Le Troisième Homme, Carol Reed (1949)

L’Amant dans le placard

The Third Man

Note : 4 sur 5.

Le Troisième Homme

Titre original : The Third Man

Année : 1949

Réalisation : Carol Reed

Avec : Joseph Cotten, Alida Valli, Orson Welles

septembre 2015

Regarder Le Troisième Homme quand on sait ce qu’est un film noir, on peut y retrouver bien sûr tout ce qui fait les particularités du genre, mais il ne faut pas s’y tromper, quand j’ai vu le film pour la première fois il y a une quinzaine d’années, l’ensemble, pour un film noir, me paraissait grossier et assez mal mené.* Et en fait, en le revoyant, je m’aperçois qu’on a surtout affaire à une fantaisie comme seuls les Britanniques peuvent nous en offrir. Pas à un film noir, non. Enfin, pas tout à fait. Une comédie grinçante, noire peut-être, mais une comédie policière plus qu’un drame policier, lugubre, sombre, moite et pesant… Reed utilise certains codes de ce qui est à la mode alors outre-Atlantique dans les séries B, mais il m’a fallu tout ce temps pour comprendre surtout à quel point, on se fourvoyait quelque peu en se convainquant trop facilement qu’un film, tout ce qu’il y a de plus anglais, pouvait être rapproché de ce qu’on appellera plus tard un film noir. Un élément du film ne trompe pas : l’ironie.

(* Il me reste des notes de cette époque que j’ajouterai un jour honteusement et discrètement à celles-ci — en fond de cale.)

Le Troisième Homme, Carol Reed (1949) | London Film Productions

Quand les films noirs sont sérieux et lourds, celui-ci est rieur et léger. Même quand des atmosphères semblent tirer vers « le film noir », c’est tellement surfait, artificiel, qu’il faut surtout en mesurer le grotesque plus que le grossier. Et ça ne dure jamais bien longtemps, comme un Lord qui se prendrait un peu trop au sérieux et qu’on arriverait à détendre avec une plume… ou des ballons. L’idée d’y implanter là-dedans le plus britannique des cinéastes et acteurs maudits américains est d’ailleurs un joli clin d’œil. Et plus que ça, bien sûr, parce qu’on n’aurait pu imaginer meilleur interprète pour ce personnage que Welles, capable d’apporter de la dérision à une pure crapule, et possédant le charme propre d’un maître de l’escroquerie (en en étant lui-même un), personnage qui devrait être, à la lumière de ses méfaits, profondément antipathique, et qui, grâce à la présence à la fois légère et nonchalante de l’acteur, arrive malgré tout à nous convaincre du contraire.

D’un autre côté, le personnage de Joseph Cotten, c’est celui du môme insupportable de Fallen Idol tourné un an plus tôt et avec vingt ans de plus. Là encore, on pouvait difficilement trouver mieux comme interprète pour faire face à Welles : on n’a aucun mal à imaginer et à croire à une telle amitié pourtant improbable quand on connaît les liens entre les deux acteurs. Il faudrait être aveugle (et je l’ai été) pour ne pas voir l’humour discret et flottant derrière ce personnage naïf et au charme penaud. Un autre aurait sans doute au moins le talent de rester dans son coin et de ne pas faire trop de vagues, mais lui, au contraire, à l’image du môme dans Fallen Idol, il faut qu’il bouscule tout, qu’il se montre entreprenant, plein d’une spontanéité lourde et puérile, et d’un à-propos pour le moins suspect. Cotten arrive toutefois à le rendre sympathique dans sa maladresse — une nouille qu’on prend plaisir à moquer, loin cette fois du garçonnet le plus insupportable de l’histoire du cinéma (celui de Fallen Idol). L’exact opposé, en tout cas, ici, du personnage de Welles. C’est souvent comme ça, il faut le reconnaître : les pires enculés savent s’entourer de camarades naïfs… et des plus filles du monde.

