Porcher, Blanquer et l’animateur : (la fable) de la communication, du témoignage et de l’information

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Un témoignage est-il une information ?

Petit commentaire en réponse à l’histoire de la « pancarte Blanquer » (série de tweets d’un animateur assistant à la visite du ministre dans la structure où il travaille, puis tweet de Thomas Porcher relayant « l’histoire » en demandant à ce qu’elle soit vérifiée).

Le seul tort de Thomas Porcher dans son tweet, c’est d’avoir parlé « d’information » (tout en supposant que ça pourrait être vrai dans la suite de son tweet, certes, mais ce n’est pas mon sujet ici). Est-ce qu’un témoignage est une information ? À mon sens, non. Donc pas de fake sans information.

Si l’animateur a reconnu avoir menti sur une partie de son témoignage, on ne sait rien du reste. C’est un peu comme quand Macron (ou un autre) ment dans un discours : à partir de quel niveau de mensonge décide-t-on que tout ce qui est raconté est un mensonge ? Parce qu’il s’agit bien de récit, de communication, pas de vérité des faits ou d’information. Poser avec une pancarte à sa gloire, c’est du récit et de la communication. Dire ou prétendre dévoiler en retour comment cette image a été mise en scène, ça reste un témoignage, donc du récit, donc de la communication, quel que soit le niveau de véritude de ce récit. Ce n’est donc toujours pas une information. Une information, c’est un fait, étayé au moins par un nombre de témoignages (donc de sources) supérieur à un ou par des éléments matériels factuels. On peut alors le cas échéant parler de fake si la dite information est présentée comme telle alors qu’elle ne s’appuie que sur une source unique tout en laissant penser qu’elle s’appuie sur autre chose… ou encore si l’élément matériel censé présenter l’information comme factuelle est bidonné… (à l’insu ou non de celui qui le relaie, car on peut de bonne foi présenter un fait comme vrai alors qu’on se fait manipuler par sa source), etc, etc.

Qu’a-t-on donc ici ?

  • Un ministre posant pour une photo à sa gloire dont il se servira plus tard en la publiant sur son compte Tweeter. C’est factuellement de la communication (il est à la fois le sujet et le relais de « l’événement »), et à ce degré de préparation et de préméditation, il convient sans doute de parler de propagande : pour mettre en scène une telle image, cela réclame un degré certain de préparation (si on met de côté la pancarte, qu’elle soit malhabilement maquillée pour faire enfantin ou qu’elle soit le résultat d’un processus créatif particulièrement tarabiscoté) : ne serait-ce qu’obtenir le droit à l’image des enfants auprès des parents, ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique.
  • Un animateur témoignant du passage d’un ministre dans sa structure et prétendant en raconter les coulisses. L’animateur fait part de cette expérience dans une suite de tweets. Et au-delà des faits racontés, de la manière partiale dont ils le sont (mais on est bien dans le récit, pas de doute au moins), pas vraiment de quoi fouetter un chat : on peut comprendre aisément que pour la mise en place d’une telle opération de communication (ou de propagande), que ce soit particulièrement envahissant et perturbant pour les habitués du lieu. Vient ensuite l’anecdote de la pancarte, racontée à la fin de cette série de tweets. Quelques heures plus tard, placé devant le fait accompli et dépassé par l’ampleur qu’a pris son témoignage sur les réseaux sociaux, l’animateur avoue avoir menti sur le coup de la pancarte bidonnée (« déféquée » ?) : et pour cause, l’image partagée par le ministre avait été prise la veille dans une autre structure (« tous les [jours] je voudrais que ça r’commence. You kaïdi aïdi aïda »). Est-ce que le reste de son témoignage est bidonné ? On n’en sait rien, mais encore une fois, au-delà du ton assez critique de l’animateur, son témoignage ne me semble pas révéler une vérité particulièrement scandaleuse, juste l’évidence d’une jolie machine de communication au service (à la gloire ?) d’un personnage public. Au-delà donc du mensonge final, pas de quoi fouetter un chat, et d’ailleurs la pancarte, la photo, sa mise en scène, elles ne sont pas des fakes ; l’animateur n’était tout bonnement pas là pour avoir légitimité pour en témoigner (et c’est probablement son expérience du lendemain qui lui a laissé penser le contraire).
  • Et enfin, des réseaux sociaux qui s’emballent à partir de ce témoignage. Qu’est-ce qu’un réseau social ? Un lieu où se mêlent différents témoignages, commentaires ou points de vue. Et parfois, y trouve-t-on, perdu au milieu de cette grande cacophonie… des informations. Est-ce que relayer un témoignage en le présentant comme une information et demander à ce qu’elle soit vérifiée est une information ? Ben, le témoignage en lui-même n’est pas une information, mais il devient un fait dès qu’on se questionne précisément sur sa vérité, et donc sur sa légitimité à être présenté comme une information. Est-ce que ce fait seul en fait pour autant une information ? Hum, c’est factuel, certes, mais est-ce qu’un fait sur lequel on s’interroge (demander à vérifier « l’information ») est en soi une information ? Toujours pas, une information, ce n’est pas une interrogation. En revanche, y répondre, c’est peut-être déjà le début d’une information. Ce à quoi s’appliquera divers services de vérification (ceux de libé et de franceinfo, sauf erreur de ma part). Mais attention, à ce stade encore, il n’est peut-être pas non plus judicieux de parler « d’information ». Dire qu’un témoignage est un fake, est-ce de l’information ? Compliqué. Si, factuellement, on relève un mensonge dans un témoignage et qu’on rappelle que la source même de ce témoignage a reconnu avoir menti, mais que par ailleurs on ne met pas le reste en perspective, qu’on ne se questionne pas sur le reste du témoignage, sur la nature même du type d’information rapportée ou présentée comme telle, bref, si on ne se questionne pas sur la nature de ce qu’est une information, sans prendre le soin de rappeler ce qui relève de la communication, du témoignage et de l’information, eh bien on ne peut peut-être pas parler non plus, encore, d’information. Une information, ça éclaire. Et une information, ça ne tombe pas dans la facilité des conclusions définitives, du type “fake ou pas fake”. Mais, il y a du progrès, il faut le reconnaître, on monte un niveau dans l’échelle du commentaire.

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Note de frais

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Rugy : couvert

Il y a une manière assez simple en fait de déterminer si dîners, déjeuners, rencontres, rendez-vous de travail sont organisés à titre professionnel ou privé : regarder la liste des convives.

On verra rarement des gens du bas peuple y être invitées afin que son royal organisateur puisse y maintenir le lien avec le « vrai monde » : y a-t-on déjà vu des ouvriers reclassés, des retraités, des routiers en colère, des chômeurs en fin de droit, des ingénieurs, des rats de laboratoire, des enfants d’immigrés, des repris de justice (et pourquoi pas ?), des infirmières, des urgentistes, des parents de djihadistes, des CRS ou des gilets jaunes dans ces rencontres « républicaines » ? Probablement pas. Au moins d’être le 14 juillet. Il y aurait pourtant un intérêt à faire dialoguer tout ce petit monde aux frais de la princesse, à soigner leur réseau à eux, à les sortir de leur zone de confort pour les inciter à sortir de leur logique revendicatrice, à les écouter, etc.

Et si les convives, ne sont que des « influenceurs », des journalistes, des éditorialistes, des écrivains, des acteurs, des danseurs de claquette, des directeurs de quoi qu’est-ce ou des homologues… on est dans la professionnalisation du réseautage à seul but personnel. Les gens de la haute font ça depuis des millénaires, mais le plus souvent à leurs frais. La courtisânerie entre puissants, affairistes, arrivistes et intrigants.

Le problème, c’est bien quand ce beau monde où le tout Paris se retrouve « entre soi » est nourri, blanchi (sans jeu de mots), logé aux frais du contribuable. Et là c’est simple, pour moi, aucune rencontre, aucun rendez-vous, aucun déjeuner ou dîner n’a légitimité à être réglé autrement que par l’organisateur-même : à ses frais. Toute rencontre utile peut se faire dans un bureau de ministère : chaque convive, intervenant, paie de sa poche son déplacement. Tu veux déjeuner ? Tu profites de ta prime panier monsieur le ministre et on arrête la logique de la note de frais. Celui qui demande « audience » auprès du ministre ou du roi, il a un intérêt à le rencontrer, donc il paie tout de sa poche ; s’il vient à la demande du serviteur de l’État, il le fait pour l’intérêt général et il n’accepte pas de se faire payer son déplacement ou de bouffer « aux râteliers du roi ».

