L’universitaire et le zététicien

ou la rencontre improbable entre la tenante de la « science folle » (historienne du cinéma amoureuse de Freud) et le réalisateur amateur qui tel Monsieur Jourdain fait du cinématographe sans le savoir

Commentaire, donc, suite à la vision de la table ronde « Les films qui disent la VERITE ».

La vidéo : 


Rencontre étonnante et improbable de deux mondes rarement appelés à se rencontrer. Il y a quelque chose d’assez truculent à voir jaillir tout d’un coup la croyance d’une intervenante en une pseudoscience dans une conférence dédiée aux dérives de la désinformation. Ou comment foutre un gros malaise au détour d’un commentaire que l’on croit anodin et qui met presque en perspective l’idée d’emprise mentale propre aux dérives sectaires. C’est aussi d’un côté une sorte de Madame Jourdain qui applique sans le savoir les méthodes des pseudosciences et de l’autre un Monsieur Jourdain, s’amusant avec une caméra pour moquer les codes des faux documentaires, et à qui on dit qu’il est cinéaste. « Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je fais du cinéma sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. »

Pour illustrer le sujet de la table ronde, un documentaire contenant des passages parodiques des documentaires complotistes réalisé par l’équipe de la Tronche en biais est donc présenté. Après le film et quelques minutes d’échanges, de manière quasi anodine, Ania Szczepanska (historienne du cinéma, maîtresse de conférences et visiblement spécialiste des documentaires du monde de l’Est) questionne le choix jugé problématique de mêler tout à coup vrai et faux* en prenant comme exemple le discours d’un des intervenants expliquant qu’il avait commencé à déconstruire ses propres croyances quand il a douté de la psychanalyse. Idée qui semble bien saugrenue à notre universitaire, troublée que l’on puisse considérer la psychanalyse comme une pratique à laquelle il faudrait se détourner. Un échange un peu surréaliste commence alors avec Alexis Seydoux (vice-président de l’Association de Lutte contre la Désinformation en Histoire, Histoire de l’art et Archéologie) et Thomas C. Durand (« réalisateur » du film en question, créateur de la chaîne La Tronche en Biais et membre de l’Association pour la Science et la Transmission de l’Esprit Critique).

*Le documentaire est pourtant assez clair. Il reproduit plus ou moins les codes des documentaires de télévision (plus rarement de cinéma) dans lesquels divers experts sont amenés à être interrogés sur un sujet spécifique. Et pour illustrer la crédulité des spectateurs à croire en des théories alternatives, le film est ponctué par des séquences censées, elles, reprendre les codes des faux documentaires (c’est une parodie, une exagération, la part documenteur du documentaire). Les intentions du film sont clairement définies en présentation, puis rappelées en guise de conclusion, face caméra. Ce n’est pas un film d’art, mais bien en document à visée éducative : les auteurs du film partagent les orientations des experts sélectionnés, mais le discours est bien celui des experts, et en dehors des impératifs du montage qui par essence ne peut produire l’intégralité d’un discours, on peut difficilement suspecter une intention de travestir leurs propos ou une volonté d’en tirer un discours propre. Aucun sens caché, donc, à chercher derrière les effets produits, les choix de mise en scène, les cadrages, etc. Le film est à voir ici.

Thomas Durand semble totalement décontenancé par la défense d’une pratique dont il s’applique depuis des années à relever le caractère non scientifique et qu’il ne pensait sans doute pas trouver ainsi aussi bien défendue lors d’une conférence dédiée à la désinformation. L’autre intervenant semble moins surpris, peut-être plus habitué à voir des tenants de la psychanalyse dans les cercles universitaires. Aidée par quelques étudiants outrés dans la salle, Ania Szczepanska vient alors à questionner le travail de Thomas Durand sur le film et la pertinence de choisir son film pour introduire la table ronde. Le Youtubeur se trouve alors sommé de justifier ses choix de mise en scène (sic), et le voilà, expliquant un peu incrédule qu’il n’est pas professionnel du cinéma, que les sujets ou les intentions qu’on lui prête en tant que réalisateur ne sont pas les siennes. On lui rétorque qu’en tant que réalisateur, son devoir serait d’être conscient des effets qu’il produit… Il aura beau expliquer, tel un lapin aux yeux ahuris qui ne comprend pas ce qu’il se passe quand une voiture lui fonce dessus, qu’il n’est question que d’une… parodie, d’un film qui ne se prend pas au sérieux et qu’il n’a aucune prétention « artistique », le malentendu est consommé. Deux mondes ne parlant pas la même langue se rencontrent et ce n’est pas beau à voir.

Une réalisatrice de films documentaires pour le service public vient un peu à la rescousse du vulgarisateur cueilli par les critiques déplacées dont il fait l’objet, mais le mal est fait si on peut dire, et ces interventions lunaires de « sachants » montrent à quel point, encore, le monde universitaire est gangrené par une logique interprétative des œuvres qui se voudrait objective alors que c’est impossible. Tous les ingrédients des déviances que l’on pourrait retrouver dans la psychanalyse.

Quand je vois que ce petit monde est encore autant imprégné par cette idée que l’étude d’un film se fait uniquement à travers les signes, les symboles ou les intentions révélés de ceux qui font les films, interrogeant perpétuellement l’auteur et non le film même, s’interdisant d’accepter l’idée que leurs interprétations ne puissent être que purement spéculatives, le plus souvent sans aucun rapport avec les intentions parfois exprimées des cinéastes, je me dis qu’il y aurait encore pas mal de travail à faire pour « débunker » ces dérives au sein de ce milieu. J’en parle souvent ici, mais ce discours hautement interprétatif qui baigne aussi tout le milieu critique du cinéma pose un véritable problème tant il est envahissant, voire exclusif quand il est question d’analyser ou de parler des films. C’est ce qui arrive quand on ne maîtrise aucune technique de l’art qu’on commente, qu’on refuse obstinément de se placer à la même hauteur que n’importe quel spectateur, et que pour légitimer son droit à présumer des intentions d’un auteur, du message d’un film ou de la nature universelle des effets produits, on en vient à développer toute une « science » ne reposant sur rien. La ressemblance avec la psychanalyse est ironiquement… troublante. Pas mieux qu’une conférence où l’on se fait rencontrer deux mondes pour parler de désinformation pour mettre en lumière l’absurdité de cette « science folle » que peut parfois être l’exégèse cinématographique. (Je dis bien « parfois », car les universitaires ou les critiques, quand ils en viennent à analyser l’esthétique d’un film, sa forme, ses techniques, peuvent au moins faire reposer leurs commentaires sur des éléments concrets, lesquels peuvent ainsi être réfutés ou questionnés. Mais comment réfuter quelqu’un qui prétend étudier les « signes », les intentions ou le message d’un film oubliant qu’une œuvre d’art n’est pas un discours ? Et cela, encore plus quand il est question d’un documentaire de forme télévisuelle où le discours s’attache à reproduire au plus près à celui des experts : pas de voix off, pas d’effets de mise en scène, une structure à l’arrache et des intentions clairement définies qu’on peut difficilement suspecter de chercher à faire dire autre chose de ce qui est montré à travers un montage ou une mise en scène prétendument porteuse de sens forcément caché…)

On n’aura jamais aussi bien démontré, à travers une simple rencontre que l’on pensait anodine, en quoi certaines méthodes d’analyse des films dans le milieu universitaire et critique ressemblent à celles utilisées par la psychanalyse. Il serait temps que le milieu « critique » du cinéma procède à une évaluation de ses propres méthodes. Ce qui reste hautement improbable : comme dans n’importe quel milieu de ce type, faire la critique de ceux qui vous précèdent, c’est s’en exclure automatiquement. Seuls ceux qui obéissent au dogme, en acceptent les règles de l’entre-soi peuvent prétendre à en faire quelques critiques. Mais elles ne viendront jamais bousculer les principes qui reposent sur du flan : faire de l’auteur l’élément central d’un film (et non le film lui-même, voire celui qui le regarde, voire le contexte dans lequel il a été produit) et axer toute son analyse sur ce que celui-ci aurait « voulu dire ». Une fois qu’on a décidé que l’art avait toujours un discours, même caché, la partie est finie. Et pour justifier cette erreur (ou cette prétention) initiale, tous les instruments que l’on déploie pour appuyer ses prétendues analyses n’ont plus aucun sens. Et dès lors, ironiquement ou perversement, les critiques venant seules de l’intérieur finiront par créer… de nouvelles obédiences, avec de nouvelles propositions d’interprétation, mais avec jamais aucune remise en question du fondement infondé sur lequel repose tout cet univers. En psychanalyse, on voit alors Jung, puis plus tard Lacan débarquer. Mais ça reste les mêmes balivernes. Nul doute que l’on connaît les mêmes querelles de chapelle dans le milieu de l’analyse filmique.

