Psychomagie, un art pour guérir, Alejandro Jodorowsky (2019)

Psycho-escroquerie

Note : 0.5 sur 5.

Psychomagie, un art pour guérir

Année : 2019

Réalisation : Alejandro Jodorowsky

Les artistes sont des escrocs salvateurs, en général, mais quand des escrocs se prennent pour des artistes, ça devient dangereux pour la société, et en premier lieu pour les personnes fragiles, désespérées ou vulnérables. Jouer avec la pensée magique, bien, se dire que ça peut même avoir des effets placebo, pourquoi pas, faire des petits actes symboliques en espérant y trouver des effets positifs, c’est très bien… Mais c’est très bien quand on est conscient des limites du procédé et qu’on ne voit pas ça entouré d’un gros discours nauséabond, fait de belles paroles et des principes antiscientifiques, capables, surtout, de nous détourner des traitements qui seuls peuvent nous sauver la vie. La dérive est là, si les gesticulations masturbatoires et prétentions New Age sont en soi inoffensives pour les « patients » du gourou Jodorowsky, il y a un risque de voir des personnes dans le doute, la détresse physique ou psychique, plonger à pieds joints dans les belles promesses incantées par le réalisateur et pseudo-guérisseur.

Tout cela serait en effet joli si ce n’était que de l’art, des expériences de pensée ou dédié à agir sur de simples petits maux de la vie quotidienne. Jodorowsky prétend guérir (c’est dans le titre et tout le film repose sur une démonstration, cas après cas, de l’efficacité thérapeutique de son “art”) des patients atteints de troubles réels qu’il décrit lui-même avant d’entamer « l’acte thérapeutique » psychomagique, puis d’en présenter les effets spectaculaires. Des difficultés d’un couple à communiquer à un bègue ou à une violoncelliste, ses manipulations physiques et psychologiques peuvent revêtir un intérêt certain : oui, un patient, ou simplement quelqu’un qui se sent mal, peut bénéficier de l’écoute, de l’attention, voire du discours rassurant (et pas très rationnel) de Jodorowsky. Inutile pourtant pour ça d’entourer ces gestes, actes, paroles d’attentions, de tout un discours d’une prétention folle (mais Jodo se référant à la psychanalyse, il aurait été difficile d’en être autrement : les pratiques niaises et frauduleuses pouvant difficilement engendrer des pratiques saines et rationnelles) : les petits actes symboliques, chacun d’entre nous peut en faire l’expérience, et comprendre qu’ils peuvent trouver un intérêt, encore faut-il aussi qu’ils ne flirtent pas avec des délires psychanalytiques qui laisseraient là encore penser que derrière des symboles simples se cache toute une science de l’inconscient dont certains charlatans seuls seraient capables d’en comprendre les tenants et les aboutissants (les happenings pour jouer une seconde naissance, c’est déjà à mon avis d’une portée symbolique plus que limitée, mais quand Jodo se lance dans des expériences, ou des actes comme il les appelle, en lien avec le sang, ça sent bon le délire cacathartique).

Là où ça devient extrêmement problématique et grave, c’est quand Jodorowsky prétend guérir une femme atteinte de multiples cancers, qui grâce à son intervention (digne des pires prédicateurs-guérisseurs américains dont les méthodes s’inspirent des spectacles de divination truqués très à la mode il y a un siècle) aurait trouvé la voie de la guérison lors d’un spectacle au Chili où il officiait. Inutile d’expliquer en quoi cette dérive, en tout cas en France, pourrait faire l’objet d’un signalement auprès des autorités, ça paraît évident. Enfin, évident…, pas pour tout le monde, puisque la sortie du film coïncide avec la décision, justement, de saboter l’organisme chargé de combattre les dérives sectaires. En effet, la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) devrait disparaître. Une bonne nouvelle sans doute pour Jodorowsky et toute sa bande d’apprentis escrocs. Lui, qui se dédouane encore de toute pratique sectaire ou thérapeutique en expliquant qu’il ne gagne aucun sou dans ses « actes de psychomagie » (en partie aussi pour éviter d’avoir à répondre aux processus de validation scientifique par lesquels toutes les pratiques thérapeutiques doivent passer : il pourra alors sélectionner lui-même les expériences qui ont « réussi » et cacher les autres, tout en prétendant, ou en faisant dire à son producteur en préambule, que rien n’est truqué et que par conséquent tout est vrai) pourra peut-être bientôt proposer des « actes » de psychomagie contre rémunération. Il jouit déjà d’un public conséquent, ébloui par son discours neuneu et sa forte sympathie, nul doute qu’il saura, et sait déjà, en tirer d’une manière ou d’une autre profit.

Je termine sur la mission écologico-bobo dont il se sent investi autour de ses interventions, parce qu’elle est d’une hypocrisie écœurante. Voilà un type qui, grand sourire, nous explique en quoi il faut que chacun d’entre nous (enfin, ses millions de followers) doive planter des arbres pour compenser la perte de la forêt amazonienne, mais qui dans son film passe son temps à créer des déchets pour mettre en scène ses « actes » fabuleux : vêtements déchirés, bouteilles de lait aspergées sur un corps nu (oui, c’est subtil), assiettes cassées en pleine nature, citrouilles explosées à la masse dans un coupe-gorge parisien, chaînes en acier abandonnées aux pieds d’arbustes dans un square. Jodorowsky ne brasse pas que du vent ou ne souffle pas seulement des idées délirantes dans la tête de personnes fragiles et vulnérables à sa charlatanerie, c’est aussi un imposteur écologique. Un escroc doublé d’un connard pour le dire simplement.

Comme le disait ma grand-mère, on n’a jamais vu d’escrocs tirer des tronches d’enterrements : les meilleurs d’entre eux ont de larges sourires, on leur donnerait le bon Dieu sans confession, et n’ont rien, mais vraiment rien en apparence, d’escrocs. Pour un artiste, ça passe ; tromper son monde, en mettre plein la vue, c’est le principe même de l’art. Pour un guérisseur…



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La méthode scientifique à l’épreuve de… la method

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Réponse à un numéro du poscast Podcast Science (mai 2019) intitulé « Et si la méthode scientifique n’était pas la seule manière de construire de la connaissance ? » par Nicotupe :

(En réalité, il est surtout question de théâtre)

Pas mal d’approximations historiques dans ce podcast.

D’abord, j’ai du mal à saisir l’approche consistant à rapprocher les méthodes de jeu à une certaine forme de connaissance scientifique… Il est question de « techniques » ou « d’esthétiques » et on est plus près de l’artisanat que de la science. Un artisan, quand il met au point un objet, une œuvre, il obéit à certains principes « méthodiques » qu’il tient d’un maître ou de sa propre expérience. C’est de la « technique », pas de la « science ». Bref, passons.

