Ordre de tuer, Anthony Asquith (1958)

Les mains sales

Note : 3.5 sur 5.

Ordre de tuer

Titre original : Orders to Kill

Année : 1958

Réalisation : Anthony Asquith

Avec : Eddie Albert, Paul Massie, Irene Worth, James Robertson Justice, Lillian Gish

Après une longue introduction d’entraînement à une mission d’espionnage censée avoir lieu dans un Paris occupé pendant la Seconde Guerre mondiale, le film prend tout son sens une fois que l’espion rencontre sa cible. Alors que le début du film pouvait laisser penser à un film sur une déviance pathologique de l’apprenti espion pour en faire un psychopathe (fausse piste pas forcément bien nécessaire, alors qu’il aurait suffi d’insister sur la légèreté un peu triviale de l’ancien aviateur durant son entraînement, et à moins que j’aie, moi, surinterprété cette piste à ce moment du film…), le film prend alors une tournure plus philosophique et plus psychologique. À contre-courant du genre (à supposer qu’on puisse placer le film dans la catégorie « film d’espionnage »), l’espion se révèle immature et incompétent, mais ces défauts rédhibitoires pour passer inaperçu le rendent aussi plus humain : en ayant la faiblesse de se laisser approcher par sa victime, il suspecte une erreur et commence à se poser des questions morales.

Le scénario est adapté d’une pièce de théâtre, et on sent bien cette origine lors de la séquence de confrontation avec son agent de contact « tante Léonie ». Il y a dans cette scène, un petit quelque chose des Mains sales de Jean-Paul Sartre… La morale de l’histoire n’est pas bien brillante pour l’ensemble des services de renseignements de l’Alliance : car si l’apprenti espion s’est révélé mal préparé, inexpérimenté et incompétent, que dire des niveaux de compétence de l’ensemble de la chaîne de commandement et de renseignements des différentes armées (armée de la résistance française, armée britannique, et finalement armée américaine censée fournir un agent pour accomplir la sale besogne) ?

Film d’espionnage, satire de guerre, film sur la culpabilité : encore un de ces films au genre indéfinissable et hybride. Parfois déroutants (toujours dans cette étrange introduction, on y croise Lillian Gish, et on se demande bien pourquoi), ces films permettent aussi de sortir des sentiers battus et de proposer des expériences filmiques transversales. Montrer une autre manière de faire ou de montrer des histoires, cela a parfois un coût (dérouter autant le spectateur peut le mener hors de la salle) : la prise de risque est plus grande, et il faut apprécier les quelques imperfections qui en résultent, et au bout du compte, à force de tracer un sillon hors des cadres habituels, si le sujet en vaut la peine, on peut être amenés à adhérer plus que de coutume à un genre (propre et unique) et à une histoire.

Il faut aussi sans doute du courage pour dénoncer ou pointer ainsi du doigt les lacunes d’une guerre et d’une chaîne de commandement et de renseignements qui peuvent être communes à toutes les guerres… Comme on le dit si bien dans le film, à la guerre, il n’y a pas que les coupables qui périssent : coupables et victimes se prennent la main pour suivre le même chemin vers la mort. Une bombe qui tombe sur un quartier ne discrimine pas les seconds des premiers, et parfois, les renseignements désignent de mauvaises cibles. Souvent même, personne n’en saura jamais rien. C’est la dure réalité de la guerre. Le film réhabilite un personnage résistant dont la famille ignorait les activités patriotiques et secrètes, mais combien, dans toutes les guerres du monde et de l’histoire, sont morts dans l’indifférence, combien ont vu leur réputation salie par de mauvaises informations, et combien de héros (ou des généraux comme dans le film) se révèlent être dans la réalité des incompétents ou des usurpateurs ? L’incompétence, il faut aussi la reconnaître là : rester modeste face à l’histoire, et parfois accepter, avec de trop maigres informations (c’était le cas dans le film : les éléments à charge étaient ridicules), de se sentir incompétent pour juger d’un individu ou d’une situation.


Ordre de tuer, Anthony Asquith 1958 Orders to Kill | Lynx Films, British Lion Films


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Behind Locked Doors, Budd Boetticher (1948)

Note : 3 sur 5.

Behind Locked Doors

Titre français : L’Antre de la folie

Année : 1948

Réalisation : Budd Boetticher

Avec : Lucille Bremer, Richard Carlson, Douglas Fowley

Film noir fauché mais bien mené et bref comme l’éclair (à peine une heure).

On n’échappe pas à l’effet boule à neige des productions réduites : une séquence d’intro dans un bureau, une autre tournée dans une voiture en studio, tout le reste est concentré dans ce huis clos à l’intérieur d’un asile à quatre ou cinq patients (donc avec autant d’acteurs de second plan ou de pièces à filmer) semblant être géré par Orpéa.

Le scénario est un peu tiré par les cheveux : l’internement volontaire d’un détective chargé de retrouver un type censé se cacher dans une de ces maisons de repos, l’occasion de révéler la vérité cachée au sein de ces établissements (souvent pénitentiaires) psychiatriques (privé en plus ici, même si ce n’est pas le premier sens du film qui reste un thriller, un wherishe ?). Voilà qui semble être un des recours dramatiques, et une des terreurs, souvent utilisés après-guerre : j’ai le vague souvenir que L’Invraisemblable Vérité et quelques autres jouaient sur ce procédé de la peur des abus de l’enfermement. Considérant les faibles moyens évidents, et l’application de Boetticher à être bref et efficace, c’est franchement pas si mal.