Le Troisième Homme, Carol Reed (1949) London Film Productions 2

Je cherche encore la femme fatale. Le personnage d’Alida Valli, c’est la femme idéale dont rêve n’importe quel célibataire (donc tous les hommes) : aimante et fidèle, discrète et tendre, dévouée et droite, et cela jusqu’à la fin (fin qui ira complètement vers un refus de la scène attendue, d’un cynisme glaçant, ou ironique, tragique, et pas tendre pour notre bon Cotten).

Reed joue à fond la carte du fétichisme (donc de l’humour) et joue avec sa caméra comme un enfant avec un ballon. C’est l’ombre de M le Maudit qui plane dans ces ruelles… jusqu’à ce qu’un ballon apparaisse, parodiant ainsi le film de Lang. Contrepoint parfait (que Fellini réutilisera à la fin de Toby Dammit, ou que Ozu utilisait déjà dans Une poule dans le vent) des atmosphères suffocantes qu’est en droit d’attendre le spectateur contemporain dans un supposé film noir. Mais ici, le ballon, et son maître bien souvent, l’enfant (toujours cet enfant casse-pieds), ou le vendeur, apporte un peu de rondeur à la raideur attendue. Reed casse ainsi, ou rigole, des effets de son époque. Ça roule quand le reste craque, ça rebondit quand le reste pèse, et ça virevolte au bout d’une ficelle quand nos deux policiers se cachent pour espionner dans la ruelle obscure… Si ça ce n’est pas de l’ironie… Autre scène mémorable absolument tordante et là franchement parodique, celle du gamin pourchassant Cotten dans les ruelles, son ballon sous le bras, et criant un épouvantable « à l’assassin ! » À croire qu’en réalisant Fallen Idol, Carol Reed a eu l’idée de faire assassiner le gosse (et c’est sûr que certains ont dû y penser) par le Peter Lorre de M le Maudit. Ou peut-être bien le contraire… Toujours, l’art du contrepoint. Ou de la pirouette… comme ce M renversé, qui dans le film de Lang, plaqué à l’épaule du meurtrier se retrouve reproduit à l’identique, mais qui aurait pu tout aussi bien se transformer en W, le W allemand du docteur un peu louche, voire complètement coupable, que le personnage de Joseph Cotten peine à prononcer. Un clin d’œil de Reed-Green ? Possible. Professeur Winkle… wink, clin d’œil…

Tordant, confondant, oui. Noir ? Pas vraiment.

Et cette ritournelle, qui fait déjà penser à celle qu’entant Humbert Humbert dans son bain après la mort de sa femme, évoquant peut-être encore le sifflement de M, mais faisant penser tout au long du film à un rire cynique et amusé. Amusé d’ailleurs, le personnage qu’interprète Welles l’est, quand caché sous un porche, il se voit soudain éclairé, livré, dévoilé, au regard goguenard de son vieux pote. Quand dans un film noir, on flaire le pot aux roses, dans une fantaisie britannique, c’est le pote qui est aux roses… Welles-Lime feint de ne pas être surpris, donc il sourit. Normal. C’est qu’il sait qu’il a la grande classe. Les escrocs sourient, c’est bien pour ça qu’ils sont des escrocs. Un escroc qui tire une tronche d’enterrement, il doit faire autant fureur dans son exercice qu’un vendeur d’assurance honnête. Alors oui, dans un film noir, les personnages vont plus jouer sur la terreur. C’est que les films noirs sont avant tout des séries B. Et le Troisième Homme est donc moins un « film noir » qu’une comédie policière. L’expression de Welles, à ce moment, tire vers l’expressionnisme ? Visage lisse, moue amusée. Seul le regard s’agite. Et la langue peut-être. Qui claque. Les deux hommes ne se connaîtraient pas qu’on pourrait presque croire que Lime fait le tapin. (Que serait un Lime d’ailleurs s’il ne cabotinait pas outrageusement.)