En matière de « connaissances », en science, comme en technique ou en art, on peut se référer à l’histoire pour faire un éventail plus ou moins détaillé et juste de tous les prédécesseurs ayant dû répondre aux mêmes questions avant nous. Une histoire des techniques de l’acteur en l’occurrence ici. Et la connaissance de l’intervenant lors de cette émission me semble plutôt sommaire, voire inexacte donc. En techniques de jeu comme en science, il vaut mieux ne pas partir sur des idées reçues ou de mauvaises informations, à défaut de quoi ses « connaissances » n’en sont plus.

Du peu que j’en connaisse de l’histoire de ces techniques, quelques mises au point. Il est faux de dire (je paraphrase) qu’il y aurait une sorte d’axe Stanislavski-Actors-Studio ayant inventé à lui seul une technique de jeu à la fois moderne, réaliste et largement répandue parmi les acteurs actuels. Ceci a même été accompagné de l’assertion selon laquelle si le cinéma américain avait gagné une telle importance, que c’était parce qu’elle avait été en quelque sorte à l’avant-garde (ou s’était faite le relais) de ces techniques inventées en Russie par Stanislavski…

D’abord, Stanislavski ne s’est pas réveillé un matin en se disant que les méthodes de jeu de la fin du XIXᵉ siècle n’avaient rien de réaliste. Le théâtre bourgeois, partout en Europe, à l’époque, déjà réclamait plus de « naturalisme » qu’avec les pièces classiques, elles-mêmes parfaitement adaptées à leur époque, aux salles dans lesquelles elles étaient jouées, à leur public et aux traditions auxquelles elles se référaient. Stanislavski devaient à cette époque mettre en scène (une notion qui alors n’existe pas encore me semble-t-il) Tchékhov. Et du Tchékhov, ce n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler du théâtre déclamé. Il y a donc pas mal du contexte qui impose à un « régisseur » de l’époque à adopter de nouvelles techniques pour mettre en scène un tel auteur. Je doute par exemple qu’Ibsen ait été joué à l’époque à la manière des acteurs de théâtre classique, mais bien avec des techniques adaptées à la nature (réalistes, psychologiques) de ses textes…

Par la suite, Stanislavski n’est pas resté un « savant » isolé en Europe (on se rapproche légèrement ici du mythe de Galilée et du génie seul contre tous) vite récupéré par les Américains. L’Europe, et en particulier l’Europe de l’est et la Russie fourmille d’idées, de propositions esthétiques, de théories de jeu, de méthode, entre les deux guerres. Piscator, Meyerhold sont parmi les plus connus. Et eux aussi auront une influence sur les acteurs et metteurs en scène new-yorkais de la génération suivante. En France, ça discute ferme aussi à cette époque, et le chantre du naturalisme s’appelle André Antoine (également cinéaste, on peut voir quel degré de « vérité » il atteignait sans pour autant adopter des techniques stanislavskiennes dans ses films).

Aux États-Unis, d’abord à New-York (même si le cinéma à Hollywood bénéficia aussi très tôt, non pas des recherches locales en matière esthétique, mais de l’apport de tous ces réfugiés qui fuyaient l’Europe alors : ici pas de Stanislavski, mais on peut évoquer par exemple Boleslawski qui tout en se disant adepte de Stanislavski allait sans doute peut-être plus à ses acteurs américains transmettre ses propres principes) on hérite des interrogations foisonnantes en Europe. Et si Stanislavski peut peut-être alors tenir le haut du pavé quant aux types de « méthodes » les plus populaires ou discutées, il n’est pas le seul messie à cette époque. En fait, s’il apparaît si important aujourd’hui, c’est principalement grâce à la renommée de l’Actors Studio se revendiquant de lui. Mais perso, je relie pas mal cela au téléphone arabe : ce n’est pas en lisant ses deux manuels de techniques de l’acteur qu’on peut se représenter ce que lui voulait voir sur scène, surtout quand on sait que son approche a évolué au fil du temps, comme pour tout le monde d’ailleurs (sauf pour les ayatollahs de la « method » qui arriveront un peu après).

Des acteurs connus qu’on liera par la suite à l’Actors Studio, et donc à Stanislavski, ont par ailleurs étudié, expérimenté, pris connaissance d’autres « méthodes » ou « techniques » issues de ce foisonnement européen. Et c’est seulement, d’abord avec le succès de Elia Kazan au cinéma avec Brando en tête d’affiche mettant là encore un cinéma (comme autrefois le théâtre réaliste de Tchékhov) réaliste adaptant Tennessee Williams, puis surtout avec deux ou trois acteurs dans le cinéma du Nouvel Hollywood (Al Pacino et Robert de Niro) que cette méthode, et cette école, a été popularisée. En aucun cas, cela signifie qu’il y a un consensus autour d’elle, qu’elle est largement suivie et répandue, même aux États-Unis, ou pire, qu’elle explique ou précède la réussite ou l’hégémonie américaine en matière de cinéma. Il faut comparer ça avec l’expansion du christianisme : à l’antiquité, les messies étaient nombreux, et c’est sa lignée, son héritage qui s’est propagée par la suite en en modifiant probablement pas mal le sens.

Et de fait, puisqu’il a été question dans le podcast de sociologie, il serait intéressant de proposer une photographie sociale de ce que pensent les acteurs majeurs du cinéma et du théâtre actuels de cette « méthode ». Je ne serais pas loin de penser qu’on ne serait pas loin des réactions des physiciens quand on leur évoque l’adjectif « quantique ». L’Actors Studio, c’est un peu la méthode du jeu d’acteurs pour les nuls. Et on est un peu tombés là-dedans dans cette émission.

Bref, merci pour les autres podcasts de qualité.

(Aucune réponse, mais j’ai l’habitude des monologues. C’est pourquoi aussi je recycle ici.)


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Porcher, Blanquer et l’animateur : (la fable) de la communication, du témoignage et de l’information

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Un témoignage est-il une information ?

Petit commentaire en réponse à l’histoire de la « pancarte Blanquer » (série de tweets d’un animateur assistant à la visite du ministre dans la structure où il travaille, puis tweet de Thomas Porcher relayant « l’histoire » en demandant à ce qu’elle soit vérifiée).

Le seul tort de Thomas Porcher dans son tweet, c’est d’avoir parlé « d’information » (tout en supposant que ça pourrait être vrai dans la suite de son tweet, certes, mais ce n’est pas mon sujet ici). Est-ce qu’un témoignage est une information ? À mon sens, non. Donc pas de fake sans information.