Budd Boetticher fait un excellent travail en changeant habilement le cadre et la grosseur de plan avec des mouvements de caméra limitant le temps perdu à réaliser des champs contrechamp, comme il le fera par ailleurs dans ses westerns, et avec une direction d’acteurs somme toute assez convaincante : l’actrice principale est vraiment pas mal du tout, l’acteur cobaye volontaire aussi, même s’il n’a sans doute pas l’envergure d’un premier rôle. Amplement suffisant pour une série B.


 

Behind Locked Doors, Budd Boetticher 1948 | Aro Productions Inc.


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Fantôme d’amour, Dino Risi (1981)

L’acteur et ses fantômes

Note : 2 sur 5.

Fantôme d’amour

Année : 1981

Titre original : Fantasma d’amore

Réalisation : Dino Risi

Avec : Romy Schneider, Marcello Mastroianni

Le souci avec les films jouant sur le mystère, c’est que si on a compris la nature de ce mystère dès la première séquence, et si le récit joue, lui, sur le secret non dévoilé au premier degré, spectateur et réalisateur risquent très vite de ne plus être sur la même longueur d’onde. C’est ce qui se passe avec Fantôme d’amour, si la première apparition du personnage de Romy Schneider peut encore laisser ouvertes toutes les possibilités sur la nature de son personnage, la suite laisse place à assez peu de doute… Le récit ne s’embarrasse pas de fausses pistes, et ne fait que marteler séquence après séquence, indice après indice, la même évidence. Si dans les films d’horreur, les portes claquent, le pire qui puisse arriver dans un film sur le « mystère », c’est d’enfoncer des portes ouvertes.

Avec un scénario aussi tristement prévisible, il n’y a, pour mettre un peu de piquant à ce qu’il faut bien nommer un thriller psychologique, que la mise en scène pour forcer à travers quelques effets le mystère, le doute, la peur, l’émotion, etc. Or, ça n’aura échappé à personne, Dino Risi est plutôt un cinéaste de comédie, avec un style plutôt sec, épuré, son talent étant surtout celui d’un grand directeur d’acteurs. Ce n’est donc pas sur lui qu’il faut compter pour épicer cette histoire de fantôme. Les séquences oniriques avec filtre cotonneux et grands sourires forcés sont par exemple aujourd’hui tristement risibles.

Si le film est un désastre complet, c’est bien chez les acteurs qu’on peut y trouver quelques frêles éléments de satisfaction : si Romy Schneider ne me convainc guère, j’avoue rester estomaqué devant la performance de Marcello Mastroianni… Dans un rôle pourtant assez largement mutique, là où par exemple un Alain Delon serait resté impassible et beau, Marcello, tout en laissant penser qu’il en donne le moins possible, parvient à nous montrer ce qu’il pense ou ressent comme dans un livre ouvert. C’est dans les gestes ou les réactions les plus simples qu’il démontre son génie d’acteurs : un téléphone qui sonne et qu’il s’apprête à décrocher avant d’y renoncer, une sonnette de porte vers laquelle il tend le bras avant de se rendre compte qu’elle a disparu, tout ça c’est peu de chose, mais c’est ce qu’il y a de plus difficile à faire pour un acteur.

Il faut dans cet exercice de la spontanéité sans qu’elle paraisse feinte, beaucoup de simplicité, un visage souvent impassible mais où tout un monde intérieur se dévoile à travers l’expression du regard : le regard qui se baisse pour réfléchir en réaction à ce qu’il vient d’apprendre, qui remonte aussitôt, un peu perdu, tandis que la voix tente encore de feindre une expression incrédule, et si la voix ne suffit pas, y ajouter un sourire, et c’est toujours le regard qui, par le discours en contrepoint qu’il offre par rapport au reste du corps ou de la voix, révèle la nature des sentiments et de la pensée du personnage.

Arrivé à ce niveau de précision et de pseudo-authenticité pour un acteur, c’est assez rare, Marcello y est un grand habitué (il offrira en 1987 avec Les Yeux noirs le même type de performance), et de ce que j’en sais, cette qualité, on ne les trouve que chez les acteurs qui acceptent de se laisser regarder, chez ceux disposant d’assez de générosité pour offrir leur imagination toute nue au public, et enfin parmi les acteurs suffisamment expérimentés pour ne pas avoir à forcer leur performance, rongés par le doute ou l’angoisse de mal faire.

En d’autres occasions, Mastroianni sait aussi ajouter à sa palette d’acteurs un peu de fantaisie, ici, il n’y est évidemment pas question. On se contentera de sa simplicité, de son authenticité, de son humilité, car tout ça c’est déjà, et suffisamment, même dans un nanar, un privilège à voir quand on est spectateur. Quel acteur de génie… Tout le reste n’est qu’écran de fumée. Même Romy ne fait pas le poids.

Marcello Mastroianni et Dino Risi n’auront collaboré que quatre fois au cours de leur carrière, et malheureusement, jamais pour un grand film.