L’introduction pourtant donne très vite le ton. Cette histoire aurait pu être présentée sous différents angles, et le choix est tout de suite fait sur le cocasse, en évoquant les alliances policières contre nature à Vienne pendant l’occupation des alliés. Si la conclusion du film est noire, noire cynique, celle qu’offre le personnage de Welles est à la fois connue, juste et… drôle. C’est encore l’escroc qui parle, parce qu’on ne peut trouver meilleur moyen pour un tyran (ça reste une fiction, en général, ils se passent de ces traits de génie) pour excuser ou justifier ses agissements. Harry faisant de la contrebande de pénicilline, mais ça aurait pu être tout autant des pots de vaseline confondus avec de la dynamite. Hitchcock (un autre qui ne faisait pas des films noirs, mais des « crime films cyniques et ironiques ») disait que meilleur était le méchant, meilleur était le film. Quand on a envie de proposer une bière à une telle crapule, ça vaut un t-shirt Dark Vador que revêtent les crevettes pour passer pour des durs. Welles se fait prendre la main dans le sac, on allume : « Salut… Hé ! qu’est-ce que tu fouilles ? » Sourire charmeur, on se demande si on ne tourne pas homo, et hop, il est parti. Les bijoux de famille aussi.

Alors, on pourrait discuter de la pertinence de ces attributions posthumes qui empêchent probablement, et bien trop souvent, de voir un film tel qu’il est, ou a été vu à son époque, et un film tel qu’une définition de « film noir » tendrait à nous le laisser voir. Même farine pour les genres que pour les « auteurs » : l’idée préconçue qu’on se fait d’un film, et que cette idée persiste et domine tout du long durant et après le film, sape un peu trop la perception qu’on se fait de l’œuvre. Les genres, et les auteurs, nous poussent malgré nous à ne plus concevoir une œuvre dans son unité seule, mais en fonction de ce qu’on connaît du genre, de ses codes, de son évolution, des habitudes ou intentions supposées de l’auteur du film… Si le contexte du film a son importance, j’aurais tendance à penser que ce qu’on se représente traduit une mauvaise image de l’environnement réel et difficilement perceptible et connu. Ce contexte n’est au fond qu’un fantasme, voire bien souvent un alibi pour conforter certaines préconceptions de ce que devrait être le film. Cela fait partie de l’imagination du spectateur et cela participe pour une grande part au plaisir, ou au déplaisir, ressenti au cours d’un film. Il n’y a jamais une seule œuvre, celle qu’aurait voulue le cinéaste, mais plusieurs, celle que chaque spectateur se fait dans sa tête en se laissant influencer par un contexte en trompe-l’œil, une sorte d’escroquerie sympathique que ne renierait pas Lime… Parfois même et c’est ce qui vient de m’arriver, en quinze ou vingt ans, le film n’est plus du tout le même. En me disant simplement que je n’étais pas en train de voir un film noir, mais un film qu’il fallait plutôt relier à une culture britannique, et plus encore au film précédent de Reed, ma perception s’en trouvait tout à coup modifiée, et un autre film, bien plus savoureux, m’est apparu. Les notions de « genre » (en particulier pour un genre aussi peu défini, et posthume, comme le film noir) et d’« auteur » (quand bien souvent les films sont des œuvres collectives) participent donc à se forger une idée d’un film, mais fort heureusement, on peut toujours s’en détourner, en rire même, et puisque bien souvent ce qu’on attribue un peu facilement à un « genre » ou à des « intentions d’auteur », pourquoi ne nous serait-il pas possible de la même manière de nous proposer autant de conjectures séduisantes ne nous rendant que meilleur le visionnage du film ?