Si l’animateur a reconnu avoir menti sur une partie de son témoignage, on ne sait rien du reste. C’est un peu comme quand Macron (ou un autre) ment dans un discours : à partir de quel niveau de mensonge décide-t-on que tout ce qui est raconté est un mensonge ? Parce qu’il s’agit bien de récit, de communication, pas de vérité des faits ou d’information. Poser avec une pancarte à sa gloire, c’est du récit et de la communication. Dire ou prétendre dévoiler en retour comment cette image a été mise en scène, ça reste un témoignage, donc du récit, donc de la communication, quel que soit le niveau de véritude de ce récit. Ce n’est donc toujours pas une information. Une information, c’est un fait, étayé au moins par un nombre de témoignages (donc de sources) supérieur à un ou par des éléments matériels factuels. On peut alors le cas échéant parler de fake si la dite information est présentée comme telle alors qu’elle ne s’appuie que sur une source unique tout en laissant penser qu’elle s’appuie sur autre chose… ou encore si l’élément matériel censé présenter l’information comme factuelle est bidonné… (à l’insu ou non de celui qui le relaie, car on peut de bonne foi présenter un fait comme vrai alors qu’on se fait manipuler par sa source), etc, etc.

Qu’a-t-on donc ici ?

  • Un ministre posant pour une photo à sa gloire dont il se servira plus tard en la publiant sur son compte Tweeter. C’est factuellement de la communication (il est à la fois le sujet et le relais de « l’événement »), et à ce degré de préparation et de préméditation, il convient sans doute de parler de propagande : pour mettre en scène une telle image, cela réclame un degré certain de préparation (si on met de côté la pancarte, qu’elle soit malhabilement maquillée pour faire enfantin ou qu’elle soit le résultat d’un processus créatif particulièrement tarabiscoté) : ne serait-ce qu’obtenir le droit à l’image des enfants auprès des parents, ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique.
  • Un animateur témoignant du passage d’un ministre dans sa structure et prétendant en raconter les coulisses. L’animateur fait part de cette expérience dans une suite de tweets. Et au-delà des faits racontés, de la manière partiale dont ils le sont (mais on est bien dans le récit, pas de doute au moins), pas vraiment de quoi fouetter un chat : on peut comprendre aisément que pour la mise en place d’une telle opération de communication (ou de propagande), que ce soit particulièrement envahissant et perturbant pour les habitués du lieu. Vient ensuite l’anecdote de la pancarte, racontée à la fin de cette série de tweets. Quelques heures plus tard, placé devant le fait accompli et dépassé par l’ampleur qu’a pris son témoignage sur les réseaux sociaux, l’animateur avoue avoir menti sur le coup de la pancarte bidonnée (« déféquée » ?) : et pour cause, l’image partagée par le ministre avait été prise la veille dans une autre structure (« tous les [jours] je voudrais que ça r’commence. You kaïdi aïdi aïda »). Est-ce que le reste de son témoignage est bidonné ? On n’en sait rien, mais encore une fois, au-delà du ton assez critique de l’animateur, son témoignage ne me semble pas révéler une vérité particulièrement scandaleuse, juste l’évidence d’une jolie machine de communication au service (à la gloire ?) d’un personnage public. Au-delà donc du mensonge final, pas de quoi fouetter un chat, et d’ailleurs la pancarte, la photo, sa mise en scène, elles ne sont pas des fakes ; l’animateur n’était tout bonnement pas là pour avoir légitimité pour en témoigner (et c’est probablement son expérience du lendemain qui lui a laissé penser le contraire).
  • Et enfin, des réseaux sociaux qui s’emballent à partir de ce témoignage. Qu’est-ce qu’un réseau social ? Un lieu où se mêlent différents témoignages, commentaires ou points de vue. Et parfois, y trouve-t-on, perdu au milieu de cette grande cacophonie… des informations. Est-ce que relayer un témoignage en le présentant comme une information et demander à ce qu’elle soit vérifiée est une information ? Ben, le témoignage en lui-même n’est pas une information, mais il devient un fait dès qu’on se questionne précisément sur sa vérité, et donc sur sa légitimité à être présenté comme une information. Est-ce que ce fait seul en fait pour autant une information ? Hum, c’est factuel, certes, mais est-ce qu’un fait sur lequel on s’interroge (demander à vérifier « l’information ») est en soi une information ? Toujours pas, une information, ce n’est pas une interrogation. En revanche, y répondre, c’est peut-être déjà le début d’une information. Ce à quoi s’appliquera divers services de vérification (ceux de libé et de franceinfo, sauf erreur de ma part). Mais attention, à ce stade encore, il n’est peut-être pas non plus judicieux de parler « d’information ». Dire qu’un témoignage est un fake, est-ce de l’information ? Compliqué. Si, factuellement, on relève un mensonge dans un témoignage et qu’on rappelle que la source même de ce témoignage a reconnu avoir menti, mais que par ailleurs on ne met pas le reste en perspective, qu’on ne se questionne pas sur le reste du témoignage, sur la nature même du type d’information rapportée ou présentée comme telle, bref, si on ne se questionne pas sur la nature de ce qu’est une information, sans prendre le soin de rappeler ce qui relève de la communication, du témoignage et de l’information, eh bien on ne peut peut-être pas parler non plus, encore, d’information. Une information, ça éclaire. Et une information, ça ne tombe pas dans la facilité des conclusions définitives, du type “fake ou pas fake”. Mais, il y a du progrès, il faut le reconnaître, on monte un niveau dans l’échelle du commentaire.

Note de frais

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Rugy : couvert

Il y a une manière assez simple en fait de déterminer si dîners, déjeuners, rencontres, rendez-vous de travail sont organisés à titre professionnel ou privé : regarder la liste des convives.

On verra rarement des gens du bas peuple y être invitées afin que son royal organisateur puisse y maintenir le lien avec le « vrai monde » : y a-t-on déjà vu des ouvriers reclassés, des retraités, des routiers en colère, des chômeurs en fin de droit, des ingénieurs, des rats de laboratoire, des enfants d’immigrés, des repris de justice (et pourquoi pas ?), des infirmières, des urgentistes, des parents de djihadistes, des CRS ou des gilets jaunes dans ces rencontres « républicaines » ? Probablement pas. Au moins d’être le 14 juillet. Il y aurait pourtant un intérêt à faire dialoguer tout ce petit monde aux frais de la princesse, à soigner leur réseau à eux, à les sortir de leur zone de confort pour les inciter à sortir de leur logique revendicatrice, à les écouter, etc.

Et si les convives, ne sont que des « influenceurs », des journalistes, des éditorialistes, des écrivains, des acteurs, des danseurs de claquette, des directeurs de quoi qu’est-ce ou des homologues… on est dans la professionnalisation du réseautage à seul but personnel. Les gens de la haute font ça depuis des millénaires, mais le plus souvent à leurs frais. La courtisânerie entre puissants, affairistes, arrivistes et intrigants.

Le problème, c’est bien quand ce beau monde où le tout Paris se retrouve « entre soi » est nourri, blanchi (sans jeu de mots), logé aux frais du contribuable. Et là c’est simple, pour moi, aucune rencontre, aucun rendez-vous, aucun déjeuner ou dîner n’a légitimité à être réglé autrement que par l’organisateur-même : à ses frais. Toute rencontre utile peut se faire dans un bureau de ministère : chaque convive, intervenant, paie de sa poche son déplacement. Tu veux déjeuner ? Tu profites de ta prime panier monsieur le ministre et on arrête la logique de la note de frais. Celui qui demande « audience » auprès du ministre ou du roi, il a un intérêt à le rencontrer, donc il paie tout de sa poche ; s’il vient à la demande du serviteur de l’État, il le fait pour l’intérêt général et il n’accepte pas de se faire payer son déplacement ou de bouffer « aux râteliers du roi ».

