Les Vaincus, Michelangelo Antonioni (1953)

la faute des jeunes

Note : 3.5 sur 5.

Les Vaincus

Titre original : I Vinti

Année : 1953

Réalisation : Michelangelo Antonioni

Avec : Franco Interlenghi, Anna Maria Ferrero, Jean-Pierre Mocky, Patrick Barr, Peter Reynolds

En 1953, Michelangelo Antonioni met donc en scène une série de trois histoires sur la délinquance juvénile dans Les Vaincus. Il commence son film en précisant que ces histoires criminelles, bien que fictionnelles, auraient tout aussi bien pu être réelles, car elles s’inspirent d’une série de crimes impliquant des adolescents en Italie, en France et en Angleterre. Cette délinquance n’a rien d’ordinaire, car elle implique des personnes de bonnes familles. Pour trouver une explication à cette violence, on parle alors de « génération perdue », celle des enfants élevés pendant la guerre, sans valeur sinon assujettie à l’individualisme et au capitalisme. Parmi les trois histoires, il y en a une qui se tient en France avec Jean-Pierre Mocky : volontiers mythomane, ce gosse de riche est la victime d’autres gosses de riche qui fomentent un assassinat pour lui faire les poches. Toutes les histoires démontrent l’extrême légèreté des motifs criminels. Ah, les jeunes, c’est toujours de leur faute. Manquerait plus qu’ils se laissent pousser les cheveux et réclament la liberté sexuelle.

Il est curieux de voir combien le cinéma toujours tient compte de son époque et vient à contredire les stéréotypes dans lesquels certains aiment à se vautrer de nos jours pour ramener des électeurs faciles à eux. On voit aujourd’hui que l’apprenti fasciste, élève Attal, prétend que la délinquance juvénile est en explosion, quand les chiffres disent que c’est faux. Et lui, comme tous les autres, met cette prétendue explosion de violence des jeunes sur le compte de la pandémie ou de la démission des parents (il n’est pas question de violence policière dans le film). On retrouve une partie des arguments retrouvés après-guerre. En partie seulement. Parce qu’ici, on comprend vite qu’il n’est pas question de se questionner sur la violence des fils à papa, mais des sales gosses des cités. Surtout s’ils ne sont pas très catholiques.

Antonioni a raison. Si les films, ce n’est pas la réalité, ça pourrait tout autant l’être parce qu’ils illustrent souvent mieux que les données des experts que personne ne veut écouter (les saletés politiques font exactement la même chose sur la délinquance juvénile que sur l’immigration : ils se foutent de la réalité des chiffres, surtout quand elle infirme leur politique d’apprentis fascistes), une réalité que certains préfèrent ne pas voir parce qu’il leur est plus profitable de raconter des histoires que l’on ne croirait pas en film sur des personnes bien réelles, et sur lesquelles ils crachent à longueur de journée afin de leur faire porter la responsabilité de leur incompétence et de leurs trahisons. En l’occurrence, voir que 70 ans après, les ficelles du genre « c’était mieux avant », « y a plus de respect pour les anciens » marchent encore, c’est d’utilité publique. La différence, majeure celle-là, c’est qu’en 1950, la société se mettait en place pour réassurer à sa population une forme de bien-être qui leur avait été interdit pendant les années de guerre : des organismes voyaient le jour pour sa santé, on donnait le vote aux femmes, bref, on prenait la mesure du danger fasciste auquel la population venait d’échapper. Nous, on y fonce à nouveau tout droit. Plus on en parle du fascisme, plus on est attirés par lui. La bave à la lèvre contre les fainéants, les pauvres, les chômeurs, les jeunes, les fonctionnaires, les gosses des cités, les musulmans, les gauchistes ou les défenseurs de l’environnement.

Les vaincus, c’est nous. Les gosses de riche ont fini par la gagner leur guerre. Dans le film, tous les jeunes assassins finissent par reconnaître leur crime. Mais ce n’est qu’un film. Dans la réalité actuelle, les gosses de riche sont au pouvoir et ont trouvé des moyens beaucoup moins salissant et compromettant de vouer leur vie à l’individualisme, quitte à multiplier les crimes. Il suffira seulement de raconter des histoires en venant cafter auprès de papa ou de la police : « c’est pas moi, c’est l’autre. » Aujourd’hui, cela marche toujours. Les gosses de riche sont des criminels, mais c’est toujours la faute des victimes de la société si elle ne tourne pas rond. Responsable, mais pas coupable. Raconteur de fables. Vainqueurs face aux vaincus.


Les Vaincus (I Vinti), Michelangelo Antonioni 1953 | Film Costellazione Produzione, Société Générale de Cinématographie


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Airport, George Seaton (1970)

Note : 3 sur 5.

Airport

Année : 1970

Réalisation : George Seaton

Avec : Burt Lancaster, Dean Martin, Jean Seberg, Jacqueline Bisset, George Kennedy, Helen Hayes, Maureen Stapleton

Je continue le petit jeu des correspondances. Regarder des films devenus mineurs au fil du temps tout en sachant qu’ils avaient eu du succès à l’époque où ils sont sortis, cela permet de renifler l’air du temps, comprendre le va-et-vient des modes, l’usage des studios, assister à l’apparition de techniques devenues obsolètes. À Hollywood, peut-être plus qu’ailleurs, la production de films s’apparente à des mélanges de concepts, d’idées et d’approches dont le but serait d’en faire ressortir une recette capable de les arranger au mieux pour vous assurer le succès. « Rien de personnel » pourrait être la devise de Hollywood, et cela, même quand le Nouvel Hollywood tentera d’imposer l’auteur au centre de tout le système (ils n’y arriveront que partiellement).

Qui est George Seaton ?… On s’en moque, mec, retourne voir Easy Rider. Parlons plutôt de Airport. Le produit, celui qu’on offre au public en espérant qu’il lui convient et en redemande ; le produit « Airport », l’assemblage final issu d’une recette qui fera des petits.

Dans les deux années qui précèdent Airport, par exemple, le split screen venait de faire son apparition au cinéma grand public avec L’Affaire Thomas Crown et L’Étrangleur de Boston. Dans le premier film, le procédé servait à illustrer des séquences non essentielles ; dans le second, c’était pour mettre en scène, dans le même cadre, un montage alterné. Le procédé se justifie par les multiples séquences au téléphone, à l’interphone ou aux communications entre avions et contrôle au sol. Sans le retour au premier plan de cet ingrédient, le split screen, il est assez probable que les producteurs auraient renoncé à adapter le roman dont est issu le film face à l’impossibilité de réunir dans un même lieu tous les protagonistes. On aurait par ailleurs sans doute jugé à l’époque que tout un film fait de champs-contrechamps par téléphones interposés et de voix hors-champ aurait été insupportable. On a vu par la suite que le public pouvait très bien s’accommoder d’un rythme soutenu et que ça pouvait même participer à augmenter artificiellement le rythme et l’intensité d’un film. On mettra rapidement le split screen de côté, mais au moins ici, l’usage qui en est fait paraît justifié et remplit sa mission de simplification narrative.

Le film a eu un immense succès (même au sein de la profession : le film aura de multiples nominations aux Oscar) et, tout comme Colossus, bien que les deux films ne puissent pas être considérés comme de véritables films catastrophe (encore innocents face aux effets qu’ils produisaient sur le public, les films n’ont pas un récit entièrement dédié à la « catastrophe » : il faut attendre la dernière demi-heure de Airport pour voir la bombe exploser, et Colossus prend un détour romantique plutôt inattendu et envahissant pour un spectateur habitué aux codes du film catastrophe), ils donneront le ton pour les années suivantes et les deux films serviront de modèle (parmi d’autres) avant que les différentes productions se lancent dans une surenchère et qu’on parle alors véritablement de « films catastrophes ». Les années 60 avaient connu une surenchère au niveau des névroses et des cas psychiatriques au cinéma ; les années 80 verront la fantaisie se développer ; et les années 70 suivront le même principe de mode et mettront la catastrophe et la paranoïa au cœur d’une majorité de films.

Les films dans lesquels sont réunies une ribambelle de stars parfois sur le retour, ce n’est pas nouveau, en revanche, on peut s’amuser à repérer certains « modèles » ou « codes » que le film pourrait avoir inspirés. Le film de terroriste n’est pas nouveau (les attentats sont alors plus volontiers politiques, voire parfaitement « gratuits » comme dans La Cible, même si je ne suis pas sûr que les années 60 des Kennedy aient été aussi prolifiques dans ce domaine que la décennie suivante), mais jusqu’au 11 septembre, le film de terroriste spécifiquement lié au monde de l’aviation offre presque toutes les garanties du succès et verra pas mal d’occurrences au cours des décennies suivantes. Cela se vérifiera surtout quand les films d’action prendront le pas dans les années 80.

Airport est tout autant un film « catastrophe » devant faire face aux éléments de la nature qu’un film de terroriste (même si on ne l’appelle pas ainsi dans le film, il s’agit plus d’un déséquilibré), j’ai été ainsi étonné pendant le film de voir les nombreuses correspondances avec le second volet des aventures de John McClane dans Die Hard 2 sorti vingt ans plus tard. Moins évident, j’y ai trouvé également des correspondances avec le début de L’Empire contre-attaque. J’ai souvent relevé que Lucas aimait reprendre des codes ou des ambiances des succès passés (Ice Cold in Alex, Les Canons de Navarone, Sierra torride, etc.), et on retrouve la tension du contrôleur aérien, l’urgence et l’ambiance neigeuse dans les deux films… Au temps de THX, le réalisateur aurait sans doute adopté le split screen, mais ayant compris depuis l’échec de son premier film qu’il fallait cesser toutes les expérimentations narratives pour les laisser aux seules techniques d’imagerie et qu’il fallait adopter un récit le plus transparent possible, voire « classique », il ne cédera pas au procédé, mais je pense qu’en 1980, on était déjà complètement venu à bout du procédé (en bon amateur de Kurosawa, Lucas gardera les seuls volets de transition entre les séquences, mais on est loin de l’expérimentation ou de l’effet superfétatoire).

Voir ce genre de films, énormes succès d’époque, ayant eu une influence sur la production sans doute jusque dans les années 80, cela est toujours intéressant tant ils aident à relativiser les penchants et les goûts du public actuel. Rien n’assure que les succès d’aujourd’hui les aident à rester plus dans les mémoires des spectateurs ou dans l’histoire que d’autres films plus confidentiels. On revoit toujours les œuvres en fonction de ce qu’il advient des modes et des goûts du public par la suite. Peu importe, me direz-vous : l’essentiel pour les studios est surtout d’amasser le plus de recettes au moment de la sortie du film.

Sur le film en lui-même (au-delà de ce qu’il représente dans l’histoire du cinéma), assez peu de choses à noter, sinon la jolie performance de quelques actrices : Helen Hayes, en vieille chapardeuse qui assure les parties comiques du film, et dans un genre beaucoup plus mélodramatique, Maureen Stapleton, interprétant la femme de l’homme désespéré cherchant à se faire sauter dans l’avion.

Cette manière de filmer avec un grand nombre de locations tout en sortant rarement des studios commence à montrer ses limites. On voit bien qu’un tel film réclame le plus de réalisme possible, pourtant, on trouve encore un moyen (sans doute par facilité) de nous sortir de la neige artificielle et l’ensemble des plans à l’aéroport ainsi que ceux dans l’avion semblent avoir été reconstitués en studio… On imagine le budget colossal que cela implique, et bientôt il deviendra moins cher de se déplacer sur des lieux réels, même publics, et de privatiser les lieux le temps d’une ou deux séquences. (Autre avantage des tournages « on location » : la possibilité de multiplier encore plus les types de décors, une recette qui avait fait ses preuves avec les James Bond et qui est toujours d’actualité, de Mission impossible aux films de la série Jason Bourne…)*

*Sur ce sujet, lire Transparences et représentation des habitacles dans le cinéma américain


Airport, George Seaton (1970) | Ross Hunter Productions


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1970

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La Résidence, Narciso Ibáñez Serrador (1969)

Jeunes Filles en psychose

Note : 4 sur 5.