Dans la même logique, un ministre, ça peut très bien bosser depuis le bureau de son ministère. Les déplacements dans le territoire devraient être à sa charge. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas un employé de l’État, il est maître de son agenda. Quand une boîte dit à un employé d’aller à tel ou tel endroit, il lui paie le déplacement, il lui paie la bouffe et l’hôtel. Tu veux montrer ta tronche en province, au mieux, c’est de la communication, au pire, c’est de l’opportunisme courtisan (toujours bien de développer son réseau en province). Reste donc sur ton trône, parade dans la capitale quand on te demande de le faire, monsieur le serviteur de l’État ; pour le reste, tu devrais tout payer de ta poche. Quitte à ce qu’on augmente les salaires de ces serviteurs de l’État, hein. Mais qu’en échange les frais de fonctionnement, de représentation, de communication soient réduits à que dalle. Parce que faudrait arrêter de se foutre de la gueule du monde : un ministère, c’est actuellement avant tout un communicant qui bosse pour sa paroisse. Dans le meilleur des cas, il prend des décisions conforment à la ligne gouvernementale fixée par d’autres. Dans les autres, il parade. Si un ministre veut être plus pro-actif, faire des propositions, étudier ses sujets (hein ?), cesser de n’occuper qu’un poste honorifique avant d’en chasser un autre, eh bien, il pose ses fesses sur sa chaise, et travail dans son bureau : il potasse ses dossiers, il se fait conseiller, il reçoit. Besoin ni de homard ni de sèche-cheveux pour cela. Et laissons aux ambassadeurs le soin de jouer à la dînette pour le « prestige » français à l’étranger.

 

La problématique du réchauffement climatique n’a aucun sens si elle n’est pas immédiatement reliée à une autre, celle de l’extinction massive des espèces

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Science, technologie, espace, climat

Fatigué de voir toutes ces polémiques concernant le réchauffement climatique. Faire du réchauffement climatique une urgence absolue est un piège. Parce que ses conséquences et ses implications ne sont pas comprises. Le citadin, l’homme consumériste du XXIᵉ siècle, le réchauffement climatique, ça ne peut avoir dans sa représentation du monde qu’un impact anecdotique, ça se limite à modifier quelques habitudes de consommation histoire d’être citoyen, un peu comme on donne aux bonnes œuvres. Il n’y a alors pas plus d’urgence pour lui que pour la faim dans le monde ; c’est pour lui une sorte de marronnier citoyen, une problématique dont il a vaguement conscience, mais dont il refusera toujours de comprendre à long terme les réelles conséquences. Et presque à raison on pourrait presque dire. La planète se réchauffe ? On s’adaptera pense-t-il ; on ira moins dans certaines régions du monde ; on créera un budget climatisation pour les heures chaudes de l’été comme on a un budget chauffage en hiver ; et puis on acceptera en fonction de son implication des « petits » sacrifices de consommation pour « faire un geste pour la planète », un peu comme on décide de manger plus de légumes pour sa santé.

Parce qu’au fond, cet homme-là, il n’en a rien à foutre du réchauffement climatique. Et s’il s’en moque, c’est que les conséquences d’un tel dérèglement lui échappent.

Et là, c’est la faute des écologistes, des scientifiques, qui peinent à fixer les priorités de notre époque, à traduire pour l’imaginaire collectif, pour ce citadin du XXIᵉ siècle qui s’est forgé des habitudes de vie héritées du siècle passé, non pas l’urgence, mais la catastrophe environnementale déjà opérée grosso modo depuis l’ère industrielle. Quand on parle de « nature », de « planète », ou même comme je le fais ici « d’environnement », on ne parle pas de la catastrophe bien réelle qui se déroule sous nos yeux et pour laquelle on ne fait rien à force de parler du réchauffement climatique. « Nature », « planète », « environnement », ça sonne creux pour l’homme des villes, ce sont des concepts creux car éloignés de son propre environnement.

Cette catastrophe qu’il faudrait plus mettre en lumière, c’est l’extinction massive des espèces. Ce n’est plus une « urgence », c’est un fait, c’est une catastrophe, et la seule chose que l’homme peut encore faire, c’est en limiter l’impact à l’avenir. Et dans cette perspective, la lutte contre le dérèglement climatique, ce n’est qu’un aspect du problème. Le climat, il a toujours changé, oui, c’est un drame, oui, on peut agir sur lui, oui on peut espérer changer la tendance au prix d’énormes efforts, mais si on ne comprend pas l’enjeu bien plus dramatique qui se cache derrière, c’est une lutte perdue d’avance. L’enjeu, c’est le ralentissement de la disparition des espèces animales et végétales. Le climat change, les espèces les plus adaptées changeront avec lui. Seulement au rythme où nous allons, la seule espèce capable de s’adapter à une telle crise environnementale, c’est la nôtre. Le citadin n’a aucun souci à se faire, il est en haut de l’échelle, et au prix d’éventuelles crises sociales, il y a peu de chances qu’il disparaisse à moyen ou long terme. En revanche, c’est pour la diversité que c’est dramatique, pour les autres espèces, et là il ne faudrait pas croire que la disparition des espèces ça se limite à préserver les lions ou autres animaux de cirques ou de zoos. Parce que si encore une fois on se réfugie derrière des symboles, des arbres-écrans, c’est toute la forêt en péril qu’on ignore.

L’enjeu, c’est donc bien l’extinction massive des espèces. Pour une espèce qui s’adapte au stress environnemental, il y a cent, mille, dix mille, qui disparaissent, qui ont déjà disparu et qui disparaîtront encore. La terre se réchauffe ? « On » s’adapte. Mais les espèces disparues ne s’adaptent plus. Ce qui est perdu est perdu. Et ce qui est perdu, ce sont des espèces qui ont évolué en même temps que nous, qui sont parfois plus anciennes que la nôtre, qui sont les héritières d’une longue évolution, les survivants des précédentes extinctions de masse et les témoins du miracle de la vie.

Préserver la biodiversité, ce n’est pas non plus œuvrer pour maintenir une ressource éventuelle dans le cycle du vivant : les espèces ne sont pas au service de l’homme. Que nous puissions tirer profit à tous les niveaux et cela déjà depuis des dizaines de milliers d’années, de certaines espèces, c’est pour beaucoup ce qui nous a permis de nous élever en tant qu’espèce au-dessus de toutes les autres, oui. Mais si cette exploitation est réelle et doit pouvoir se maintenir dans des proportions raisonnées, elle n’est pas la finalité de la préservation des espèces. On mange de la viande, des végétaux, toute notre pharmacopée est tirée et dépend de cette richesse, mais on ne préserve pas la nature à notre seul profit. Autrement, on ne chercherait qu’à préserver les espèces dont on tire profit. Difficile à concevoir pour un homme citadin du XXIᵉ siècle que tout l’environnement de la planète ne doit, et ne peut être, formaté à son seul usage et profit. Ici, l’ennemi, c’est l’urbanisme grandissant. On ne préservera pas les espèces dans une logique de « réserves naturelles ». L’exception, il faudra le comprendre, c’est l’urbanisme. La règle devrait être la préservation des espaces naturels pour garantir l’habitat des espèces dans leur milieu d’origine. Le dérèglement climatique impose des migrations. Les hommes peuvent migrer. Les espèces séquestrées dans des réserves, non.

L’enjeu, il est là. L’intérêt supérieur de toutes les espèces peuplant encore ce monde. Des espèces, tout comme la nôtre, qui sont le fruit de millions d’années d’évolution, de crises, de catastrophes. Le danger, il n’est pas pour demain, il n’est même pas pour nos générations futures qui ne peuvent craindre que pour leur confort de grands consuméristes ; le danger, il est de voir disparaître toujours plus d’espèces de la surface de la planète et d’être continuellement au chevet d’une poignée d’autres qu’on aura décidé de préserver pour notre seul profit. Continuons à avancer avec des œillères, et ce ne sera pas notre environnement climatique qui sera chamboulé, mais bien la surface de la terre, ce qu’on appelle biomasse, biodiversité, le « vivant », et qui pourra alors se conformer à l’idée anthropocentriste qu’on se fait d’elle : entre les villes, il n’y aura plus que des routes et des terrains vagues stériles.