Dans la même logique, un ministre, ça peut très bien bosser depuis le bureau de son ministère. Les déplacements dans le territoire devraient être à sa charge. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas un employé de l’État, il est maître de son agenda. Quand une boîte dit à un employé d’aller à tel ou tel endroit, il lui paie le déplacement, il lui paie la bouffe et l’hôtel. Tu veux montrer ta tronche en province, au mieux, c’est de la communication, au pire, c’est de l’opportunisme courtisan (toujours bien de développer son réseau en province). Reste donc sur ton trône, parade dans la capitale quand on te demande de le faire, monsieur le serviteur de l’État ; pour le reste, tu devrais tout payer de ta poche. Quitte à ce qu’on augmente les salaires de ces serviteurs de l’État, hein. Mais qu’en échange les frais de fonctionnement, de représentation, de communication soient réduits à que dalle. Parce que faudrait arrêter de se foutre de la gueule du monde : un ministère, c’est actuellement avant tout un communicant qui bosse pour sa paroisse. Dans le meilleur des cas, il prend des décisions conforment à la ligne gouvernementale fixée par d’autres. Dans les autres, il parade. Si un ministre veut être plus pro-actif, faire des propositions, étudier ses sujets (hein ?), cesser de n’occuper qu’un poste honorifique avant d’en chasser un autre, eh bien, il pose ses fesses sur sa chaise, et travail dans son bureau : il potasse ses dossiers, il se fait conseiller, il reçoit. Besoin ni de homard ni de sèche-cheveux pour cela. Et laissons aux ambassadeurs le soin de jouer à la dînette pour le « prestige » français à l’étranger.

 

La problématique du réchauffement climatique n’a aucun sens si elle n’est pas immédiatement reliée à une autre, celle de l’extinction massive des espèces

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Fatigué de voir toutes ces polémiques concernant le réchauffement climatique. Faire du réchauffement climatique une urgence absolue est un piège. Parce que ses conséquences et ses implications ne sont pas comprises. Le citadin, l’homme consumériste du XXIᵉ siècle, le réchauffement climatique, ça ne peut avoir dans sa représentation du monde qu’un impact anecdotique, ça se limite à modifier quelques habitudes de consommation histoire d’être citoyen, un peu comme on donne aux bonnes œuvres. Il n’y a alors pas plus d’urgence pour lui que pour la faim dans le monde ; c’est pour lui une sorte de marronnier citoyen, une problématique dont il a vaguement conscience, mais dont il refusera toujours de comprendre à long terme les réelles conséquences. Et presque à raison on pourrait presque dire. La planète se réchauffe ? On s’adaptera pense-t-il ; on ira moins dans certaines régions du monde ; on créera un budget climatisation pour les heures chaudes de l’été comme on a un budget chauffage en hiver ; et puis on acceptera en fonction de son implication des « petits » sacrifices de consommation pour « faire un geste pour la planète », un peu comme on décide de manger plus de légumes pour sa santé.

Parce qu’au fond, cet homme-là, il n’en a rien à foutre du réchauffement climatique. Et s’il s’en moque, c’est que les conséquences d’un tel dérèglement lui échappent.

Et là, c’est la faute des écologistes, des scientifiques, qui peinent à fixer les priorités de notre époque, à traduire pour l’imaginaire collectif, pour ce citadin du XXIᵉ siècle qui s’est forgé des habitudes de vie héritées du siècle passé, non pas l’urgence, mais la catastrophe environnementale déjà opérée grosso modo depuis l’ère industrielle. Quand on parle de « nature », de « planète », ou même comme je le fais ici « d’environnement », on ne parle pas de la catastrophe bien réelle qui se déroule sous nos yeux et pour laquelle on ne fait rien à force de parler du réchauffement climatique. « Nature », « planète », « environnement », ça sonne creux pour l’homme des villes, ce sont des concepts creux car éloignés de son propre environnement.

Cette catastrophe qu’il faudrait plus mettre en lumière, c’est l’extinction massive des espèces. Ce n’est plus une « urgence », c’est un fait, c’est une catastrophe, et la seule chose que l’homme peut encore faire, c’est en limiter l’impact à l’avenir. Et dans cette perspective, la lutte contre le dérèglement climatique, ce n’est qu’un aspect du problème. Le climat, il a toujours changé, oui, c’est un drame, oui, on peut agir sur lui, oui on peut espérer changer la tendance au prix d’énormes efforts, mais si on ne comprend pas l’enjeu bien plus dramatique qui se cache derrière, c’est une lutte perdue d’avance. L’enjeu, c’est le ralentissement de la disparition des espèces animales et végétales. Le climat change, les espèces les plus adaptées changeront avec lui. Seulement au rythme où nous allons, la seule espèce capable de s’adapter à une telle crise environnementale, c’est la nôtre. Le citadin n’a aucun souci à se faire, il est en haut de l’échelle, et au prix d’éventuelles crises sociales, il y a peu de chances qu’il disparaisse à moyen ou long terme. En revanche, c’est pour la diversité que c’est dramatique, pour les autres espèces, et là il ne faudrait pas croire que la disparition des espèces ça se limite à préserver les lions ou autres animaux de cirques ou de zoos. Parce que si encore une fois on se réfugie derrière des symboles, des arbres-écrans, c’est toute la forêt en péril qu’on ignore.

L’enjeu, c’est donc bien l’extinction massive des espèces. Pour une espèce qui s’adapte au stress environnemental, il y a cent, mille, dix mille, qui disparaissent, qui ont déjà disparu et qui disparaîtront encore. La terre se réchauffe ? « On » s’adapte. Mais les espèces disparues ne s’adaptent plus. Ce qui est perdu est perdu. Et ce qui est perdu, ce sont des espèces qui ont évolué en même temps que nous, qui sont parfois plus anciennes que la nôtre, qui sont les héritières d’une longue évolution, les survivants des précédentes extinctions de masse et les témoins du miracle de la vie.