Ainsi, dès qu’une ombre apparaît, qu’un meurtre est commis, qu’un personnage disparaît, nous serions dans le film noir ? C’est un peu maigre pour définir les propriétés d’un genre, surtout quand les autres particularités du film noir sont par ailleurs absentes, voire contrariées. La femme n’est donc en rien « fatale », le détective improvisé est un nigaud envahissant et ridicule, le méchant a peut-être son petit côté sadique mais rien ne pourrait résister à ce charme « œil en coin » « regard frisé en contre-plongée » du personnage de Welles… Sérieusement, à la première apparition d’Harry Lime, si on ne l’entend pas, je le vois bien entrouvrir la bouche comme pour claquer de la langue. Façon de dire : « Tin-din ! C’est bien moi ! Surprise ! » Le jeu d’ombres et de lumières n’a ici rien de lugubre. Que Reed soit conscient de parodier, ou de faire référence, aux codes du cinéma expressionniste, ou — déjà — de ce qu’on ne nomme pas encore le film noir, ça apparaît surtout comme un pied de nez, et l’atmosphère est plus à la détente qu’à la tension meurtrière. Cette douche de lumière qui lui éclaire le visage, c’est celle du music-hall. Et ensuite Welles se met bien à jouer des claquettes sur les pavés mouillés et disparaît sous la scène tel un magicien. Plus tard encore, c’est le Welles shakespearien qui réapparaît. À la fois tragique et drôle. Et ça bavarde comme dans un bon roman policier britannique, voire, pour ce qui est de cette dernière phrase, d’une pièce d’Oscar Wilde. « L’Italie des Borgia a connu trente ans de terreur, de sang, mais en sont sortis Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. La Suisse a connu la fraternité et cinq cents ans de démocratie. Et ça a donné quoi ? Le coucou ! » Aphorisme cynique typique de l’esprit britannique, cette phrase est à la fois perspicace, sentencieuse, rieuse, et un peu hautaine (voire snobe). Elle est aussi à l’image de Lime : une séduisante escroquerie. L’aphorisme convainc par la beauté de sa tournure, non parce qu’elle vise juste. Le plus amusant ce n’est pas tant que l’aphorisme traduit une réalité fausse, c’est que Harry Lime s’en serve pour se justifier. Tragique et drôle, donc typiquement britannique. Je vois mal à quoi on peut rapporter ça au film noir.

En parlant de Welles et de film noir, il peut être intéressant de remarquer qu’il en est pour une bonne part à l’origine avec les effets de Citizen Kane. Le film noir, ce sont souvent des séries B recyclant à peu de frais ces effets qu’on rapprochera plus tard à l’expressionniste allemand ; en oubliant que Welles avait une tout autre culture. Ce qui a toujours fasciné Welles, c’est le folklore, les artifices, les apparences. La tension dans ses films se rapproche toujours d’une tension de l’être (donc du passé, de la destinée), non de l’instant (donc du suspense, ou de la peur du futur immédiat). C’est un cinéma… existentialiste, analytique, où tout se joue à l’intérieur du héros malgré les audaces visuelles. C’était comme si cet environnement brillant et foisonnant était la représentation projetée de l’esprit tourmenté du héros. On me dira que c’est là tout à fait le principe du cinéma expressionniste, et donc des films noirs (parfois), sauf que chez Welles, se mêle toujours à ça une forme de grotesque qui transcende la normalité, non pas pour le réduire à quelque chose de bizarre ou de terrorisant (ou de tragique), mais au contraire pour l’élever comme un sourire (sous un porche ou ailleurs). Dans le théâtre de Shakespeare, comme Welles, ou comme dans Don Quichotte que Welles adorait, et donc comme ce Troisième Homme, tout est toujours à la fois tragique et comique. Or, l’expressionnisme, et le film noir, c’est l’esprit romantique continental, la rigidité allemande, et à cette époque déjà dans les séries B américaines, la peur rouge. Il n’y a pas l’ombre d’un Faust, d’un Nosferatu ou d’un communiste là-dedans. Proposez un café bien noir à un Anglais, et il trouvera toujours un moyen d’y foutre un peu de lait, de citron ou du Brandy ; et de toute façon, il préférera toujours à ce breuvage sinistre, un thé plus léger. Si sur le continent, la menace se nomme « peste brune », sur cet îlot sympathique à l’écart de tout, la seule menace — ont l’air de dire les Britanniques en levant les épaules —, c’est la brume. Il ne faut pas voir dans ces cadrages, une folie, ou un génie (ça va, il n’y a rien de bien savant là-dedans…) propre au film noir, mais le signe de la dérision et du grotesque britannique. Et si ça ne convainc pas, ajoutez-y le mioche faisant rebondir à nos oreilles cette voix stridente et ridicule avec des « c’est lui ! c’est l’assassin ! »… Terrifiant en effet. Ou encore la parodie de l’enlèvement de Joseph Cotten manquant presque sa conférence… ; le finale anti-romantique ; l’ironie du second enterrement nous invitant à jouer au jeu des sept erreurs avec le souvenir du premier…