 
Fantôme d’amour, Dino Risi 1981 Fantasma d’amore | Dean Film, AMLF, Bayerischer Rundfunk, Cam Production

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Conflit, Léonide Moguy (1938)

Note : 4 sur 5.

Conflit

Année : 1938

Réalisation : Léonide Moguy

Avec : Corinne Luchaire, Annie Ducaux, Raymond Rouleau, Claude Dauphin, Dalio, Roger Duchesne, Jacques Copeau

Belle découverte pour ma première incursion dans le cinéma de ce cinéaste oublié qu’on dit avoir été populaire dans les années 30 avant de voir sa carrière interrompue par la guerre et être peu à peu oublié (il ira réaliser des films plus confidentiels aux États-Unis et reviendra avec des films moins réussis en France, à ce qu’on dit).

Premier constat : d’origine ukrainienne, on sent comme beaucoup de cinéastes soviétiques dès l’époque du muet, chez Léonide Moguy, un attrait et un soin tout particulier pour les acteurs. Les actrices surtout qui ici se partagent le haut de l’affiche. Toute la technique de Moguy est tournée vers eux pour les mettre dans les meilleures conditions : à l’image d’un Ophuls, il multiplie les mouvements d’accompagnement et les recadrages imperceptibles pour coller le plus aux émotions des personnages. Une qualité relativement nécessaire dans un film comme Conflit présenté comme un mélodrame.

Conflit, Léonide Moguy (1938) | (CIPRA) Dalio, Jacques Copeau, Roger Duchesne, Raymond Rouleau

Pour être crédible dans un tel genre dont les excès pardonnent rarement, il faut une justesse sans faille, être à l’affût du moindre geste ou mot allant trop loin. Et sur ce plan, Moguy tient ses acteurs d’une main de maître. Tout est juste et carré. Pour être juste, il ne suffit pas de demander à ses acteurs de « faire vrai », sans quoi on s’exposerait à certaines familiarités passant assez mal la rampe ; il faut surtout arriver à ce qu’ils trouvent leurs libertés, leur justesse, dans un cadre très délimité, presque théâtral (à une époque où encore beaucoup d’informations du récit passent en priorité par les dialogues).

Avec une distribution aussi hétéroclite, ça paraît presque miraculeux que de les voir tous si justes. C’est évidemment de talent dont il s’agit. Ça commence par le choix des acteurs secondaires : ils sont parfois très « typés », car issus du théâtre, mais dans ce registre, il faut avouer qu’on pourrait difficilement faire beaucoup mieux. Prendre un acteur du calibre de Jacques Copeau (l’équivalent d’un Charles Dullin sur les planches), cela a un sens : il faut donner à ce juge d’instruction une envergure que seul un acteur de théâtre peut donner. La diction est certes très typée (comme pouvait l’être celle de son acolyte Louis Jouvet), mais l’élan, le sens, la pensée, tout cela est toujours juste. On trouve d’ailleurs un autre « maître » du théâtre dans le film avec la présence de Raymond Rouleau dans le rôle du mari « trompé ». Le phrasé est déjà moins typé, et la « pensée » de l’acteur de talent est tout aussi présente. On y trouve encore Dalio, qui en fait certes comme d’habitude des tonnes (peut-être même plus que d’habitude) en escroc dandy espagnol (ses répliques sont mémorables) et offre avec le rôle de l’adjoint du juge, une note humoristique au film qui rapproche ainsi peut-être plus le film d’une tradition de la tragicomédie à la française plus que des mélodrames larmoyants hérités du muet.

Mais le plus impressionnant dans cette distribution, ce sont ces deux actrices partageant les deux rôles principaux. Toutes les deux blondes, toutes les deux grandes, et bien sûr, un talent évident à la hauteur de leurs partenaires souvent plus réputées qu’elles. Si un film peut tomber par ses excès, on peut encore détourner les yeux sur les excès de quelques rôles secondaires, sur quelques détails anodins ; mais on peut difficilement se rattraper quand les rôles principaux ne sont pas au diapason. Je rappelle en deux lignes le sujet pour montrer à quel point il serait si facile d’en faire trop : une fille annonce sa grossesse à son fiancé qui ne trouve rien de mieux que de la laisser en plan en lui conseillant d’aller avorter (on est avant-guerre, et le sujet est clairement évoqué) ; la fille vient trouver sa sœur aînée dans la capitale qui se trouve avoir des difficultés à avoir un enfant ; toutes les deux mettent au point un stratagème pour que l’une se fasse passer pour l’autre, et ainsi régler leurs problèmes respectifs, l’une « adoptant » secrètement l’enfant de l’autre. Bien sûr, rien ne se passe comme prévu, et le film commence par une dispute entre les deux sœurs au cours de laquelle l’une tire avec un revolver sur l’autre.

C’est donc plutôt du lourd. Et pour couronner le tout, Léonide Moguy use d’un procédé à la mode au cours du muet pour mettre en scène ce genre de mélodrames à grosses ficelles : le flashback. Tout à ce stade pourrait être réuni pour nous plonger dans les excès habituels du genre, et pourtant, grâce à sa maîtrise, à sa direction d’acteurs, on évite le pire, et le film est même assez réussi. On peut y remarquer une jolie touche d’art director façon MGM, au goût très « parisien », avec ses riches intérieurs bourgeois et ses jolies toilettes qui ne pourraient trouver meilleures ambassadrices que deux grandes blondes émancipées.