Allô, c’est pô du journalisme ?

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Péripétie/polémique concernant davduf pas si inutile que ça. Mettre en lumière le fait qu’effectivement le travail de D.Dufresne sur ce point consiste à “signaler”. Et c’est déjà beaucoup. Réflexe citoyen, et non journalistique, certes, qu’il faudrait comparer à des signalements du type “faites tourner cette vidéo, ces Roms kidnappent des enfants” avec un lien Rom/kidnapping forcé, voire fantasmé. Ici la véracité des faits dépend de la bonne foi de la source : un signalement n’est pas un travail d’enquête. Sinon, quand un terroriste partage en direct sur les réseaux ses crimes, il faudrait que chacun enquête sur la fiabilité de la source, et donc sur la véracité de ce qu’on voit… Impossible. Signaler est un acte citoyen, ce n’est pas présenté par D.Dufresne comme du journalisme, bien qu’au final ça témoigne assez bien de la réalité d’une époque. À étudier dans tous les cours sur les médias…

En revanche, dommage que la réponse (détaillée, le lien expliquant sa méthode et probablement son intention) soit… payante, renvoyant à un site payant. Moi j’aime bien le droit à l’information pour tous, encore plus quand il n’est justement pas question de journalisme mais de civisme.

 

La crise ne paie pas

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Au cours de l’histoire moderne, les progrès techniques, scientifiques, commerciaux ou environnementaux se sont faits au profit d’abord des élites bourgeoises, et si une classe moyenne riche a pu apparaître, c’est parce qu’à la fois le fruit de leur travail mais aussi leur consommation en masse, profitaient à ses mêmes intéressés, les élites. Ce système gagnant-gagnant a permis aux démocraties de connaître leur âge d’or et une sorte de concorde est apparue entre ces différentes classes. À une période où le monde doit faire face à des changements environnementaux affectant leur développement et remettant en cause leur logique basée sur une surproduction et une surconsommation, toute la question est de savoir comment les élites bourgeoises qui tiennent le pouvoir de ces démocraties vont arriver à continuer à évoluer si c’est désormais au détriment des classes moyennes et de l’environnement.

Tout porte à croire que les bouleversements climatiques pèseront de plus en plus dans le prix que chacun devra payer pour maintenir son niveau de vie. Sauf progrès technique majeur, le niveau de vie moyen des pays historiques de la révolution industrielle devrait baisser. Et cela ne peut être acceptable pour les classes moyennes que si pour la première fois depuis le début de l’ère moderne ces élites bourgeoises acceptaient de prendre leur part dans ce déclin. C’est le prix de la concorde entre les classes.

En 2008, la crise financière a prouvé que quand les élites fautaient, elles continuaient d’en faire payer le prix par les classes inférieures. Depuis, rien n’a changé. Les dettes des États continuent de peser lourd sur les citoyens des classes moyennes et inférieures, tandis qu’ironiquement, les élites continuent de ne pas voir la crise et de s’enrichir toujours plus. Toutes les crises démocratiques découlent de cette logique inégalitaire qui a fait qu’après les trente glorieuses ces « premiers de cordée » ont refusé de prendre leur part à la crise.

Aujourd’hui, avec la crise des gilets jaunes, c’est un autre exemple de ces déséquilibres qui s’expriment. La crise n’est plus financière, mais de confiance vis-à-vis de cette classe dominante qui à leurs yeux profite de la crise environnementale en devenir pour faire payer aux classes moyennes et inférieures le prix d’un ralentissement voire d’un déclin productif nécessaire pour atténuer les effets d’un changement climatique à moyen et long terme.

De la même manière que la crise financière de 2008 aurait dû être payée par ces élites bourgeoises pour en avoir été les seuls responsables, ce sont à elles de payer la plus grosse part d’un aménagement productif, industriel et inter-commercial, sans quoi aucune paix entre les classes ne pourrait être désormais possible.

Décroissance, aménagements industriels, et accompagnements sociaux : face à une crise environnementale, ce sont les seules solutions à long terme pour préserver ce qui peut l’être d’un mode de vie qui, quoi qu’il arrive maintenant, et dans sa forme actuelle, est voué à disparaître.

Si c’est à eux de montrer l’exemple, c’est que s’ils le font, en tant que premiers de cordée pour gravir une montagne, ils ne peuvent être les premiers à s’en sortir quand la montagne s’effondre sous leurs pas. C’est une question de dignité, et de fraternité. Jusqu’alors, la fraternité n’avait un sens pour ces élites qu’à l’intérieur même de leur classe, de leur « monde ». La révolution française avait porté la bourgeoisie au pouvoir, il serait temps qu’elle apprenne à son tour le sens de la « fraternité », s’ils ne veulent pas être délogés de leur piédestal comme leurs prédécesseurs de haute classe.

Faire payer les élites, qu’est-ce que ça signifie ? Que chaque fois que de l’argent public doit être trouvé, ce sont ceux avec des revenus et un patrimoine important qui en proportion paient les premiers. La notion de premiers de cordée, c’est ça. Ceux qui profitent de la concorde, de la paix sociale, sont ceux qui devraient en être les premiers garants. Une évidence, sauf pour eux.


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La marche des cons vaincus

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Sérieusement, mesdames, vous voulez… marcher pour faire entendre votre voix contre les violences sexuelles et sexistes dont vous êtes victimes ? Encore un coup d’épée dans l’eau du féminisme de prétention et de réseaux sociaux. Quelle époque… Entre le féminisme de façade qui s’affiche sur Twitter et le féminisme extrémiste, prendriez-vous le temps de la réflexion pour adopter un féminisme qui avance, et qui refuse enfin les techniques de postures qui ne sont pas à la hauteur de ce contre quoi vous prétendez lutter ? Le but, c’est une nouvelle fois de dénoncer une situation pour la simple satisfaction cathartique de la dénoncer ou c’est d’adopter des comportements capables de faire changer les mentalités et les comportements ?

Il y aurait une déferlante féministe dans la rue, ça changerait quoi ? Vous auriez enfoncé des portes ouvertes. Toutes les victimes, toutes les femmes abusées, victimes, rabaissées, freinées, humiliées, toutes sont d’accord pour dénoncer les mêmes situations et comportements. Les hommes de leur côté, quand ils ne sont pas agresseurs, profiteurs, offenseurs, approuveront avec la même hypocrisie, ou au mieux, useront comme vous de pensée magique pour prier les cieux que « cela change ». Parce que c’est curieux, tout le monde semble être d’accord, et pourtant rien change. L’unanimité en trompe-l’œil, on connaît ça depuis la France black blanc beur.

Il est où le problème ? Puisque le problème persiste depuis la déferlante « vue sur les réseaux sociaux » met/balancetonporc, pas vrai ? Rien n’a changé ou je me trompe ? Alors quoi, c’est la faute de l’alliance nationale du patriarcat en danger ?… Manque de chance, le lobby des mâles contre les femelles n’existe pas. Ce serait trop simple. Et c’est peut-être bien beaucoup aussi parce qu’on ne fait pas changer des usages avec des belles paroles approuvées par tous (ou même applaudies à coups de likes ou de retweetes).

Sérieusement, un type qui met la main aux fesses à une stagiaire, il va arrêter de profiter de la situation parce qu’une armée de bonnes femmes pleines de bonnes volontés ont battu le pavé ? Il n’en a strictement rien à battre. Pire, ça le confortera dans l’idée qu’il est puissant, et qu’une stagiaire, ça adopte un comportement de réserve ou ça démissionne. Preuve en est, pour lui : pour se défendre les victimes ont besoin de se réunir et d’en appeler à l’autorité supérieure de l’État, de l’opinion… Quelle merveilleuse preuve de sa puissance !… Quel adoubement !… Eh, oui, parce que la seule raison pour laquelle il profite de la situation, c’est qu’il sait, ou pense encore, qu’une main au cul, ça ne lui vaudra aucune poursuite. Il sait, par habitude peut-être, que la majorité des femmes, au pire, vont se renfrogner, se fendre d’un petit commentaire plaintif et outragé qui ne fera encore que conforter son impression de toute puissance, et puis plus rien.