L’incapacité à sortir de cette logique interprétative expose ceux qui en sont esclaves à sortir des âneries qu’une personne extérieure décèlerait tout de suite (voire à se protéger mutuellement, comme dans toute logique sectaire). On le voit par exemple ici. L’universitaire et les étudiants mélangent les différentes formes de « documenteurs » en ignorant, volontairement ou non, qu’il y a tout simplement des films qui ont vocation à tromper (s’il est question de parler des intentions des auteurs, ça la fout mal) et qui sont l’œuvre de charlatans ou de manipulateurs, et des films qui ont vocation à tromper pour parodier ou pour mettre en garde contre la crédulité du spectateur. En principe, un documenteur, c’est un film qui ne ment pas sur ses « intentions » : il fait du documentaire, il use des outils et des codes du documentaire, mais n’affirme pas que ce qui est présenté dans le film est vrai. Le film d’un charlatan a au contraire vocation à révéler des réalités cachées et prétend donc être dans « le vrai » (sans l’être). Pas étonnant, remarque, que des tenants de la psychanalyse aient quelques problèmes pour distinguer « pseudo ou faux documentaire » et « documenteur », tant leur perception du vrai et du faux pose problème… Ça interroge aussi leur capacité à comprendre les « intentions » des auteurs alors que c’est le cœur de leur travail et alors même qu’ils sont incapables de distinguer les intentions implicites d’un documenteur et celles d’un documentaire réalisé par un escroc.

Il y a également une confusion entre documentaire et films de propagande quand il est question des films d’Eisenstein : il faut que l’autre universitaire lui rappelle que le cinéaste soviétique réalisait des… fictions. Quand on en arrive à ce niveau de confusion, c’est qu’on a beau déployer tous les efforts pour construire un discours cohérent, tout ne sera jamais qu’illusion et prétentions. Triste monde, et tristes étudiants condamnés à errer toute leur vie dans les limbes d’un univers parallèle qui ne les connectera jamais au monde réel. Une secte, en somme. Belle ironie quand on voit le sujet du jour.


Table ronde & débat organisé à l’Institut National d’Histoire de l’Art (Les films qui disent la VERITE)

La désinformatrice, le satiriste et le fact-checker

Les capitales   

Violences de la société/ réseaux sociaux    

Aka, quand hoaxbuster défend Myriam Palomba face aux pitreries de Vincent Flibustier

Contexte : à l’occasion d’une émission de télévision où elle est chroniqueuse, la spécialiste de fake news et antivax Myriam Palomba lance des accusations extravagantes sur des personnalités en se faisant écho d’une rumeur antisémite concernant un produit qui serait extrait à partir du sang d’enfants. L’humoriste et vulgarisateur, créateur du site parodique Nordpresse Vincent Flibustier fait une vidéo où il lance une rumeur absurde visant à se moquer des méthodes des désinformateurs. En parallèle, un hashtag tout aussi absurde mentionne la journaliste people en collant son nom à celui du terme « pédosataniste ». Le jour suivant, Guillaume HB, créateur du site de fact-cheching hoaxbuster.com publie un tweet dans lequel il critique… non pas sa consœur habituée des fausses nouvelles, mais l’humoriste.

C’est un exemple, d’autres personnalités de la sphère zet/débunkage ayant exprimé leur doute quant à la pertinence de la démarche de Vincent Flibustier.

Je réponds globalement et brièvement à ces critiques.


La satire est tout aussi utile, voire plus, que le débunkage dans une société où les fausses informations circulent à une vitesse folle. Chacun est dans son rôle. Le journalisme pète-cul qui débunke ne convaincra que les convaincus. Vincent Flibustier utilise l’humour, l’esprit de contradiction, la caricature et la psychologie inversée. Tout cela pour rire, mais pas seulement : pour tenter de faire prendre conscience aux personnes qui sont victimes des désinformateurs quels sont les mécaniques de pensée qui les trompent.

Le débunkage apporte de l’éclairage, de la nuance. La satire imite les mécanismes à l’œuvre dans les théories des complots ou ici dans les rumeurs. Je pense donc au contraire que cette « expérience sociale et satirique » est un parfait exemple de leçon en matière de vulgarisation et d’éducation aux médias.

D’ailleurs, la situation est si grave dans ce monde où la prime est si facilement faite aux fakes news et aux désinformateurs, que toutes les propositions pour en déconstruire les mécanismes nocifs à la société sont bonnes à prendre.

Encore une fois, Vincent Flibustier est identifié comme un humoriste dont la spécialité est précisément la fake news consciente d’entre être une. Façon Gorafi. Personne ne pourra ainsi le suspecter d’autre chose que d’un canular : tout y est, le ton, la caricature, voire les vidéos suivantes où il explique sa démarche. Donc le canular a une dernière vertu : elle donne la preuve que les propagateurs de fausses nouvelles (ce sont tous ici les désinformateurs qui se sont fait un nom avec la crise de la covid) se font volontairement passer pour des victimes pour attirer l’attention de leur public parce qu’ils ne vivent que de ça. Vous préférez quoi ? Que des désinformateurs puissent en toute tranquillité répandre leurs fakes news avec des conséquences parfois graves pour leurs suiveurs ou qu’un satiriste puisse vivre de ce pour quoi on le suit : faire le clown ?

Moi je pense que les clowns ont un rôle plus bénéfique à la société que les escrocs et les usurpateurs.


Ajouts :

La caricature, la satire, la parodie ou la simple moquerie sont des armes absolument nécessaires contre les dérives complotistes. Moins pour les complotistes d’aujourd’hui que pour ceux qui pourraient en être victimes demain.

Parce que la caricature, la satire ont une valeur éducative, culturelle et historique bien plus grande que tous les efforts possibles en matière de fact-checking et de débunbkage.

Journalistes et experts tendent à décrire le monde tel qu’il est… au présent. Les clowns tendent à décrire leurs contemporains tels qu’ils sont, souvent en appuyant là où ça fait mal. Or, quand on regarde le passé, on a surtout besoin de voir des pages de l’histoire traitée par l’œil décalé des satiristes et des clowns. Il n’y a rien au monde qui explique mieux le nazisme que Le Dictateur de Chaplin. Un monde où plus aucune moquerie ne serait possible ne peut être un monde sain et libre.

En revanche, le comique de répétition a ses limites. Il n’y a aucune raison, humoristique ou autre, de continuer à se moquer de Myriam Palomba. Surtout après l’humiliation d’hier. Le complotisme n’est pas l’affaire d’une seule personne. Tu as fait ton Dictateur, change de planche à dessin et trouve une autre cible tout aussi légitime.

Puis des “gens” commentent le montage et les allusions transsexuelles dont Myriam Palomba fait l’objet :

Joli déni de réalité. Certains diraient les pires bêtises pour se faire passer pour des chevaliers blancs. Les mêmes méthodes en somme que les conspirationnistes. L’important est d’être bien vu par ceux que l’on dit défendre, mais que l’on trompe.

Ces montages font directement référence à l’intérêt que porte Myriam Palomba pour les rumeurs de ce (trans)“genre”.

Attaquer la transphobie, c’est tout à fait légitime, encore faut-il bien avant de monter sur ses grands chevaux s’assurer qu’il ne s’agit pas d’autre chose.

En revanche, oui, la répétition des moqueries à l’encontre d’une même personne n’a rien de drôle et il serait bon de changer de disque. Parce qu’à la longue, oui, la moquerie se mue en harcèlement, et beaucoup ne font même plus le lien avec l’idée d’origine qui est de caricaturer des pratiques menant aux dérives complotistes. Le harcèlement et la transphobie, là oui, on les retrouvera chez ceux qui répètent comme des idiots les blagues d’un autre qu’ils ont mal compris.

Mais ici encore, ce n’est pas le problème de la caricature, mais des réseaux sociaux.

Et :

C’est amusant ça. L’arroseur n’en finit plus d’être arrosé.

De mémoire, elle a dit : « Il y a des juifs antisémites ». On appelle ça une insinuation. Ce n’est guère bien brillant comme méthode, mais l’insinuation, c’est précisément une des portes d’entrée du complotisme.

Ou encore du confusionnisme ou du mauvais journalisme.

