La Malle au trésor

Les Vampires

Année : 1915
Réalisation : Louis Feuillade
Avec : Musidora ⋅ Édouard Mathé ⋅ Marcel Lévesque
— TOP FILMS —
Tout l’esprit du « roman-feuilleton » est là. Au XIXᵉ siècle (et jusqu’à la moitié du XXᵉ dans certains pays, cf. Lovecraft, jamais publié de son vivant ailleurs que dans des revues de science-fiction), nombre de romans étaient lus dans les pages des quotidiens. C’était le cas de Dumas, Balzac, Eugène Sue… Et bien sûr, c’était du « média de masse », ces histoires étaient écrites pour le plus grand nombre et se devaient d’être populaires. Du divertissement, rien de plus, comme des programmes d’access prime time alléchant pour pousser à la consommation de choses plus sérieuses. Longtemps, ce type de littérature a été considéré comme de la littérature de gare, et il faudra attendre des années pour voir ceux qui les lisaient souvent enfant les louer.
Les Vampires n’est pas une adaptation d’un de ces romans-feuilletons (Fantômas par le même Feuillade deux ans auparavant l’était un peu plus, déjà édité sous un autre format à part), mais son équivalent cinématographique. La saveur, les principes, les codes, voire les facilités, sont les mêmes.
Le procédé, on l’a aujourd’hui oublié quand les « jeunes » s’exaspèrent de voir les « suites » ou les « franchises » US, en parlant parfois de « mode », étaient très utilisées dans la production cinématographique française ou ailleurs (les livres savants parlent parfois de Nick Carter, le roi des détectives, 1908, pour les débuts du format serial). Et si les feuilletons bien français ont disparu à l’effondrement de la production française après-guerre (les années 20-30), il est devenu très populaire dans les studios hollywoodiens, notamment pour y produire de courtes et misérables séries pour les secondes parties de soirées ou pour les cinémas de seconde zone (avant, là encore, de disparaître après-guerre — la seconde cette fois — pour se retrouver dans les années 50 sur les postes de télévision, et pour être réutilisé dès les années 60 avec James Bond en faisant passer ce qui était alors produit comme des séries B pour de « grands films » ; et à cela, une raison sans doute : l’homme de la rue du début du siècle, le citadin amené à consommer du cinéma, se voulait être plus ou moins respectable, et paradoxalement, avec la venue des cow-boys en ville, on en a oublié autant le chapeau que sa respectabilité, et c’est ainsi que les studios ont renoué peu à peu avec les facilités du serial en guise de série A). Rien ne se perd, tout se transforme…
Mais il est bien amusant de constater que, presque toujours, ces œuvres sont méprisées par les petites gens chargées de commenter l’actualité culturelle de leur société. Pourtant, d’autres « petites gens », les mômes, gardent souvent le souvenir heureux de ces histoires simples et efficaces, et les plus populaires finissent parfois par inspirer auteurs ou critiques. Et quand il est question d’arrières-arrières « petites gens », ceux-là n’ayant pas eu le plaisir de découvrir enfant ces productions dédiées sans doute à leurs arrière-arrière-grands-parents, finissent par les chérir ; c’en est d’autant plus amusant de voir certains s’agiter follement en faignant les souvenirs puérils et heureux que ces œuvres n’ont bien sûr jamais pu un siècle plus tôt les inspirer. Feuillade était une machine à rêves pour le public innocent de la grande guerre ; un siècle plus tard, il est une fabrique à faux souvenirs. S’il est vrai qu’on peut, aussi un peu, dire qui on est en fonction de l’enfance qu’on a eue, on peut bien trafiquer un peu la réalité pour s’inventer un personnage. Celui d’un nigaud voulant donner de lui-même l’image d’un homme cultivé et de « bons goûts » ; ainsi, ce qui est vieux, et a été populaire (mais ne l’est plus et « pourrait bien le revenir grâce à moi ») est toujours pour certains un signe de cette « richesse » qu’elle est d’autant plus nécessaire pour ceux qui s’en parent qu’elle les place au-dessus des autres. Populaire ? Méprise, plutôt.
Je me permets donc d’apprécier, pauvrement.
C’était mieux avant — ou ailleurs.

Les Vampires, Louis Feuillade 1915 | Société des Etablissements L. Gaumont
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