La Résidence

Titre original : La residencia

Année : 1969

Réalisation : Narciso Ibáñez Serrador

Avec : Lilli Palmer, Cristina Galbó, John Moulder-Brown, Maribel Martín

Thriller savoureux entre Jeunes Filles en uniforme et Psychose avec quelques notes probablement inspirées de Rosemary’s Baby vu que le film de Roman Polanski est sorti l’année qui précède. J’y trouve aussi une certaine connexion (ambiance/thématique/esthétique) toute personnelle avec Alien3 : l’univers carcéral, les conflits internes dans une société reconstituée avec ses codes spécifiques et étranges, et cela, sans savoir qu’un monstre rôde dans les parages et vient les cueillir les uns après les autres… On y trouve aussi les premiers cisaillements timides des slashers à venir.

Mais l’intérêt est bien ailleurs que dans les dérives horrifiques, surtout finales, qui prennent peut-être trop justement référence au film d’Hitchcock (Psychose), et qui flirtent avec le grand-guignol (sans quoi, avec une meilleure fin, c’était un favori). Le film est avant tout un excellent thriller psychologique, tendance frustrations sexuelles (tant hétérosexuelles qu’homosexuelles ou incestueuses), jouant sur la peur banale du monstre tapi dans l’ombre ou derrière les murs, sur la séquestration et les sévices autoritaires, voire sadiques. Je suis bien plus amateur de ce type de thrillers que de ceux proposés à la même époque en Italie.

On se demande bien d’ailleurs d’où a pu sortir ce film espagnol tourné en anglais avec un casting international et des personnages français. Ce sont plus souvent les amateurs de films d’horreur qui trouvent moyen de le dénicher, alors que le film ne se résume pas qu’à ses quelques meurtres et qu’il est en réalité bien plus « tout public » qu’il en a l’air. Bien qu’ayant inspiré, semble-t-il, quelques slashers futurs, on n’y dénombre que peu de meurtres et la petite société que forme le pensionnat ne découvre en réalité jamais la réalité des horreurs qui se produisent dans les lieux (ah, le légendaire laisser-faire des gestionnaires de pensions françaises).

J’y vois aussi ce qui pourrait le plus se rapprocher de Justine ou les malheurs de la vertu, impossible à adapter au cinéma. Et l’entrée en matière m’a également fait penser à celle du Professeur de Valerio Zurlini : on découvre, avec les mêmes couleurs brunes et sombres, l’intérieur d’une école, non pas à travers les yeux du professeur, mais de ceux d’une nouvelle élève. La suite s’intègre plus dans un schéma classique de film de pensionnat.

Le plus fou peut-être, c’est la qualité générale du film : de la mise en scène à la photographie, du scénario à l’interprétation. Pour produire un bon thriller, il faut souvent également une bonne musique et d’excellents effets sonores. Il n’y a pas qu’un auteur sur un plateau de tournage. Un film est bien un assemblage, souvent chanceux, de divers talents dont le réalisateur n’est que le maître d’œuvre. Cela pourrait être tout autant un producteur. Ou plus généralement, personne. Ou la somme hasardeuse de tout ce petit monde. Une résidence en somme. Avec, on l’espère, moins de problèmes managériaux en son sein. Il n’y aurait ainsi rien à changer si on en faisait un remake aujourd’hui. C’était déjà un peu le cas d’autres films tournés avant basés sur la séquestration et une oppression malsaine tournant au crime : on retrouve les mêmes couleurs, marrons presque placentaires, de Rosemary’s Baby et, disons, organiques de La Servante. Ces trois films possèdent un quelque chose qui les rend intemporels. L’effet du huis clos peut-être. Il n’y a rien qui ressemble plus à un décor d’intérieur qu’un autre décor d’intérieur. Surtout quand on est condamnés à ne pas en sortir. Une prison est une prison, on finit par ne plus voir la couleur des murs… Je n’aimais pas le côté maléfique dans le film de Polanski, et ce qui me fait préférer largement celui-ci, c’est bien son côté Jeunes Filles en uniforme. Pour être parfaitement étranger aux choses religieuses, ces références m’ont toujours sorti des yeux, alors qu’un pensionnat rempli de tarés qui offrent tous le visage de la normalité, ça parle en principe à tout le monde.

Autre différence majeure avec les giallos (genre dans lequel le film est parfois enfermé) : alors que ceux-ci ont souvent des distributions tout aussi hétéroclites, et bien que le film soit intégralement doublé, les acteurs sont ici parfaits, à commencer par Lilli Palmer, qu’on retrouve toujours avec plaisir.


La Résidence, Narciso Ibáñez Serrador 1969 La residencia | Anabel Films

L’Étrangleur de Boston, Richard Fleischer (1968)

La 13e Femme de Barbe-Bleue

Note : 3 sur 5.

L’Étrangleur de Boston

Titre original : The Boston Strangler

Année : 1968

Réalisation : Richard Fleischer

Avec : Tony Curtis, Henry Fonda, George Kennedy

Je ne suis décidément guère convaincu par les variantes chez Fleischer des étrangleurs…

Le film est étrangement construit, ce qui peut facilement s’expliquer : en suivant le cours des événements tels qu’ils se sont réellement passés, il est prisonnier d’une structure imposée par le hasard (celui du réel), non par des nécessités narratives. Les histoires vraies (et sordides) font rarement de bonnes histoires (à moins de prendre des libertés avec les faits). L’un des principaux écueils qu’une telle adaptation pose, c’est l’absence d’un personnage principal au centre des attentions. Il n’est pas impossible de concentrer son récit sur plusieurs personnages, mais dans une fiction, on cherche au moins un équilibre ou une logique narrative dans l’apparition et l’usage des personnages. Imaginons par exemple que dans la réalité, un enquêteur meure d’un accident et que cet accident n’ait strictement aucun rapport avec l’enquête qui deviendra plus tard le sujet d’un film : si on retranscrit telle quelle la réalité, le spectateur cherchera forcément une logique, un design secret, derrière cette mort. Alors que ce ne serait qu’un malheureux hasard.

Le film est ainsi conçu autour de trois parties distinctes, qui, elles, sont bien déterminées par la volonté d’un auteur de basculer d’un point de vue à un autre. Mais c’est encore une maigre intrusion (même si elle est importante), ou liberté, que peut s’autoriser la fiction dans l’univers imposé des événements.

D’abord, les débuts de l’enquête, la paranoïa en ville, puis la désignation d’un super enquêteur qui aura la somptueuse idée de faire appel à un médium pour trouver le coupable… À la lecture d’un scénario, s’il n’y avait aucun rapport avec une réalité des événements, on ne manquerait pas de trouver toute cette partie anecdotique et donc inutile. Le fait que cela se soit réellement passé, on se trouve alors face à un dilemme : soit on en fait l’économie et on se prive de deux ou trois séquences amusantes, soit on décide que ce n’était pas significatif et on se prive d’une certaine matière qui pouvait au moins avoir comme atout qu’elle illustrait le fait que les enquêteurs étaient tellement dans la panade qu’ils étaient prêts à suivre n’importe qui prétendant pouvoir les aider… Dans une fiction, tout doit être logique et proportionné. Dans la réalité, les choses peuvent n’avoir aucun sens, sembler irréelles ou absurdes.

On passe dans un second temps au contrechamp de l’affaire, tout en restant dans une continuité temporelle et en adoptant le point de vue du tueur en série. L’approche est plutôt originale, car bien que ne nous mentant pas sur les agissements du tueur (largement supposés, ce qui pose la question des limites de la fiction et de l’interprétation dans ce qu’on prétend être une reconstitution fidèle des événements), on sort là encore des archétypes et de l’image préconçue que l’on pourrait se faire d’un tel criminel, car très vite s’impose à nous la question de l’état psychologique du meurtrier. On est déjà loin du code Hays et de ses impératifs de la représentation à l’écran des criminels, mais cette empathie, voire ce côté didactique de la description mentale d’un criminel, malgré ses intentions évidentes (et plus tard explicites) de compréhension des crimes à travers un exemple devenu célèbre, aurait de quoi décontenancer le spectateur déjà troublé par l’absence d’unité narrative. Jusque-là, pourquoi pas, mais la multiplication des « expérimentations » narratives et didactiques du film m’a assez vite laissé sur le carreau (et peut-être qu’à la revoyure, mettant de côté cet aspect, passés la surprise et l’inconfort que cela produit, me laisserais-je convaincre par les autres aspects du film).

Enfin, un troisième acte s’occupe de mêler tout ça. Là encore, la réalité des événements aurait de quoi étonner le spectateur. Les coïncidences au cinéma, on aurait plutôt l’habitude de mal les accepter. Le fait que ce soit par un étrange hasard que les enquêteurs tombent dans un ascenseur sur le suspect, on peut l’accepter si l’on sait que le film dépeint des événements issus de la réalité ; il n’en reste pas moins que dans une fiction, a fortiori dans ce qui reste un crime film (une enquête policière), cela produit sur le spectateur une étrange impression. Tout cela est cependant assez conforme aux habitudes de Fleischer et à son goût pour les expérimentations. Mais il y a certaines audaces qui prendront toujours le risque de laisser certains spectateurs sur le bas-côté. Il faut donc croire que s’agissant des films criminels (ou plus spécifiquement des films sur des tueurs en série), le spectateur que je suis a une préférence pour le conventionnel… À moins que ce soit en réalité le sujet qui, quoi que le film propose par ailleurs, produise chez moi une certaine défiance ou un désintérêt. Il me semble pourtant que l’approche humaniste du film pourrait se rapprocher de celle du Fils du pendu qui au contraire de beaucoup d’autres m’avait plutôt emballé (peut-être justement parce qu’on n’a pas affaire à un tueur en série et qu’on n’est pas du tout sur le terrain de la psychologie, mais de la perception des criminels).

Même tributaire des caractéristiques d’un film inspiré de faits réels, le film, dans sa première partie, répond à un certain nombre de codes du genre tout en effectuant quelques propositions qui seront vite (ou étaient déjà) adoptées. Le fait de ne pas savoir où chercher un criminel, par exemple, amène à adopter une vision hyperpériphérique, presque sociale, multipliant les points de vue pour contextualiser au mieux « l’époque » qui agitait la ville. L’influence de la télévision dans les foyers permet également de dépasser l’espace local qui cantonnait les films noirs à des localités plus réduites, à une plus grande confidentialité des événements. Le temps de l’information est également chamboulé : ce qui apparaissait alors dans les journaux du soir ou faisait l’événement du lendemain peut être traité en direct sur les chaînes de télévision. C’est grâce à ce moyen de diffusion rapide que le genre se fait naturellement plus paranoïaque : si les informations passent mieux et s’étendent plus largement dans toutes les strates de la société, la peur aussi. Je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu par le passé des films capables de simuler ainsi une panique ou une agitation à différents niveaux d’une société, sinon à l’échelle d’une plus petite ville dans Les Inconnus dans la ville qui, du fait de la taille limitée de l’espace, son isolement, adoptait (au moins sur ce point) plus les codes du western. On retrouve ce principe dans de nombreux polars des années 70 et cela reviendra souvent de Zodiac, à Gone Girl, en passant par Seven (même dans ses autres films, Fincher adopte presque toujours cette vision périphérique du récit : les espaces visités doivent être denses et multiples pour donner cette impression que les événements contaminent presque un espace étendu — cela marche aussi avec le nombre de seconds rôles). Entre le thriller paranoïaque et le thriller panoramique, il n’y a qu’un pas.