Dans le même genre, il y a l’insinuation portée à travers une question qui n’a rien d’innocent. La préférée des raisonnements complotistes : « Je ne fais que poser une question ».

Phrase qui par ailleurs revient systématiquement dans la bouche de Myriam Palomba pour justifier toutes les fake news qu’elle propage à n’en pas douter depuis des années et surtout depuis qu’on l’entend sur la pandémie.

Un des exemples étant la couverture du magazine dont elle est responsable sur une femme connue en évoquant la rumeur qu’elle soit un ancien homme. Un titre avec un point d’interrogation.

Myriam Palomba n’est pas journaliste, elle insinue, elle « ne fait que poser des questions ». Autant de positionnements faussement naïfs qui participent aux rumeurs et aux fake news.


Puis :

Les fact-checkers défendent leur pré carré, n’apprécient pas le clown qui parodie les complotistes et posent la question de la légitimité des clowns à venir empiéter sur leur domaine :

Le journalisme pète-cul ne pourra jamais accepter que la culture, les clowns et la satire aient plus d’impact sur les consciences que leur travail de gratte-papier.

Dénigrer les clowns, surtout quand ils aident à faire tomber les masques, ça va jamais dans le bon sens.

Et peut-être aussi que les clowns, que la satire ou la caricature à la Charlie ou à la Guignols, ça leur arrive de dépasser les bornes, de heurter, mais c’est justement leur rôle : aider à définir les limites. Parce qu’il y a une énorme différence entre quelqu’un qui n’est pas dans la dérision ou la culture et qui dépasse les norme et un clown : l’objectif premier du clown, c’est de caricaturer le monde pour lui offrir une image déformée de lui-même. La limite dépassée est un miroir qui aide à prendre conscience de ces limites.

Une caricature est toujours dans l’excès, parfois elle n’est pas du tout légitime, parfois, pour certains, elle ne dévoile rien et sert d’exutoire et se perd à tomber dans ce qu’elle dénonce. Mais, sans les clowns, ce serait pire, parce qu’ils sont parfois plus efficaces que n’importe qui d’autre à dévoiler la nature du monde de leurs contemporains pour leurs contemporains et les suivants. Et c’est peut-être de ce pouvoir que les « personnes sérieuses » luttant avec d’autres armes contre les mêmes fléaux sont un peu jaloux.


La question des limites est bien posée notamment dans cet extrait qui a largement été critiqué :

https://twitter.com/Qofficiel/status/1639361441542336514

D’une manière générale, on peut supposer qu’une des limites possibles pour avoir toute légitimité à moquer une personnalité, c’est celle du rapport « haut vers le bas » ou « bas vers le haut ». Un peu comme pour la qualité d’une source, la question de savoir qui est à l’origine du commentaire (censé être humoristique, ici) peut faire la différence. On pourra alors plus légitime de moquer les personnes favorisées que les personnes discriminées ou en difficulté. C’est aussi le souci de chercher à développer un humour personnalisé : il est sans doute plus légitime de moquer les influenceurs dans leur ensemble que deux influenceuses en particulier.

Mais imaginons qu’ici, la cible ait été les influenceuses, force est de constater que l’humour se porte davantage sur leur physique ou leur sexe et sur leur légitimité à participer à des manifestations que sur les facilités de certains de ces influenceurs à se faire du fric sur une population captive des clichés qu’ils véhiculent, par exemple. La cible était peut-être la bonne, mais ce n’était probablement pas sur leur engagement politique (moqué probablement ici pour ne pas être de bonne foi) ou sur leur physique qu’il fallait les moquer.

Est-ce qu’il faut se garder en revanche de moquer de telles influenceuses ? Non. Mais il faut le faire sur leur travail et sur l’image de la femme qu’elles véhiculent. À défaut de quoi ce n’est ni drôle, ni bien finaud. Est-ce que c’est dramatique ? Non. Mais le mieux quand on rate une blague et qu’on manque sa cible, c’est de s’excuser.

Rien à voir avec les pitreries de Vincent Flibustier : il moque les dérives d’une émission et d’une chroniqueuse qui a largement plus d’audience que lui et il caricature précisément les outils employés par la chroniqueuse elle-même directrice de média ou par la complosphère.

Ainsi, par exemple, les détournements jugés transphobes des photomontages dont Palomba a été la cible et qui ont été partagé par les suiveurs de Flibustier, sont transphobes, oui, mais c’est parce qu’ils prennent directement référence à un événement ayant tourné dans la complosphère qui laisse entendre qu’une personne publique pouvait être un homme et non une femme. Quand on joue l’Avare, on dévoile son avarice, on la met en scène, on fait l’illustre à travers des propos et des comportements.

Pour un détournement, c’est pareil (toute œuvre est par ailleurs un détournement : les auteurs ne souscrivent jamais aux propos ou actions des personnages qu’ils décrivent) : pour moquer les excès transphobes, on est obligé de les exprimer, de les illustrer à travers des propos transphobes. Mais c’est justement leur caractère caricatural qui permet de faire la différence entre ce que pense le caricaturiste et le sujet moqué qui lui tient de tels propos au premier second… C’est toujours le degré ou la nature du détournement qu’il faut apprécier. Et ce n’est pas toujours clair. Ces caricatures ne visent donc pas la communauté trans, mais les complotistes ou les tabloïds qui lancent de telles rumeurs transphobes. Le détournement permet justement d’en démontrer l’absurdité et leur caractère injuste. (En revanche, la répétition est lourde. Là encore, cela peut dépendre de l’émetteur de la caricature : parfois, ce ne sont pas des détournements, mais des moqueries à prendre au premier degré.)

La fin de La Méthode scientifique avec Nicolas Martin

Peut-être avec Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert la meilleure émission à la radio ces dernières années. Sinon de tous les temps et de l’univers visible (enfin audible).

Une émission et un présentateur amenés à devenir, malheureusement un peu trop tôt, cultes.

Au-delà d’allier deux qualités a priori incompatibles, se mettre au niveau de tous les auditeurs (sur une radio réputée élitiste) et une exigence de qualité, et par conséquent une compréhension de tous les mille et un sujets abordés (il suffit d’écouter la précision des interventions, lire les retours parfois élogieux des invités, suivre les remarques des tables rondes du vendredi, pour s’en convaincre) ; eh bien au-delà de ça, la Méthode scientifique, c’était surtout une méthode, un style Nicolas Martin.

En réécoutant la première rediffusée en hommage à Yves Coppens, on entend déjà ce qui fera le propre de la “méthode” Martin : une volonté de créer une connivence avec les invités et son équipe sans que ça tombe non plus dans le divertissement. Rendre attractif, plaisant, la science, et donc la science à la radio. Sans pour autant inviter des rigolos pour assurer le spectacle. Parce que c’est ça aussi la “méthode” Martin : mettre les spécialistes sur un piédestal, les aider à porter leur voix, leurs travaux. Une méthode aussi tournée vers la recontextualisation d’une découverte ou d’une branche de la science. Parce que la “méthode”, c’est aussi ça, l’exploration, la découverte, l’éclairage. C’est sans doute aussi ce qui a fait son succès, avec cette capacité à attirer le pékin n’y comprenant rien en science et qui a l’impression, par petites notes, de comprendre parfois l’essentiel au milieu de longues minutes imbitables mais rendues captivantes (ah, les maths), mais aussi de véritables scientifiques qui, je n’en doute pas, écoutaient dans leur coin la Méthode scientifique parce qu’elle parvenait à rendre leur discipline claire et captivante sans compromis et raccourcis, et parce qu’ils pouvaient de leur côté élargir leur spectre de connaissances dans des disciplines très éloignées de la leur.

Parmi les propositions, le ton ou les angles retrouvés dans cette première émission, tout ne marchait pas, mais il semblerait que l’équipe soit parvenue à améliorer la formule tout en restant fidèle à l’idée de départ. Faire populaire, vivant, tout en étant exigeant. Au cinéma, quand ça arrive, on parle de chef-d’œuvre. Mais que ce soit à la radio ou au cinéma, pour un chef-d’œuvre, il faut une personnalité qui incarne le “produit”. Sans doute que la Méthode était faite à l’image de Nicolas Martin. Qui savait, là encore, à la fois s’exposer à l’antenne ou sur les réseaux sociaux pour qu’on s’attache à lui, sans pour autant trop se dévoiler ou s’exposer, car cette personnalisation, elle était toujours au service du sujet et de la science. Une blague idiote, une référence générationnelle culturelle, et ça repart.