Parce que oui, l’aspect vestimentaire, ça a son importance pour dire en une ou deux images la nature des rapports humains, sociaux, familiaux. En l’occurrence ici, l’image donnée de ces sœurs, c’est celle de femmes, certes malmenées par des hommes, mais des femmes qui résistent (parce que leur classe sociale leur permet de le faire), leur font face, souvent même les surpassent à tous les niveaux, et à l’image de certaines représentations de la femme dans des films hollywoodiens des années 30, font beaucoup pour l’émancipation des femmes dans les populations qui viennent à s’identifier à elles à travers le cinéma. En voyant Conflit, on n’a certes plus envie de ressembler à Corinne Luchaire avec ses tailleurs sobres et impeccables qui seraient d’actualité encore aujourd’hui (on est avant Dior et Chanel) qu’à imiter Claude Dauphin (le fiancé) avec son bagou désuet (la goujaterie, elle, n’est toujours pas passée de mode).



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Monsieur Max, Mario Camerini (1937)

Note : 4 sur 5.

Monsieur Max

Titre original : Il signor Max

Année : 1937

Réalisation : Mario Camerini

Avec : Vittorio De Sica, Assia Noris, Rubi D’Alma

Peut-être le meilleur exemple de comédies romantiques proposées par Mario Camerini au cours des années 30, le plus abouti, mettant en scène une nouvelle fois le couple De Sica – Assia Noris.

Toujours d’inspiration américaine, Mario Camerini réalise ici une comédie du travestissement dans laquelle non seulement Vittorio De Sica s’amuse, et se perd beaucoup, à changer d’identité malgré lui (une méprise originale qu’il renonce à clarifier), mais aussi de classe sociale. Et c’est tout à la fois le côté romantique (il court deux femmes en même temps) et le côté social qui fait déjà peut-être de Monsieur Max une des prémices de la comédie à l’italienne (et sociale) des années 50 et 60 (sa volonté de s’élever au-dessus de sa classe pour fréquenter les élites en rappelle d’autres).

Monsieur Max, Mario Camerini (1937) | Astra Film

Je donnerai un million est d’ailleurs exactement dans la même veine, avec une connotation cette fois bien plus sturgesienne voire capraesque : à la base de toutes ces comédies sociales et romantiques des années 30, le travestissement social et l’identité recomposée. Ce sera même dans ce film tout l’intérêt de l’intrigue : chercher un milliardaire caché parmi les pauvres qui récompensera celui qui l’aidera comme le titre l’indique si bien… (on change de la même manière de classe, mais cette fois dans l’autre sens). On pourrait être dans Les Voyages de Sullivan ou dans My Man Godfrey (tous deux antérieurs) ou peut-être chez Chaplin (dont le génie du personnage de Charlot pouvait être fascinant de par sa capacité à la fois à pouvoir représenter un ancien riche déchu ou un vagabond se rêvant en être un : son costume, pour ne pas être celui d’un vagabond tout simple, mais celui d’un vagabond portant ce qui n’est pas loin d’être un frac en lambeau, est peut-être les prémices de ce goût futur pour les comédies de travestissement).

La même rengaine à constater d’ailleurs pour ce Monsieur Max comme pour d’autres de Mario Camerini : il y a déjà du réalisme dans ce cinéma-là, Camerini ne semblant pas être autant qu’on voudrait le croire homme à se laisser enfermer dans des studios fraîchement inaugurés à Rome (et même si ironiquement, ses scènes tournées sur les routes de campagne, parfois tournées en accéléré, sont peut-être ce qu’il y a de plus artificiel dans ses films). On aurait tout intérêt à revisiter ce cinéma italien des années 30, loin de la réputation mièvre qui lui a été faite avec les téléphones blancs.

Beaucoup d’humanité dans ce Monsieur Max. L’homme du peuple qui aspirait à partager la vie mondaine des gens de la noblesse italienne finira par comprendre que sa vraie place est parmi celle qui, seule, l’aime comme il est. La noblesse n’est plus celle de ceux qui appartiennent à une élite sans mérites, mais celle des gens simples qui ont du cœur.


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Parasite, Bong Joon-ho (2019)

Note : 4.5 sur 5.