Richard Fleischer semble même s’amuser à expérimenter les nouvelles possibilités offertes par la télévision. Alors que le film est donc censé retracer fidèlement des faits réels, sur le plan formel, il s’autorise quelques innovations, parfois étonnantes. Je parle un peu plus tard du split screen (ou « écran fragmenté »), mais on peut évoquer aussi cette interview du super inspecteur interprété par Henry Fonda qui à peine nommé est interrogé par un journaliste, depuis son bureau, au milieu des enquêteurs. Le dispositif employé est manifestement celui de la télévision, mais les codes appartiennent à quelque chose d’autre : pas de caméra apparente, mais un regard caméra assez troublant (en général, on répond à un journaliste hors-champ) et un retour en plateau derrière le journaliste et en grand écran. On se croirait presque à ce moment dans Soleil vert ou dans n’importe quel autre film d’anticipation.

Toute cette première partie, basée donc sur une enquête qui fait chou blanc, je me demande si elle ne finit pas par fusionner avec un autre genre (et on sait que Fleischer adore le mélange des genres). J’ai parlé de la multiplicité des espaces, mais allons plus loin : le polar n’est-il pas en train de devenir (ou n’était-il déjà pas) un road movie déguisé ?

Formellement, la suite est, de mon point de vue, beaucoup moins intéressante — grossièrement, dès que Tony Curtis entre en jeu. La performance de l’acteur est exceptionnelle, tout en retenue, en hésitation et en fragilité (le sens psychologique et l’humanisme de Fleischer parlent sans doute ici, comme en attesteront les dernières phrases du film), mais Fleischer laisse peut-être justement trop de place au talent de l’acteur. C’est long, c’est lent, c’est répétitif, on regarde Curtis, on a du respect pour ce qu’il propose, mais il n’y a plus aucune fascination pour un personnage ayant perdu sa part d’inconnu et surtout de danger. Le suspense et le mystère retombent, et on passe d’un film d’enquête à un film psychologique qui a au moins le mérite d’annoncer certains films futurs au lieu de se ranger du côté des films névrotiques excessifs de la décennie. Mais ce manque d’unité dessert de mon point de vue le film : il n’y a pas d’action unique, pas de personnage principal, c’est donc assez déroutant pour le spectateur.

Je finis sur l’usage du split screen* qui est loin de me convaincre. Si dans Suspense de Lois Weber, l’effet se justifie et permet de concentrer l’action en opposant deux événements appelés à se rencontrer, la réinvention et surtout l’amélioration du procédé lors de l’expo de Montréal en 1967 avec le film Dans le labyrinthe semble avoir donné des idées à la fois à Norman Jewison et à Fleischer qui l’adopteront chacun pour leur prochain film. Si l’effet me semble pertinent dans un générique ou dans un film documentaire (William Greaves l’adopte la même année dans Symbiopsychotaxiplasm), grâce à ses qualités illustratives, quand il officie en revanche comme un montage-séquence, en en reprenant tout le ressort narratif sans en montrer la même créativité, sans avoir les mêmes exigences, cela apparaît comme une facilité technique et narrative qui a certes le mérite d’avoir été testé, mais qui fait justement la preuve de son inefficacité narrative. Et si dans le film de Weber, le procédé sert à concentrer une action en temps réel, l’usage qui en est fait ici sert au contraire à diluer l’action et à atomiser le suspense. Non seulement il n’est qu’illustratif, mais en plus il est utilisé comme un autre procédé (le montage-séquence) avec une efficacité moindre. Principe du rasoir d’Ockham : si un procédé avec des propriétés narratives similaires a vocation à en remplacer un autre, aucune raison qu’il le remplace s’il n’apporte aucune plus-value significative et s’il réclame au spectateur une attention décuplée. Et il ne l’a jamais remplacé.

*Note : le split screen a également été employé dans Kohraa, un sombre film indien de 1964.


L’Étrangleur de Boston, Richard Fleischer 1968 The Boston Strangler | Twentieth Century Fox

La Fille sur la balançoire, Richard Fleischer (1955)

Baby Doll in Red Velvet

Note : 4 sur 5.

La Fille sur la balançoire

Titre original : The Girl in the Red Velvet Swing

Année : 1955

Réalisation : Richard Fleischer

Scénario : Charles Brackett & Walter Reisch

Avec : Ray Milland, Joan Collins, Farley Granger

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L’art est-il cyclique ?

L’art, comme l’histoire, est-il cyclique ? Probablement pas. Du moins, pas en partie. C’est d’abord sans doute une vue de l’esprit, mais puisque c’est aussi une vue des esprits qui décident des choses de leur temps, il est probable que la perception qu’on se fait de son époque vienne à vouloir y répondre en prenant le contre-pied des usages alors en vigueur, initiant ainsi des mouvements contraires et un nouveau cycle.

Parmi ces modèles cycliques, le plus évident est peut-être celui de la Contre-Réforme. Après la Réforme et l’austérité du protestantisme, l’Église se lance dans une contre-attaque qui sera la Contre-Réforme : l’opulence répond à l’austérité, l’art baroque apparaît. Réforme/Contre-Réforme, un enfant de quatre ans peut comprendre la logique.

Selon le même principe, on parle parfois d’époque fin-de-siècle, et tout particulièrement au cinéma, on distingue une forme de classicisme imposé par les studios (notamment la MGM) dès l’époque du muet. Viennent ensuite les quelques avancées libérales en matière de mœurs et les scandales à Hollywood : c’est ce qu’on appellera plus tard, la période pré-code. Puis le code Hays sera appliqué au milieu des années 30 jusque dans les années 60 tout en étant de moins en moins suivi au fil des décennies. Les années 60 marquent une époque de crise des studios que certains qualifieront de « Hollywood décadent ». Le Nouvel Hollywood donnera un nouvel élan au cinéma américain avec une approche à la fois plus réaliste et tout aussi brutale. Cette période sera à son tour marquée par une sorte de tournant contraire quand ce cinéma jugé trop sombre par une poignée de réalisateurs, tels que Spielberg ou Lucas, s’adressera davantage aux adolescents soucieux de trouver dans les salles des divertissements enthousiasmants, pleins de fantaisies et d’optimisme. Une norme qui a encore cours actuellement.

Il n’y a donc pas de cycle…, mais force est de constater qu’un certain esprit de contradiction souffle souvent entre les générations et que par voie de conséquence, on est bien tenté de ne plus voir que ce qui jure par rapport à ce qui précède en regardant certains films hollywoodiens du milieu des années 50. L’ambiance fin-de-siècle, elle semble avoir en réalité touché Hollywood en plein milieu du siècle… Tourné juste avant La Fille sur la balançoire, on n’était déjà pas loin d’un frétillement (baroque) avec Les Inconnus dans la ville du même Fleischer : il y a quelque chose dans l’air qui laisse penser que quelque chose est en train de changer, quelque chose qui annonce les dérives ou les incompréhensions des années de crise qui suivront, et quelque chose qui semble donc répéter un schéma éprouvé :

Excès/Décadence/Réforme/Austérité/Contre-réforme/Excès/Décadence…

Et cela semble s’appliquer à pas mal de choses : les libertés sexuelles, les mouvements en art, la morale civile ou religieuse, les modes vestimentaires, etc. Bien sûr, toutes ces perceptions sont souvent un peu forcées, mais quand ces « mouvements » viennent aussi parfois explicitement en réaction à un usage devenu obsolète, on ne peut pas les ignorer.

« Prête à vous envoyer en l’air ? »

Assiste-t-on pour autant à une réaction volontaire à l’austérité appliquée depuis le milieu des années 30 à Hollywood avec ces deux films de Fleischer ? Certainement pas. La réaction sera beaucoup plus marquée quelques mois plus tard en France avec la nouvelle vague, en réaction, non pas à un code qui ne s’applique pas à son industrie, mais à une « qualité française » dont on peut toutefois reconnaître des similitudes formelles avec le cinéma de la même époque à Hollywood.

Mais c’est peut-être quand ces mouvements sont involontaires qu’ils sont peut-être les plus intéressants à décrypter. Parce qu’au milieu des années 50, si Hollywood fait le diagnostic qu’une réforme est nécessaire, il ne fait pas forcément toujours les bons choix ou ne reconnaît pas forcément son principal concurrent : la télévision était peut-être moins à craindre que l’émergence de nouvelles cinématographies venues d’Europe ou du Japon. Au lieu d’aller vers plus de simplicité, plus de réalisme (pourtant initiés par certains acteurs de la scène new-yorkaise, mais vite chassés comme des sorcières), Hollywood fera bientôt le choix des outrances. Ce sera rococo party. En dix ans, on basculera peu à peu des audaces acidulées des Plaisirs de l’enfer aux excès grotesques de La Vallée des poupées, et de La Vallée des poupées aux surenchères parodiques (ou pas) de Beyond the Valley of the Dolls.

En 1955, on n’en est pas encore là. La Fille sur la balançoire précède de deux ans Les Plaisirs de l’enfer. Tous deux restent donc dans les clous. Mais Hollywood est en train de créer sans le savoir les conditions qui favoriseront ses échecs futurs… tout en tendant la main à quelques cinéastes (puisque tout désormais devra passer par eux) qui auront les clés pour sortir de l’impasse dans les années 70.

Fait notable : contrairement aux Inconnus dans la ville, La Fille sur la balançoire n’est pas un film contemporain. Il raconte l’histoire vraie, sordide, d’un fait divers ayant fait la une des journaux au début du siècle. Le film est donc réalisé à une époque où on sent le classicisme, ses codes, ses usages commencer à se fracturer. Mais le fait de raconter une histoire pleine de brutalité prenant place à une époque qui illustre un moment charnière d’une époque qui basculera bientôt dans la guerre ne fait que renforcer, comme en écho, cette impression que ce sont les années 50 et toute la haute société américaine qui pourraient imploser comme elle l’avait fait un demi-siècle plus tôt.

La Belle Époque sur la côte est des États-Unis n’est peut-être pas la Belle Époque qu’on a connue à Paris, mais telle qu’elle nous est représentée dans le film, ça y ressemble… Ce petit parfum de scandale permanent qui amusait encore jusqu’à la fin du siècle qui précède quand des hommes riches et célèbres s’affichaient avec des horizontales, des demi-mondaines, des comédiennes qu’on prenait pour maîtresses et qu’on entretenait, quand ces petits arrangements entre dominants/dominés poussent au crime, cela ne fait plus beaucoup rire grand-monde ; et la société semble découvrir à l’occasion d’un grand déballage et d’un procès toute la vulgarité et les outrances de son époque (et de ses élites). Derrière le parfum vulgaire des cocottes, c’est toute la misère humaine qui finit par vous claquer d’un coup à la figure.

Parler de cocottes n’a peut-être pas de sens appliqué à la société new-yorkaise de la Belle Époque, on évoquera alors plutôt les Gibson Girls, mais leur sort était probablement identique. Avec la guerre, au moins en apparence, ce sera une tout autre société (avec ses nouveaux usages, ses nouvelles modes) qui s’imposera. (Et avant que les Ziegfeld Girls, showgirls ou chorus girls prennent le relais.)

Cette ambiance « fin-de-siècle » bavant jusqu’au milieu des années de la première décennie du siècle, avec ses outrances d’une époque qui ne peut plus cacher ses limites, les outrances de ses élites, ses hypocrisies et ses destins brisés, c’est un peu l’ambiance qui commence à poindre à Hollywood au milieu des années 50, et c’était déjà celle des années 20 jusqu’à l’application du « code ».