Parce qu’enfin, c’était surtout ça aussi la “méthode” Martin : rien de mieux que la culture populaire (mais exigeante, toujours) pour donner envie d’entendre parler de science. À l’image de ce générique qui pourrait résumer à lui seul l’enthousiasme frétillant de l’auditeur quand l’heure est venue et que les premières notes sont lancées… Telle une série : toujours identique avec un schéma récurrent et pourtant toujours aussi surprenante.

La voix de Nicolas Martin, c’était un peu The Big Bang Theory à elle toute seule. Pas d’académisme pète-cul et voix basse pour endormir les capacités de révolte de son auditoire, mais un grand garçon toujours éveillé, adolescent donc bondissant et curieux de tout. L’élève presque qui en plein cours lève la main et pose une colle à son professeur obligé plus tard de partir chercher une réponse à la question posée. Le rôle du faux ingénu qui avec sa petite voix enthousiaste de fan devant son Stan Lee de la science du jour pose une question plus pertinente qui n’y paraît (même parfois dans son innocence ou ses approximations : l’honnêteté toujours de se reprendre au lieu de laisser penser que personne ne relèvera une erreur à part les spécialistes).

Merci pour ces années intenses donc, en espérant que Natacha Triou trouve son style. Sa “méthode”. Avec ses audaces et, je l’espère, une fantaisie propre. La même ossature peut-être, mais un ton qui lui corresponde. Sans reprise de la… martingale si douce à nos oreilles.

Les chefs-d’œuvre ne sont sans doute pas faits pour durer. Au contraire de la science, ils ne goûtent guère la reproductibilité. Ils sont rares et inimitables, c’est aussi à ça qu’on les reconnaît. Les chefs-d’œuvre jaillissent aussi parfois au bon endroit au bon moment. Comme des petits miracles appelés à disparaître. Ce moment s’achève presque : « ce sera dans quelques secondes musicales ».

Guitry, grand admirateur de France Culture à l’heure du thé, disait : « Après La Méthode scientifique, le silence qui lui succède, c’est encore La Méthode scientifique. »

On verra ça.


Poutine, l’irrésistible ascension, Vitaly Mansky (2018)

Un cheval… !

Note : 4 sur 5.

Poutine, l’irrésistible ascension

Titre original : Svideteli Putina

Année : 2018

Réalisation : Vitaly Mansky

On dirait l’ascension de Richard III. Eltsine obligé de lui céder le pouvoir pour qu’il le blanchisse, l’amertume le soir de l’élection quand Poupou oublie de lui passer un coup de fil, jusqu’au « ça sent le rouge » lâché au réveillon 2001 quand il entend la resucée de l’hymne soviétique. Eltsine avale toutes les couleuvres que Gloucester avait fait avaler aux futurs « fantômes » qui hanteront son sommeil. Y avait qu’une crapule pour le blanchir, il l’a compris bien trop tard.

Il y a même en arrière-plan tous les autres coups tordus de Gloucester : tentatives d’amadouer les médias / le peuple : « Regardez, il a un livre de prière à la main ! ». Le FSB qui planque des bombes, ça pourrait être le meurtre des enfants à la Tour. Toutes les futures « disparitions » des alliés de Poutine le soir de son élection : tous les alliés de Gloucester qu’il assassinera méthodiquement une fois attaché leurs services. Après l’agression de l’Ukraine, il n’y a plus qu’à se demander qui tiendra la vedette dans le dernier acte et viendra charcuter les jarrets de ce salopard.

Le soir même où Eltsine passe le relais à Poutine, la femme du réalisateur a déjà tout compris. Un soir du réveillon. Shakespeare n’aurait pas fait mieux. Le roi abusé qui fait un cadeau empoisonné au peuple à qui il avait, dix ans auparavant, rendu la liberté. Du grand art.

Ce qui est fou aussi, c’est de percevoir les fragilités de Poutine. On est dans la même classe des Zemmour, Goebbels et compagnie, de tous ces mâles complexés avec des rêves de puissance. Le réalisateur a presque pitié pour lui quand il essaie de gagner sa sympathie ou de le convaincre que le retour de l’hymne soviétique c’est une bonne chose, que le peuple a besoin de se rattacher à la fierté du passé. On sent un petit garçon déçu, pas très sûr de ses opinions, mais follement aussi contrarié de voir qu’un « intellectuel » dont il essaie de gagner le respect trouve ce qu’il fait parfaitement idiot voire dangereux. C’est un gamin, un type avec clairement un gros problème d’ego. Et avec zéro empathie pour les gens : le passage fabriqué chez son ancienne prof où on le voit presque aussi timide et froid qu’une Lady Di, puis faussement touché quand il se rend à l’anniversaire d’un attentat… C’est de la communication au ras des pâquerettes, pas encore de la propagande parce qu’on se doute que, derrière, les médias gardent encore un esprit critique, mais la population n’est pas armée pour apprécier l’exercice. Les larmes de crocodile, là encore ça rappelle tellement Richard III. Le type joue tellement grossièrement l’émotion qu’il ne peut pas être pris au sérieux, et pourtant si, un peu comme si on décelait déjà dans cette émotion feinte le tyran impossible à contredire qui se développera peu à peu.


 

Poutine, l’irrésistible ascension, Vitaly Mansky 2018 | Vertov SIA, GoldenEggProduction, Hypermarket Film


Sur La Saveur des goûts amers :

Top des meilleurs films documentaires

Liens externes :


Les Assurancetourix de l’Éducation nationale

Les capitales

Éducation

Billet écrit à la suite de l’écoute d’une émission de La Méthode scientifique intitulée Enseignement des sciences : comment trouver la bonne formule :

Je vais encore être désagréable avec les profs. Je retrouve typiquement chez ces deux intervenantes spécialistes de l’éducation la prosodie ronflante des profs qui pour moi est en partie responsable du défaut d’attention de certains élèves et donc de leur décrochage inéluctable.

J’ai toujours été un mauvais élève, et cela dans toutes les disciplines, je me sens donc un peu légitime pour pointer du doigt certaines des causes expliquant qu’il y aura bien souvent toujours une partie de la classe hermétique au discours du professeur.

Il se trouve qu’en parallèle de l’école, dès mes dix ans, je prenais des cours de théâtre. Or, une des choses étranges qui m’a toujours frappé durant mon douloureux passage dans la scolarité, c’est que ce que j’apprenais au théâtre n’était pas appliqué par les professeurs.

On me dira que diriger une classe ce n’est pas la même chose que jouer en public. Peut-être, mais les principes de transmission et d’expression sont les mêmes. Or je crois avoir compris qu’on s’appliquait à l’Éducation nationale à faire exactement comme si un cours n’était pas une représentation.

Derniers Jours, Angelo Morbelli (Villa Reale di Milano)

D’un côté on a des professeurs qui vont partir dans ce qu’on appelle au théâtre des tunnels (de longs monologues sans relief qui perdent le spectateur), de l’autre, des professeurs qui rameront à chercher un contact avec chacun des élèves et à les faire participer un à un ou à tour de rôle.

Ces deux modes de relation expliquent en partie pourquoi les professeurs ont toujours réclamé qu’on baisse le nombre d’élèves par classe. Quand on fait des « tunnels », on est incapable d’adapter sa prosodie au volume de la salle et au nombre d’élèves. Quand on cherche un contact direct avec les élèves pour les impliquer dans le cours, on arrive à le faire en général qu’avec quelques élèves, du premier rang, les autres sont exclus. On explique parfaitement ça au théâtre : interagir avec une partie de la salle, c’est exclure l’autre.

Ça s’explique assez facilement d’ailleurs : on peut accepter une certaine forme de connivence entre un « groupe » contre un autre si on est inclus dans ce groupe. Si on coupe la classe en morceaux, en cherchant volontairement ou non à instaurer une forme de connivence avec certains élèves, cette connivence sera automatiquement fondée sur le rejet de ceux qui deviennent spectateurs de cette connivence. Elle se fait donc avec une classe en tant qu’entité unique, ou elle ne se fait pas.

Ainsi, durant ma courte carrière d’élève endormi au dernier rang, je n’ai jamais vu un professeur adopter correctement les codes que j’apprenais au même moment dans mes cours de théâtre. Jamais. Or, désolé d’insister, faire un cours c’est savoir parler en public.

Je veux bien croire que la pédagogie soit une science, et que tous ces spécialistes de l’éducation aient des méthodes fort élaborées pour savoir ce qui est censé marcher pour améliorer l’écoute et les performances des élèves ; moi, j’y vois de mauvais acteurs. Parce qu’un acteur, avant de savoir composer son personnage, doit savoir se faire comprendre.