Bref, ce n’est pas une marche, c’est une moisson qui n’aura qu’une efficacité : nourrir l’orgueil des agresseurs.

Donc, le but est-il de prêcher les convaincus, faire de la psychologie de groupe pour panser ses blessures et déverser sa frustration en imaginant qu’il suffit d’être unis pour faire changer les comportements ? Sérieusement, mesdames, si vous pensez qu’une telle manœuvre profite à la cause que vous défendez, vous allez au-devant d’une jolie déception. Cela ne fera qu’augmenter frustration, incompréhension, et pire que tout encore, cela nourrira encore la certitude de ces hommes qu’ils peuvent jouir d’une impunité totale et que tout leur est permis.

Comment être efficaces ?

Il y a quelques semaines, c’était la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire. À cette occasion, une responsable d’association expliquait que se plaindre auprès des parents ou de l’administration n’était pas la meilleure solution (et jusqu’à un certain niveau de harcèlement subi) si c’était ces mêmes personnes qui venaient ensuite faire la leçon à l’agresseur. Car l’agresseur se trouvait toujours conforté dans son idée qu’il avait des raisons de s’en prendre à sa victime : sa demande d’aide de tiers était la preuve de sa vulnérabilité. Vulnérabilité que les agresseurs tentent toujours de mettre en évidence pour exercer leur supériorité sur des personnes qu’ils suspectent d’être plus faibles. Cette responsable d’association expliquait alors que son rôle à elle était d’aider les victimes à répondre elles-mêmes de manière adéquate à leurs agresseurs. Aller voir ces derniers quand on est adulte serait alors non seulement la solution de facilité parce que la plus naturelle, et parce qu’on voudrait croire que l’enfant agresseur se conformera à la volonté du « plus grand », mais était surtout la solution la plus efficace : l’enfant écoutera sans broncher sa leçon, mais l’idée que la personne qu’il harcèle est plus faible que lui n’aura pas changé, elle sera même confortée dans son idée, et le harcèlement pourra reprendre parce qu’elle repose toujours sur une idée de soumission du plus faible au plus fort. Or c’est précisément ce rapport de soumission qu’il faut contester.

Comparaison n’est pas raison. Mais une grosse part du harcèlement que subissent les femmes, quand elles ne sont pas encore suivies d’agressions physiques, sexuelles, procède de la même logique. « Je suis fort. Je te mets à l’épreuve. Tu me prouves ton infériorité et ta vulnérabilité par ton absence de réponse. Je profite de cette faiblesse. »

Se réunir toutes un samedi pour une grande messe pédestre ne changera rien. Apprendre à répondre aux harceleurs, si.

C’est aux harcelées de changer de comportement. Et la difficulté, elle est de leur donner les clés pour apprendre à se défendre, à répondre, à ne pas se laisser faire. La solidarité, elle n’est pas de se réunir toutes ensemble pour dénoncer des agissements personnels, et malheureusement naturels ; la solidarité, elle est d’aider les femmes les plus exposées, les plus fragiles, celles qui ne savent pas répondre ou reconnaître des situations à risque, pour qu’elles adoptent des comportements qui à la longue indisposeront les agresseurs et leur passera l’envie de voir la relation à l’autre uniquement sur un rapport dominant/dominé.

Alors certes, à partir d’un certain niveau d’agression, il n’est plus question de trouver une réponse seule face à son agresseur. Mais on aurait tort de négliger l’importance de ces petites agressions : c’est d’abord parce que les agresseurs se trouvent confortés dans leurs tentatives de réduire l’autre à l’idée d’un simple objet qu’ils franchissent la ligne rouge suivante avec la conviction qu’ils pourraient jouir de la même impunité.

Sinon, bonne chance avec les convaincus, les hypocrites et la pensée magique.

Et si le constat est identique entre les questions liées au harcèlement et aux dérives sexistes, c’est qu’elles procèdent d’un même processus. Il n’y a rien de spécifique dans les inégalités entre hommes et femmes, ces inégalités sont communes à tous les rapports de domination. S’attaquer aux violences masculines ou aux inégalités de genre ne fait que condamner et chercher à traiter les conséquences du problème quand tout découle des rapports de domination. S’il faut éduquer et changer les usages, c’est sur cette question qu’il faut le faire. Il n’y a pas de lutte sur les inégalités qui est plus légitime qu’une autre, et aucune essentialisation des individus en fonction de leur appartenance à tel ou tel groupe ne réglera les problèmes. Apprendre au contraire que toutes les inégalités systémiques découlent des rapports de domination entre sexes, entre groupes, entre ethnies, entre classes sociales, entre générations, oui. Qu’importent les marqueurs identitaires revendiqués, perçus ou accolés aux individus, il y a toujours un individu, qui à travers son groupe, se perçoit supérieur à un autre qui lui autorise alors de rentrer dans une logique de domination à l’autre. C’est cette logique qu’il faut combattre. Toutes les sociétés ont créé des usages pour codifier les rapports sociaux. Certaines ont imaginé des méthodes pour aller dans le sens de cette domination ou au contraire pour les limiter. Il est possible de créer une société dont les usages condamnent les rapports de domination. À la révolution française, on s’appelait « citoyen » ; les communistes s’appellent « camarades ». Ce sont des usages horizontaux. Il faut arriver à trouver d’autres usages illustrant cette volonté de nous remettre tous à niveau.

La fascisation correcte

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La fascisation correcte

Juger un homme en fonction de sa nature supposée au lieu de le juger en fonction de ses actes indépendamment les uns des autres, c’est comme juger qu’un Noir ou un Juif sont par nature différents des autres hommes. La pensée binaire fascisante, c’est la même qui a fait des millions de victimes au XXᵉ siècle à travers les dictatures fascistes que celle qui aujourd’hui invente pour un maréchal un droit de mémoire d’exception. Quand le politiquement correct flirte avec la « fascisation correcte ». Pensez binaire, messieurs dames.

Pour une fois que le Président Tréma dit quelque chose de juste et de nuancé, les terroristes de la fascisation correcte lui tombent sur le dos.

Le plus beau sophisme de cette pensée crapuleuse : « La gloire d’un homme ne couvre pas ses crimes. »

C’est de ses crimes dont il est question lors des commémorations de la Grande Guerre ?

Mêmes pitreries nuisibles que ce soit pour Céline ou pour Polanski.

 

Paie ta contribution à la culture de la bêtise

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Paie ta contribution à la culture de la bêtise, version Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes :

« C’est ce qui contribue à la culture du viol que de minimiser ou de relativiser les viols et les agressions sexuels selon le talent, selon la notoriété, de la personne qui est mise en cause. » « Je me suis aperçu qu’en janvier il y avait un autre cinéaste qui était programmé à la Cinémathèque française qui a été condamné deux fois, donc ça me choque. J’en ai parlé avec la ministre de la Culture, nous pensons que la Cinémathèque française pourrait programmer des cinéastes femmes par exemple, ou des cinéastes femmes et hommes qui n’ont pas été condamnés pour agression sexuelle ou pour viol, il y en a pléthore. Ce serait de notre point de vue plus pertinent. »

Ce qui serait pertinent, ce serait qu’une femme secrétaire d’État évite de parler d’un sujet que manifestement elle ne connaît pas en ignorant complètement et probablement volontairement la programmation à la Cinémathèque. Bel exemple d’un opportunisme crapuleux et démagogique.

Parce que ce qui est choquant, et j’en ai parlé avec mon chat il est d’accord avec moi, c’est de suggérer que la Cinémathèque française ne « mettrait à l’honneur » que des cinéastes (présumés ou non, mais quand on se mêle à la foule pour conspuer le même type, secrétaire d’État ou non, on se pense bien protégé au milieu des autres, et la présomption d’innocence, on s’en balance) agresseurs sexuels. Puisqu’on est dans la dénonciation pure et simple, je rappelle donc que Claire Denis a fait l’objet d’une rétrospective complète en début de saison et que Chantal Akerman aura droit aux mêmes honneurs. Et puisqu’il n’est visiblement pas inutile de le préciser à des secrétaires d’État volontairement inculte et/ou malhonnête, non la Cinémathèque ne programme pas lors du prochain trimestre que Roman Polanski et Jean-Claude Brisseau.