(Et c’est un peu celle que l’on connaît aujourd’hui, parfois dépeinte, encore timidement, dans la fiction, qu’elle soit volontaire — comme dans Don’t Look Up, The Boys ou Extrapolations — ou involontaire — comme dans Matrix Resurrections, Avatar 2, Star Wars : L’Ascension de Skywalker, Doctor Sleep, Once Upon a Time in… Hollywood, Le Loup de Wall Street… Reste à savoir jusqu’où on peut aller dans les outrances, la surenchère, la répétition, avant que quelque chose de réellement neuf apparaisse et amorce un nouveau tournant…)

« Juste un doigt ? »

En 1955, le classicisme a fait son temps. Les thrillers se font désormais en couleurs ; le Cinémascope s’impose aux séries B ; et Fleischer dévoile même dans son premier film une passion adultérine sans que cela fasse des deux amants pour autant des criminels (Child of Divorce). Ce que certains appellent « modernité » pointe le bout de son nez. Aldrich, Fuller et donc un peu Fleischer donnent les clés qui ouvriront les portes d’un cinéma sans limites. Pourtant, chez Fleischer en tout cas, ce que certains appellent modernité, je m’amuserais plutôt à décrire ça comme étant du « baroque ». Fini, la mesure du classicisme, la mise à l’honneur des bonnes âmes (surtout quand elles appartiennent à la classe supérieure) ; fini, les dérives que l’on acceptait seulement quand elles appartenaient au monde interlope des personnages louches et qu’on ne saurait montrer positivement ou impunies ; fini, les rapports stéréotypés et convenus. C’est la foire aux monstres. Place à la névrose, aux ambitieux, aux pervers, aux alcooliques, aux escrocs ou aux truands (pas de l’ombre, comme il était admis de les montrer, mais de la haute société) ; et au lieu de montrer les demi-mondaines, à leur balcon, cracher discrètement du sang dans un mouchoir, on les montre chassant les cœurs des hommes mûrs au portefeuille garni ou à la réputation bien faite. Le vice, partout, tout le temps, et en Technicolor s’il vous plaît. Le vice comme effet spécial des années 50 et 60 est censé attirer les foules dans les salles de cinéma. Hays est mort, vive le vice !

Selon Bernard Benoliel qui présentait la séance à la Cinémathèque, le film aurait laissé coi Darryl F. Zanuck, le patron historique de la Fox. On le serait à moins. Si le film précédent avait déjà un côté sadique qui jouait sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, La Fille sur la balançoire suggère fortement certaines situations qui frôlent la vulgarité. Le ton aussi frappe par sa noirceur. Et si les cocottes apparaissent traditionnellement dans les fantaisies du cinéma classique toutes fraîches et innocentes, et ce, jusqu’à Gigi peut-être (façon hypocrite de montrer la prostitution et de créer des stéréotypes auxquels les petites filles polies et sages seront appelées à s’identifier), l’image que l’on donne d’elles ici est bien plus scabreuse.

Evelyn est ambitieuse, et malgré ses seize ans, pas tout à fait innocente : si le scénario de Brackett, Walter Reisch, et Fleischer laissent entendre qu’elle aimera son amant et protecteur, on peut douter de son honnêteté (la véritable Evelyn aurait officié sur le film en tant que conseillère technique). Comme beaucoup de petites filles pauvres de l’époque, devenir actrice, se faire repérer par un riche protecteur et gagner ainsi son indépendance dans un monde qui ne leur promet en dehors de cette situation que la misère, c’est hautement compréhensible. Difficile à accepter aujourd’hui ou en 1955 : c’est peut-être paradoxal, mais pour ces filles pauvres, se faire l’esclave d’un riche protecteur était surtout l’occasion de gagner leur indépendance à une époque où l’accès aux études était impossible et où surtout les femmes n’avaient tout bonnement pas les mêmes droits que les hommes.

C’est une lutte des classes, peut-être, mais d’abord, surtout, une lutte individualiste, une quête personnelle vers l’émancipation. Le riche a ce qu’il veut quand il se laisse séduire par une cocotte, et la cocotte, en échange de la fraîcheur de ses joues, gagne sa « liberté » dans une prison dorée.

La réalité montrée est brutale, terriblement sombre malgré les couleurs chatoyantes et les décors somptueux du film, et c’est sans doute déjà ça qui a pu interloquer le public habitué aux reconstitutions donnant une bonne image de la haute société d’alors et idéalisant leurs bonnes manières comme le code ne cessait de vouloir le répéter depuis vingt ans. Fini les frous-frous, les grands sourires de façade, les ronds de jambe affriolants, les rangées de chorus girls et les fantaisies : le luxe est toujours là, mais on passe désormais aussi à la couleur. Les vraies couleurs, celles de la vérité. Et la vérité de l’époque n’est plus « belle » à voir. C’est un monde qui s’écroule sous le poids de ses artifices, un monde qui se dévoile dans toute sa grossièreté et son hypocrisie derrière les détails scabreux d’un fait divers. Le film s’ouvre sur une image du procès et une présentation des faits, donc on ne nous ment pas sur l’inéluctabilité du drame qui se noue devant nous. Les personnages, eux, ne verront rien venir.

Les allusions sexuelles parsèment chaque séquence du film. Cela reste toujours plus subtil que les dérives « décadentes » des films futurs produits à Hollywood, mais on en annonce déjà un peu la couleur… Tout commence par le titre (beaucoup plus explicite, moins euphémique, en anglais) qui renvoie à une séquence et à un décor d’une symbolique sexuelle évidente. (Même si on laisse encore le spectateur innocent jouir d’une autre interprétation).

En le disant, cela passera toujours moins bien que dans le film où, parfois, plongés dans la situation, on n’en mesure pas forcément l’outrance grossière (qui n’est pas celle du film, mais bien celle du personnage, représentant bien réel des outrances de sa classe et de son époque) : un riche architecte tout ce qu’il y a de plus respectable, une sommité de son temps, dispose d’un appartement secret dans l’arrière-salle d’un magasin… de jouets. Il y reçoit des amis pour faire la fête et, on le devine assez bien, régulièrement, des actrices. Ouvrez la porte d’un premier secret, c’est presque un labyrinthe gigogne à la Fellini (ou à la Break-Up, érotisme et ballons rouges) qui se déploie devant vos yeux. Derrière une seconde porte, une perversion un poil plus tordue vous attend : monsieur n’est pas architecte pour rien, une porte, un escalier en colimaçon, et après une dernière porte, une garçonnière, un loft reproduisant sous une grande voûte une forme de jardin symbolique. En son centre, pas un lit, non, on n’est pas dans La Vallée des poupées, on prétend encore à la subtilité, même si on s’apprête à en casser joliment le plafond de verre… Pas un lit donc, mais une balançoire. Après le magasin de jouets, la balançoire… Tu le sens le malaise ?

(À toutes fins utiles, je précise que le scénario a été coécrit par Charles Brackett et que le riche protecteur est interprété par un de ses acteurs fétiches, Ray Milland, qui avaient « commis » treize ans plus tôt avec leur complice, Billy Wilder, l’excellent, mais un peu tordu, The Major and The Minor.)

Le clou du spectacle, il se trouvera donc là, sur cette balançoire en velours rouge suspendu à la voûte du luxueux nid d’oiseaux de monsieur l’architecte. L’oiseau voulait y entrer ; Evelyn y découvre l’amusante balançoire ; son hôte la rejoint ; séduite pour un rien, à peine présentés, elle lui demande de l’embrasser… ; et là où tous les films jusque-là coupaient et imposaient une ellipse qui ne trompait personne, on nous fait bien savoir que l’objet suspendu détourné de son sens initial est bien ce que l’on avait suspecté : on ne suggère plus, on montre. Tout en se réfugiant derrière la métaphore.

Le film ne cédera qu’une seule fois à cet excès, et en ça, on peut dire que le baroque de Fleischer frôle le rococo sans s’y vautrer. Il annonce en tout cas les excès beaucoup plus répétés des films de la décennie suivante. Vas-y que je te pousse, et tiens, essaie de toucher avec ton pied la lune que tu vois là-haut. Et la lune en question est une sorte d’oculus translucide, une membrane blanche ouvrant vers le septième ciel qu’elle tente donc de toucher à force de poussées répétées… Plus l’architecte la balance, plus on se demande (et on craint) qu’elle ne perce cet œil translucide, symbole presque de sa virginité… O colus persus/in nubilis devenus, comme on dit dans la langue de Virgile.

Je ne sais pas si c’est de l’audace ou de la vulgarité, mais j’aurais presque envie de dire à Brackett : « Attention, l’oiseau va sortir ! ».

On évitera de nous rappeler cet épisode édifiant de la balançoire au tribunal que les journaux de l’époque n’ont sans doute pas manqué, eux, de rappeler, mais à la fin du film, on évoquera très subtilement (enfin, pas tout à fait) cette séquence censée représenter un grand moment de joie pour elle (c’était sa première fois, hein), façon Lola Montès, et dans une scène qui se rapprocherait pour le coup plus du chef-d’œuvre des exhibitions pré-code : Freaks.

Zanuck, perplexe, dites-vous ?

« Gare aux cigares qui sifflent dans vos bouches, petites garces… ! — Oh, je m’égare ! Pardonnez ces écarts ! »

Le film connaît par ailleurs d’autres grands moments de « modernité » ou de « rococo », si on peut dire, avec l’épisode du cigare : Evelyn allume le cigare de son riche architecte, ce dernier s’étonne de la voir si habile, et la jeune fille lance alors dans un petit sourire : « C’est que je les ai souvent allumés pour mon père. Il me laissait même parfois en prendre quelques bouffées. Et jamais je n’ai recraché la fumée. »

Rococo comme de la fumée sortant en arabesque folle de la bouche d’une enfant… Que font les ligues de vertu ?

Bref, je reprends mon idée saugrenue de départ. S’il y a quelque chose de cyclique en art comme en histoire, il s’agit toujours de venir « reformer » la période précédente, si bien qu’au bout de deux réformes, on en vient finalement à une révolution. Un petit tour par atavisme et puis s’en va.

L’émancipation des années 70 et 80 qu’on peut lire chez Maupassant, puis les excès arrivant façon « atmosphère fin de siècle », ceux-là mêmes qui sont dépeints dans le film, puis la guerre et son austérité, puis les années folles, populaires, jusqu’aux excès d’une certaine Europe et au conformisme dans le cinéma hollywoodien, puis l’austérité d’une nouvelle guerre, la flamboyance du renouveau d’après-guerre, la couleur, les audaces nouvelles avec ses excès…, et cela jusqu’à aujourd’hui, où on se demande quand tout cela prendra fin.

Et aujourd’hui, comme en 1905, comme en 1955 à Hollywood, on s’habitue à la médiocrité. Pourtant, rien n’atteint les élites : ceux qui autrefois s’entretuent en duel pour les beaux yeux d’une cocotte, ceux qui se livraient à des « crimes passionnels » en public, on ne les voit jamais vaciller face au scandale. DSK s’en tire à bon compte ; les petites fortunes à la Epstein se suicident en prison ; mais le peuple, au lieu d’appeler à une contre-réforme se laisse prendre par les fausses pistes de la désinformation et regarde ailleurs. Au lieu de vouloir la tête de ces élites quand elles fautent, au lieu de leur demander des comptes à l’heure des crises qui se suivent alors qu’elles sont l’occasion pour elles de s’enrichir, le peuple succombe aux mythes de la désinformation et regarde ailleurs.

C’est peut-être ça finalement la fin de l’histoire. Faire en sorte que tout se perpétue comme avant, voir que, malgré les crises, les classes dominantes se « régénèrent » au détriment des plus faibles. En 1905, le scandale augure d’un changement d’époque. En 1955 aussi. Il faudra attendre dix ans à chaque fois. Aujourd’hui, on attend encore. Le cinéma illustre de cette stagnation : plus rien ne surprend, on ne réforme plus rien, on régénère les succès d’hier. On préfère les franchises à l’honnêteté. Jusqu’à quand ? Faudra-t-il une nouvelle guerre pour que les élites soient remplacées par d’autres, pour que la société, l’art, se réforme ?