C’est aussi le rôle d’un professeur. Et rares sont les professeurs capables de se faire entendre par une classe entière.

On ne s’adresse pas, jamais, à des élèves en particulier (sinon brièvement et en gardant toujours contact avec les yeux avec le reste de la salle). Au théâtre, on dit qu’on « projette » (c’est une image) sa voix jusqu’au dernier rang (la quasi-totalité des professeurs ont la tête baissée et s’adresse aux deux premiers rangs excluant ainsi les élèves du fond). Quand on parle à quelqu’un à cinquante mètres, on ne fait pas autrement. Pas besoin de crier, mais le débit, le timbre, le souffle, la projection de la voix s’adaptent à la position de son (ou de ses, dans une classe) interlocuteur. La tête et les yeux « balayent » la salle sans jamais s’arrêter (ou rarement) sur un spectateur / élève.

Si toutefois on a besoin d’interpeller un élève en particulier, on le regarde, mais le corps et surtout la voix continue de porter jusqu’au dernier rang. Car il faut toujours entretenir cette connivence avec le reste de la salle. Interpeller un élève, ce n’est pas l’interpeller individuellement, c’est le prendre comme support à sa « démonstration » ; l’élève en question est un intermédiaire avec les autres élèves. On individualise un élève (comme un spectateur), et c’est la confiance, l’écoute, du reste de la classe qu’on perd. Et avec des élèves, je dirais qu’il faut que ça reste très furtif.

Quand on décide de s’adresser ainsi à un élève en particulier, par ailleurs, on évite de changer tout à coup de voix quand on s’adresse à un élève du fond… D’une part, parce que c’est le signe que le professeur jusque-là ne s’adressait qu’aux premiers rangs, et surtout, ça donne l’impression qu’il se rend compte tout à coup qu’il y a des élèves situés au fond. Paradoxalement, en cherchant à les inclure… on ne fait que les exclure un peu plus.

Et j’insiste : la priorité, c’est de parler pour les élèves au fond de la classe. Quand vous parlez dans une salle pour les personnes assises au dernier rang, vous parlez également pour celles assises au premier. Quand vous parlez en revanche dans une salle aux personnes du premier rang, vous excluez tous les autres (ce n’est pas techniquement impossible de parler au premier rang, mais je le répète, il faut alors garder en permanence le lien avec le reste de la salle).

Je sais que le fond de la classe a toujours valeur, à la fois pour certains élèves et pour des professeurs qui pensent ne pas être dupes, de refuge pour les mauvais élèves. Si un professeur avait conscience que s’adresser à une classe entière, c’était s’adresser pour ceux du fond (en y adoptant donc les techniques de voix et de regards décrites plus haut), aucun élève ne s’y sentirait soit tranquille soit à l’écart.

Le débit, le rythme, l’accentuation, bref tout ce qui constitue la prosodie chez un orateur, doit être adapté à la salle. D’une manière générale, je dirais qu’il vaut mieux en faire plus que pas assez. Sur scène, quand on « s’adresse » au public, indirectement ou non à travers des monologues, et qu’on déclame son texte, les mauvais acteurs ont tendance à réciter (en tout cas, à ne pas maîtriser les diverses techniques qui permettent de faire illusion et de s’assurer l’écoute du public). Un professeur n’est pas confronté à cette situation (quoi que, à force de ressortir les mêmes schémas de cours et qu’ils tombent dans le ronron monotone des acteurs qui « s’installent », on y est presque), en revanche, quand il est mauvais (ils le sont pratiquement tous), il adopte à peu de chose près la prosodie d’un acteur qui récite :

– débit monocorde

– rythme constat qui coule comme un flot ininterrompu (impression que c’est le flot qui contrôle l’orateur, pas le contraire)

– pas d’accentuation (tout est au même niveau et ça donne l’impression de faire des arabesques mélodiques pour faire joli ou semblant de structurer sa pensée)

– pas de pauses

– impression de surplace (quand on parle, on est poussé par une intention : toutes nos phrases sont construites pour s’orienter vers une fin de phrase où est censée se trouver une intonation mettant un point final à la couleur que l’on a choisi de donner à notre pensée)

– regard flou et fixe (voire un regard qui rebondit d’un point fixe à un autre : parce qu’il n’est peut-être pas inutile de dire qu’une personne qu’on écoute, c’est une personne qui se laisse regarder d’une part – regarder fixement, c’est souvent un refuge, là, pour le mauvais orateur –, mais aussi une personne qui grâce à la vivacité d’un regard toujours en mouvement, « balayant », laisse pénétrer sa « pensée » ou son « imagination » ; en réalité, le spectateur n’a évidemment pas accès à sa pensée, mais son visage est un peu comme un livre ouvert, ses yeux sont expressifs et le spectateur non seulement comprend mieux ce qui vient d’être dit mais arrive mieux à prévoir la suite – car souvent, puisque la pensée est censée précéder la parole, l’œil indique souvent la nature de ce qui va suivre – c’est pas de la magie, c’est ainsi que l’être humain fonctionne),

– gesticulations (oui, on parle aussi avec son corps, et en l’occurrence ici souvent le piège, c’est d’avoir le corps qui commente mollement le flot de parole)

Il y a d’autres problèmes que je retrouve exactement dans la parole de ces deux spécialistes de l’éducation et qui m’ont toujours interpellé : c’est la confusion, l’abstraction, la profusion de détails ou de détours inutiles dans le discours du professeur.

J’adore Proust, mais écouter les cours « magistraux » de certains professeurs, c’est un peu parfois être embarqué dans des tunnels alambiqués et creux. On pourrait dire que c’est la beauté de l’esprit français, et je serais sans doute le premier coupable en la matière, puisque déjà, dans les copies, on me reprochait ma « confusion ». Seulement, ça me faisait rire, parce que je trouvais justement terriblement confus le propre discours de ces professeurs. Quand on ne maîtrise pas les règles relationnelles avec une salle décrite plus haut, on essaie au moins d’être concret, précis et succinct dans son discours. Ce défaut qu’on reproche souvent, à raison, aux politiques ou aux hauts fonctionnaires (à tous ceux qui, paradoxalement, semblent prendre des cours de communication), je le trouvais déjà chez mes professeurs, et je le retrouve dans la manière typique de ces deux spécialistes à la radio.

On passe souvent pour évaluer les élèves, d’après ce que j’ai compris, dans d’autres pays, par des QCM. Et c’est très critiqué ici. C’est pourtant pour moi le signe que leur méthode d’apprentissage se base sur davantage de concret, sur des faits : tu connais ces éléments de connaissance, tu le démontres dans un QCM, point. Au moins jusqu’à un certain point, afin de définir des bases, ça me semble nécessaire de passer par ce travail. On va à l’essentiel.

En France, au contraire, on aime commenter, agrémenter une information de « pédagogie », autrement dit, on cherche à la rendre ludique, à expliquer le contexte ou que sais-je encore… Peut-être qu’avec de bons professeurs ça marcherait. Avec des mauvais, c’est un enfer. L’impression d’être Malcom McDowell dans Orange mécanique à qui on oblige de regarder Mister Bean raconter une blague en alexandrins. Un supplice.

Et à chaque discipline, j’ai eu cette impression.

En terminale par exemple, j’étais tout excité à l’idée de découvrir les cours de philosophie. Je me disais : « cool, on va apprendre des concepts nouveaux, on va en savoir plus sur l’histoire de la pensée ». Résultat ? Les dix premières heures ont été consacrées à l’étude d’un texte imbitable de Kant. Qui était Kant, ce qu’il pensait (en général), dans quel contexte (précis, pas vaguement pour « illustrer » ou égayer son cours), c’était pas important. Et je retrouvais exactement le type de cours de lettres qui déjà m’ennuyaient à mourir.

Preuve qu’un cours, ce n’est pas s’adresser à chacun de ses vingt élèves en animant sa classe comme dans Le Cercle des poètes disparus, les meilleurs cours auxquels j’ai pu assister, c’était des cours, pour le coup, magistraux, dans une grande salle.

Vous regardez des conférences d’Étienne Klein ou des cours de Jean-Jacques Hublin au Collège de France, micro ou pas, à leur manière de s’exprimer, je n’ai aucun doute sur le fait qu’ils aient conscience que parler à un public, c’est s’adresser à une entité, pas à des individus qu’il faut prendre un à un par la main. Qu’il y ait vingt ou trois cents personnes, c’est la même chose. (Et je parle uniquement de la relation dans la salle, je ne demande pas à des profs de corriger cent copies par classe.)