Parasite

Titre original : Gisaengchung

Année : 2019

Réalisation : Bong Joon-ho

Avec : Kang-ho Song, Sun-kyun Lee, Yeo-jeong Jo, Woo-sik Choi, Hye-jin Jang

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Il y a une fable amusante dans Parasite rappelant un peu la fourberie du coucou pondant ses œufs dans le nid d’autres espèces pour que ses petits soient élevés par d’autres. L’ironie ici serait qu’il y aurait double filouterie avec une morale assez noire. Parce que si chez Molière ou dans la commedia dell’arte, les rôles sont inversés et on montre que les valets, s’ils n’ont l’argent, disposent au moins de l’intelligence, ici les pauvres accepteraient presque leur situation de pauvres en adoptant une posture de « parasite » vis-à-vis des riches qui seraient alors intouchables. Et la réelle lutte en fait n’aurait lieu alors qu’entre les pauvres pour s’assurer la meilleure place dans le nid des riches. Il y a toujours plus bas que soi (bien symbolisé dans le film par les deux sous-sols). L’ambition des « pauvres » à ce moment-là n’est pas de prendre la place des riches, mais de correspondre le plus à ce que les riches attendent d’eux (ne jamais « dépasser la ligne ») pour bénéficier d’une place de choix à leurs côtés. Ils éjectent les employés de la maison un à un comme un coucou jette dès sa naissance les œufs de ses hôtes, mais ils ne cherchent pas à prendre réellement la place des maîtres, peut-être parce qu’ils savent intuitivement qu’ils ne feront pas long feu dans leur monde : si le fils s’amuse lors de la beuverie « quand le chat n’est pas là les souris dansent » à noter que sa sœur passerait, elle, incognito dans ce milieu, il s’interroge plus tard sur sa propre capacité à se fondre dans cette société où les riches sont tout à leur aise (d’ailleurs, celle censée être la mieux adaptée à ce monde sera celle de la famille qui ne survivra pas — peut-être un signe que le dieu Wi-Fi veille et châtie ceux qui chahuteraient un peu trop l’ordre établi). Et si au final, le « maître » est agressé, c’est moins pour lui piquer sa place que par un geste non prémédité (le père ne fait jamais de plan comme il le dit) et en réaction à la condescendance un peu forcée de son « maître » à le pousser à associer la classe des individus à leur odeur (un cliché peut-être un peu facile mais tellement représentatif de nos préjugés).

Il y a peut-être d’ailleurs dans cette fable la même incongruité que peut inspirer l’escroquerie du coucou, parce qu’une des grandes réussites du film de Bong Joon-ho, c’est de ne pas avoir fait des « maîtres » des personnages antipathiques. Pas seulement parce que l’opposition réelle viendra une fois nos « coucous » bien installés dans leur nid et se fera avec d’autres « parasites », mais parce que ç’aurait été pousser la farce un peu loin que de faire des pauvres les gentils et des riches les méchants. Je dois avouer qu’on n’a pas toujours connu le cinéma coréen aussi subtil… Aucun doute sur la nature de ces riches : ils sont victimes d’une escroquerie, et pour beaucoup, de leur crédulité. On gagne alors à ne pas avoir de personnages réellement antipathiques, chacun étant parfaitement nuancés (sauf peut-être les deux enfants de la famille riche qui restent toutefois en retrait tout au long du film), et on se rapproche alors bien de la fable du coucou, qui pourra bien devenir trois fois plus gros que ses parents adoptifs, ces derniers seront toujours aussi dévoués et crédules. Tout au plus le « maître » pourra relever l’étrange odeur de l’élément parasite placé insidieusement dans son nid, mais ne s’en offusquera pas plus que ça (jusqu’à ce qu’au contraire, ce dégoût passager irrite tragiquement celui qui est censé en porter la marque…). La fable aurait pu être grossière, au lieu de ça, elle fascine et on tente longtemps après à en démêler les fils, les implications comme les conséquences. À la fois simple à comprendre, mais assez floue pour qu’on s’y arrête avec l’impossibilité d’y trouver une image nette et établie avec le temps. C’est à mon avis cette capacité à dépeindre des espaces flous où l’attention du public s’arrêtera sans être capable d’y trouver la netteté attendue qui fait souvent une grande œuvre. On s’approche de ces espaces, on tente une approche différente dans l’espoir d’y voir enfin un objet clairement défini, mais on n’y trouve jamais qu’une tache floue qui se dérobe à notre entendement. Comme un effet de sfumato.

La fable concerne tous les parasites qui luttent plus ou moins pour gagner les faveurs des maîtres. Ainsi quand la mère prétend que si elle était riche elle serait tout aussi gentille (voire probablement naïve) que sa maîtresse, elle ponctue sa phrase par un geste violent à l’égard d’un des chiens (autres parasites) la ramenant bassement à sa condition de parasite. On rit jaune, parce que si la plaisanterie est amusante car paradoxale, il n’en reste pas moins que la morale en creux qu’on peut lire dans cette situation, c’est qu’on ne s’élève jamais de sa condition (de parasite). Le constat suggéré est noir : l’ascenseur social est un mythe.

Le récit est parsemé de petites incohérences, mais on les accepte comme on accepte de voir les animaux parler dans une fable. Le réalisme n’est pas un souci, même si parfois, on peut être en droit de se demander si l’absence de cohérence de certains éléments ne nuit pas un peu à une certaine forme de bienséance en nous sortant du film quelques secondes (perso j’ai levé un sourcil quand le père est censé rester plusieurs mois dans le sous-sol, se nourrit dans le frigo des Allemands quand ils sont là, mais se contente de boîtes de conserve pendant les mois où il n’y a personne dans la maison, alors qu’on nous a précédemment fait comprendre qu’il n’y avait pas assez pour vivre : sinon pourquoi la gouvernante s’inquiéterait-elle de son mari après son renvoi ?). Par exemple, quand on sait que chacun des membres de la famille finit par se faire employer dans la maison, et cela en quelques semaines, on n’est pas si choqué que ça de les savoir habiter toujours leur sous-sol miteux : parce que ça relève précisément plus de la fable que du réalisme. Il y a un souci de fabulisme comme il y a un souci de réalisme. L’erreur (et peut-être Bong Joon-ho s’y est-il laissé prendre à deux ou trois reprises) aurait été de vouloir rendre chaque recoin de la trame en cohérence les unes avec les autres avec le risque de dénaturer la fable.