Les « jeunes Turcs » d’autrefois, on leur dirait aujourd’hui de rentrer chez eux, dans leur pays. Mais cela voudrait dire quoi au juste de notre temps ? Est-ce le conservatisme ou l’excès qui prévaut ? Il est peut-être là le souci. Un peu des deux. Entre 1955 (où le public serait resté perplexe devant un film aussi misanthrope dressant un portrait guère flatteur du monde où chacun, quelle que soit sa classe, tire un bénéfice de l’autre) et 2024, il n’y a pas tant que ça de différences. Difficile aujourd’hui de se laisser émouvoir par le sort de l’amant tué, lui, l’hypocrite bien éduqué qui prétendait vouloir résister au charme de sa cadette, mais qui mettait tout en œuvre pour que de jolis oiseaux viennent se perdre dans la cage dorée qu’il avait bâtie pour elles. La balançoire, elle est faite pour les amies de sa femme qu’il prenait pour maîtresse peut-être ?…

Émus, on aurait pu l’être en voyant chez Evelyn une victime de l’appétit des hommes, une victime de la classe dominante ne lui laissant pas l’occasion d’être autre chose qu’une proie. Mais en fait, non. Evelyn est bien trop volontaire pour être une innocente victime : hameçonner un gros poisson, c’était sortir d’une misère assurée, presque commune. Malgré sa déchéance et son brutal retour à la normalité, plaint-on réellement la femme d’un assassin qui a touché du doigt (ou du pied) la vie de confort espérée en échange d’un amour supposé et bienvenu avant de livrer son cœur à un autre plus offrant ? Est-on victime quand on a eu ce qu’on cherchait ? Les jupes des cocottes étaient-elles trop courtes en 1905 ?

Donc, oui, sans doute, pour nous aussi, autant qu’en 1955, on se réveille du cauchemar des autres sans avoir su à qui donner notre sympathie. C’est l’humanité dans son ensemble qui en ressort écornée. Au fond, comme dans une guerre, il n’y a jamais de gagnant. Dans cette lutte de classes ou dans cette lutte des sexes, tout le monde y perd. Et c’est peut-être mieux qu’un seul justement n’en sorte jamais vainqueur. À la société de limiter les conditions favorisant les scandales qui provoqueront sa chute… Force est de constater qu’on fait aujourd’hui tout le contraire. La réforme arrivera fatalement un jour, reste à savoir sous quelle forme : guerre, faillite, lent essoufflement…

Je parierai sur un essoufflement, une implosion sans vague. Le film annonce les crises futures des années 60, mais il n’aura fallu que quelques années pour que Hollywood s’écroule, et se relève presque aussitôt. Farley Granger a de méchants airs de Hayden Christensen, tiens. Si la série des films Star Wars a été le point de départ d’une ribambelle de films à grands effets spéciaux et à superhéros, on se demande aujourd’hui si tout cela aura en réalité une fin. À quand l’implosion du système hollywoodien (et des autres) au profit de propositions et d’approches nouvelles ? N’a-t-on pas déjà dépassé les limites ? Ou la « régénération » invoquée par certains nous a-t-elle déjà irrévocablement rendus amorphes ?

« Cul-y, cul cuit. »

Tiens, pourquoi ne changerions-nous pas les rôles, rien que pour voir ? Plaçons Ray Milland sur la balançoire et faisons en sorte que Evelyn le pousse, encore et encore, jusqu’à ce qu’il casse le plafond de verre et fasse une révolution. Excessif ? De quoi précipiter la chute de l’empire occidental ? Que serait un Anakin Skywalker dans l’excès (si, c’est possible) ? Un superhéros de The Boys ?… Même pas. C’est affolant. Tous les excès ont déjà été faits. Cela voudrait donc dire que l’on vit une période… conservatrice ? Non, je suis perdu.

Bref, je ne sais pas si c’est la fin de l’histoire, la fin d’un cycle, en tout cas, cela semble bien être le chaos.

— Oh, j’ai la tête qui me tourne ! Arrêtez de pousser ! Cessez, je vous dis ! Vous poussez l’audace bien trop fort !

— Comment ? Mais n’êtes-vous pas venu pour cela ?

— De l’air. Faites-moi descendre.

— Un cigare ? J’ai cru comprendre que vous ne crachiez jamais la fumée.

— Oh, non ! De l’air ! De l’air !

— Ouvrez l’oculus. Si vous arrivez à l’atteindre, peut-être auriez-vous un peu d’air. C’est bien ce à quoi toutes les femmes aspirent ?

— Ah, vous croyez ? Là, comme ça ?

— Oui, un peu plus fort. Là, encore.

— Mais cela fait mal, voyons ! Et je m’essouffle d’autant plus.

— Encore.

— J’ai la tête qui tourne.

— Encore !

— Qu’hymène me suive ! Oh, que dis-je ?

— Le cigare vous monte à la tête, Evelyn.

— Quel cigare ?

— Celui que vous avez dans la bouche.

— Ah !

(Elle casse l’oculus en forme de lune. L’architecte la fait descendre de la balançoire.)

— Vous avez tapé trop fort.

— Non. Ce n’est pas ça.

— C’est fait. Voyez, l’air peut passer maintenant. Vous respirez complètement. Vous êtes une femme désormais.

— Ah, goujat !

— Un bonbon ?

(Elle se redresse.)

— Oui, merci. Oh, comme c’est joliment torsadé ! Parfaitement rococo.

— Tout ici n’est que sucrerie. Ceux-ci, ce sont des berlingots.

— Des berlingots ?

— Oui. Regardez celui-ci. C’est mon sucre d’orge.

— Oh, comme il est mignon !

— Le suceriez-vous pour moi ?

— Oh, je préférerais le croquer !

— Faites donc, ma jolie ! Maintenant que vous avez décroché la lune, tout vous est permis.

— Tout ?

— Tout. Mais c’est un secret. Ne révélez à personne nos petits secrets !

Doit-on vraiment en arriver là ?

Bref. Il n’y a pas que le music-hall (le vaudeville) qui a tiré misérablement profit (avec la principale intéressée) du scandale de cette histoire. Dix ans après, le cinéma s’était lui aussi engouffré dans la brèche :

Une preuve que la guerre n’a rien résolu et que les cycles sont des vues de l’esprit ? (Le film est aujourd’hui perdu.)


La Fille sur la balançoire, Richard Fleischer (1955) The Girl in the Red Velvet Swing | Twentieth Century Fox

Les Inconnus dans la ville, Richard Fleischer (1955)

Un samedi de chien

Note : 4 sur 5.

Les Inconnus dans la ville

Titre original : Violent Saturday

Année : 1955

Réalisation : Richard Fleischer

Avec : Victor Mature, Richard Egan, Stephen McNally, Virginia Leith, Tommy Noonan, Lee Marvin, Sylvia Sidney, Ernest Borgnine

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Cinéma dans le miroir

Film finement baroque.

C’est d’abord le récit qui adopte une technique de destins parallèles finissant dans un climax attendu par en partager un commun. Avec ses différentes variantes, la technique est héritée des chroniques, du théâtre brechtien, des pièces de Shakespeare ou de bien autres choses encore. Au cinéma, les destins croisés ne sont pas inédits alors que le principe du montage alterné a façonné sa grammaire et son histoire : si on en reste aux destins parallèles partageant une temporalité et un espace communs, Street Scene de King Vidor, par exemple, ou Went the Day Well?, mettaient ainsi en parallèle différentes aventures urbaines.

Plus tard, ce type de récit reviendra périodiquement à la mode : alors que (de mémoire) la science-fiction des années 50 en faisait déjà usage pour montrer les effets d’une invasion au sein de la population d’une même ville (Body Snatcher, Le Village des damnés, Them!, Le Jour où la Terre s’arrêta…), le mélodrame (genre ô combien baroque), bientôt suivi par sa variante télévisuelle (le soap), l’adoptera dès les années suivantes (Les Plaisirs de l’enfer, notamment, mais aussi, la même année, La Toile d’araignée, et plus tard, La Vallée des poupées). Dans les décennies suivantes, ce sont les films catastrophes qui mettront le procédé à profit (c’est très utile pour multiplier les courtes apparitions d’anciennes vedettes : on pense à Fred Astaire dans La Tour infernale ou à Ava Gardner dans Tremblements de terre). Enfin, c’est bien entendu Tarantino qui joue pour ainsi dire presque toujours dans ses films avec les destins croisés et qui en relancera la mode dans les années 90.

Le baroque, ensuite, concernant la forme, pour le coup, inédite, du film de Fleischer. On adopte ici le Technicolor et le Cinémascope, une première pour ce type de films (thriller à petit budget avec une patte ou une ambition mélodramatique, voire sociale et psychologique, comme pouvaient l’être les films de Douglas Sirk ou certains drames de Vincente Minnelli, à commencer par La Toile d’araignée, déjà évoqué et sorti la même année).

Lors de sa longue carrière, Fleischer est connu pour avoir touché à tout, à tous les genres. Et en réalité, il est presque toujours en marge des genres qu’il aborde, travestit et entremêle. Une caractéristique du baroque. Son premier film sur le drame que vit une petite fille au divorce de ses parents était déjà, et reste encore, un film « sans genre ». Ses thrillers ou séries noires/b mêlent habilement l’âpreté du noir, la comédie avec des répliques cinglantes (Bodyguard, par exemple, ou ici avec ce Violent Saturday) et une ou deux histoires de cœur qui traînent. On retrouve ce mélange des genres ici. Film de hold-up, tout ce qu’il y a de plus traditionnel, sauf que justement, l’habituel film noir se serait focalisé sur les seuls criminels (ça ne fait pas toujours de bons films, au hasard, Le Cambrioleur, avec Jayne Mansfield et Dan Duryea).

Dans Les Inconnus dans la ville, on prend un pas de recul, et comprenant vite les intentions des malfaiteurs (suspense oblige), on regarde, attentifs, la patiente description des victimes collatérales de leur hold-up qui a de bonnes chances de tourner mal (sans quoi on n’y prêterait pas autant attention). Cette manière décalée, baroque ou épique (au sens brechtien : on refuse le spectaculaire et on cherche à dévoiler ou à analyser le cheminement social et psychologique des personnages) et que certains nomment déjà « soap », proche de la tonalité des films catastrophe des années 70 (le calme avant la tempête, les petites histoires faussement futiles des uns et des autres amenées à devenir tragiques, à la Rashômon, en croisant le chemin de quelques criminels), j’y ai vu surtout une appropriation du style Tennessee Williams.

En dehors de l’aspect moite et suintant de la Louisiane de Williams, on y retrouve la névrose des bourgeois ou des habitants d’une même communauté incapables de vivre entre eux. On y voit encore les difficultés des petites gens à préserver les apparences d’une vie ordinaire et conforme aux codes de la communauté, leur recours à des activités illicites pour s’en sortir, et surtout les amours contrariées par l’alcool et par le besoin de fuir les habitudes du cercle conjugal.

On sombrerait effectivement dans le soap si les acteurs en faisaient des tonnes. Mais Fleischer avait déjà démontré sa capacité dans ses films noirs à choisir des acteurs puissants tout en leur imposant de jouer la douceur et la finesse. Depuis l’Actors Studio, on sait que l’on n’a plus besoin de forcer pour passer à l’écran, ni même de prononcer chaque expression : la psychologie passe aussi par une forme d’incertitude et une perméabilité feinte des sentiments (appelée bientôt à craquer). On peut frimer un peu, gesticuler comme peut très bien le faire Lee Marvin (attaché à son stick déboucheur de nez depuis qu’il dit ne pas s’être remis d’un rhume refilé par son ex-femme — voilà qui est très « Actors Studio »), mais là encore, tout se fait en douceur.

Richard Egan, de son côté, en alcoolique mélancolique, charmeur et désabusé, est dans la lignée des autres personnages à la virilité affichée mais contrariée des films de Fleischer (Charles McGraw, Lawrence Tierney, Mitchum, Kirk Douglas, Victor Mature, Anthony Quinn…), capables de jouer sur autre chose que le muscle ou les vociférations.