Préserver la biodiversité, ce n’est pas non plus œuvrer pour maintenir une ressource éventuelle dans le cycle du vivant : les espèces ne sont pas au service de l’homme. Que nous puissions tirer profit à tous les niveaux et cela déjà depuis des dizaines de milliers d’années, de certaines espèces, c’est pour beaucoup ce qui nous a permis de nous élever en tant qu’espèce au-dessus de toutes les autres, oui. Mais si cette exploitation est réelle et doit pouvoir se maintenir dans des proportions raisonnées, elle n’est pas la finalité de la préservation des espèces. On mange de la viande, des végétaux, toute notre pharmacopée est tirée et dépend de cette richesse, mais on ne préserve pas la nature à notre seul profit. Autrement, on ne chercherait qu’à préserver les espèces dont on tire profit. Difficile à concevoir pour un homme citadin du XXIᵉ siècle que tout l’environnement de la planète ne doit, et ne peut être, formaté à son seul usage et profit. Ici, l’ennemi, c’est l’urbanisme grandissant. On ne préservera pas les espèces dans une logique de « réserves naturelles ». L’exception, il faudra le comprendre, c’est l’urbanisme. La règle devrait être la préservation des espaces naturels pour garantir l’habitat des espèces dans leur milieu d’origine. Le dérèglement climatique impose des migrations. Les hommes peuvent migrer. Les espèces séquestrées dans des réserves, non.

L’enjeu, il est là. L’intérêt supérieur de toutes les espèces peuplant encore ce monde. Des espèces, tout comme la nôtre, qui sont le fruit de millions d’années d’évolution, de crises, de catastrophes. Le danger, il n’est pas pour demain, il n’est même pas pour nos générations futures qui ne peuvent craindre que pour leur confort de grands consuméristes ; le danger, il est de voir disparaître toujours plus d’espèces de la surface de la planète et d’être continuellement au chevet d’une poignée d’autres qu’on aura décidé de préserver pour notre seul profit. Continuons à avancer avec des œillères, et ce ne sera pas notre environnement climatique qui sera chamboulé, mais bien la surface de la terre, ce qu’on appelle biomasse, biodiversité, le « vivant », et qui pourra alors se conformer à l’idée anthropocentriste qu’on se fait d’elle : entre les villes, il n’y aura plus que des routes et des terrains vagues stériles.

Allô, c’est pô du journalisme ?

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Politique(s) & médias

Péripétie/polémique concernant davduf pas si inutile que ça. Mettre en lumière le fait qu’effectivement le travail de D.Dufresne sur ce point consiste à “signaler”. Et c’est déjà beaucoup. Réflexe citoyen, et non journalistique, certes, qu’il faudrait comparer à des signalements du type “faites tourner cette vidéo, ces Roms kidnappent des enfants” avec un lien Rom/kidnapping forcé, voire fantasmé. Ici la véracité des faits dépend de la bonne foi de la source : un signalement n’est pas un travail d’enquête. Sinon, quand un terroriste partage en direct sur les réseaux ses crimes, il faudrait que chacun enquête sur la fiabilité de la source, et donc sur la véracité de ce qu’on voit… Impossible. Signaler est un acte citoyen, ce n’est pas présenté par D.Dufresne comme du journalisme, bien qu’au final ça témoigne assez bien de la réalité d’une époque. À étudier dans tous les cours sur les médias…

En revanche, dommage que la réponse (détaillée, le lien expliquant sa méthode et probablement son intention) soit… payante, renvoyant à un site payant. Moi j’aime bien le droit à l’information pour tous, encore plus quand il n’est justement pas question de journalisme mais de civisme.

 

Féminisation de la langue, terrorisme linguistique et usage

Les manuscrites

Sujets, avis & débats

D’abord, arrêtons de confondre le sexe et le genre grammatical des mots. Les genres féminin, masculin ou neutre en français n’ont rien à voir avec les sexes. Ce qui détermine le genre d’un substantif, c’est comme pour beaucoup de choses en français, l’usage. « Une table » est de genre féminin, mais elle n’a évidemment pas de sexe, et l’usage qui détermine qu’un substantif soit féminin ou masculin n’est ni déterminé par le droit ni par la logique. L’usage seul commande. Personne n’a déterminé et imposé aux autres qu’une table devait être de genre féminin. C’est ainsi que quand on évoque « une belle enflure », ça désigne plus probablement un homme alors même que le substantif pour le désigner est féminin ; même chose avec « un cordon bleu » qui pourra s’appliqua à une femme.

Quand on a compris que le genre des substantifs n’avait rien à voir avec les sexes, il devient inutile de chercher à féminiser des termes dont l’usage a fait qu’ils étaient de tel ou tel genre. Doit-on féminiser le substantif « utérus » sous prétexte qu’il n’est pas la propriété de ces messieurs ? Donc un homme « sage-femme », ça ne devrait poser aucun problème. La langue ne discrimine pas, c’est l’usage pratique cette fois des métiers qui discrimine. Ce n’est pas la langue qu’il faut féminiser, mais la société. Et si de nouveaux usages se mettent en place, ce n’est encore une fois à aucune autorité supérieure ou lobby de décider ce qui est bon pour la langue et pour tous (parce que nous sommes tous propriétaires de notre langue) : ce sera, à l’usage, des pratiques, des habitudes nouvelles prises qui s’imposeront ou non par rapport à d’autres. L’usage, c’est l’affaire de tous, à l’image d’un consensus dans le domaine scientifique ou en histoire. Les idéologies sont les pires parasites trouvés sur le chemin d’une langue quand il est question d’en changer l’usage. Au même titre que des règles d’orthographe nouvelles, décidées il y a vingt ans, et qui ne sont toujours pas appliquées dans l’usage, rien ni personne n’a le pouvoir de dicter aux autres ce qui est notre bien commun, la langue. Ça vaut à la fois pour les Académiciens dont on prête ces jours-ci un peu trop de pouvoir de décision, comme pour les féministes extrémistes qui trouvent dans la féminisation de la langue une nouvelle croisade à mener contre les hommes.

Quand on m’explique que la langue a besoin d’être à nouveau féminisée parce qu’elle a été il y a quatre siècles masculinisée, c’est donner d’une part un peu trop de crédit à une institution comme l’Académie française qui, hier comme aujourd’hui, n’a pas autorité pour changer à ce point l’usage de la langue (hier sans doute plus qu’aujourd’hui, mais je doute que des décisions prises il y a quatre siècles par des Académiciens aient pu être suivies à ce point dans la population au point de modifier la langue, les usages en cours, pour les figer sous une autre forme — jolie théorie du complot, forcément celui de ce bon vieux patriarcat) ; d’autre part, la langue ne fonctionne pas selon un principe de droit ou de justice. Si une telle décision avait été prise il y a quatre siècles, et si l’usage a changé, pourquoi devrions-nous penser que l’usage doive revenir à ce qui se faisait avant ? Parce que « c’était mieux avant » ?