Alors, puisque la culture de la bêtise est un virus qui s’insinue un peu par capillarité, je m’y plonge avec joie et demande : Que peut-on espérer d’une secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes qui cultive ainsi la bêtise et la malhonnêteté intellectuelle ?

Rien, au revoir.


Les semailles de la bêtise opportuniste :

http://www.lci.fr/politique/video-pour-marlene-schiappa-l-hommage-rendu-a-roman-polanski-contribue-a-la-culture-du-viol-cinematheque-francaise-2068944.html

Les totems de l’idéologie

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Violences de la société

Quand des groupes érigent des totems idéologiques supposés répondre à une menace que l’on croit bien définie, on insiste sur le caractère étranger et intrusif de cette menace. Cela a deux conséquences : le totem ainsi érigé devient le symbole vénéré d’une union du « nous » contre une union d’abord mal définie du « eux », mais on aide du même coup, en ostracisant, stigmatisant, des membres de notre propre groupe aux contours d’abord flous, eux, à rejoindre et composer un totem idéologique opposé se nourrissant uniquement du rejet du groupe désormais mieux défini.

Ainsi naissent certains groupes : en s’opposant les uns par rapport aux autres. Ainsi fleurissent les idéologies de la violence.

À l’image des trolls, les idéologies, comme les religions, se nourrissent du rejet qu’elles suscitent. « Qu’importe qu’on parle de moi en mal, pourvu qu’on parle de moi » : même principe. Combattez une idéologie et vous ne faites que l’alimenter.

Mais totem contre totem, ce qui est en jeu, c’est ce qu’on trouve derrière les symboles, contre quel ennemi on combat. Si on pense toujours qu’il y a derrière le terrorisme une question légitime idéologique liée à la supposée radicalisation d’une religion, l’islam, alors on ne pourra qu’échouer à résoudre la question des attaques terroristes et on ne fera que nourrir le monstre et aider à bâtir, à rendre consistant, un peu plus ce totem qu’on prétend vouloir abattre.

Aucune idéologie ne pourrait motiver et légitimer une logique mortifère dans laquelle on tue des innocents. On trouve des motifs derrière les crimes passionnels, derrière les attentats politiques, mais derrière l’idéologie supposée des djihadistes, il y a des hommes rejetés par leur société qui trouvent par opportunisme avec cette idéologie (et leur totem) une manière d’exister et de donner sens à leur vie. La cause n’en est pas une, mais puisqu’elle est désignée ainsi par tous, y compris par ceux qui en sont victimes, elle apparaît alors comme réelle et légitime. Mais ce n’est jamais l’idéologie, prônée le plus souvent cette fois à l’étranger, qui éveille les consciences à leurs idéaux ; c’est au contraire les rejetés de la société qui trouvent là un prétexte à se retourner contre elle. Ces rejetés se retourneront alors plus volontiers contre leur société si en son sein les groupes tendent toujours plus à se lier contre des ennemis de l’intérieur qu’on ne voit pas, qu’on redoute, et qui sont secrètement liés aux idéaux étrangers.

Le terrorisme est moins une question idéologique qu’un problème d’ostracisation sévère des membres de la société dont on se méfie. L’origine des violences est non pas idéologique, mais bien sociétale et psychologique.

Demandons-nous ce qui précède entre l’idéologie (donc l’idée, la pensée, menant à la lutte, à la violence) et la simple idée de tuer, de s’en prendre à ses semblables, ses voisins. Dans la quasi-totalité des cas, si on essaie de comprendre le parcours des terroristes, l’idéologie vient toujours après et semble bien légitimer une violence contenue jusque-là et qui ne se serait certes pas exprimée avec une telle violence si l’idéologie en question, le totem, n’avait pas pris corps. Les frustrations d’une intégration bâclée, les désillusions de jeunes adultes ne trouvant pas leur place dans la société qui les entoure, le rejet ressenti réel ou supposé des autres, c’est tout ça qui mène les individus à rejoindre les totems d’une idéologie que le plus souvent d’ailleurs ils connaissent mal. Les terroristes sont des opportunistes, des psychopathes, et penser qu’ils sont créés à l’extérieur est la pire manière pour espérer s’en débarrasser.

On prétend que les terroristes ne sont pas des loups solitaires parce qu’ils sont armés, préparés et sont liés à des réseaux. D’accord, mais les idéologues eux n’agiront jamais. À l’image des gourous, ils incitent leurs disciples à faire ce qu’eux seraient incapables de faire. Comme dans les sectes, l’idée est bien de trouver des individus fragiles et rejetés par la société pour qu’ils puissent exercer sur eux l’influence souhaitée. Que ce soit chez les tyrans, les gourous ou les commanditaires d’attentats, ce sont les architectes des totems qu’ils aident à élever principalement par la peur et la haine d’un ennemi parfois imaginaire. Les terroristes, ceux qui disent partir en martyrs selon les principes du dieu totem, de l’idéologie qu’ils sont censés défendre, sont bien des loups solitaires, d’anciens loups solitaires réunis autour non pas d’un même chef de meute, parce qu’on ne suivrait pas la quête personnelle d’un seul homme, mais autour d’un totem idéologique. Le symbole d’une union construite autour d’une même haine.

Des loups solitaires, qui ne choisissent pas de devenir terroristes, mais qui ont, contenu en eux, une violence commune, la société en construit tous les jours. Ce qui les pousse, et leur donne l’occasion de se mettre à l’œuvre, et alors de quitter leur frustration solitaire, c’est de trouver une idéologie, un totem, capable de leur correspondre. On se rapproche de ceux, les seuls désormais, qui disent vouloir tirer le meilleur de nous, nous mettre en valeur et nous accepter non pas pour nos valeurs (on est opportuniste et on se lie au maître qui nous tend la gamelle) mais pour ce qu’on est, ou supposé être. Un individu aux origines étrangères cherchera en vain ses modèles dans la société qui l’entoure et se tournera plus volontiers vers un groupe capable de lui dire « cela, c’est toi, c’est nous ».

un totem dressé

Comme il est aisé de trouver de nouveaux totems idéologiques quand les membres d’une société qu’on a fini par abhorrer construisent si facilement leur propre totem vous désignant comme leur ennemi… L’ennemi (son totem) de mon ennemi (son totem) est mon ami (mon totem, ma nouvelle idéologie).

Logique destructrice.

Pointer du doigt l’islam, qu’on l’accompagne ou non du terme « radical », c’est aider à l’érection du totem des ennemis qu’on souhaite s’inventer pour affirmer, par contradiction, son appartenance à un groupe qu’on cherche par là à souder et à définir. Désigner son ennemi, c’est nourrir deux monstres. Celui qu’on alimente chez « l’ennemi désigné », mais aussi celui qui est en nous, parce qu’il se nourrit avant tout de peur, de haine, de rejet, de méconnaissance, de préjugés ou de raccourcis faciles de pensée devenus légitime par la seule existence supposée de ce monstre dont on se complaît et participe à donner corps et à nourrir. Ceux qui désignent les éléments perturbateurs d’un groupe ont toujours, à première vue, le beau rôle, parce qu’ils semblent œuvrer pour l’harmonie des leurs ; les membres d’un groupe ont toujours besoin de sceller leur identité et appartenance commune en dansant autour d’un même totem idéologique ; et ceux qui parlent en allant dans ce sens sont alors perçus comme des architectes, des bienfaiteurs, de grands prêtres de l’identité commune qui nous compose. Le groupe, pour se définir et s’unir autour de valeurs communes, a besoin d’un ennemi commun ; et quand cet ennemi n’existe pas, il faut l’inventer. Le nourrir. Dans une société pourtant prospère, on peut voir apparaître une haine et un ostracisme à l’égard de certaines de ses composantes ostensiblement exotiques, et pour nourrir cette peur qui est censée réunir ceux qui sont ostensiblement, eux, indigènes, on scrute tous les faits et gestes de ces éléments jugés perturbateurs. Le moindre dérapage « confirme la règle », nourrit la haine, et prend des proportions aberrantes. Un crime terroriste perpétré au nom du totem malfaisant et ennemi aura un impact bien plus grand qu’un crime de même nature généré par un membre de son propre groupe. Un crime de masse, un meurtre isolé, ce n’est pas une attaque terroriste, et on relayera ça dans les pages des faits divers.

un totem dressé

Comme il est réconfortant, et facile, gratifiant même, de jouer avec les illusions de masse pour se cacher derrière son propre totem, se hisser en son sommet pour qu’on nous y voie chanter en son honneur contre l’« ennemi ».