S’il n’est pas recommandé de raconter les différents détours d’un film, avouons qu’on échappe pour cette fois à un twist final trop souvent de rigueur dans les thrillers. Au mieux assiste-t-on à deux coups de théâtre : un, une fois que le « plan » s’achève et qui sert à relancer efficacement l’intrigue et lui faire prendre un détour plus violent (la lutte des classes inférieures pour l’accès aux ressources détenues par les « riches ») ; et un autre dans le dénouement. Rien de plus classique. Aucun retournement qui vous oblige à remâcher ce que vous avez vu ou qui subrepticement vous fait avaler votre chewing-gum. Si le film tire à la fin légèrement sur le pathos et sur les fils de la cohérence (faute notamment à l’emploi un peu trop grossier des possibilités du morse), c’est tout de même appréciable de ne pas tomber dans un excès de retournements gratuits malgré la touche ludique, divertissante, du film (c’est le principe de la satire à l’italienne). Arriver à jouer sur les deux tableaux sans que l’un n’empoisonne ou ne finisse par phagocyter l’autre, c’est assez rare. Une forme réussie de symbiose par parasitage.

Autre réussite rare, l’usage narratif des smartphones. Il n’est jamais facile d’intégrer ces nouveaux objets dans une histoire tant la place qu’ils peuvent prendre dans la mise en scène et dans le montage peut vite devenir un problème. Le défi est alors d’apporter du contenu, du sens, à travers l’écran et par le biais de quelques mots. On revient presque un siècle en arrière quand il fallait jauger le nombre d’intertitres dans son film. Et Bong Joon-ho s’en tire très bien en se limitant le plus souvent à un plan, un message, intervenant dans le montage. L’information donnée fait avancer l’action, mais la réaction à cette information sera toujours visuelle : jamais (ou rarement), un texto ne répondra à un autre. Ce serait déjà une répétition. Les Coréens étant des fous de Kakao Talk (l’équivalent de WhatsApp), on remercie Bong Joon-ho de ne pas nous noyer (comme dans la vie) dans un tunnel de plans de messagerie (deux plans d’écran de smartphone qui se suivent, c’est déjà trop : on s’inquiète déjà d’en voir apparaître d’autres).

Il est assez rare de trouver chez un même réalisateur deux talents cohabiter, celui de la direction d’acteurs et celui de la réalisation (le montage technique comme on disait à une époque). Ceux capables de faire les deux comptent parmi les meilleurs. Reste alors plus qu’à savoir raconter une d’histoire, et on peut dire qu’on a affaire à un maître. Tous les acteurs sans exception sont parfaits, et ce n’est pas seulement dû à un choix de casting ou à la chance : la mise en scène de Bong Joon-ho est si précise, qu’aucune raison de penser que certains détails dans l’interprétation des comédiens soient le pur produit du hasard. Diriger un acteur, c’est souvent l’aider à se débarrasser de tout le superflu, c’est-à-dire l’expression, le geste, le regard, qui au moment voulu donnera du sens à la situation, éclairera le récit, les intentions ou l’état d’esprit de son personnage. Un acteur, ç’a toujours tendance à vouloir en faire beaucoup ; le metteur en scène doit donc être là pour le canaliser et l’obliger à respecter une sorte de ligne claire. Voilà pour la direction d’acteurs. Quant à la réalisation, elle se met justement au service du contenu. Les acteurs doivent servir le récit pour le mettre en lumière, la réalisation aide les acteurs (et à travers eux les spectateurs) à éclairer encore plus le sens (quitte à éclairer une zone de floue comme dit plus haut). En ce qui concerne le cinéma coréen actuel, on pourrait être toujours un peu tenté de craindre une réalisation sophistiquée à l’excès, maniérée. Et étonnamment, si Bong Joon-ho se fend de quelques mouvements de caméra, ceux-ci sont toujours justifiés : un travelling latéral d’accompagnement sur un personnage marchant vite, ça aide à suivre, et à coller, à son humeur ; un travelling lent commençant sur le visage d’un personnage révélant en une seconde ce qu’il pense en laissant échapper juste ce qu’il faut pour qu’on comprenne la situation (parce qu’il se pense observé par personne, en tout cas pas par l’autre personnage qui lui fait face mais qui ne le regarde pas à cet instant), puis bougeant lentement vers cet autre personnage, ça aide à comprendre l’opposition des personnages, à les inclure dans un même espace narratif qu’un champ-contrechamp aurait moins bien rendu (dans cet exemple, c’est moins le mouvement de caméra qui importe, mais le temps de latence entre les deux visages) : le mouvement de caméra permet de garder les personnages dans le même plan et d’insister sur leur nature (d’un côté le prédateur, de l’autre, la proie). Tout se tient : le metteur en scène dirige des acteurs pour donner sens à son histoire, il dirige sa caméra pour rendre au mieux les interactions entre les personnages, et au final, le but est de raconter au mieux son histoire… Pas de faire un film spectaculaire, drôle, non, raconter une histoire. La fable avant tout.