À tous ceux, donc, et ils sont rares, qui ne s’étaient pas laissés convaincre par le Troisième Homme en tant que film noir, je les invite à revoir le film en oubliant tout ça, et commencer peut-être par le revoir après Fallen Idol. Il y a un genre d’histoires policières britanniques qui n’a rien à voir avec le film noir. Et il faut au contraire relier cet esprit aux fantaisies sans prétention, légères et faussement cérébrales, d’Agathie Christie ou de Conan Doyle. (À noter enfin — et ce serait à voir si Graham Green en faisait mention ainsi dans son roman — que le personnage de Joseph Cotten, américain, écrit lui-même des romans divertissants sans prétentions, probablement sans le moindre humour, du moins volontaire, et que c’est assez savoureux de le voir interrogé durant sa conférence… sur James Joyce — auteur prétendument comique n’ayant rien de divertissant et en tout cas à l’exact opposé de l’écrivain qu’interprète Joseph Cotten.)

Film noir ? Reed et Welles doivent encore en rire. C’est savoureux comme un vaudeville. Et le troisième homme, ne cherchons pas bien loin, c’est toujours celui qui se cache dans le placard. Harry Lime ne fait pas autre chose. Mais un placard, dans l’univers britannique, donc shakespearien, ça peut tout aussi bien être un porche… qu’une tapisserie. « Ah, un rat ! un rat ! »

Tragique et drôle.


mai 1997

Le sujet, et l’histoire en général, est intéressant. Mais sans doute un peu mal construite. Cette impression amène l’ennui et est sans doute due à la réalisation de Carol Reed, trop irrégulière, sans grande conviction. Généralement, on n’arrive pas à faire la distinction entre l’action dramatique et celle d’ambiance (vieux concept prépubertaire), pourtant si nécessaire à déterminer l’unicité de la trame (rien n’est défini clairement et précisément). Par moments, on a droit à des moments intéressants, dus notamment à la prestation de Welles, campant ici un personnage antipathique mais avec une certaine sympathie : un visage ouvert et souriant, clair, avec une autorité, par exemple lors de sa première apparition avec le chat, puis avec son ami sur la roue, ou sa mort dans les égouts, tué par son ami. Autre moment fort, la toute fin, mais trop rare, trop bref, ces moments sont le signe d’une mise en scène imprécise entre classicisme et sophistication. La mise en scène est encore trop basée sur des dialogues dramatiques ; Welles par exemple arrive à donner moins d’importance aux dialogues, dans certaines situations, en utilisant un plan large et parfois en contre-plongée ou en plan-séquence, ce qui permet de ne pas faire des champs contrechamps régis par le jeu des répliques.

Le film est une sorte de squelette de bonne qualité enfanté sans charme, sans âme et avec une chaire un peu pourrie.

Le style de réalisation en plans penchés est intéressant mais un effet qui passe comme misérable face au manque de style du reste de la mise en scène, sans identité forte, comme procédé inaccompli. Un effort est pourtant apparent avec une tentative expressionniste et ces ombres, mais c’est une nouvelle fois une proposition qui n’a pas su être mené à terme, ni par le cinéaste, ni d’ailleurs par l’auteur du scénario (on ne peut pas faire des effets d’ombres dans de tels appartements). Le contexte praguois (sic) choisi n’est d’ailleurs qu’un prétexte mal exploité. Il faut savoir aller au bout des idées qu’on propose, avoir comme une idée fixe.