Les coups d’éclats sont réservés aux répliques. Et si dans le récit, on retrouvait un peu de Tarantino, eh bien, dans ce baroque où les dialogues précèdent la violence, on est déjà un peu également dans du Tarantino. Ou du Sergio Leone. Voire du Charley Varrick. « Quand tu dois tirer, tire ! Cause pas ! »

De quoi peut-être se demander si ce baroque, ce n’est pas aussi finalement ce que certains nomment parfois « modernité ». Un cinéma qui se sait faire du cinéma. À la manière déjà du théâtre de Brecht, un cinéma conscient des effets qu’il produit, et ne manque pas de le faire savoir. À travers parfois des références. Car oui, je m’aventure peut-être un peu, mais à l’image d’un Tarantino, on croit presque voir dans Les Inconnus dans la ville un cinéma déjà de références, un cinéma de cinéphile conscient de l’histoire qui le précède, soucieux de rendre hommage aux films passés tout en ne manquant pas une approche nouvelle.

Même si parfois, les références que l’on pense voir au premier coup d’œil se révèlent impossibles. On est au cinéma, si on les rêve, c’est donc bien qu’elles existent.

L’acteur qui joue le môme de Victor Mature, par exemple, c’est celui de La Nuit du chasseur, un film qui commence avec les conséquences d’un hold-up ayant mal tourné. (Le film de Laughton est sorti quelques semaines après le film de Fleischer).

Sylvia Sidney, qui joue ici la bibliothécaire avec des soucis de portefeuille, avait tourné une quinzaine d’années plus tôt dans Casier judiciaire, un film de hold-up de Fritz Lang qu’elle parviendra à faire avorter grâce à une leçon de mathématiques morales.

Le personnage de héros malgré lui qu’incarne Victor Mature n’est pas sans rappeler celui de meurtrier repenti de Rock Hudson dans Victime du destin ou le shérif blessé de Duel sans merci (ici, Stephen McNally, toujours aussi flegmatique et sans la moindre once de fantaisie, passe du shérif au leader des malfrats). Lee Marvin retrouve le rôle de sadique qu’il a déjà pu jouer chez Don Siegel. Et le banquier voyeur rappelle le banquier, encore plus tordu, du Tueur s’est évadé : les mêmes limites du sadisme refoulé, le même animal à lunette (le film est tourné l’année suivante).

Il y a quelque chose de pourri à Hollywood. Les criminels reviennent à la fête. Et ils refusent de faire leur entrée par la petite porte de derrière. Et s’ils meurent, il faut que ce soit désormais en Technicolor et en Cinémascope !

Bientôt en crise, Hollywood ne sera jamais aussi bon que quand il semble porter un œil critique sur lui-même, quitte à se prendre comme référence : ce sera par exemple le cas dans un style tout aussi baroque, contemporain de Sergio Leone, de Cinq Cartes à abattre. Johnny Guitar aussi avait déjà bien montré la voie : porter un regard sur le cinéma, c’est aussi s’en moquer et prendre ses distances avec un genre pour lui insuffler une nouvelle jeunesse. Rio Bravo, quatre ans plus tard, proposera aussi une toute nouvelle conception du temps à l’écran.

Alors, oui, il pleut des références, et toutes sont un peu forcées et anachroniques. Plus que des références, alors, faut-il y voir un souffle « moderne » à Hollywood ? Se sentant mis en danger par la télévision, les studios commencent à vaciller et les restrictions du code passent au second plan. Le sadisme peut bien s’afficher plus volontiers chez Siegel, Hathaway, Aldrich et donc Fleischer, qu’importe s’il attire du public dans les salles. Et cela, jusqu’à la panne sèche. Les superhéros d’alors sont les névrosés. L’Institut Xavier réunissant la fine fleur des superhéros dans X-Men aurait été dans les années 60 un asile psychiatrique. Ainsi, au tournant de la décennie, ce qui était alors « moderne » ou « baroque » se transformera comme un vieux masque rouillé en alléluia du n’importe quoi. L’épiphanie des extravagances et des excès n’est pas pour tout de suite, si Les Inconnus dans la ville est une réussite, c’est précisément qu’il se trouve parfaitement entre les audaces nécessaires à l’établissement d’une nouvelle proposition de cinéma et les outrances répétées d’une époque ne sachant plus quelles limites dépasser pour attirer l’attention du spectateur.

On pourrait presque voir avec Les Inconnus dans la ville l’avis de décès imminent du film noir. Le genre était indissociable du noir et blanc et des stéréotypes moraux imposés par le code Hays. Le baroque (ou la modernité) du film de Richard Fleischer prouve que le thriller pur, ou le film noir (comme on ne l’a jamais appelé dans les studios), dépouillé des notes mélo-socio-psychologiques des Inconnus dans la ville, pourra tout à fait se conjuguer avec les caractéristiques que l’on croyait réservées aux séries A. Il faudra alors plus volontiers parler après de néo-noir pour les thrillers en couleurs à venir.

Quant à la violence (bien avant Bonnie and Clyde qui dépassera bien plus les usages de la violence au cinéma que le film de Fleischer), on la sent déjà poindre d’une manière qu’on n’avait peut-être plus vue depuis l’époque pré-code (du moins, dans des films de studio de premier plan). En cela, peut-être, le film (mais c’est toute l’époque qui est ainsi) annonce une ère nouvelle : l’ère où Hollywood ne peut plus composer avec la concurrence du petit écran et avec les restrictions d’un autre âge. Ce qui était autrefois réservé aux séries B va peu à peu se généraliser aux films de plus grande importance. D’où les années suivantes particulièrement baroques où des moyens bien plus colossaux que ce que l’on peut voir ici sont déployés pour illustrer des personnages toujours plus tordus et névrosés. Et la transformation sera totale dans les années 70 quand certains grands succès de l’époque seront des thrillers à grand spectacle (avec des variantes paranoïaques).

Pour finir : hommage à la technique, habile et expéditive (tout en étant non-violente) d’un des trois malfrats pour faire taire un gamin un peu trop grande gueule. Mon ex avait adopté la même technique lors de ses conférences où des gamins se trouvaient malgré elle impliqués. Elle avait même un budget alloué pour leur clouer le bec. C’est que j’en ai bouffé aussi des bonbecs. (Je ferais bien de revoir le pedigree de mes fréquentations. Qui veut finir une fourche nichée entre les omoplates ?)


Les Inconnus dans la ville, Richard Fleischer (1955) Violent Saturday | Twentieth Century Fox

Mr. Long, Sabu (2017)

The Brother from Another Planet

Note : 2.5 sur 5.

Mr. Long

Titre original : Misutâ Ron

Année : 2017

Réalisation : Sabu

Avec : Chang Chen, Shô Aoyagi, Yi Ti Yao

Mélange pour le moins étonnant, mais raté, entre thriller (variante tueur à gages) et film de festival (le film a d’ailleurs été sélectionné à Berlin). Le détour brutal que prend le film à la fin de son introduction pour suivre tout un développement inattendu de tueur pris en charge par des villageois, obligé de vendre des nouilles pour gagner son billet de retour au pays (il est Taïwanais et opère pour sa mission au Japon), n’est pas inintéressant. C’est même quelque temps assez réussi. Sabu est assez bon pour instaurer des ambiances à la Jean-Pierre Melville, entre Le Samouraï et Le Silence de la mer. L’intrusion du môme dans la vie du tueur… passe encore, mais celle parfois burlesque de cette troupe de villageois venant en aide à un inconnu ne parlant pas la langue du pays, voilà ce qui constitue peut-être la seule bonne réussite du film. Là où ça file droit en revanche vers la catastrophe, c’est quand ce qui est désormais devenu un film réaliste ou comique use des ficelles grossières du thriller de mauvais goût, voire du mélo dont seuls les Coréens s’autorisent encore à produire.

L’idée du détour et le changement d’identité, on le comprenait à ce moment-là comme un pied de nez au thriller, comme le dévoilement de la face réaliste qui compose chaque thriller codifié par tout un tas de scènes à faire. On aurait pu accepter un retour tout aussi brutal à la “réalité” du thriller dans une dernière partie, mais l’usage de tous les clichés liés à la pute au grand cœur dans sa partie centrale fout tout en l’air. Justement parce qu’avec un retour au réalisme, on n’était pas censé retrouver ce genre de personnages (la prostituée n’est pas ailleurs pas du tout intégrée aux séquences comiques assurées par les villageois). Là encore, on aurait pu l’accepter si on faisait prendre à ce personnage stéréotypé (trop souvent employé dans le cinéma asiatique) le même détour que celui pris pour l’assassin. Au contraire, Sabu ne cessera dans son développement de courir après les facilités et de nouveaux clichés : prostitution d’une fille qui pourrait être top model et rêve d’être ballerine, drogue, désintox forcée menée par le chevalier blanc, maquereau violent, talents aux fourneaux sortis de nulle part, guérison miraculeuse, début d’idylle entre la prostituée et le tueur, découverte du lien filial, etc. Le sommet de cette grande soupe de mauvais goût, c’est une longue séquence inutile en flashback pour nous raconter le passé de la mère prostituée. À partir de là, on a compris qu’on ne pourra plus revenir en arrière, Sabu ayant largement dépassé les limites de la soutenabilité.

Bien dommage, l’idée initiale n’étant pas mauvaise. Il y aurait presque un côté Kitano (tendance Été de Kikujiro) plus qu’avec Takashi Miike pour qui Sabu a occasionnellement fait l’acteur ou un côté Un monde parfait sur l’amitié entre un tueur et un bambin. Mais il aurait fallu assumer jusqu’au bout le pas de côté, la prise de distance avec les clichés du genre. Signe sans doute que depuis le début le mélange foutraque de genres faisait partie du plan et que l’idée de déconstruction du thriller, de pas de côté, n’en était pas une.


Mr. Long, Sabu (2017) | BLK2 Pictures, LDH Japan, Livemax Films, Rapid Eye Movies

Empreintes digitales, Raoul Walsh (1936)

La Dame du jeudi

Note : 3.5 sur 5.

Empreintes digitales

Titre original : Big Brown Eyes

Année : 1936

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Cary Grant, Joan Bennett, Walter Pidgeon

Une screwball comedy criminelle assez inattendue dans la filmographie de Walsh. Le mélange de comédie et de crime rappelle par certains côtés The Thin Man tourné deux ans plus tôt, mais l’humour très british laisse place ici à un type d’humour typique de la screwball, voire de la comédie du remariage où deux acteurs de sexe opposé font semblant de se chamailler et où la repartie appartient plutôt au registre de la séduction. En ce sens, le film préfigure aussi d’une certaine manière La Dame du vendredi, tourné, lui, trois ans plus tard. Cary Grant s’entraîne presque déjà pour son duo mémorable avec Rosalind Russell. Au contraire du duo génial de The Thin Man, en plus d’évoquer plus certainement une parade nuptiale entre deux amants se jaugeant l’un et l’autre à coup de répliques bien senties qu’un mariage où la résolution d’affaires criminelles sert d’agrément ou de hobby, comme celui de La Dame du vendredi, dans ce duo-ci, c’est aussi la femme qui tire plus volontiers les ficelles dans le couple. Grant n’a jamais été aussi bon que quand il est dépassé par les événements ou doublé par des femmes plus futées ou plus alertes que lui. Encore pendant vingt ans au moins jusqu’à La Mort aux trousses, ce sera son génial credo. Et pour l’assister, pardon, pour le mener par le bout du nez, une surprenante (et encore blonde) Joan Bennett.