Notons encore le rythme assez échevelé du film : ce ne serait pas une qualité si Bong Joon-ho ne savait distiller parfaitement ses effets, ralentir quand il faut la cavalerie. Parce que faire un film haletant de bout en bout, rien de plus simple. Ici, jamais on ne s’ennuie : curieux et amusés au début, on profite à la fin du premier acte, et avec les membres de notre famille d’escrocs d’un repos bien mérité. L’objectif défini au début du film est atteint, on se questionne alors de ce vers quoi pourra alors s’orienter le film. Et ça repart de plus belle. Dans les deux cas (ou les deux actes), deux procédés me semble-t-il ponctuent assez souvent parfaitement le film pour diversifier les rythmes : si la comédie use d’effets lents et laisse toute la place aux acteurs pour nous faire entrer en empathie avec eux, la seconde partie, plus thriller et action, les deux sont parsemés ici ou là à la fois de montages-séquences pour nous montrer les avancées rapides de la trame (notamment dans l’évolution de l’escroquerie, et avec toujours un choix de musique judicieux), mais aussi de montages alternés (trois sections : les trois familles en prise le plus souvent avec un membre d’une des deux autres familles). (On notera à ce propos peut-être un épilogue certes maîtrisé du côté de l’emploi du montage-séquence, avec cette fois la voix du fils servant de lien entre les plans au lieu de la musique. Il fallait certes conclure le récit, et c’était sans doute le moyen le plus pratique pour ce faire, mais Bong Joon-ho en fait à ce moment peut-être trop, trop longtemps sur ce qui n’est plus du ressort de la trame principale.) Je n’avais pas vu une telle réussite en matière de montages-séquences (de mémoire) dans un thriller depuis Gone Girl (avec le même emploi du ralenti pour évoquer l’inéluctable majesté d’un plan se déroulant comme prévu).

Je ne vois guère que certaines comédies italiennes (ou un Molière) pour rivaliser avec la maîtrise de Bong Joon-ho en matière de satire. Je pense particulièrement à Une vie difficile pour l’alliance réussie de la comédie satirique (sociétale) et le drame attachant, et au Pigeon, pour l’aspect choral et branquignolesque. Mais la réussite encore plus palpable chez Bong Joon-ho, c’est en plus sa capacité à y adjoindre encore dans ce pot-pourri déjà bien garni de styles, une pincée de thriller. Et là, en plus d’évoquer cette fois Shakespeare pour son habilité à finir assez souvent ses films dans un joyeux carnage (ce n’est pas si commun de voir autant de personnages principaux disparaître de nos jours à moins de faire un film à élimination), on ne peut s’empêcher de penser à l’archiconnu Servante, œuvrant dans les mêmes sphères domestiques et le même rapport malsain entre maîtres et serviteurs (inversement des rapports entre maîtres et domestiques, appropriation par la plèbe du bon vieux sweet home cher à la classe « moyenne »).


 


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Mademoiselle, Park Chan-wook (2016)

Mademoiselle

Ah-ga-ssi Année : 2016

7/10 IMDb

Réalisation :

Park Chan-wook

Avec :

Min-hee Kim, Jung-woo Ha, Jin-woong Cho

Partagé. Je me suis réellement réveillé au moment du twist à la fin de la première partie. Un électro-choc, ça réveille toujours, mais la réanimation qui suit est parfois douloureuse. Je me suis laissé bercer encore quelques minutes, peut-être pendant toute la seconde partie, et puis le soufflé retombé, les effets de Park m’ont lassé un peu.

Il faut cependant reconnaître un certain plaisir lié à reluquer la richesse des décors. Le montage ne nous laisse pas suffisamment le temps d’en profiter, mais on voyage, et c’est peut-être ce que cherche à faire avant tout ce genre de films.

Ce vieux garçon qu’est désormais Park Chan-wook apprendra sans doute un jour à faire plus dans la subtilité, se plaira peut-être à se situer entre les lignes plutôt qu’à les surligner, et là ça deviendra franchement passionnant. Pour l’heure, mesdemoiselles, je prends congé.



Brubaker, Stuart Rosenberg (1980)

Brubaker

Brubaker Année : 1980

4/10 IMDb

Réalisation :

Stuart Rosenberg

Avec :

Robert Redford, Yaphet Kotto, Morgan Freeman

Tiré, défait, par les cheveux. C’est pas le tout d’avoir une histoire tirée de faits réels, encore faut-il se garder d’en adapter une trop grande part pour « faire cinéma ». Certaines incohérences lourdes heurtent franchement la crédibilité du récit. Que le futur directeur de prison se fasse d’abord passer pour un détenu, passe encore, ça ressemble à du mauvais Samuel Fuller (je fais pas dans le pléonasme, c’est pour dire que c’est vraiment très très mauvais), mais le directeur de prison qui fait chercher des fosses communes sur le terrain de la prison par ses détenus ou qui chasse un “trustee” (sorte de kapo de pénitencier) l’arme à la main avec l’aide d’autres trustees (donc des prévenus) jusque dans la ville voisine, et tout ça sans jamais prévenir ni la police ni l’institution judiciaire, je veux bien qu’on puisse respecter à la lettre les principes de Hitchcock pour plonger le spectateur dans une tension permanente (ne jamais appeler la police), là, les ficelles deviennent si grossières qu’on ne peut faire autre chose que hausser les épaules… ou rire.