Pas un mauvais film, loin de là, mais ses qualités sont maladroites et inscrites dans un ensemble sans grande conviction.

(Soupir de fond de cale, je m’en vais trouver un porche sous lequel me moquer de moi-même.)


Vu le : 2 mai 1997, revu le 1er mars 2005, puis en 2015


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Casanova, Federico Fellini (1977)

Savoir être con

Il Casanova di Federico Fellini

Note : 5 sur 5.

Année : 1976

Réalisation : Federico Fellini

Avec : Donald Sutherland, Cicely Browne, Tina Aumont

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« La connerie est un art, non pas réservé à ceux seulement qui comme Casanova titillent ou mâchonnent l’isocèle, mais qui osent. »

Souvenirs d’une chèvre, Ed. Flemmarion 1954

Fellini pouvait jouer aussi avec la baguette de sourcier de ces dames (et plus probablement avec leur poitrine), ce qui faisait de lui un con, surtout, c’était sa capacité à oser, et à s’oublier. Et moi, j’aime les cons. Pas les cons qui se regardent et se prennent au sérieux, ceux-là, et Fellini l’a parfois été, sont souvent ennuyeux ; mais les cons qui savent s’oublier et chez qui les audaces révèlent un certain génie. Alors oui, quand un con ose mettre en scène un autre con avec la plus affligeante des désinvoltures, tout cela se frictionne joyeusement et je jouis. Fellini pourra toujours prétexter qu’il n’avait que faire de Casanova, eh bien il est peut-être là le secret. Il y a des sujets qui réclament du bon sens, de la mesure, du respect, et il y en a d’autres qui réclament à ce qu’on les viole, ou du moins, ne les prennent pas au sérieux et les traite à la sauvage. Fini le bon goût, l’intelligence, le respect, place aux excès, à la rêverie, au ridicule, et au foutage de gueule. Parce que finalement, c’est tout ça qu’évoque la vie de cette étrange créature qu’était Casanova. S’il est plus judicieux d’utiliser Bach pour évoquer la vie de Jésus qu’Howard Shore pour celle de Moïse, de demander à Alain Cavalier de mettre en scène la vie de Thérèse plutôt que Spielberg pour mettre en scène celle de Lincoln, il est tout naturel de faire confiance à Fellini pour mettre en scène Casanova. Cela a en tout cas plus de sens que de voir Comencini traiter du même sujet…

Le Casanova de Fellini Federico Fellini Produzioni Europee Associate

Il Casanova di Federico Fellini, Federico Fellini 1976 | Produzioni Europee Associate (PEA)

Voilà bientôt vingt ans que je n’ai pas vu le film, et il est probable qu’en le revoyant aujourd’hui il ne me fasse pas autant d’effet qu’à l’époque. C’est un peu con de refuser de le revoir, et c’est sans doute pour ça que je tiens aussi à faire confiance à ma mémoire. Certaines œuvres se portent très bien où elles sont, figées comme dans une boule à neige. Et c’est d’autant plus vrai avec des films évoquant des personnages en dehors de toutes les normes. Des monstres. Je voue un culte étrange au Terminator, aux Pornographes d’Imamura, et donc à ce Casanova d’opérette. Les monstres nous font moins peur quand on les enferme dans des boîtes ou qu’on ne les voit qu’en peinture… Casanova-Fellini, mon Rosebud à moi que j’ai.