De manière générale, c’est assez cocasse de remarquer que ceux qui sont amenés à s’interroger sur nos méthodes de transmission du savoir, sont précisément toujours ceux qui sont les moins armés pour transmettre ces savoirs.

La formation à la française…

Je peux écouter des heures Étienne Klein sans comprendre le dixième de ce qu’il raconte, j’en tirerai toujours quelque chose, ne serait-ce que… du plaisir. Sans plaisir, on ne retient rien. Sans plaisir, pas de soif d’apprendre.

Et j’ai rien appris à l’école. Rien.


Jour de fête à l’hospice, Angelo Morbelli (Musée d’Orsay)

Courtermisme et défaussement du politique sous épidémie de Covid-19

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Politique(s) & médias

Je me permets de rebondir dans mon coin sur cet article de Christian Lehmann dans Libération, puisqu’il est moins question de sciences que de politique. Et malheureusement, je suis assez d’accord avec ce papier. Les « élites » gèrent l’épidémie comme ils gèrent le dérèglement climatique et l’ensemble des problèmes qu’ils sont censés chercher à résoudre à leur échelle : la prime va toujours au court terme, et persiste au sein de cette classe dirigeante une forme de pensée magique qu’une solution tombera toujours du ciel.

Le non-agir à la sauce française ; la peur qu’en arrangeant les choses on prenne le risque de tout aggraver.

Il y a ainsi, bien ancrée chez ces leaders, mais aussi dans l’ensemble du personnel sortant des grandes écoles de l’administration, une culture du défaussement. On laisse à d’autres le soin de trouver des solutions, prendre des décisions, tout en s’agitant pour faire croire le contraire (d’où l’importance non seulement de communiquer, mais aussi de se montrer sur le « terrain »). Si une situation s’améliore, on pourra se faire valoir d’une gestion parfaite (ce sera grâce à ce qu’on aura « fait » ; il y a une perception de l’action politique comme il y a un sentiment d’insécurité : le rapport de cause à effet est parfois tordu, et le but pour de tels professionnels de la communication, c’est de profiter des apparences), et si ça ne marche pas, ce sera parce que le contexte a changé ou que les gens n’ont pas compris la teneur de nos non-décisions.

Depuis trente ans que ces agitations gouvernent nos dirigeants, rien n’est à mettre à leur crédit. Ce qui n’est pas bien étonnant ; quand il y a des problèmes à résoudre, il ne faut pas s’étonner qu’à moyen et long terme, le problème persiste et finisse même par pourrir. Et quand arrive une crise exceptionnelle (d’autant plus problématique que tout est pensé dans un monde sans aléas exogènes et dans une logique des flux tendus), ils sont incapables de changer leur logique de défaussement, et sortir de leur obstination courtermiste.

Plus que trouver des solutions, comprendre une situation, prendre des décisions, ils espèrent encore que la crise se réglera d’elle-même et continuent de s’agiter pour donner le change. Leur idée fixe, dans un monde où le PIB est la seule valeur baromètre de la santé du pays, c’est la productivité et donc la reprise et le retour à la normale. Et ils espèrent que le port du masque devienne cette panacée tant espérée, tombée du ciel, capable de leur offrir ce retour à la normale ; ou que le nombre de tests (puisque c’est une solution « vue à la TV ») participe également à ce retour (qu’importe si les tests ne sont pas adressés aux bonnes personnes ou si les tests répondent à une logique de gestion de l’épidémie sur le moyen et long terme).

Et puis, ils voient les cas remonter, et comme en mars, pensée magique : ça va bien s’arrêter à un moment, quelqu’un va bien trouver une solution à temps…

Le plus cynique dans tout ça, c’est que même s’ils n’y comprennent pas grand-chose en crise sanitaire (on rappelle que c’est un politique — futur premier ministre — qui a été chargé du déconfinement, pas un épidémiologiste, parce que lui, il serait peut-être historien des épidémies, et il se rappelerait sans doute que déjà lors de la grippe espagnole, il y avait de nombreux exemples de déconfinements hâtifs suivis de nouvelles vagues d’infections), ils ont fini par comprendre que ne pas viser l’éradication d’un virus en contrôlant strictement les entrées sur le territoire et le traçage des positifs, ça voulait dire quelques dizaines de milliers de morts, mais ils ont compris que grâce à certaines mesures soufflées par des spécialistes, il y aurait sans doute un lissage des morts qui permettrait aux hôpitaux de gérer les malades. Ça, ils l’ont bien assimilé, et c’est ce qu’on est en train de vivre : l’épidémie repart depuis des mois, mais les contaminations et les hospitalisations ne montent pas en flèche d’un coup comme en mars. Sauf qu’en réalité, personne n’en sait rien ; personne ne sait jusqu’où ça peut aller ; la seule chose qu’on sait, c’est que sans éradication visée (« vivre avec le virus »), ça monte. Certes, moins fort que lors de la première vague, mais, irrémédiablement, ça monte. Ce qui implique quand même une montée des cas graves et surtout des morts, c’est pas abstrait.

Il y a donc quelques inconnus concernant les réalités épidémiques (de moins en moins), et il y a surtout une décision, là bien réelle, qui est de laisser mourir plusieurs dizaines de milliers de Français pour espérer que l’activité du pays n’en soit pas trop affectée. L’espoir toujours, celle exprimée par le Président il y a quelques mois dans un journal américain (en parlant de foi ou de destin, de mémoire). Et la même vision partagée avec tous les autres gouvernants de droite de la planète. L’idée que les crises sanitaires ne doivent pas infléchir les impératifs économiques. Pensée magique. Au lieu de se rendre compte que leurs croyances sont en train de voler en éclat à cause d’un événement pas si imprévisible que ça (dans une logique à long terme), on préfère se réfugier dans le déni et dans l’espoir qu’une solution arrivera par tomber du ciel. D’où la croyance que la science sera capable de proposer rapidement un vaccin efficace (on attend toujours un vaccin contre le rhume — provoqué par des coronavirus —, c’est dire si les espoirs aveugles placés en un vaccin peuvent paraître optimistes).

Et là, j’ai peur que ces derniers six mois, le Président ait été tenté en permanence d’écouter certaines personnes avec des influences contraires. D’un côté, le Ministre de la santé et l’ancien Premier ministre, qui, me semble-t-il, comprenaient les difficultés et les enjeux de cette crise sanitaire (et notamment, je le pense, la nécessité non pas de contrôler le virus avec l’optique de « vivre avec », mais de l’éradiquer parce que l’activité ne saurait reprendre durablement, la confiance revenir, y compris dans un secteur important en France qui est le tourisme et la culture, avec des mesures contraignantes et durables) ; et de l’autre, sa femme et nombre de personnalités de droite dont on sait aujourd’hui, avec les deux extrêmes, qu’elle est assez perméable à l’idée du « vivre avec le virus ». Avec le nouveau Premier ministre, il semblerait qu’on ait changé de braquet et décidé de naviguer sans freins… quoi qu’il en coûte.

Notes Sur l’épidémie de Covid-19

Qui a commencé à dire « le Covid » et pourquoi c’est fautif ?

Les capitales

Orthographe

Il n’est pas inutile de rappeler pourquoi il y a une guéguerre et comprendre (apparemment) d’où c’est parti. Parce que quand on comprend comment tout a commencé, plus facile de remettre en question l’argument avancé par certains de « l’usage ».

Au tout début de l’épidémie, au mois de janvier, on a parlé un peu partout dans les médias, donc dans la population, du « coronavirus » ou du « nouveau coronavirus ». Puis le 11 février, l’OMS donne un nom au virus ET à la maladie :

La Covid-19 pour la maladie et le SARS-CoV-2 pour le virus.

https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/advice-for-public/q-a-coronaviruses*

La page a été supprimée depuis, une autre a été créée par la suite (dans sa documentation, l’OMS parle toujours de « la COVID-19 ») :

https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/technical-guidance/naming-the-coronavirus-disease-(covid-2019)-and-the-virus-that-causes-it

Cette information est reprise, semble-t-il par l’AFP, qui, parce que les journalistes ne sont pas connus pour être des experts en sciences (et la pression de l’actualité faisant que les correcteurs ne sont alors peut-être pas consultés quand on a besoin de sortir une info rapidement…) est la première à faire la méprise. Une méprise qui sera reproduite partout.

Je parle bien de méprise. La méprise entre le virus et la maladie provoquée par le virus.

