette classe dirigeante une forme de pensée magique qu’une solution tombera toujours du ciel.
Le non-agir à la sauce française ; la peur qu’en arrangeant les choses on prenne le risque de tout aggraver.
Il y a ainsi, bien ancrée chez ces leaders, mais aussi dans l’ensemble du personnel sortant des grandes écoles de l’administration, une culture du défaussement. On laisse à d’autres le soin de trouver des solutions, prendre des décisions, tout en s’agitant pour faire croire le contraire (d’où l’importance non seulement de communiquer, mais aussi de se montrer sur le « terrain »). Si une situation s’améliore, on pourra se faire valoir d’une gestion parfaite (ce sera grâce à ce qu’on aura « fait » ; il y a une perception de l’action politique comme il y a un sentiment d’insécurité : le rapport de cause à effet est parfois tordu, et le but pour de tels professionnels de la communication, c’est de profiter des apparences), et si ça ne marche pas, ce sera parce que le contexte a changé ou que les gens n’ont pas compris la teneur de nos non-décisions.
Depuis trente ans que ces agitations gouvernent nos dirigeants, rien n’est à mettre à leur crédit. Ce qui n’est pas bien étonnant ; quand il y a des problèmes à résoudre, il ne faut pas s’étonner qu’à moyen et long terme, le problème persiste et finisse même par pourrir. Et quand arrive une crise exceptionnelle (d’autant plus problématique que tout est pensé dans un monde sans aléas exogènes et dans une logique des flux tendus), ils sont incapables de changer leur logique de défaussement, et sortir de leur obstination courtermiste.
Plus que trouver des solutions, comprendre une situation, prendre des décisions, ils espèrent encore que la crise se réglera d’elle-même et continuent de s’agiter pour donner le change. Leur idée fixe, dans un monde où le PIB est la seule valeur baromètre de la santé du pays, c’est la productivité et donc la reprise et le retour à la normale. Et ils espèrent que le port du masque devienne cette panacée tant espérée, tombée du ciel, capable de leur offrir ce retour à la normale ; ou que le nombre de tests (puisque c’est une solution « vue à la TV ») participe également à ce retour (qu’importe si les tests ne sont pas adressés aux bonnes personnes ou si les tests répondent à une logique de gestion de l’épidémie sur le moyen et long terme).
Et puis, ils voient les cas remonter, et comme en mars, pensée magique : ça va bien s’arrêter à un moment, quelqu’un va bien trouver une solution à temps…
Le plus cynique dans tout ça, c’est que même s’ils n’y comprennent pas grand-chose en crise sanitaire (on rappelle que c’est un politique — futur premier ministre — qui a été chargé du déconfinement, pas un épidémiologiste, parce que lui, il serait peut-être historien des épidémies, et il se rappelerait sans doute que déjà lors de la grippe espagnole, il y avait de nombreux exemples de déconfinements hâtifs suivis de nouvelles vagues d’infections), ils ont fini par comprendre que ne pas viser l’éradication d’un virus en contrôlant strictement les entrées sur le territoire et le traçage des positifs, ça voulait dire quelques dizaines de milliers de morts, mais ils ont compris que grâce à certaines mesures soufflées par des spécialistes, il y aurait sans doute un lissage des morts qui permettrait aux hôpitaux de gérer les malades. Ça, ils l’ont bien assimilé, et c’est ce qu’on est en train de vivre : l’épidémie repart depuis des mois, mais les contaminations et les hospitalisations ne montent pas en flèche d’un coup comme en mars. Sauf qu’en réalité, personne n’en sait rien ; personne ne sait jusqu’où ça peut aller ; la seule chose qu’on sait, c’est que sans éradication visée (« vivre avec le virus »), ça monte. Certes, moins fort que lors de la première vague, mais, irrémédiablement, ça monte. Ce qui implique quand même une montée des cas graves et surtout des morts, c’est pas abstrait.
Il y a donc quelques inconnus concernant les réalités épidémiques (de moins en moins), et il y a surtout une décision, là bien réelle, qui est de laisser mourir plusieurs dizaines de milliers de Français pour espérer que l’activité du pays n’en soit pas trop affectée. L’espoir toujours, celle exprimée par le Président il y a quelques mois dans un journal américain (en parlant de foi ou de destin, de mémoire). Et la même vision partagée avec tous les autres gouvernants de droite de la planète. L’idée que les crises sanitaires ne doivent pas infléchir les impératifs économiques. Pensée magique. Au lieu de se rendre compte que leurs croyances sont en train de voler en éclat à cause d’un événement pas si imprévisible que ça (dans une logique à long terme), on préfère se réfugier dans le déni et dans l’espoir qu’une solution arrivera par tomber du ciel. D’où la croyance que la science sera capable de proposer rapidement un vaccin efficace (on attend toujours un vaccin contre le rhume — provoqué par des coronavirus —, c’est dire si les espoirs aveugles placés en un vaccin peuvent paraître optimistes).
Et là, j’ai peur que ces derniers six mois, le Président ait été tenté en permanence d’écouter certaines personnes avec des influences contraires. D’un côté, le Ministre de la santé et l’ancien Premier ministre, qui, me semble-t-il, comprenaient les difficultés et les enjeux de cette crise sanitaire (et notamment, je le pense, la nécessité non pas de contrôler le virus avec l’optique de « vivre avec », mais de l’éradiquer parce que l’activité ne saurait reprendre durablement, la confiance revenir, y compris dans un secteur important en France qui est le tourisme et la culture, avec des mesures contraignantes et durables) ; et de l’autre, sa femme et nombre de personnalités de droite dont on sait aujourd’hui, avec les deux extrêmes, qu’elle est assez perméable à l’idée du « vivre avec le virus ». Avec le nouveau Premier ministre, il semblerait qu’on ait changé de braquet et décidé de naviguer sans freins… quoi qu’il en coûte.
Notes Sur l’épidémie de Covid-19
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