C’est une illusion à laquelle il faut lutter. Les véritables ennemis sont ceux qui s’y laissent prendre ou s’amusent à attiser le feu d’un malaise bien intérieur.

Quand la guerre froide a pris fin, le monde n’a pas mis longtemps à se réorganiser pour que de nouveaux blocs puissent se faire face et se haïr. On aurait pu nous contenter de lancer la guerre au rhume des foins, à la grippe ou aux accidents de la route, mais ces ennemis-là ne font que des victimes collatéraux qu’on accepte parce qu’ils nous semblent communs et non dirigés par la même main invisible d’un méchant monstre. L’ennemi doit être idéologique, peu importe quelle nuisance réelle il opère sur notre société, c’est l’intention qui compte, l’idée, tournée contre « nous ». Il est important qu’un « eux » se définisse rapidement pour qu’un « nous » réconfortant puisse jaillir de terre et s’ériger en totem. « L’ennemi » n’aura alors qu’à profiter de la place laissée vacante par l’ancien totem abattu, et tout recommencera comme avant. Parce que les sociétés se créent ainsi un peu comme la poussière s’agrège sous une armoire pour enfin constituer des moutons qui se feront bientôt la guerre. Avant que tout se mêle et se confonde, il faut que tout se percute et s’anime. Curieuse danse de moutons.

On saute à pieds joints dans le piège des illusions et on en vient à légitimer nos propres crimes pour ne pas voir les défaillances qui au cœur de nos sociétés portent en elles les véritables maux qui pourrissent, de l’intérieur, l’harmonie tant souhaitée. Et quand ce ne sont pas des crimes qu’on légitime, c’est la remise en question de nos libertés fondamentales. Sans comprendre qu’en attisant la tension et le feu intérieur, on nourrit chaque fois plus les maux préexistants qu’on se complaira ensuite très vite à interpréter et voir comme une menace éminemment exotique.

Maurice Pialat un jour à Cannes lançait : « Si vous ne m’aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus », en réponse au public qui le sifflait. Action de rejet, réaction de rejet. L’idéologie, le bras levé pour ériger on ne sait quel totem imaginaire, n’est alors qu’un prétexte : on ne s’érige jamais d’abord que contre un ennemi imaginaire, craint, supposé, et en le désignant, on aide à lui donner une consistance bien réelle. Parce que parmi ceux désignés comme « ennemis » du groupe seront tentés par un « si vous ne m’aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus », non pas d’abord par une logique idéologique. Les totems se dressent grâce à l’irrationalité, à la peur irrationnelle de l’autre ou au rejet compulsif de ceux qui en premier lieu nous rejettent.

Les totems de l’idéologie ne sont pas seulement nécessaires pour alimenter les ennemis « extérieurs ». On se plaît à les ériger aussi en politique (où pour discréditer un ennemi, il est plus profitable de jouer sur les peurs qu’il inspire ou en « radicalisant » son discours) ou dans la culture (parfois jusque dans l’absurde, quand par exemple on voit de l’idéologie à travers une œuvre qui ne peut pas par définition exprimer, ou même illustrer clairement, une « idée » : telle œuvre devient raciste, tel cinéaste est suspecté d’être misogyne, etc. celui qui dénonce a toujours là encore le beau rôle).

Bref, concernant les seuls « ennemis » politiques, transnationaux, après les communistes, c’était donc au tour des musulmans (radicaux donc, précise-t-on comme pour corriger ce qui ne peut l’être ou pour apporter de la nuance à ce qui est biaisé par essence), et si ce n’était eux, ç’aurait été les Chinois, les juifs ou les pizzas aux anchois.

un totem abattu

Le processus menant aux préjugés et à la peur d’un ennemi (d’abord) imaginaire est précisément naturel et… dans la majorité des situations, profitable. Les préjugés, ou les facilités de pensée, permettent, en général, d’avancer, de disposer d’une réponse immédiate à un dilemme ou à un danger. Une fois qu’on comprend, et accepte l’idée, que le préjugé est à la fois la norme dans notre esprit, mais aussi qu’il a son utilité, et qu’il est par conséquent une forme d’intelligence sommaire, on peut comprendre que ce même processus vienne à nous tromper dans des cas où elle (notre intelligence) doive composer avec les faux-semblants ou des dilemmes bien plus complexes. La tolérance est un exercice d’équilibriste, comme celui qui devrait nous forcer à la retenue, la prudence, le doute. Or l’esprit a besoin du confort qu’offrent les certitudes, les affirmations toutes faites, ou les idées simples. C’est bien pour nous réfugier dans la facilité qu’on érige des totems idéologiques. Parce qu’un totem dessine les contours d’un problème qui resterait flou autrement. À la manière d’un sophisme auquel on peut difficilement opposer autre chose qu’un autre sophisme pour le contredire, on ne peut parfois que dresser un totem contre un autre totem. La raison demande toujours plus de temps, de précision, moins de facilités, plus de doutes et d’efforts. La complexité ici, c’est bien qu’on puisse aussi nourrir le « monstre » qui s’oppose à nous quand on cherche à éviter les écueils de la facilité : car si on a souvent tort quand on choisit la facilité (surtout sur ces questions complexes de perception qu’on se fait d’un « ennemi »), on n’aura pas forcément raison quand on prend conscience de tous ces écueils et qu’on ne s’abrite pas dans l’ombre d’un totem. On remarquera toujours vos maladresses comme si elles devaient discréditer totalement votre démarche (sophisme) ; on vous suspectera toujours une « idéologie » non avouée que vos interlocuteurs tenteront de dévoiler en questionnant vos doutes et vos hésitations ; autrement on vous fera passer pour un naïf ou pour quelqu’un aux idées trop vagues pour être crédibles. Les totems sont des jalons qui permettent à ceux qui les utilisent de ne pas se perdre tout en restant dans l’erreur. Refuser de se voir conduire par eux non seulement vous oblige à une prudence de chaque instant, mais la suspicion que cela entraînera vous condamnera en même temps à une autre forme d’ostracisme. « Tu es avec nous ou avec eux, tu ne peux pas être entre les deux. » L’idée encore que le totem sert notre intégration dans le groupe et que le refus de se tourner vers lui, l’honorer, entraîne de fait une exclusion. Si les sociétés s’inventent des ennemis, c’est surtout parce qu’individuellement nous y avons tous intérêt. Avant l’inéluctable confrontation.

Le doute, la tempérance, la tolérance, ne sont pas des voix qui portent loin ; elles ne se relayent pas facilement parce que le discours qu’elle transmette est fait de nuances, de détours, voire d’hésitations, qui ne passent ni en 140 caractères, ni en punchlines. Le jeu des apparences est toujours gagnant. Certains ne s’y trumpent pas : dans un monde perçu comme une chasse permanente à l’intrus ou au faible, il n’y a que deux sortes d’individus, les gagnants et les perdants. Avoir un totem à soi, qu’on partage avec d’autres, c’est en fait, paradoxalement, être toujours vainqueur. Ceux qui naviguent péniblement entre les lignes jouent les équilibristes, et ceux-là ont bien du mérite. C’est pourtant ceux-là qu’il faudrait, parfois, écouter.

un totem abattu

Demandons-nous si ces totems ne nous protègent pas de nous-mêmes en nous imposant le confort des idées toutes faites, du politiquement correct. Parce que si les prêtres qu’on entend tout près des totems sont ceux-là mêmes qui nous gouvernent, et si ceux-là toujours profitent des facilités de discours pour avoir le beau rôle, c’est avant tout à chacun de faire l’effort de la nuance, de la tolérance et du doute. Cet effort, il semblerait que nous le faisons, mais peut-être pas encore suffisamment. Juste assez pour ne pas tomber dans la guerre civile.