Les échanges de répliques qui fusent à La Dame du vendredi ne sont peut-être pas toujours du meilleur goût, la repartie des uns et des autres n’arrive jamais à la cheville de certains chefs-d’œuvre de la même époque, mais le ton est là. Il règne un certain goût d’inachevé durant tout le film, c’est vrai. La faute à Walsh dont la comédie n’est pas la spécialité, à un mélange de comédie et de crime n’ayant jamais réellement produit de très grands films, peut-être aussi. Mais ce n’est pas aussi mauvais que la relative mauvaise réputation du film (voire, pas de réputation tout court) pourrait le laisser entendre. On peut surtout apprécier les astuces et filouteries du personnage de Joan Bennett pour confondre un assassin et le faire coffrer au profit de son homme (what else). Là encore, la parenté avec La Dame du vendredi est saisissante. Et à n’en pas douter, ces quelques films de l’âge d’or d’Hollywood où les femmes mènent une carrière professionnelle qu’occupent habituellement des hommes sans que cela éveille la moindre surprise ou défiance chez les personnages masculins ont aidé certaines femmes à se lancer dans certaines professions (comme souvent au cinéma de cette époque, le journalisme), à avoir confiance en elles et à pousser les hommes à leur faire confiance et à les traiter pour ce qu’elles doivent être : leurs égales. La modernité du film est en cela au moins plutôt remarquable. D’un côté, on commence avec les manucures toutes dévouées aux soins de ces messieurs, puis par son intelligence et son audace, le personnage de Joan Bennett se voit proposer un travail dans un journal où on lui proposera vite une augmentation de salaire pour son talent. Partout en Amérique, on sent encore les effets de la crise, et Hollywood s’échine à vouloir pousser les femmes à piquer le travail des hommes (sic). C’est dans la difficulté qu’on reconnaît les sociétés qui œuvrent pour le progrès (au contraire de quelques autres, sur le déclin, qui préféreront en de mêmes situations le repli sur soi et les valeurs traditionnelles…).

Le film fera un four, apparemment, mais son producteur Walter Wanger n’en tiendra pas trop rigueur à son actrice principale parce qu’il l’épousera quelques années après. L’autre Walter de la production, Pidgeon, est également tout à fait remarquable, mais lui était déjà marié.


Empreintes digitales, Raoul Walsh 1936 Big Brown Eyes | Walter Wanger Productions, Paramount Pictures


Sur La Saveur des goûts amers :

99 screwball comedies (par Byrge & Miller & Sikov) (non inclus, au contraire de Wedding Present, tourné la même année avec les deux mêmes acteurs en vedette)

Liens externes :


Last Night in Soho, Edgar Wright (2021)

Not all men

Note : 2.5 sur 5.

Last Night in Soho

Année : 2021

Réalisation : Edgar Wright

Avec : Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Matt Smith, Diana Rigg, Terence Stamp

 

Les joies du confusionnisme. Pendant près d’une heure, on s’agace en voyant cette pauvre gamine ne pas aller voir un psychiatre, tout dans ses visions faisant penser à de la schizophrénie. Cela n’aurait rien coûté de balayer rapidement cette hypothèse ou d’inventer un subterfuge en guise de justification pour ne pas avoir à le faire (comme on le fait pour justifier de ne pas appeler les policiers dans un film criminel). On lève alors les yeux au ciel en comprenant au moment du dénouement que ses visions s’appuient sur des événements réels… qu’elle identifiait mal. L’horreur, le fantastique, c’est bien, mais quand ça tient d’une explication moisie justifiée sur le tard, on s’enfonce rapidement dans le ridicule. Et c’est d’autant plus vrai, pardon, mon cher Edgar (pas Poe), que les hallucinations de la gamine n’ont rien de simples visions rattachées à un espace hanté ou à une quelconque sorcellerie : quand elle est dans la bibliothèque et qu’elle attaque une élève suite à des hallucinations, c’est typiquement un type de situation que l’on peut rencontrer avec des schizophrènes. Pour le coup, aucun rapport avec un passé bien réel… Ne pas donner des explications à son comportement à ce moment-là est plutôt problématique… Première confusion qui me pousse à faire “beuh”.

Second niveau de confusion : le rapport aux victimes, aux mâles comme la société actuelle ne veut plus en voir (des prédateurs, pour faire court) et aux assassins. Déflorons l’intrigue. Une étudiante s’installe dans une vieille chambre dans le quartier de Soho ; elle ne tarde pas à avoir des visions sur une aspirante chanteuse dans les années 60 et « apprend » qu’elle aurait été abusée par une série d’hommes que son manager lui aurait fait rencontrer. Ses visions lui indiquent bientôt que cette chanteuse aurait été assassinée par ce même manager parce qu’elle ne se pliait pas à ses exigences ; elle pense y voir un crime non résolu, et court en informer la police qui ne la prend pas au sérieux. Arrive le twist où les masques tombent, et patatras, l’assassin était en fait la victime, la logeuse, qui s’en serait prise aux hommes qui l’avaient précédemment abusée. Donc, quoi ? Finalement,… not all men ?

Dans ses visions, quand elle comprend que ceux qu’elle croyait être, seulement, ses bourreaux sont aussi les victimes assassinées par sa logeuse, elle refuse de les aider quand ils lui demandent son aide. Soit, c’est de bonne guerre. La réplique est amusante d’ailleurs, très esprit metoo radical. Sorte de revenge movie par procuration. Sauf que les implications dramatiques deviennent difficiles à justifier : la gamine comprend le fin mot de l’histoire alors qu’elle est censée être sous somnifère (elle retrouve toutes ses facultés, on se demande comment), et si elle refuse de venir en aide aux abuseurs devenus à leur tour victimes qu’elle voit en hallucinations…, de quel côté va-t-elle se placer quand la mamie psychopathe (victime autrefois de ces abus mais devenue par la force des choses une tueuse en série) se trouvera en face d’elle ? Tu as trois secondes pour réfléchir, lady, parce que mamie arrive enfin de sa longue montée des escaliers ! Alors ?… Inutile de réfléchir, mamie décide pour toi. Et que tu sois une fille ou un mec, pour la boomeur, ça ne change rien à l’histoire : la sororité, elle la poignarde en plein cœur ! Aucun respect pour les féministes 2.0, ces bonnes féministes des 60’s qui ont mal vieilli.

Sérieusement, faut pas pousser mamie dans les orties, ça n’a aucun sens. Confusionnisme total. L’ironie, sans doute, c’est probablement encore qu’on ait affaire ici à une sorte de justification par l’absurde du mouvement metoo par ceux qui justement sont les moins bien placés pour en justifier les excès : les hommes. Confusion et tartufferie. Si on voulait résumer en un film d’absurdité de metoo, il aurait bien sûr fallu y mettre un peu de male gaze. « Mesdames, je vais faire un film pour vous défendre, vous, les victimes. Ce sera trash. Les hommes vont en prendre pour leur grade. » « Cool. » « Et puis, le twist est génial. » « Ah ? » « À la fin, c’est la femme qui est coupable. » « Heu. »

Dans Scary Movie, parfois, on peut être amusé de ne plus savoir qui sont les assassins et les victimes. Mais c’est volontaire. Ici, on rit jaune (giallo peut-être), parce que plus personne ne semble savoir qui sont les agresseurs ou les victimes ou les deux. Le film d’une époque, assurément où chacun voudrait pouvoir prétendre juger de qui est qui alors que le monde n’est, pour nous et à notre petite échelle, qu’un grand flou halluciné. La vie n’est pas une fiction : la première chose à faire, c’est d’aller voir la police, de laisser faire la justice, et de surtout ne jamais se fier à ses intuitions. Les intuitions traduisent le monde comme on veut le voir ou comme on le craint ; elles nous rendent surtout les choses simples, créent un récit cohérent avec peu de matière. Un récit, ce n’est pas la réalité. Pas plus que la gamine dans le film, on n’est apte à juger de ce que l’on pense voir ou comprendre. Connaissant son passif familial, elle aurait dû s’en remettre à un psy, comme nous n’avons d’autre choix que de nous en remettre à la justice quand surviennent des faits dont la nature précise reste floue. Intuitions, hallucinations, même combat. Si le film pouvait au moins servir à cette conclusion, ce serait déjà pas si mal, mais je suis probablement le seul à forcer ainsi cette interprétation. Le confusionnisme a ses vertus : je m’efforcerai toujours à trouver un sens personnel à un grand n’importe quoi. (Quand le film que l’on vous propose est mauvais, tentez toujours d’y créer le vôtre.)

Tout cela est bien dommage, parce que tout le reste est parfaitement réussi (production, réalisation, interprétation, musique). Plaisant à regarder, mais indéniablement mal fichu.


Last Night in Soho, Edgar Wright (2021) | Focus Features International, Film4, Perfect World Pictures


Sur La Saveur des goûts amers :

Top films britanniques (non inclus)

 

Liens externes :


Divertimento, Keyvan Sheikhalishahi (2020)

Note : 1.5 sur 5.

Divertimento

Année : 2020

Réalisation : Keyvan Sheikhalishahi

Puzzle narratif pour un thriller en quasi-huis clos dans une production à la fois cosmopolite et familiale. Rien de particulièrement bien prometteur, mais il faut saluer, quand elles se présentent, les tentatives visant à réanimer en France un genre qu’on n’associe guère plus aux productions de l’hexagone depuis… Jean-Pierre Melville ? Le Trou ? Clouzot ?… Depuis… la Première Guerre mondiale et les serials… ? (On a connu quelques tentatives laborieuses au cours de ce siècle, avec les mêmes moyens, et je n’ai pas souvenir qu’aucune d’entre elles n’ait jamais été couronnée de succès. J’ai un triste souvenir de 13 Tzameti par exemple.)

Les intentions dans le sujet et l’argument pour un film au format si particulier (trente minutes) ne brillent pas pour leur originalité, mais c’est rarement, voire jamais, ce qu’on réclame à un film de ce type. Pour des raisons de coûts, on peut facilement deviner que le quasi-huis clos s’impose de soi (le tournage de nuit et le château — sauf si laissé à disposition par des amis — un peu moins), et on peut voir ça comme un exercice de style auquel tout jeune réalisateur ou scénariste devrait se plier.

À ce stade, et de ce que je peux en juger pour être loin de pouvoir prétendre être un expert en écriture de thriller, la structure en puzzle apporte du dynamisme et du mystère à un récit forcément condensé en trois fois dix minutes. Le principe permet de délivrer des informations au compte-goutte, passer d’un temps de récit à un autre, jouer de la voix off, avancer, pas à pas, pion après pion, jusqu’au basculement final qui aura vocation à vous casser les reins. Après une entrée en matière convenable (je parle de l’écriture uniquement ici ; je reviendrai plus en détail sur la mise en scène des premières secondes), le reste de l’exposition n’avance pas idéalement. Peut-être que c’est aussi une impression laissée par les autres défauts du film. Une fois qu’on entre plus avant dans le récit et que l’action se met en place, que les zones d’ombre s’éclairent (comme cela était à craindre à chaque fois dans ce genre d’exercice), ça se gâte. Je passe sur les incohérences éventuelles qu’un tel récit (jouant sur différents niveaux de réalité) provoque inévitablement (je mets rapidement de côté les défauts structurels et de cohérences quand mon attention est accaparée par ce qui m’est plus familier et évident), mais certains éléments du dénouement sont loin d’être convaincants. Premier twist : « c’était pour ton anniversaire ! » (pourquoi pas, ça vaut « ce n’était qu’un rêve », mais soit), suivi du second : « je me venge et je fais tout exploser ! ». Le double twist, c’est comme les biscottes qu’on tartine de beurre des deux côtés. Si tu tiens bien la tranche : bon courage, et assume le cholestérol. Mais au moindre écart, tu es dans la sauce. Et pour le coup, une incohérence est difficile à avaler, quel que soit le niveau de réalité qui rentre en jeu : non, on ne peut pas en deux minutes faire exploser tout un château en ouvrant… le gaz. À moins d’avoir une arrivée de gazoduc en guise de gazinière dans sa cuisine. Et encore.