L’OMS était pourtant claire dans son communiqué (et déjà en français). Seulement, pour l’AFP, et pour tous ceux qui suivront et qui ne prendront pas la peine de retourner à la source de l’AFP se contentant de la recopier, si le communiqué de l’OMS est clair, eh ben il pose problème aux vulgaires vulgarisateurs d’informations que sont les agences de presse : Covid-19, la maladie, c’est plus simple à retenir que SARS-CoV-2, le virus. Dilemme, depuis janvier, l’usage (là, oui), il est de parler du virus, celui auquel on se réfère en parlant de « coronavirus » ou alors plus justement de « nouveau coronavirus ». Et puisqu’on parlait jusque-là du virus pourquoi changer ? Méprise volontaire ou non de l’AFP et de ceux qui ont suivi, le fait est qu’on a préféré utiliser le terme de la maladie pour l’employer à la place de celui du virus. Ce n’est donc pas une question d’usage, mais une méprise des médias qui ont interverti les termes pour aller au plus simple. Ces termes ne sont pas tombés du ciel par l’usage populaire, il s’agit de termes définis par des organismes scientifiques selon des règles qui sont propres à la science (c’est le Comité international sur la taxonomie des virus). Il n’y a pas un usage populaire et un autre scientifique : l’usage, ici, doit suivre ce qui est prescrit par ceux qui ont défini les termes. De la même manière qu’il serait fautif de parler aujourd’hui de Pluton comme d’une planète alors que cette désignation lui a été retirée par ceux chargés de nommer les planètes, il est fautif de parler du Covid.

« Le coronavirus » est ainsi devenu « le Covid-19 » en pensant se référer au virus, alors que « Covid-19 » a toujours été la maladie.

Et quand l’Académie française rappelle qu’il faut dire la Covid et non le Covid, elle ne fait que rappeler ce qui avait été décidé quelques semaines plus tôt à l’OMS. L’Académie ne décrète rien du tout. Et l’OMS va encore moins consulter des linguistes ou des académiciens pour savoir quoi dire : c’est elle, l’OMS, qui décide, et elle décide en fonction d’une logique on ne peut plus simple : une maladie, c’est féminin. La tuberculose, la grippe, la variole, etc. Le Sida, par exemple, n’est pas désigné comme une maladie, mais comme un syndrome, et est donc… masculin. Ce n’est pas une question d’usage, mais de grammaire basique, et donc de mauvais usage. Et même s’il était question d’usage, l’usage c’est d’utiliser « la » pour un nom féminin.

Pour finir de s’en convaincre, il suffit de trouver un synonyme à « Covid-19 », si vous dites « le Coronavirus », c’est bien que vous parlez du virus pour ce qui est en fait désigné comme une maladie.

Dès le 11 février, Le Monde reprend la dépêche AFP et reproduit la méprise en parlant de Covid-19 pour le virus :

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/02/11/coronavirus-le-president-chinois-demande-des-mesures-plus-fortes-alors-que-le-bilan-depasse-les-1-000-morts_6029127_3244.html

Joli moment de confusion : « Le virus s’appellera désormais officiellement « Covid-19 », a annoncé mardi le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève. Cette dénomination remplace celle de 2019-nCoV, décidée à titre provisoire après l’apparition de la maladie. »


septembre 2020

Ironiquement, quand un compte certifié Twitter les mentionne pour s’expliquer de leur usage du masculin, les correcteurs du Monde répondent :

Je réponds à mon tour en citant la phrase de février où ils font une méprise entre le nom de la maladie et celui du virus. Aucune réponse, mais une tripotée de clics sur mon profil. 68 abonnés certifiés, « danseur sur table », j’ai pas le bon profil pour espérer une réponse.


Mise à jour fin novembre 2021 

Je reviens sur ce que je disais plus haut sur un point : différents usages peuvent cohabiter au sein d’une même langue s’ils appartiennent à un registre, donc un contexte et par conséquent un usage propre. Surtout après deux ans d’usages, et de cohabitation d’usages (en reprenant pour le reste les arguments de l’année dernière).

Ainsi, je réponds à la chaîne YouTube Linguisticae ceci : 

C’est intéressant, mais pour se positionner, il faut savoir de quoi on parle. Est-ce que quand vous parlez de le ou la Covid vous parler du virus ou de la maladie ? Presque toujours, dans l’usage courant, on parle du virus. Donc je veux bien que les linguistes parlent du Covid parce que dans le langage populaire, il s’agit du virus. En revanche, dans la communauté scientifique, on parle plus de la maladie Covid. Qu’on soit donc dans une communauté ou une autre, on ne parle pas de la même chose. Pour parler du virus, on parle de Covid, chez les scientifiques, pour parler du virus, on parle du Sars-cov2.

Définir, ça aide, faire un peu d’étymologie, ça éclaire souvent pas mal aussi : le terme « la Covid » précède celui de « le Covid » (même s’ils sont “nés” le même jour). Pourquoi ? Parce que, qu’est-ce que c’est “Covid” ? C’est un terme définit par des scientifiques pour remplacer les termes populaires existants (souvent des syntagmes péjoratifs ou imprécis, ici c’était « le virus chinois », le “coronavirus”). C’est donc un terme définit par la communauté scientifique au sein de l’OMS. C’est ainsi que ça se passe, c’est un collège d’experts qui se charge comme dans nombre de sciences de définir les choses. Par exemple, si vous voulez dire que Pluton est une planète, OK, la majorité comprendra et sera d’accord, mais en l’occurrence, ce n’est ni l’usage ni le nombre qui décide, mais une communauté d’experts. Pour une maladie ou un virus, c’est la même chose (même si on peut accepter différents niveaux de langage, un populaire et un autre scientifique plus précis ou correct), et à l’OMS, on avait donc décidé que ce serait « la Covid » (et j’insiste, avant qu’il y ait débat sur “le” ou “la”, ce sont les experts de l’OMS qui ont parlé de « la Covid »).

Or, c’est une dépêche de l’AFP, reprise immédiatement par tous les journaux et médias, qui a mal lu le communiqué de l’OMS et qui a confondu les deux termes définis que sont « la Covid » et « le Sars-cov2 ». On parlait alors rarement de « la maladie à coronavirus » dans les médias ou ailleurs, on ne parlait presque toujours que du « nouveau coronavirus » ou « coronavirus » ; et pour faire simple, ou par méprise, l’AFP a alors écrit à tort que l’OMS avait fait le choix « du Covid » pour définir le « nouveau coronavirus » (Sars-cov2″ étant probablement plus compliqué).

Maintenant, ce n’est pas la première fois qu’un usage populaire apparaisse à partir d’une erreur. Le plus souvent, c’est le téléphone arabe, il faut attendre des siècles pour que l’usage change. Ici, c’était immédiat. On peut donc dire les deux, mais cela relèverait surtout à la fois de quoi on parle (du virus ou de la maladie) et dans quel contexte et avec qui.

C’est à partir de quand qu’on s’insurge ?

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C’est à partir de quand qu’on s’insurge ?

Je suis plutôt en retrait de la plupart des médias politiques ces dernières années, et je découvre cette Léa Salamé officiant comme journaliste sur FranceInter et France2. En quelques jours, cette journaliste a agité mon Twitter. D’abord pour une interview plus que musclée d’un responsable syndicaliste, puis pour un petit voyage vers le Liban (dont elle serait originaire) pour interviewer l’ancien PDG de Renault-Nissan après sa fuite du Japon, et enfin aujourd’hui pour une émission dans laquelle elle a reçu un Français soi-disant lambda pour parler politique et dans laquelle, face aux remous sur les réseaux sociaux, elle doit finalement avouer que la personne en question est le mari d’une responsable politique dans la capitale. Et tout ça, alors que cette dame serait en même temps la conjointe d’un autre responsable politique…

Ces écarts sont si surréalistes qu’on pourrait s’étonner que cette dame travaille encore, de surcroît sur le service public. Sérieusement, c’est quoi le problème de ce pays avec la partialité, les connivences entre journalistes et politiques ? À quel niveau d’incompétence ou de compromission arrive-t-on quand on est en charge d’une radio et qu’on autorise, ou mandate, une journaliste interviewer un repris de justice avec qui on pourrait soupçonner une certaine proximité, et qui, de fait, se montre plus que conciliante avec l’évadé en question ? Est-ce que tous ces professionnels, rédacteurs en chef, journalistes ne doivent leur place qu’à de l’entrisme, à un réseau d’amis ou d’anciennes écoles, à leur capacité à se soumettre aux injonctions partisanes de leurs chefs et maîtres ?