(Le spectacle serait plutôt ailleurs : Bruno Nuytten nous expliquant les bisbilles entre Bob Redford et Bob Rafelson quand ce dernier voulait raser la tête du premier. Rafelson sera remplacé. On touche pas à Bob, Bob.)


 


M. Butterfly, David Cronenberg (1993)

M. Butterfly

M. Butterfly Année : 1993

5/10 IMDb

Réalisation :

David Cronenberg

Avec :

Jeremy Irons, John Lone, Barbara Sukowa

N’importe quel pékin sait que derrière les femmes de l’Opéra se cachent de hommes… Une confusion des genres risible tant notre René, tout naïf et forcément français qu’il est, s’efforce de ne pas voir le « poteau rose » sous la robe pudibonde de son M. Butterfly chéri.

En fait, le film est déjà fini quand on comprend la méprise. Lors de la première scène, j’avoue m’être laissé prendre : on se dit : « Bon, cette Chinoise n’est pas particulièrement jolie… » La suite est un désastre. Comme l’impression de voir un film sur un gosse de quinze ans qui croit encore au père Noël à qui l’entourage n’arrive pas à dire qu’il n’existe pas. Parce que moi je suis faible, et je suis un mufle cinéphile : toutes les femmes dans les films, je les embrasse en même temps que le héros (seulement si c’est consenti bien sûr, sinon je m’insurge avec elle, toujours). Et un chanteur d’opéra, j’avoue que c’est tout en bas dans les cartons de ma garde-robe à fantasmes (oui, j’ai une garde-robe).

Remarque, grâce à ce film, je crois avoir compris l’origine de l’expression « faire un bébé dans le dos ». Aussi, pour répondre à un personnage avec une poitrine dans le film, la position favorite de René, ce n’est en effet pas le missionnaire, sinon on l’aurait très tôt ramassé à la « petite cuillère » (à moins tiens, qu’en bon Français, René préfère les « petites grenouilles »…).

À oublier.


 


Ma mère dans les paupières (Banba no chutaro mabuta no haha), Hiroshi Inagaki (1931)

Note : 4.5 sur 5.

Ma mère dans les paupières

Titre original : Banba no chutaro mabuta no haha / 番場の忠太郎瞼の母

Aka : Chutaro Banba : Le Souvenir d’une mère

Année : 1931

Réalisation : Hiroshi Inagaki 

Avec : Chiezô Kataoka, Shinpachirô Asaka, Waichi Narimatsu, Hajime Morita, Ryôsuke Kagawa, Isuzu Yamada

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Première version d’une histoire connue plus tard sous le titre simplifié Mabuta no haha dont Tai Kato proposera une adaptation soporifique et colorée avec Kinnosuke Nakamura (le Miyamoto Musashi de Tomu Uchida). Dommage que le film ne soit référencé nulle part, c’est un chef-d’œuvre minimaliste et mélodramatique.

Loin des codes habituels du film en costumes (jidaigeki) ou même des matatabi-eiga (films de yakuza itinérant hérités des matatabi-mono dont serait maître l’auteur et dramaturge Shin Hasegawa), Ma mère dans les paupières serait plutôt un drame en costume resserré autour d’un seul objectif (le héros cherche sa mère à Edo) et concentré sur quelques heures (le film est adapté d’une pièce de théâtre). En 1931, il s’agit encore d’un muet et Inagaki, futur pape de la couleur thorpienne dégueulasse et de l’épique au service de Toshiro Mifune, se révèle ici maître dans la gestion de l’intensité, certes théâtrale, mais parfaitement adaptée en quelques plans et intertitres clés.

Une fois que notre héros a trouvé sa mère (et il y parvient assez facilement, ce n’est pas un film d’enquête), l’argument, et le dilemme, est assez simple : elle refuse de le reconnaître et pense qu’il vient réclamer sa part d’héritage quand lui vient innocemment chercher la maman qu’il n’a jamais eue. En un seul face-à-face, Inagaki multiplie les angles de caméra, les rythmes, répète avec insistance la même rengaine comme son héros le fait avec sa mère, mais toujours avec un sens du rythme inouï, ne lâchant rien. Une fois résolu à ne pas recevoir la reconnaissance espérée de sa mère, une nouvelle tension naît aussitôt dans les espaces extérieurs livrés au vent et à la neige… La fille arrivant à convaincre sa mère de retrouver ce premier fils caché et abandonné, la question est de savoir si elles parviendront à le rejoindre… Un lyrisme qu’Inagaki emploiera rarement par la suite lui préférant la sobriété des cadrages et des montages classiques.

Chiezo Kataoka, futur régulier lui aussi d’Uchida (Meurtre à Yoshiwara, Le Mont Fuji et la Lance ensanglantée), y est exceptionnel.

Ma mère dans les paupières (Banba no chutaro mabuta no haha), Hiroshi Inagaki (1931) | Chie Production


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