Les totems idéologiques ne sont pas à abattre, ils doivent être ignorés. On ne se bat pas contre une idée, encore moins une idéologie, ni même ici contre un ennemi (le groupe État islamique, Al-Qaida…) opportuniste capable de commanditer et de s’approprier des actes terroristes perpétrés loin de leur base ; on se bat contre la bêtise, les idées reçues, l’amalgame (comme on dit), contre les malentendus ou les raccourcis, les biais et le manque de connaissance. Autrement dit, l’ennemi ne vient pas de l’extérieur, on le construit, et on le combat, à l’intérieur. Nous sommes notre propre ennemi. Les totems ne servent que de prétexte, d’illusion, pour ne pas nous poser les bonnes questions, et dans son ombre avoir la satisfaction et le confort d’avoir toujours raison, avec les autres, les « nôtres ».

Ces questions, cela devrait être aux hommes en charge de la politique, à ces représentants élus, de les poser. Trop souvent, c’est encore la facilité qu’on entend, qui passe, et qui prévaut quand on veut être audible, crédible et convaincant. Il y a trop de risques à lutter contre le vent et les apparences. Chaque nouvel incident, attaque terroriste, crime suspecté d’être « en lien avec », et c’est l’occasion pour proposer de nouvelles mesures censées gravir symboliquement ou non une nouvelle marche vers le tout sécuritaire, vers l’augmentation supposée des moyens, des niveaux de danger ou des mesures censées abattre le totem tant redouté. Ces affichages sont non seulement liberticides quand ils changent concrètement le droit, mais elles sont inefficaces d’une part pour identifier les véritables causes des tensions, mais par conséquent aussi pour commencer à chercher à les résoudre. Les facilités encore, celles des « mesures » prises, très utiles sur le court terme en matière de communication, et au détriment des intérêts du long terme. On ne cherche pas à résoudre un problème, on montre sa volonté (sa « fermeté ») à le résoudre.

un totem abattu

La première des facilités, c’est de réagir à chaque « attaque » par une « nouvelle mesure ». L’arsenal législatif (comme on dit) sert à protéger les citoyens à l’intérieur de la nation. Commencer à l’amender, c’est répondre comme en écho à la déflagration de l’attaque contre laquelle on prétend pourtant lutter. Amender en réponse à un ennemi désigné, c’est s’autoriser des règles d’exception, c’est céder à la terreur souhaitée par ces mêmes ennemis désignés, c’est créer le chaos, c’est échafauder les bases d’un totem qui sera bâti contre l’ennemi. La peur du « eux » contre l’harmonie du « nous ». Or, les incidents doivent rester des « incidents » ; des attaques ne sont pas des batailles ; il est dangereux de se faire l’écho de leur puissance en jouant sur la peur, la haine ou le mépris. Par définition, la réaction viendra toujours après ; si on veut agir, il faut identifier l’origine du problème et agir en conséquence.

Le problème est ni politique, ni religieux, il est social et psychologique.

Il y a des opportunistes qui se servent des incidents pour se placer au pied du totem et faire entendre leur voix. Et il y a des opportunistes qui trouvent sur le tard une cause censée légitimer une violence contenue en eux depuis des années. C’est contre cette violence qu’il faut lutter, pas contre ceux qui en sont victimes. Les attaques terroristes sont la face émergée d’un problème bien plus profond : la rencontre d’une haine ou d’une peur de l’étranger et d’un manque de repère identitaire. On pourrait parler aussi d’intégration, de ghetto. Et si des citoyens décident au nom d’une cause exotique de s’attaquer aux leurs, à leurs voisins, à ceux qui devraient être leurs semblables mais qui n’ont eu de cesse pourtant de lui montrer le contraire, et si ceux-là se rendent bien sûr coupables de crimes particulièrement odieux, il ne faut pas oublier que les origines de ce malaise ne sont pas à l’étranger mais bien chez nous. Ce n’est ni l’islam, ni les musulmans, les fautifs ; mais bien nous, la société dans son ensemble, incapable de résoudre la question de l’intégration des populations issues des anciennes colonies. La question que l’on doit se poser est celle-ci : peut-on être fier de se revendiquer comme arabe, noir, ou musulman aujourd’hui en France. Un homme qui voit une femme se revendiquer comme féministe, au pire il sera indifférent, au mieux il trouvera ça légitime et formidable ; un autre voyant une personne originaire d’Espagne ou d’Italie revendiquer ses racines trouvera là encore cela très bien. Un Noir, un Arabe, un musulman, se revendiquant comme tel, et on suspectera sa volonté réelle à s’intégrer, on le priera parfois même de retourner on ne sait où. Le problème ne vient pas de celui qui revendique une identité, mais de celui qui suspecte le degré d’implication de celui qui se revendique d’un autre groupe au groupe commun, national. Le problème ne vient pas des « migrants », mais de ceux qui refusent de les intégrer à leur monde. C’est cette suspicion, ce rejet permanent, qui sème le trouble, et qui plus encore est à l’origine d’inégalités, qui sont, elles, sources de frustrations légitimes.

« Si vous ne m’aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus. » Si votre totem n’est pas le mien, j’irai m’en trouver un autre.

Qui est coupable ? Celui qui réagit à des années de frustration, ou celui qui n’agit pas pour regarder autrement celui qu’il se doit d’accepter dans son groupe au nom de la fraternité ?

Les meurtres de masses, les attentats, ont toujours existé. La question politique, voire religieuse, s’il y en a une, n’est qu’un prétexte. C’est contre la violence contenue et qui grandit par rejet de l’autre qu’il faut lutter. Pas une autre.

Attendre de l’État une réponse active et ferme, c’est accepter qu’on établisse des règles d’exception pour des événements qui ne bousculent en rien la vie de la société. Au contraire, c’est en faisant appliquer de nouveaux usages législatifs et policiers, en s’attaquant au mauvais ennemi (au totem d’en face) qu’on ajoute de l’agitation, de la confusion, de la tension à la société. C’est bien là l’objectif du « terrorisme » : faire céder son ennemi à la panique et à la terreur. On ne s’y prendrait pas autrement si on voulait augmenter un peu plus l’injustice, faire peser sur une population déjà stigmatisée encore plus le poids d’une culpabilité qui n’est pas la sienne, et par conséquent œuvrer à long terme pour toujours plus de tensions et de terrorisme. L’état d’urgence plonge la société dans un état où l’exception devient la règle. Le sentiment de persécution que pouvaient ressentir certaines de ces populations stigmatisées ne devient plus seulement un « sentiment » mais une réalité car les mesures d’exception servent justement à diminuer un peu plus leurs droits et leurs libertés. La persécution devient réelle. Action, réaction : en chassant les terroristes sans base légale et en plaçant la société dans une tension permanente, on crée des vocations et on multiplie les « loups solitaires » craints, qui, blessés, persécutés, chercheront à se venger de la société qui les rejette. C’est en fait une forme insidieuse de xénophobie : au lieu de dire ouvertement qu’on a peur et qu’on rejette l’autre, on dit vouloir s’attaquer à ses éléments perturbateurs. Mais au lieu de dire qu’on protège les siens, cela veut surtout dire qu’on estime que parmi les « nôtres », certains ne devraient pas en être, et que ceux-là méritent plus que les autres à être suspectés et encadrés. C’est cette xénophobie insidieuse qui ralentit la nécessaire « intégration ». Les traîtres ne sont pas du côté désigné, mais bien de ceux qui prétendent agir pour la sécurité intérieure. Ce sont eux les loups solitaires, les apprentis sorciers, les profiteurs de guerre, les agitateurs et les véritables terroristes. Ils pourront toujours s’abriter derrière les apparences, leurs bonnes volontés et leur totem.

un totem terrorisant à abattre

La première réponse au terrorisme, c’est d’arrêter de chercher à y répondre ostensiblement. C’est une affaire d’abord de renseignements quand les réseaux sont déjà actifs ou prêts à l’être, mais surtout, sur le long terme, une optimisation des moyens d’intégration et de réduction des injustices sociales ou ethniques. Il est urgent de dire « stop » à l’urgence sécuritaire. Ne jamais donner l’impression qu’on répond, car c’est précisément ce qu’attendent les commanditaires et qu’on grimpe un niveau supérieur dans l’échelle de la violence. Cessons enfin d’ériger des totems idéologiques les uns contre les autres. Le terrorisme est le symptôme d’une misère sociale, culturelle, identitaire et psychologique, non pas une « guerre » comme certains opportunistes, qui se rêvent probablement en « chef de guerre », voudraient le laisser croire.