Voici ce que j’en disais, le 9 février 1997 :

L’essentiel et l’intérêt du film résident dans le délire esthétique et onirique de Fellini. Or on ne retrouve cet aspect baroque qu’au début (statut de Vénus, décor de mer kitsch, première scène d’amour) et surtout à la fin (Oslo et ses concours, la rencontre ultime avec le pantin — symbole fou et représentation magistrale d’un Fellini en grande forme). La scène finale du souvenir dans laquelle Casanova « fantasme » de se revoir plus jeune avec le pantin est le seul moment du film où Fellini metteur en scène rivalise avec l’auteur Fellini : si une grande partie du film dans son développement reste ennuyeuse, cette image onirique, sophistiquée, qu’offre Fellini, est comme le dernier coup de reins qui propulse le spectateur au septième ciel. Dans cette scène du souvenir, ni la lumière, ni la beauté et la profondeur des décors, ni les costumes n’avaient atteint ce degré de perfection durant le film. Ce qui précède importe peu, et en se contentant de filmer avec désinvolture son sujet, en soignant son début et sa fin, Fellini réussit malgré lui son contrat. Il est là le génie. N’offrir que de faux espoirs, du mépris, de l’antipathie pour son sujet, et voir malgré soi surgir de ce qu’on produit des jaillissements qui sont des révélations. Cela n’a plus rien à voir avec l’intelligence ou le savoir-faire, mais avec une certaine capacité à transcender la banalité à travers une idée simple face à laquelle tout le reste devient futile. Fellini déclarait qu’il manquait d’ambition pour ce film et d’amour pour son personnage, pourtant elle est là la réussite du film. C’est l’irrespect de Fellini qu’a pour Casanova, sa manière de le baiser par-derrière plus qu’il ne lui fait l’amour, qui fait le charme du film. Le côté mécanique d’un film de commande, la désinvolture, le dédain qu’on peut avoir envers soi-même en se demandant dans quoi on est embarqué, se trouver à la fois ridicule et excessif tout en assumant parfaitement ces excès comme pour les démystifier, tout ça, c’est Casanova. Et c’est cette imperfection, ce mépris pour son sujet, ses audaces irrespectueuses, qui non seulement sauve le film, mais l’érige en objet de culte. On ne vénère jamais aussi bien que ce qui revient du pire, a fait son chemin de croix, et finit sa rédemption, figé dans une dernière image qui résume et transfigure tout le reste. L’image d’un pantin, un totem, une icône.

Il Casanova di Federico Fellini, Federico Fellini 1976 Produzioni Europee Associate (PEA) (1)_saveurIl Casanova di Federico Fellini, Federico Fellini 1976 Produzioni Europee Associate (PEA) (2)_saveurIl Casanova di Federico Fellini, Federico Fellini 1976 Produzioni Europee Associate (PEA) (4)_saveurIl Casanova di Federico Fellini, Federico Fellini 1976 Produzioni Europee Associate (PEA) (3)_saveur


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Alien 3, David Fincher (1992)

Notes diverses

Alien3

Note : 4.5 sur 5.

Année : 1992

Réalisation : David Fincher

Avec : Sigourney Weaver, Charles Dance, Charles S. Dutton, Lance Henriksen

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Décembre 95 :

Construction scénique exemplaire. En dehors de la poursuite finale qui peine à offrir un spectacle à la Jaws (hommes cernés par un loup). L’action avant ça, c’est de l’inaction, de l’action d’ambiance. On construit un jeu de puzzle dont on ne voit ce qu’il regroupe que lentement, augmentant le plaisir à travers les tentatives de compréhension, à travers le jeu, là, d’imagination pour regrouper ce qui est possible. Déjà une forme de réalité virtuelle, une imagination suggérée, dirigée. Introductions, allusions, superpositions, fausses pistes, retours, forment les pièces de ce puzzle complexe. Peu de contraintes sinon celles des unités : le lieu est le plus évident, le temps (deux ou trois jours dans un espace où il est censé ne rien se passer, donc où le temps s’étiole), et l’unité d’action (qui ne fait que poindre puisque c’est justement celle qu’on essaie de retrouver à travers les interrogations de Ripley et l’incrédulité des habitants de la planète). L’art de créer avec des bouts de ficelle, et des ficelles servant à tirer le meilleur de l’imagination du spectateur. On est loin du réel, cette composition n’est pas naturelle, mais c’est bien grâce à cette structure quasi théâtrale qu’elle nous fascine, parce qu’elle en reprend les schémas et les codes. Quête contre poursuite. Œdipe contre l’Iliade. Ce n’est pas le reflet de la vie. La vie n’a pas de construction méthodique, il n’y a pas d’intention ou de resserrement, encore moins de quête. La fiction théâtralisée, elle est tout ça. Artificielle, donc un produit de l’homme. De son génie. (Face à la brutalité du loup).