Il est assez consternant de voir que cette question de la langue, nécessaire pour certains corps de métier qui se féminisent (mais c’est l’usage formel d’une société qui pousse à un usage pratique de la langue) sert d’étendard à ces extrémistes de tout poil. Celles-ci voudraient imposer l’écriture inclusive à tous et voudraient justifier leur totalitarisme (pas seulement linguistique) en prétendant que la langue, et ceux censés l’établir (sic) se sont au cours de l’histoire servis de la langue pour opprimer les femmes. L’hypocrisie, le politiquement correct et la peur de ces casseuses de couilles pourraient, ironiquement (ou tragiquement) avoir raison des plus sensés, et ainsi, on pourrait voir des usages se répandre par peur de passer pour un ignoble macho. Cela passera au moins pour un certain nombre de termes féminisés, mais je doute que cela aille un jour jusqu’à l’adoption d’une écriture inclusive (autrement ce serait une victoire bien triste du totalitaristiquement correct). L’exemple d’« auteur » pour une femme (alors même qu’une fonction, par un substantif, n’avait donc pas besoin d’être « féminisée ») sera intéressant à suivre. Parce que les plus totalitaires voudraient réparer la prétendue injustice faite il y a des siècles au terme « autrice », quand il est plus vraisemblable que celui d’« auteure » suffise à l’avenir. L’usage ira probablement au plus simple, et il y a au moins une chose contre laquelle les totalitaristes de la langue ne pourront pas lutter, c’est que si certains usages deviennent des marques idéologiques, cela compromettra de fait leur passage dans l’ensemble de la population.

En attendant, au lieu de chercher à définir ce que devrait être un bon français (au lieu du bon usage), on devrait se féliciter que de telles polémiques permettent aussi de voir de nouvelles propositions de langue et des usages alternatifs peu à peu cohabiter avec d’autres. Parler de la langue, c’est lui donner vie. S’il y a quatre siècles des Académiciens ont voulu masculiniser la langue, c’est peut-être aussi que c’était le signe d’une époque, pas forcément ou seulement plus par sexisme, mais aussi durant laquelle le français était moins inscrit dans le marbre. Une chance alors, parce qu’à perdre certains usages, et pas seulement au niveau des ouvertures féminisantes de la langue, figer une langue, même si on peut en comprendre l’intérêt jusqu’à une certaine mesure, c’est aussi un peu lui nuire. Tant qu’on ne touche pas trop à la grammaire, qui elle doit rester figée, l’usage de ce qu’on fait de notre vocabulaire ne s’en portera que mieux si on en accepte de multiples variantes. Des usages mous, et des usages forts. Mais des usages toujours. Et cela, que ce soit de pauvres petits Académiciens qui ne font plus autorité depuis longtemps (si tant est qu’ils l’aient jamais fait un jour), ou des féminazis (les néologismes sont aussi toujours les bienvenus, surtout quand ils sont formés de mots-valises amusants), ils n’y changeront rien.


 

Spoutnik, Laïka, Gagarine, Apollon 11, AGC, Mars

Les capitales

Science, technologie, espace, climat

Qu’est-ce qui sera plus important dans quelques siècles ?

  • le 1ᵉʳ objet artificiel envoyé dans l’espace (Spoutnik 1)
  • le 1ᵉʳ micro-organisme dans l’espace (ceux présents dans Spoutnik)
  • le 1ᵉʳ être vivant dans l’espace (la chienne Laïka)
  • le 1ᵉʳ homme dans l’espace (Youri Gagarine)
  • le 1ᵉʳ homme sur la Lune (Neil Armstrong)
  • le 1ᵉʳ ordinateur dans l’espace (l’Apollo Guidance Computer)
  • le 1ᵉʳ homme sur Mars
  • le 1ᵉʳ bébé né dans l’espace ou sur un autre monde
  • le 1ᵉʳ vaisseau quittant le système solaire et premier (voire seul) témoin de l’existence d’une présence de vie intelligente dans un système qui disparaîtra dans quelques milliards d’années et nous avec (Voyager 1)

L’histoire n’est pas une science, on est toujours esclave d’un certain point de vue. Aujourd’hui encore, et puisqu’on fête cette année les cinquante ans des premiers pas d’Armstrong sur la Lune, notre vision de l’histoire est toujours aussi liée à l’influence américaine.

Pourtant, l’exploit de l’homme sur la Lune, il est peut-être plus d’avoir échappé à une myriade de risques et d’écueils technologiques sur toute une décennie (deux, si on compte l’ensemble du programme). Des ratés, surtout au début de la NASA, il y en a eu, et il y en aura après (accidents de navettes notamment), mais la conquête de la Lune à travers le programme Apollo est un petit miracle, c’est vrai, qui a lui seul pourrait encore faire figurer cet exploit longtemps dans la représentation qu’on se fait de l’histoire.

Mais cette représentation se fait aussi toujours à travers le prisme du contexte historique imprévisible et forcément changeant. Demain, rien ne dit que la NASA continuera d’être l’agence dominante en matière de conquête spatiale (la Chine ou l’Inde pourraient prendre la relève). Rien ne dit non plus si bientôt ce ne seront pas des entreprises privées qui réaliseront ces prochains exploit(-ation)s. Imaginons que les Chinois et Elon Musk non seulement envoient les premiers hommes sur une autre planète (en bons communicants, les Américains parlaient avec la Lune de « premiers pas de l’homme sur un autre monde »), mais y développent des colonies ou des stations pérennes, est-ce que les premiers pas sur la Lune ne prendraient-ils pas un autre sens et y perdraient en intérêt ? Et ne serions-nous alors pas obligés de reconsidérer la place des exploits antérieurs des Soviétiques avec Spoutnik et Gagarine ?

Et qu’en sera-t-il dans quelques siècles ? Si les hommes étaient amenés à disparaître mais que les chiens, grâce à leur esprit de meute ou autre chose, parvenaient eux à survivre à la disparition de leurs anciens maîtres, est-ce qu’ils ne réhabiliteraient pas la place du premier être vivant dans l’espace, une chienne, comme eux ?

Si on regarde encore plus loin, si on oublie les chiens, et si on doute des capacités des hommes à survivre à leur inclination à l’autodestruction (et compte tenu du fait qu’ils se perfectionnent toujours plus dans ce domaine), que restera-t-il finalement de ces conquêtes ? Une panspermie d’origine humaine à travers tout le système solaire dont il aurait été le principal vecteur mais bientôt plus le principal bénéficiaire. On aurait un peu fait tout le travail pour des micro-organismes. Retour à la case départ, avec dans le nouveau logiciel d’évolution, une théorie du ruissellement appliquée à la biologie. Beaucoup d’appelés, peu d’élus, mais les mêmes chances pour tous ou presque. Pour ces micro-organismes résistants à ces nouvelles conditions de vie, et même si on peut douter un jour qu’ils se découvrent un quelconque intérêt pour l’histoire, eh bien l’événement majeur de leur histoire, leur « petit blop pour le protozoaire, un grand splash pour la vie », ce serait les premiers microbes, envoyés et sacrifiés, voyageurs malgré eux du premier satellite artificiel de l’histoire, Spoutnik 1.