La radio publique est depuis bien un mois régulièrement en grève à cause (de ce que j’en comprends) d’un plan de restructuration des chaînes, mais est-ce que tous les journalistes et techniciens cautionnent ces méthodes dignes d’une dictature, est-ce que tous sont, à ce point, veules et soucieux pour leur propre carrière au point de ne pas s’insurger, aussi, contre cette culture de l’impartialité dans les médias et journaux ? Ou est-ce que tous sont-ils biberonnés à l’incompétence, à la servitude ? Appartiennent-ils tous aux mêmes petits groupes parisiens dans lesquels tout le monde se tient et où politiques ou hauts fonctionnaires, entrepreneurs, journalistes se côtoient ? Comprennent-ils au moins à quel point ces relations sont néfastes pour la démocratie ? Mais s’il y a encore des gens honnêtes dans votre profession, insurgez-vous, d’abord contre ça, bon sang…

Porcher, Blanquer et l’animateur : (la fable) de la communication, du témoignage et de l’information

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Politique(s) & médias

Un témoignage est-il une information ?

Petit commentaire en réponse à l’histoire de la « pancarte Blanquer » (série de tweets d’un animateur assistant à la visite du ministre dans la structure où il travaille, puis tweet de Thomas Porcher relayant « l’histoire » en demandant à ce qu’elle soit vérifiée).

Le seul tort de Thomas Porcher dans son tweet, c’est d’avoir parlé « d’information » (tout en supposant que ça pourrait être vrai dans la suite de son tweet, certes, mais ce n’est pas mon sujet ici). Est-ce qu’un témoignage est une information ? À mon sens, non. Donc pas de fake sans information.

Si l’animateur a reconnu avoir menti sur une partie de son témoignage, on ne sait rien du reste. C’est un peu comme quand Macron (ou un autre) ment dans un discours : à partir de quel niveau de mensonge décide-t-on que tout ce qui est raconté est un mensonge ? Parce qu’il s’agit bien de récit, de communication, pas de vérité des faits ou d’information. Poser avec une pancarte à sa gloire, c’est du récit et de la communication. Dire ou prétendre dévoiler en retour comment cette image a été mise en scène, ça reste un témoignage, donc du récit, donc de la communication, quel que soit le niveau de véritude de ce récit. Ce n’est donc toujours pas une information. Une information, c’est un fait, étayé au moins par un nombre de témoignages (donc de sources) supérieur à un ou par des éléments matériels factuels. On peut alors le cas échéant parler de fake si la dite information est présentée comme telle alors qu’elle ne s’appuie que sur une source unique tout en laissant penser qu’elle s’appuie sur autre chose… ou encore si l’élément matériel censé présenter l’information comme factuelle est bidonné… (à l’insu ou non de celui qui le relaie, car on peut de bonne foi présenter un fait comme vrai alors qu’on se fait manipuler par sa source), etc, etc.

Qu’a-t-on donc ici ?

  • Un ministre posant pour une photo à sa gloire dont il se servira plus tard en la publiant sur son compte Tweeter. C’est factuellement de la communication (il est à la fois le sujet et le relais de « l’événement »), et à ce degré de préparation et de préméditation, il convient sans doute de parler de propagande : pour mettre en scène une telle image, cela réclame un degré certain de préparation (si on met de côté la pancarte, qu’elle soit malhabilement maquillée pour faire enfantin ou qu’elle soit le résultat d’un processus créatif particulièrement tarabiscoté) : ne serait-ce qu’obtenir le droit à l’image des enfants auprès des parents, ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique.
  • Un animateur témoignant du passage d’un ministre dans sa structure et prétendant en raconter les coulisses. L’animateur fait part de cette expérience dans une suite de tweets. Et au-delà des faits racontés, de la manière partiale dont ils le sont (mais on est bien dans le récit, pas de doute au moins), pas vraiment de quoi fouetter un chat : on peut comprendre aisément que pour la mise en place d’une telle opération de communication (ou de propagande), que ce soit particulièrement envahissant et perturbant pour les habitués du lieu. Vient ensuite l’anecdote de la pancarte, racontée à la fin de cette série de tweets. Quelques heures plus tard, placé devant le fait accompli et dépassé par l’ampleur qu’a pris son témoignage sur les réseaux sociaux, l’animateur avoue avoir menti sur le coup de la pancarte bidonnée (« déféquée » ?) : et pour cause, l’image partagée par le ministre avait été prise la veille dans une autre structure (« tous les [jours] je voudrais que ça r’commence. You kaïdi aïdi aïda »). Est-ce que le reste de son témoignage est bidonné ? On n’en sait rien, mais encore une fois, au-delà du ton assez critique de l’animateur, son témoignage ne me semble pas révéler une vérité particulièrement scandaleuse, juste l’évidence d’une jolie machine de communication au service (à la gloire ?) d’un personnage public. Au-delà donc du mensonge final, pas de quoi fouetter un chat, et d’ailleurs la pancarte, la photo, sa mise en scène, elles ne sont pas des fakes ; l’animateur n’était tout bonnement pas là pour avoir légitimité pour en témoigner (et c’est probablement son expérience du lendemain qui lui a laissé penser le contraire).
  • Et enfin, des réseaux sociaux qui s’emballent à partir de ce témoignage. Qu’est-ce qu’un réseau social ? Un lieu où se mêlent différents témoignages, commentaires ou points de vue. Et parfois, y trouve-t-on, perdu au milieu de cette grande cacophonie… des informations. Est-ce que relayer un témoignage en le présentant comme une information et demander à ce qu’elle soit vérifiée est une information ? Ben, le témoignage en lui-même n’est pas une information, mais il devient un fait dès qu’on se questionne précisément sur sa vérité, et donc sur sa légitimité à être présenté comme une information. Est-ce que ce fait seul en fait pour autant une information ? Hum, c’est factuel, certes, mais est-ce qu’un fait sur lequel on s’interroge (demander à vérifier « l’information ») est en soi une information ? Toujours pas, une information, ce n’est pas une interrogation. En revanche, y répondre, c’est peut-être déjà le début d’une information. Ce à quoi s’appliquera divers services de vérification (ceux de libé et de franceinfo, sauf erreur de ma part). Mais attention, à ce stade encore, il n’est peut-être pas non plus judicieux de parler « d’information ». Dire qu’un témoignage est un fake, est-ce de l’information ? Compliqué. Si, factuellement, on relève un mensonge dans un témoignage et qu’on rappelle que la source même de ce témoignage a reconnu avoir menti, mais que par ailleurs on ne met pas le reste en perspective, qu’on ne se questionne pas sur le reste du témoignage, sur la nature même du type d’information rapportée ou présentée comme telle, bref, si on ne se questionne pas sur la nature de ce qu’est une information, sans prendre le soin de rappeler ce qui relève de la communication, du témoignage et de l’information, eh bien on ne peut peut-être pas parler non plus, encore, d’information. Une information, ça éclaire. Et une information, ça ne tombe pas dans la facilité des conclusions définitives, du type “fake ou pas fake”. Mais, il y a du progrès, il faut le reconnaître, on monte un niveau dans l’échelle du commentaire.

Allô, c’est pô du journalisme ?

Les capitales

Politique(s) & médias

Péripétie/polémique concernant davduf pas si inutile que ça. Mettre en lumière le fait qu’effectivement le travail de D.Dufresne sur ce point consiste à “signaler”. Et c’est déjà beaucoup. Réflexe citoyen, et non journalistique, certes, qu’il faudrait comparer à des signalements du type “faites tourner cette vidéo, ces Roms kidnappent des enfants” avec un lien Rom/kidnapping forcé, voire fantasmé. Ici la véracité des faits dépend de la bonne foi de la source : un signalement n’est pas un travail d’enquête. Sinon, quand un terroriste partage en direct sur les réseaux ses crimes, il faudrait que chacun enquête sur la fiabilité de la source, et donc sur la véracité de ce qu’on voit… Impossible. Signaler est un acte citoyen, ce n’est pas présenté par D.Dufresne comme du journalisme, bien qu’au final ça témoigne assez bien de la réalité d’une époque. À étudier dans tous les cours sur les médias…

En revanche, dommage que la réponse (détaillée, le lien expliquant sa méthode et probablement son intention) soit… payante, renvoyant à un site payant. Moi j’aime bien le droit à l’information pour tous, encore plus quand il n’est justement pas question de journalisme mais de civisme.