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Violences de la société



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Les blancs bonnets

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Politique(s) & médias

Le FN on y aura droit, et c’est pas plus mal. Oui, oui, vous me lisez bien. Parce qu’après des décennies de diabolisation façon « attention, les méchants vont arriver au pouvoir » sans que ça arrive, ben les gens en ont marre d’être pris pour les cons dans Pierre et le Loup, et ils y vont franchement. Ici, peu probable que la Marine décroche la timbale, mais Macron selon toute vraisemblance va mettre un peu de proportionnelle à l’assemblée (son pote centriste le réclame et il était temps). Parce que si le petit peuple vote pour le FN, ça n’a jamais été pour leurs idées (ou peu) mais parce que ceux-là, en ont marre d’être trimbalés par des politiques successives qui les ignorent, c’est le même réflexe que ceux qui disent vouloir voter blanc aujourd’hui ou s’abstenir avec la seule différence qu’ils ont un peu plus de conscience et peut-être d’éducation. C’est le même dégoût qui pousse à voter blanc que FN. Or, si par la proportionnelle, comme c’est déjà un peu le cas avec certaines villes, le FN s’installe à l’hémicycle, plus personne ne pourra dire qu’ils n’ont jamais été au pouvoir, qu’ils sont ostracisés et surtout qu’ils feraient peut-être mieux. Et merde, que ceux qui votent extrême droite assument maintenant et sachent qu’un vote pour, c’est possibilité d’une petite place au pouvoir, autrement dit à l’Assemblée, mais aussi une place “banalisée” dans les médias. Si une personne sur quatre vote FN dans ce pays, que ceux-là apprennent que ça doit avoir des conséquences et que voter pour le FN, c’est aussi voter pour un programme, des idées, et non plus contre un système. Le petit jeu mittérandien qui consiste à lever le chiffon rouge du FN pour en recueillir les fruits et s’asseoir au pouvoir, tout le monde l’a bien compris, et tout le monde en ras-le-bol de devoir voter pour « faire barrage », ou de devoir se rabaisser à « appeler à voter front républicain » (parce que ça, ça sonne un peu comme « continuez de voter pour ceux qui ont la main sur le pouvoir depuis toujours »). D’une génération 80-90 à celle d’aujourd’hui, c’est bien ce qui a changé. Le manège de l’instrumentalisation du Loup, ça va une ou deux décennies, mais à la troisième, on préfère encore faire entrer le loup pour que Pierre arrête de nous casser les burnes. Et le loup, on lui fait la fête, et on n’en parle plus.

À une époque, le FN était passé à moins de 5 %, de mémoire, et devait faire face à l’explosion du parti mais aussi à des problèmes financiers. On disait, on espérait, que c’en était fini. Puis ne voilà-t-il pas que les démagogues du front “républicain”, ceux-là qui crient au Loup, pour faire oublier le reste, reprennent les vieilles rengaines du FN pour profiter des mêmes peurs irrationnelles. Sarko ne comprenait pas qu’en évoquant à nouveau le spectre du loup, ce n’était pas seulement la peur qu’il allait ramener, mais son premier et légitime représentant, le Loup lui-même. Faire campagne sur la haine, la peur, la pseudo-sécurité, c’est faire campagne pour le FN, parce qu’on « préfère toujours l’original à la copie ». Et on y est encore parce que droite comme gauche ont instrumentalisé les questions d’immigration : la droite pour faire comme le copain du fond de la classe, absent, et à qui on pouvait prendre la place, et la gauche pour faire du vent comme Hollande le bien nommé avait toujours su y faire. Parce que si pour certains, des petites guerres, c’est bien utile pour faire oublier des problèmes domestiques bien réels, bah par chez nous, on a nos faits divers provinciaux, nos petits feuilletons de scandales financiers qu’on peut faire tourner sur vingt ans parce qu’un seul juge d’instruction a déjà trois autres scénarios de feuilletons du même calibre sur son bureau, et toujours, nos saloperies d’immigrés qu’on nomme désormais migrants ou dans le meilleur des cas, demandeurs d’asile, tout ça c’est bien utile aussi pour ne pas parler du reste et maintenir artificiellement la pression sur des sujets qui, à l’échelle de la nation, n’en sont pas (les faits divers sont des faits divers, les scandales judiciaires impliquent au mieux quelques personnalités certainement pas l’avenir de la nation, quant aux migrants ils n’ont jamais atteint des niveaux tels qu’en pratique il aurait été difficile de les accueillir).

Alors voilà, que Macron passe, avec ou sans les votes des gauchistes (les vrais), avec ou sans les votes de droite (Hollande a déjà dit qu’il voterait Macron mais c’est vrai que Hollande, ce n’est pas la France), et que d’une manière ou d’une autre, avec un peu de proportionnelle, que cette fois, quand on vote FN, c’est bien pour qu’ils mettent en place leur politique. Pas parce que les autres nous emmerdent. Ceux-là vont devoir apprendre à bouffer à la table du loup, lui serrer la pince, le respecter et pas le diaboliser (oui, oui), parce que la « menace FN », ça suffit. Un vote républicain, ce n’est peut-être pas voter blanc, mais ce n’est pas non plus un blanc-seing qu’on file à des professionnels de la politique. Peu importe la stratégie dans l’urne, ce qui compte c’est bien ce qui sera fait ensuite, et la proportionnelle, ça doit être fait. Parce que s’il y a une bonne proportion de connards en France, c’est démocratique qu’ils soient représentatifs à l’Assemblée, qu’ils soient sous le feu des projecteurs, à l’intérieur de la ville, et non à l’extérieur où on pourra sans cesse crier au Loup pour se marrer d’avoir fait peur à tout le monde sans conséquences. Les conséquences il va falloir les assumer.

Et puis, si les connards de tous bords (les fascistes comme les fascistes improvisés qui crient au loup pour garder les rênes du pouvoir) sont tout aussi incapables de se faire un peu moins cons à travers la proportionnelle, eh bien les autres, ceux qui votent pour eux, réclameront cette fois un FN avec tous les pouvoirs. Si ça n’arrive pas là, et si ces messieurs-dames dans cinq ou dix ans n’ont toujours pas compris, ben ça arrivera, même avec la proportionnelle. Du temps de Mitterrand, on disait que la France avait toujours dix ans de retard sur les États-Unis, faudra voir si ça vaut encore. Avec un peu de merde dans le vin parlementaire, le haut fonctionnaire, ou le politique professionnel ira peut-être aller chercher ses revenus ailleurs, et peut-être qu’il laissera à des vrais de la « société civile » se charger de nettoyer la fosse. Et peut-être qu’après ça on aura du vrai vin et non plus cette vinasse frelatée que certains osent appeler “politique”. Peut-être aussi que le journaleux qui ne se rêve qu’en éditorialiste sera forcé alors de poser des questions de fond intelligentes et non plus s’interroger sur la très intéressante politique politicienne qui met au centre de toutes les préoccupations la quête du pouvoir, les luttes d’ego et non les oppositions d’idées. Peut-être que. Peut-être. Vote pieux.

Et peut-être alors que j’irai voter. Parce que moi voyez-vous, j’ai jamais voté. Je trouve ça irresponsable. Je ne vote pas pour des représentants, je ne votais déjà pas pour des délégués de classe, alors… La gauche, la droite, les programmes, je m’en tape…, si ce qui est déjà décidé, voté, n’est jamais appliqué. Tu fuis d’un pays en guerre, tu te fais dépouiller par des passeurs parce que les pays qui doivent t’accueillir ferment leurs frontières, tu as la chance de pas crever en route, tu arrives sur les rotules pour faire valoir des droits, et là on te dit « t’existes raclure, t’as aucun droit, nous, on est les puissants, on décide d’accords internationaux, mais on regarde ensuite au cas par cas, et personne ne nous dira que ce n’est pas bien parce que c’est nous les puissants ». C’est déjà du fascisme dilué. S’il faut augmenter la dose pour qu’on sente bien que ça a la même couleur, la même odeur, pour comprendre que c’est la même chose, eh bien il faudra passer par là. Parce que les loups sont déjà là, et à eux aussi, il faut leur faire la peau.