The Pillow Book, Peter Greenaway (1997)

Pillow Talks

The Pillow BookThe Pillow Book, Peter Greenaway (1997) Année : 1997

7/10

IMDb  iCM

Réalisation :

Peter Greenaway

Avec :

Vivian Wu
Ewan McGregor
Yoshi Oida

Journal d’un cinéphile prépubère : 16 mars 97

Le film a deux grandes qualités : le thème et sa mise en scène. La sensualité — rare chez les cinéastes, quand elle n’est pas morbide — du thème du film, celui d’écrire sur le corps de ses amants, est somptueuse. La photographie, le cadrage et le montage la mettent parfaitement en valeur. Surtout, c’est la révolution technique de la mise en scène. Greenaway a eu l’incroyable culot d’introduire ce procédé d’inserts de plans sur le même plan/écran. L’idée est intéressante, le cinéaste propose un langage innovant et installe déjà quelques nouvelles conventions pour le comprendre. Le début très dense — sur différents points de vue narratifs — est trop lourd et le cinéaste se perd dans le procédé. Il utilise deux plans d’action dramatiques sur l’écran (qu’il faut suivre pour comprendre l’évolution de l’introduction, le passé des personnages avec le récit de la fille en off de sa jeunesse…). Le spectateur ne sait alors quoi suivre. En voulant trop donner, Greenaway ne donne rien ; et on reste froids et imperméables à ce récit, même si on peut être subjugués par l’esthétisme, la mise en scène, le sujet et le procédé. C’est plutôt habituel chez Greenaway, mais d’habitude il nous perd à force de distanciation, de plans-séquences en plan moyen qu’il faut décrypter comme des énigmes ou un jeu des sept erreurs.

The Pillow Book, Peter Greenaway (1997) | Kasander & Wigman Productions, Woodline Films Ltd., Alpha Film

Et puis, tout à coup, est-ce qu’on s’habitue au procédé, est-ce que, l’introduction passée, on peut enfin profiter d’une action resserrée avec une action au présent ? Quoi qu’il en soit dès que l’histoire d’amour est véritablement lancée l’envoûtement peut alors commencer.

Les inserts ne servent qu’à composer avec un « plan maître » la même partition d’un même film. On comprend qu’on peut fixer notre regard à un endroit ou l’autre de l’écran, on ne craint plus de perdre quelque chose puisque la situation est la même, montrée sous différents angles, ou simplement les inserts ne s’appliquent plus qu’à nous proposer des images d’ambiances. L’enchaînement des séquences est plutôt astucieux, car les actions dramatiques deviennent progressivement des actions d’ambiance, soit par leur immobilité, soit par leur répétition.

Le cinéaste nous montre alors bien ce qu’il veut, et on sent, comme il le fait souvent, qu’il peut nous diriger à sa guise, et nous manipuler. C’est aussi à cet instant que, fatalement, les séquences se faisant plus longues, la mise en scène devient plus sensuelle. Certains plans, en particulier les gros plans, seront si précieux et mémorables qu’on les réutilisera par la suite. Le procédé permet ainsi d’user des leitmotivs sans altérer la continuité du film.

Après la mort de l’amant (scène extraordinaire), Greenaway a su nous intéresser à nouveau au récit (celui de l’éditeur, un sujet moins sensuel), car pour le spectateur, le film qui avait commencé à l’arrivée du personnage d’Ewan McGregor ne pouvait se finir qu’à sa mort. Le procédé est utilisé moins maladroitement qu’au début, on reste au présent, et on gagne en fin de compte une mise en scène superbe : surtout lors de la scène de l’éditeur (quand le néant et le silence agissent de pair).

Il faut avouer qu’on ne s’intéresse pas au thème des divers livres (encore la fâcheuse habitude chez Greenaway de s’intéresser aux nombres). Heureusement, le cinéaste use alors d’humour. Mais le procédé paraît plus adapté à un thème réclamant l’appel à des ambiances, un peu comme si tout à coup, dans certaines scènes, une musique apparaissait et semblait de trop.

L’utilisation du noir et blanc pour identifier le futur est très réussie ; tout en étant en rapport avec l’introduction, l’explication en moins, le récit paraît bien moins laborieux.

Un film qui tend vers une certaine forme d’universalisme, d’abord à travers son cosmopolitisme, mais aussi grâce à l’emploi dramatique que fait Greenaway de ce thème. Le récit devient plus mystérieux, comme une incursion intempestive dans l’intimité des personnages. Il n’y a plus de personnages publics, pas de vie ou de relation publique ; les rapports sont artificialisés pour aller droit au but. C’est une sorte de ghetto où se mélangent et s’affrontent des idées, une intrusion secrète et malsaine, dévoilant les fantasmes refoulés, comme dans Family Life.

L’œil du spectateur est curieux, ce qui fait naître en lui le fantasme du voyeur, d’autant plus que la mise en scène suggère et développe l’imagination entre le réel et l’irréel (comme dans le Bébé de Mâcon), rien n’est certain, on suit intrigués, plutôt qu’une autopsie objective d’un récit qui prend parti envers les personnages (il y a un rapport assez malsain et illégitime envers les personnages, on aura l’impression qu’on nous dit « regardez comme ils sont bêtes »), on reste libre, la mise en scène reste honnête et ne nous impose rien (peut-être est-ce dû à l’art de manipulation de Greenaway).

Le cinéaste ne porte aucun jugement, même sur les personnages les plus antipathiques. Il semble les comprendre, les défendre, comme dans une forme de recherche affective authentique d’un artiste envers sa création, envers le monde. Cela sonne en fin de compte comme une morale simple, dénuée d’a priori, de jugement, une liberté généreuse et suggestive qui flatte le spectateur plutôt qu’un hymne à l’égocentrisme. Il y a un peu de Kieslowski dans ce regard porté sur les personnages. Greenaway cherche à les comprendre, sans parti pris, en les montrant dans des situations qui nous semblent authentiques, sans tricher, et cela toujours en nous proposant une tonalité ambiguë qui pousse le spectateur vers des fantasmes et l’imagination.