La fin de La Méthode scientifique avec Nicolas Martin

Peut-être avec Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert la meilleure émission à la radio ces dernières années. Sinon de tous les temps et de l’univers visible (enfin audible).

Une émission et un présentateur amenés à devenir, malheureusement un peu trop tôt, cultes.

Au-delà d’allier deux qualités a priori incompatibles, se mettre au niveau de tous les auditeurs (sur une radio réputée élitiste) et une exigence de qualité, et par conséquent une compréhension de tous les mille et un sujets abordés (il suffit d’écouter la précision des interventions, lire les retours parfois élogieux des invités, suivre les remarques des tables rondes du vendredi, pour s’en convaincre) ; eh bien au-delà de ça, la Méthode scientifique, c’était surtout une méthode, un style Nicolas Martin.

En réécoutant la première rediffusée en hommage à Yves Coppens, on entend déjà ce qui fera le propre de la “méthode” Martin : une volonté de créer une connivence avec les invités et son équipe sans que ça tombe non plus dans le divertissement. Rendre attractif, plaisant, la science, et donc la science à la radio. Sans pour autant inviter des rigolos pour assurer le spectacle. Parce que c’est ça aussi la “méthode” Martin : mettre les spécialistes sur un piédestal, les aider à porter leur voix, leurs travaux. Une méthode aussi tournée vers la recontextualisation d’une découverte ou d’une branche de la science. Parce que la “méthode”, c’est aussi ça, l’exploration, la découverte, l’éclairage. C’est sans doute aussi ce qui a fait son succès, avec cette capacité à attirer le pékin n’y comprenant rien en science et qui a l’impression, par petites notes, de comprendre parfois l’essentiel au milieu de longues minutes imbitables mais rendues captivantes (ah, les maths), mais aussi de véritables scientifiques qui, je n’en doute pas, écoutaient dans leur coin la Méthode scientifique parce qu’elle parvenait à rendre leur discipline claire et captivante sans compromis et raccourcis, et parce qu’ils pouvaient de leur côté élargir leur spectre de connaissances dans des disciplines très éloignées de la leur.

Parmi les propositions, le ton ou les angles retrouvés dans cette première émission, tout ne marchait pas, mais il semblerait que l’équipe soit parvenue à améliorer la formule tout en restant fidèle à l’idée de départ. Faire populaire, vivant, tout en étant exigeant. Au cinéma, quand ça arrive, on parle de chef-d’œuvre. Mais que ce soit à la radio ou au cinéma, pour un chef-d’œuvre, il faut une personnalité qui incarne le “produit”. Sans doute que la Méthode était faite à l’image de Nicolas Martin. Qui savait, là encore, à la fois s’exposer à l’antenne ou sur les réseaux sociaux pour qu’on s’attache à lui, sans pour autant trop se dévoiler ou s’exposer, car cette personnalisation, elle était toujours au service du sujet et de la science. Une blague idiote, une référence générationnelle culturelle, et ça repart.

Parce qu’enfin, c’était surtout ça aussi la “méthode” Martin : rien de mieux que la culture populaire (mais exigeante, toujours) pour donner envie d’entendre parler de science. À l’image de ce générique qui pourrait résumer à lui seul l’enthousiasme frétillant de l’auditeur quand l’heure est venue et que les premières notes sont lancées… Telle une série : toujours identique avec un schéma récurrent et pourtant toujours aussi surprenante.

La voix de Nicolas Martin, c’était un peu The Big Bang Theory à elle toute seule. Pas d’académisme pète-cul et voix basse pour endormir les capacités de révolte de son auditoire, mais un grand garçon toujours éveillé, adolescent donc bondissant et curieux de tout. L’élève presque qui en plein cours lève la main et pose une colle à son professeur obligé plus tard de partir chercher une réponse à la question posée. Le rôle du faux ingénu qui avec sa petite voix enthousiaste de fan devant son Stan Lee de la science du jour pose une question plus pertinente qui n’y paraît (même parfois dans son innocence ou ses approximations : l’honnêteté toujours de se reprendre au lieu de laisser penser que personne ne relèvera une erreur à part les spécialistes).

Merci pour ces années intenses donc, en espérant que Natacha Triou trouve son style. Sa “méthode”. Avec ses audaces et, je l’espère, une fantaisie propre. La même ossature peut-être, mais un ton qui lui corresponde. Sans reprise de la… martingale si douce à nos oreilles.

Les chefs-d’œuvre ne sont sans doute pas faits pour durer. Au contraire de la science, ils ne goûtent guère la reproductibilité. Ils sont rares et inimitables, c’est aussi à ça qu’on les reconnaît. Les chefs-d’œuvre jaillissent aussi parfois au bon endroit au bon moment. Comme des petits miracles appelés à disparaître. Ce moment s’achève presque : « ce sera dans quelques secondes musicales ».

Guitry, grand admirateur de France Culture à l’heure du thé, disait : « Après La Méthode scientifique, le silence qui lui succède, c’est encore La Méthode scientifique. »

On verra ça.