Dernière hypothèse, qui aurait presque mes faveurs… L’intelligence artificielle, les robots intelligents, les automates, les ordinateurs couplés à des systèmes d’évolution matériels…, appelons ça comme on veut, mais on est, nous, en train de donner « vie » à ces entités nouvelles qui seront un jour sans doute plus que nous à même de s’adapter à toutes sortes d’environnements hostiles dans le système et ailleurs. La vie, c’est au fond un système élaboré archaïque dont l’évolution hors de son environnement cumule deux handicaps : la rareté et la lenteur. Il faut une infinie d’éventualité, de tentatives aléatoires, pour qu’un organisme finisse par s’adapter à un nouvel environnement. Il a fallu plusieurs milliards d’années pour voir les premiers organismes complexes dans nos océans, et il faut plusieurs millions d’années pour voir des mutations dans des espèces capables, dans des environnements différents, susceptibles de faire « naître » de nouvelles espèces. C’est long, c’est laborieux, c’est peu réactif, et c’est idiot (ça ne répond à aucune logique). Alors qu’une entité intelligente robotisée et autonome pourrait être capable de modifier ses propres propriétés matérielles et logicielles pour s’adapter, coloniser et pérenniser le rêve d’éternité dont ils auraient hérité de ceux qui sont en train de les créer aujourd’hui. Trop fragiles, difficilement inadaptables, soucieux souvent de bien autre chose que de son expansion, les hommes deviendront peut-être alors obsolètes dans un monde de machines… On en voit déjà des prémices : on commence à avoir l’idée d’appareils autonomes capables de résoudre le problème des débris spatiaux ou de sonder divers corps célestes en vue d’en exploiter les ressources de manière autonome sans intervention humaine. Et dans cette optique un peu glaçante, le premier ordinateur dans l’espace deviendrait alors l’événement majeur de ce début de conquête spatiale…

Bientôt la gloire pour l’Apollo Guidance Computer, peut-être.

La crise ne paie pas

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Violences de la société

Au cours de l’histoire moderne, les progrès techniques, scientifiques, commerciaux ou environnementaux se sont faits au profit d’abord des élites bourgeoises, et si une classe moyenne riche a pu apparaître, c’est parce qu’à la fois le fruit de leur travail mais aussi leur consommation en masse, profitaient à ses mêmes intéressés, les élites. Ce système gagnant-gagnant a permis aux démocraties de connaître leur âge d’or et une sorte de concorde est apparue entre ces différentes classes. À une période où le monde doit faire face à des changements environnementaux affectant leur développement et remettant en cause leur logique basée sur une surproduction et une surconsommation, toute la question est de savoir comment les élites bourgeoises qui tiennent le pouvoir de ces démocraties vont arriver à continuer à évoluer si c’est désormais au détriment des classes moyennes et de l’environnement.

Tout porte à croire que les bouleversements climatiques pèseront de plus en plus dans le prix que chacun devra payer pour maintenir son niveau de vie. Sauf progrès technique majeur, le niveau de vie moyen des pays historiques de la révolution industrielle devrait baisser. Et cela ne peut être acceptable pour les classes moyennes que si pour la première fois depuis le début de l’ère moderne ces élites bourgeoises acceptaient de prendre leur part dans ce déclin. C’est le prix de la concorde entre les classes.

En 2008, la crise financière a prouvé que quand les élites fautaient, elles continuaient d’en faire payer le prix par les classes inférieures. Depuis, rien n’a changé. Les dettes des États continuent de peser lourd sur les citoyens des classes moyennes et inférieures, tandis qu’ironiquement, les élites continuent de ne pas voir la crise et de s’enrichir toujours plus. Toutes les crises démocratiques découlent de cette logique inégalitaire qui a fait qu’après les trente glorieuses ces « premiers de cordée » ont refusé de prendre leur part à la crise.

Aujourd’hui, avec la crise des gilets jaunes, c’est un autre exemple de ces déséquilibres qui s’expriment. La crise n’est plus financière, mais de confiance vis-à-vis de cette classe dominante qui à leurs yeux profite de la crise environnementale en devenir pour faire payer aux classes moyennes et inférieures le prix d’un ralentissement voire d’un déclin productif nécessaire pour atténuer les effets d’un changement climatique à moyen et long terme.

De la même manière que la crise financière de 2008 aurait dû être payée par ces élites bourgeoises pour en avoir été les seuls responsables, ce sont à elles de payer la plus grosse part d’un aménagement productif, industriel et inter-commercial, sans quoi aucune paix entre les classes ne pourrait être désormais possible.

Décroissance, aménagements industriels, et accompagnements sociaux : face à une crise environnementale, ce sont les seules solutions à long terme pour préserver ce qui peut l’être d’un mode de vie qui, quoi qu’il arrive maintenant, et dans sa forme actuelle, est voué à disparaître.

Si c’est à eux de montrer l’exemple, c’est que s’ils le font, en tant que premiers de cordée pour gravir une montagne, ils ne peuvent être les premiers à s’en sortir quand la montagne s’effondre sous leurs pas. C’est une question de dignité, et de fraternité. Jusqu’alors, la fraternité n’avait un sens pour ces élites qu’à l’intérieur même de leur classe, de leur « monde ». La révolution française avait porté la bourgeoisie au pouvoir, il serait temps qu’elle apprenne à son tour le sens de la « fraternité », s’ils ne veulent pas être délogés de leur piédestal comme leurs prédécesseurs de haute classe.

Faire payer les élites, qu’est-ce que ça signifie ? Que chaque fois que de l’argent public doit être trouvé, ce sont ceux avec des revenus et un patrimoine important qui en proportion paient les premiers. La notion de premiers de cordée, c’est ça. Ceux qui profitent de la concorde, de la paix sociale, sont ceux qui devraient en être les premiers garants. Une évidence, sauf pour eux.


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Violences de la société



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La marche des cons vaincus

Les capitales

Violences de la société

Sérieusement, mesdames, vous voulez… marcher pour faire entendre votre voix contre les violences sexuelles et sexistes dont vous êtes victimes ? Encore un coup d’épée dans l’eau du féminisme de prétention et de réseaux sociaux. Quelle époque… Entre le féminisme de façade qui s’affiche sur Twitter et le féminisme extrémiste, prendriez-vous le temps de la réflexion pour adopter un féminisme qui avance, et qui refuse enfin les techniques de postures qui ne sont pas à la hauteur de ce contre quoi vous prétendez lutter ? Le but, c’est une nouvelle fois de dénoncer une situation pour la simple satisfaction cathartique de la dénoncer ou c’est d’adopter des comportements capables de faire changer les mentalités et les comportements ?

Il y aurait une déferlante féministe dans la rue, ça changerait quoi ? Vous auriez enfoncé des portes ouvertes. Toutes les victimes, toutes les femmes abusées, victimes, rabaissées, freinées, humiliées, toutes sont d’accord pour dénoncer les mêmes situations et comportements. Les hommes de leur côté, quand ils ne sont pas agresseurs, profiteurs, offenseurs, approuveront avec la même hypocrisie, ou au mieux, useront comme vous de pensée magique pour prier les cieux que « cela change ». Parce que c’est curieux, tout le monde semble être d’accord, et pourtant rien change. L’unanimité en trompe-l’œil, on connaît ça depuis la France black blanc beur.

