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Un témoignage est-il une information ?
Petit commentaire en réponse à l’histoire de la « pancarte Blanquer » (série de tweets d’un animateur assistant à la visite du ministre dans la structure où il travaille, puis tweet de Thomas Porcher relayant « l’histoire » en demandant à ce qu’elle soit vérifiée).
Le seul tort de Thomas Porcher dans son tweet, c’est d’avoir parlé « d’information » (tout en supposant que ça pourrait être vrai dans la suite de son tweet, certes, mais ce n’est pas mon sujet ici). Est-ce qu’un témoignage est une information ? À mon sens, non. Donc pas de fake sans information.
Si l’animateur a reconnu avoir menti sur une partie de son témoignage, on ne sait rien du reste. C’est un peu comme quand Macron (ou un autre) ment dans un discours : à partir de quel niveau de mensonge décide-t-on que tout ce qui est raconté est un mensonge ? Parce qu’il s’agit bien de récit, de communication, pas de vérité des faits ou d’information. Poser avec une pancarte à sa gloire, c’est du récit et de la communication. Dire ou prétendre dévoiler en retour comment cette image a été mise en scène, ça reste un témoignage, donc du récit, donc de la communication, quel que soit le niveau de véritude de ce récit. Ce n’est donc toujours pas une information. Une information, c’est un fait, étayé au moins par un nombre de témoignages (donc de sources) supérieur à un ou par des éléments matériels factuels. On peut alors le cas échéant parler de fake si la dite information est présentée comme telle alors qu’elle ne s’appuie que sur une source unique tout en laissant penser qu’elle s’appuie sur autre chose… ou encore si l’élément matériel censé présenter l’information comme factuelle est bidonné… (à l’insu ou non de celui qui le relaie, car on peut de bonne foi présenter un fait comme vrai alors qu’on se fait manipuler par sa source), etc, etc.
Qu’a-t-on donc ici ?
- Un ministre posant pour une photo à sa gloire dont il se servira plus tard en la publiant sur son compte Tweeter. C’est factuellement de la communication (il est à la fois le sujet et le relais de « l’événement »), et à ce degré de préparation et de préméditation, il convient sans doute de parler de propagande : pour mettre en scène une telle image, cela réclame un degré certain de préparation (si on met de côté la pancarte, qu’elle soit malhabilement maquillée pour faire enfantin ou qu’elle soit le résultat d’un processus créatif particulièrement tarabiscoté) : ne serait-ce qu’obtenir le droit à l’image des enfants auprès des parents, ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique.
- Un animateur témoignant du passage d’un ministre dans sa structure et prétendant en raconter les coulisses. L’animateur fait part de cette expérience dans une suite de tweets. Et au-delà des faits racontés, de la manière partiale dont ils le sont (mais on est bien dans le récit, pas de doute au moins), pas vraiment de quoi fouetter un chat : on peut comprendre aisément que pour la mise en place d’une telle opération de communication (ou de propagande), que ce soit particulièrement envahissant et perturbant pour les habitués du lieu. Vient ensuite l’anecdote de la pancarte, racontée à la fin de cette série de tweets. Quelques heures plus tard, placé devant le fait accompli et dépassé par l’ampleur qu’a pris son témoignage sur les réseaux sociaux, l’animateur avoue avoir menti sur le coup de la pancarte bidonnée (« déféquée » ?) : et pour cause, l’image partagée par le ministre avait été prise la veille dans une autre structure (« tous les [jours] je voudrais que ça r’commence. You kaïdi aïdi aïda »). Est-ce que le reste de son témoignage est bidonné ? On n’en sait rien, mais encore une fois, au-delà du ton assez critique de l’animateur, son témoignage ne me semble pas révéler une vérité particulièrement scandaleuse, juste l’évidence d’une jolie machine de communication au service (à la gloire ?) d’un personnage public. Au-delà donc du mensonge final, pas de quoi fouetter un chat, et d’ailleurs la pancarte, la photo, sa mise en scène, elles ne sont pas des fakes ; l’animateur n’était tout bonnement pas là pour avoir légitimité pour en témoigner (et c’est probablement son expérience du lendemain qui lui a laissé penser le contraire).
- Et enfin, des réseaux sociaux qui s’emballent à partir de ce témoignage. Qu’est-ce qu’un réseau social ? Un lieu où se mêlent différents témoignages, commentaires ou points de vue. Et parfois, y trouve-t-on, perdu au milieu de cette grande cacophonie… des informations. Est-ce que relayer un témoignage en le présentant comme une information et demander à ce qu’elle soit vérifiée est une information ? Ben, le témoignage en lui-même n’est pas une information, mais il devient un fait dès qu’on se questionne précisément sur sa vérité, et donc sur sa légitimité à être présenté comme une information. Est-ce que ce fait seul en fait pour autant une information ? Hum, c’est factuel, certes, mais est-ce qu’un fait sur lequel on s’interroge (demander à vérifier « l’information ») est en soi une information ? Toujours pas, une information, ce n’est pas une interrogation. En revanche, y répondre, c’est peut-être déjà le début d’une information. Ce à quoi s’appliquera divers services de vérification (ceux de libé et de franceinfo, sauf erreur de ma part). Mais attention, à ce stade encore, il n’est peut-être pas non plus judicieux de parler « d’information ». Dire qu’un témoignage est un fake, est-ce de l’information ? Compliqué. Si, factuellement, on relève un mensonge dans un témoignage et qu’on rappelle que la source même de ce témoignage a reconnu avoir menti, mais que par ailleurs on ne met pas le reste en perspective, qu’on ne se questionne pas sur le reste du témoignage, sur la nature même du type d’information rapportée ou présentée comme telle, bref, si on ne se questionne pas sur la nature de ce qu’est une information, sans prendre le soin de rappeler ce qui relève de la communication, du témoignage et de l’information, eh bien on ne peut peut-être pas parler non plus, encore, d’information. Une information, ça éclaire. Et une information, ça ne tombe pas dans la facilité des conclusions définitives, du type “fake ou pas fake”. Mais, il y a du progrès, il faut le reconnaître, on monte un niveau dans l’échelle du commentaire.
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