Passons les incohérences, c’est le genre de détails qui sont susceptibles d’être gommés quand on s’entoure de scénaristes ou de relecteurs, si toutefois, on met les moyens pour ce faire, et si on accepte surtout de déléguer, de recevoir des critiques et faire siennes les propositions des autres. Ce n’est, par définition, pas une priorité dans une boîte de production familiale et indépendante. Quels que soient les moyens dont on dispose au départ, savoir et vouloir s’entourer de professionnels plus compétents que soi, réfréner ses envies de faire plaisir à son entourage n’est sans doute pas donné à tout le monde. Même l’indépendance a un prix. On peut même supposer qu’elle a un coût, car les investissements de départ ne seront alors jamais rentabilisés. On peut supposer ici que la réussite est ainsi la combinaison de cinq facteurs : la volonté, l’asset (les fonds propres), le talent ou le savoir-faire, l’exigence et la chance (souvent « conditionnée » par l’épaisseur du carnet d’adresses). La majorité des productions indépendantes ne remplissent pas plus d’un de ces critères.

Restons sur le savoir-faire : ce qui saute aux yeux dès les premières secondes du film, c’est son manque de maîtrise sur le plan de la mise en place et de la direction d’acteurs. Le découpage technique est globalement propre (peu créatif, mais propre), mais comme c’est souvent le cas, la gestion des acteurs réduit tous les efforts de la mise en scène (avec la caméra) à pas grand-chose. Réaliser un film, ce n’est pas seulement décider du cadre, c’est ainsi contrôler ce qu’on veut y mettre à l’intérieur. Et ça me paraîtra toujours aussi cocasse de voir des réalisateurs se lancer dans le grand bain sans n’avoir jamais appris à travailler avec un acteur. C’est une chose de maîtriser l’emplacement de la caméra, décider quand et quel type de musique d’ambiance adopter, c’en est une autre de savoir choisir, diriger, corriger des acteurs, et éventuellement, amender ses propres idées en fonction de ce que proposent les acteurs, les circonstances, en fonction de leurs possibilités ou, plus souvent encore, en fonction des fausses bonnes idées qu’on identifie au fil d’un tournage, ou les bonnes qui seront trop difficiles à mettre au point sur un plateau (ajustement de la distance, de la lumière, du rythme, du positionnement des acteurs entre eux, etc.). Au bout d’un troisième court, on devrait avoir appris de ses expériences passées. Sauf si comme souvent, on n’a que des retours positifs de la part d’un public déjà acquis à son talent ou si on pense que courir les festivals donne un quelconque gage sur la qualité d’un film. Il en va de même des films et des « hyperdocteurs » : multiplier les apparitions à des festivals sans jamais décoller comme d’autres multiplient les « doctorats » sans jamais rien publier, ce serait plutôt indicateur qu’il y a anguille sous roche.

Voici comment débute donc le film : plan fixe sur le sol dans un intérieur, bruits de pas jusqu’à présent hors-champ, voix off traînante d’un personnage qui parle du passé (code bienvenu évoquant le film noir), jeux sonores, puis la caméra s’élève. Une femme apparaît à l’écran. Et là, tout s’écroule. On devine un plan en vue subjective (confusion, à mon sens, plutôt malhabile parce qu’on peut être amené à penser que la vue, comme la voix off, est celle du personnage principal) : la femme file droit sur la caméra. Problème : quelque chose cloche dans sa démarche, dans sa présence, dans son mouvement. Ce n’est pas seulement que sa démarche paraît trop peu naturelle, c’est surtout qu’on sent que c’est précisément ce qu’on lui demande. Marcher à un certain rythme. Et que ça ne lui est pas naturel. On devine l’intention : marcher lentement, ça participe à l’ambiance générale.

Ça peut aussi la casser net.

Ce qu’on espère se matérialiser à l’écran en l’imaginant et en en écrivant la description précise dans un scénario, si ça ne marche pas lors du tournage, c’est fichu. Surtout si on ne s’y est pas préparé.

En l’occurrence, dans ce genre de situation, je dirai que neuf fois sur dix, c’est une question de choix d’acteur et de direction. Les mauvais acteurs… ne savent pas marcher quand on leur demande de marcher. On le comprend en assistant à un premier cours de théâtre : aller d’un point A à un point B sur un plateau ou une scène, cela n’a rien d’évident. Il y a des acteurs plus habiles que d’autres qui vont comprendre les intentions à ce moment de leur personnage. D’autres auront besoin qu’on les conditionne, qu’on essaie dix fois, en adoptant tel ou tel subterfuge pour tirer d’une manière ou d’une autre ce qu’on attend d’eux… Et puis, il y en a d’autres qui, mal guidés, perdus, n’arriveront à rien, ne serait-ce qu’avancer vers une caméra. D’autant plus qu’un acteur a besoin d’un cadre, d’un contexte : une femme qui marche vers un homme et lui tourne autour, ce n’est pas une situation. Si c’est une forme de danse, il faut alors insister.

Et puis, une fois sur dix, c’est plus qu’une simple question de direction d’acteurs. Disons que le cadre est posé, on sait dans quelle ambiance on veut que le spectateur se trouve dans les premières secondes du film, on a la chance d’avoir les meilleurs acteurs du monde, on lui demande d’agir, en apparence, de manière anodine, mais qui ne l’est pas (marcher), et là, patatras, ça ne marche toujours pas (supposition). Pourquoi ? Parce qu’on montre rarement les acteurs en pied. C’est une des premières astuces qu’on a inventées pour éviter d’avoir l’impression d’être au théâtre au cinéma. On montre les acteurs en pied quand ils évoluent en plan général et quand ils sont en mouvement en dehors de l’axe de la caméra, mais quand ils « passent à l’action » et que le plan cesse d’être purement illustratif, on préfère passer alors, au minimum, au plan américain. On coupe les pieds, et avec ça, les maladresses des acteurs. Le cinéma avait une de ses premières astuces qui fera illusion et amassera les foules dans les salles. (Bien sûr, on trouvera toujours des exceptions comme dans les films de Rohmer pour trouver des contre-exemples.)

« Ah, oui, mais, je veux jouer sur les pas ! C’est le sens de mon introduction ! »

On les entend les pas. Pas la peine de la voir si longtemps marcher vers la caméra si l’actrice n’est pas à l’aise et si le rendu est si peu cinématographique. L’image ne fera qu’écho avec la piste sonore. Le cinéma est parcimonieux : le spectateur n’apprécie guère qu’on lui répète une information (mes lecteurs adorent). Insister ? Pourquoi ne pas le faire autrement ? On entend les pas, on voit la femme arriver, s’avancer vers la caméra, et très vite on propose un autre angle, plus rapproché. Les gros plans, voire les inserts (et on ne peut pas dire qu’un insert sur des pieds qui marchent n’appartient pas au code du genre), c’est restrictif : montrer une chose, c’est souvent cacher le reste. La puissance du hors-champ. Fond sonore + image, plein pied, d’une femme, plein cadre, qui avance vers la caméra ? Trop d’informations qui se répètent trop longtemps, trop d’informations anodines. Alors, si en plus, l’actrice donne l’impression d’enfiler pour la première fois de sa vie des chaussures à talon… (À la limite, plein pied, il aurait fallu tenter un flou, autre chose qu’une vue subjective ou apparentée, multiplier les gros plans et choisir au montage ceux qui, combinés, marchent le mieux. Se donner la possibilité de faire des erreurs, revoir sa copie, ce n’est pas la même facture… Mais c’est malheureusement sur ces détails que se joue tout le reste.)

On comprend ensuite dès le plan suivant (même situation, on sort de la vue subjective et la femme tourne autour d’un homme, on ne sait pas bien pourquoi) que ce genre de manque de maîtrise se retrouvera pendant tout le film. On se rapproche des acteurs (on ne voit plus les pieds !), mais l’homme esquisse un geste vers la femme qui s’éloigne. Une nouvelle fois, rien de naturel dans ce geste. Vu que c’est une sorte de danse, rien n’oblige à forcer le réalisme, le naturel, la spontanéité, mais dans ce cas, si on joue sur le caractère mystérieux, comme une sorte de parade mortuaire ou comme des souvenirs épars qui s’agitent dans la tête du narrateur, ça se dirige, ça s’accentue, et malgré le fond sonore, malgré la voix off, il me semble difficile de faire l’économie, soit de plans plus rapprochés habilement intégrés à la situation au montage, soit d’un ou deux plans jouant beaucoup plus sur la lenteur ou la difficulté d’appréhender les motifs agissant dans le cadre (l’information majeure est donnée en voix off, tout le reste n’est qu’illustration). Dans tous les cas, quand un acteur intègre à son jeu un geste censé être spontané et qui ne l’est pas (peut-être pensé par le réalisateur, c’est souvent le cas quand un mauvais acteur manque d’aisance), soit on refait une prise, soit on propose autre chose (en l’occurrence ici, il n’y avait pas grand-chose à faire).

Tout le reste est du même niveau. Les acteurs sont loin d’être au point, mais ils ne sont pas forcément bien aidés non plus par la mise en place ou les éventuelles indications de celui qui est aux manettes. Autre signe d’un manque de maîtrise globale au rayon de la direction d’acteurs (récurrent dans les films de genre) : le ton sur ton. Un acteur, c’est bête et docile. Le plus souvent, il comprend des intentions des personnages et de la situation à travers les lignes de dialogues qu’on lui donne. Résultat : tout est joué au premier degré et toutes les expressions faciales s’alignent sur ce que le personnage exprime à travers les mots au moment où il les dit. Même principe qu’avec les bruits de pas : on les entend déjà, il est inutile de perdre son temps à nous les montrer. Ou, au contraire, on insiste. Parce que c’est un point qui mérite d’être mis en avant. Réaliser, jouer, c’est faire des choix. Et un acteur qui exprime deux fois la même chose, c’est un acteur qui fait le choix de la médiocrité. Il ne choisit pas, il balance. Certains acteurs médiocres peuvent s’en sortir et faire illusion à l’écran : quand ils sont bien dirigés. Mais un directeur d’acteurs peut difficilement faire illusion (avec un bon casting, peut-être) : c’est à lui de savoir quoi dire à un acteur pour qu’il n’en rajoute pas, d’identifier les moments où l’acteur ne comprend pas ce qu’il fait, se trompe ou quand les indications qu’on lui donne ne mènent nulle part et nécessitent qu’on revoie l’angle sous lequel on voulait d’abord montrer la situation pour en trouver une approche, parfois après plusieurs essais, qui soit enfin convaincante.

Je suis un spectateur difficile, comme d’habitude. Mais très vite, on repère les petits défauts qui illustrent d’un manque de maîtrise. Le jeune réalisateur peut manifestement compter sur sa famille qui possède un restaurant en plein Paris. C’est une bonne chose. Comme aux belles heures du cinéma d’avant-garde où la bourgeoisie (pour ne pas dire « l’aristocratie ») jouait les mécènes dans le cinéma français. Les familles des beaux quartiers auront toujours mon soutien de spectateur sans-le-sou si elles préfèrent monter des boîtes de production de cinéma indépendant et si tous les passionnés de la famille, éventuellement les amis, en profitent pour assouvir une passion. C’est une situation bien plus préférable (et a priori rare) que celles où il suffit « d’en être » à des familles déjà installées dans le milieu pour se voir ouvrir toutes les portes (sauf peut-être celles… des cinémas). On est peut-être loin des ambitions de l’avant-garde, mais adopter un type de film qui ne fait pas recette en France (le thriller), c’est déjà une belle ambition. Surtout que choisir une distribution cosmopolite parlant invariablement anglais dans un château français comme dans un monde parallèle, voilà qui pourrait bien faire écho un siècle plus tard aux velléités surréalistes de leurs aînés… Ma foi, why not ?


Divertimento, Keyvan Sheikhalishahi 2020 | Amitice


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