Il est où le problème ? Puisque le problème persiste depuis la déferlante « vue sur les réseaux sociaux » met/balancetonporc, pas vrai ? Rien n’a changé ou je me trompe ? Alors quoi, c’est la faute de l’alliance nationale du patriarcat en danger ?… Manque de chance, le lobby des mâles contre les femelles n’existe pas. Ce serait trop simple. Et c’est peut-être bien beaucoup aussi parce qu’on ne fait pas changer des usages avec des belles paroles approuvées par tous (ou même applaudies à coups de likes ou de retweetes).

Sérieusement, un type qui met la main aux fesses à une stagiaire, il va arrêter de profiter de la situation parce qu’une armée de bonnes femmes pleines de bonnes volontés ont battu le pavé ? Il n’en a strictement rien à battre. Pire, ça le confortera dans l’idée qu’il est puissant, et qu’une stagiaire, ça adopte un comportement de réserve ou ça démissionne. Preuve en est, pour lui : pour se défendre les victimes ont besoin de se réunir et d’en appeler à l’autorité supérieure de l’État, de l’opinion… Quelle merveilleuse preuve de sa puissance !… Quel adoubement !… Eh, oui, parce que la seule raison pour laquelle il profite de la situation, c’est qu’il sait, ou pense encore, qu’une main au cul, ça ne lui vaudra aucune poursuite. Il sait, par habitude peut-être, que la majorité des femmes, au pire, vont se renfrogner, se fendre d’un petit commentaire plaintif et outragé qui ne fera encore que conforter son impression de toute puissance, et puis plus rien.

Bref, ce n’est pas une marche, c’est une moisson qui n’aura qu’une efficacité : nourrir l’orgueil des agresseurs.

Donc, le but est-il de prêcher les convaincus, faire de la psychologie de groupe pour panser ses blessures et déverser sa frustration en imaginant qu’il suffit d’être unis pour faire changer les comportements ? Sérieusement, mesdames, si vous pensez qu’une telle manœuvre profite à la cause que vous défendez, vous allez au-devant d’une jolie déception. Cela ne fera qu’augmenter frustration, incompréhension, et pire que tout encore, cela nourrira encore la certitude de ces hommes qu’ils peuvent jouir d’une impunité totale et que tout leur est permis.

Comment être efficaces ?

Il y a quelques semaines, c’était la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire. À cette occasion, une responsable d’association expliquait que se plaindre auprès des parents ou de l’administration n’était pas la meilleure solution (et jusqu’à un certain niveau de harcèlement subi) si c’était ces mêmes personnes qui venaient ensuite faire la leçon à l’agresseur. Car l’agresseur se trouvait toujours conforté dans son idée qu’il avait des raisons de s’en prendre à sa victime : sa demande d’aide de tiers était la preuve de sa vulnérabilité. Vulnérabilité que les agresseurs tentent toujours de mettre en évidence pour exercer leur supériorité sur des personnes qu’ils suspectent d’être plus faibles. Cette responsable d’association expliquait alors que son rôle à elle était d’aider les victimes à répondre elles-mêmes de manière adéquate à leurs agresseurs. Aller voir ces derniers quand on est adulte serait alors non seulement la solution de facilité parce que la plus naturelle, et parce qu’on voudrait croire que l’enfant agresseur se conformera à la volonté du « plus grand », mais était surtout la solution la plus efficace : l’enfant écoutera sans broncher sa leçon, mais l’idée que la personne qu’il harcèle est plus faible que lui n’aura pas changé, elle sera même confortée dans son idée, et le harcèlement pourra reprendre parce qu’elle repose toujours sur une idée de soumission du plus faible au plus fort. Or c’est précisément ce rapport de soumission qu’il faut contester.

Comparaison n’est pas raison. Mais une grosse part du harcèlement que subissent les femmes, quand elles ne sont pas encore suivies d’agressions physiques, sexuelles, procède de la même logique. « Je suis fort. Je te mets à l’épreuve. Tu me prouves ton infériorité et ta vulnérabilité par ton absence de réponse. Je profite de cette faiblesse. »

Se réunir toutes un samedi pour une grande messe pédestre ne changera rien. Apprendre à répondre aux harceleurs, si.

C’est aux harcelées de changer de comportement. Et la difficulté, elle est de leur donner les clés pour apprendre à se défendre, à répondre, à ne pas se laisser faire. La solidarité, elle n’est pas de se réunir toutes ensemble pour dénoncer des agissements personnels, et malheureusement naturels ; la solidarité, elle est d’aider les femmes les plus exposées, les plus fragiles, celles qui ne savent pas répondre ou reconnaître des situations à risque, pour qu’elles adoptent des comportements qui à la longue indisposeront les agresseurs et leur passera l’envie de voir la relation à l’autre uniquement sur un rapport dominant/dominé.

Alors certes, à partir d’un certain niveau d’agression, il n’est plus question de trouver une réponse seule face à son agresseur. Mais on aurait tort de négliger l’importance de ces petites agressions : c’est d’abord parce que les agresseurs se trouvent confortés dans leurs tentatives de réduire l’autre à l’idée d’un simple objet qu’ils franchissent la ligne rouge suivante avec la conviction qu’ils pourraient jouir de la même impunité.

Sinon, bonne chance avec les convaincus, les hypocrites et la pensée magique.

Et si le constat est identique entre les questions liées au harcèlement et aux dérives sexistes, c’est qu’elles procèdent d’un même processus. Il n’y a rien de spécifique dans les inégalités entre hommes et femmes, ces inégalités sont communes à tous les rapports de domination. S’attaquer aux violences masculines ou aux inégalités de genre ne fait que condamner et chercher à traiter les conséquences du problème quand tout découle des rapports de domination. S’il faut éduquer et changer les usages, c’est sur cette question qu’il faut le faire. Il n’y a pas de lutte sur les inégalités qui est plus légitime qu’une autre, et aucune essentialisation des individus en fonction de leur appartenance à tel ou tel groupe ne réglera les problèmes. Apprendre au contraire que toutes les inégalités systémiques découlent des rapports de domination entre sexes, entre groupes, entre ethnies, entre classes sociales, entre générations, oui. Qu’importent les marqueurs identitaires revendiqués, perçus ou accolés aux individus, il y a toujours un individu, qui à travers son groupe, se perçoit supérieur à un autre qui lui autorise alors de rentrer dans une logique de domination à l’autre. C’est cette logique qu’il faut combattre. Toutes les sociétés ont créé des usages pour codifier les rapports sociaux. Certaines ont imaginé des méthodes pour aller dans le sens de cette domination ou au contraire pour les limiter. Il est possible de créer une société dont les usages condamnent les rapports de domination. À la révolution française, on s’appelait « citoyen » ; les communistes s’appellent « camarades ». Ce sont des usages horizontaux. Il faut arriver à trouver d’autres usages illustrant cette volonté de nous remettre tous à niveau.