Août 97 :

Ce sensationnel découpage technique est une révélation, une leçon de montage.

Principe « d’action dramatique et d’action d’ambiance » :

Le film procède essentiellement à travers des ellipses masquant les raccords de mouvement. Cela permet aux plans d’avoir une identité propre, avec une idée pour chaque plan, et un plan qui ne s’attarde que le temps de la mise en place de cette idée. Tout autre élément parasite est supprimé. Effet produit : pas de digression inutile, pas d’impression de stagnation de l’action. On va droit au but. Mieux, parfois, entre deux plans, il n’est plus nécessaire de raccorder des mouvements pour suivre une continuité, le montage est capable de suggérer le mouvement dans le plan suivant quand il n’est pas encore amorcé dans le précédent. Gain de temps, effort laissé à l’imagination du spectateur. On se rapproche presque même du montage des attractions appliqué à un même espace scénique. Une fois suggérée, l’idée de mouvement n’a alors plus la même saveur, si bien qu’il faut faire l’effort de proposer au spectateur une autre vision, et l’idée de départ continue de composer toute l’idée du plan, mais repoussée au second plan. On permet ainsi dans un même plan, la juxtaposition de deux idées. L’idée dramatique, l’autre d’ambiance. Une principale, une secondaire. L’idée étant le principe premier de ce style de montage, les gros plans sont nombreux, composés dans un même champ d’action préalablement défini à travers une succession classique de plans plus larges. Le spectateur est alors en mesure, à travers cette succession de gros plans, de se représenter le hors-champ si essentiel à l’imagination et à la représentation mentale d’une scène. Même impression de richesse de plan, comme dans un roman où l’auteur s’emploierait à varier son vocabulaire, car même dans un même espace, même en s’autorisant des mouvements de caméra, le champ resserré propose rarement deux fois la même vision. L’environnement est connu grâce à l’introduction de la scène, la suite sert à faire exploser l’imagination et donner du sens au montage. Un champ-contrechamp propose souvent des réactions prévisibles donc offrant un plaisir restreint au spectateur, l’utilisation de ce hors-champ, à travers également le travail sur le son et la musique, permet de remplir son image d’éléments plus significatifs.

Alien 3, David Fincher 1992 Twentieth Century Fox, Brandywine Productions (20)_saveur

Alien 3, David Fincher 1992 | Twentieth Century Fox, Brandywine Productions

Alien 3, David Fincher 1992 Twentieth Century Fox, Brandywine Productions (21)_saveur

Deux exemples : Quand Ripley a une goutte de sang qui coule de son nez. Nous avons l’action principale (« l’action dramatique », qu’on pourrait autrement qualifier de « situation de départ ou attendue », ou encore « d’événement ») : l’enterrement, qu’on écarte très vite au second plan. La goutte de sang suggère déjà autre chose, un après, et une interrogation. En trois ou quatre plans “muets”, sans dialogues, on évoque une idée au milieu d’un autre ensemble (c’est « l’action d’ambiance », l’action secondaire, thématique, suggérée, etc.). Opposition entre le dramatique et l’ambiance, inversion des proportions. La mise en relief se fait sans perdre ce qui précède (on reste dans la même situation, mais au lieu de décrire l’enterrement, celui-ci n’apparaît plus qu’au second plan pour laisser place à un sujet différent qui n’est pas toujours parfaitement clair et défini) tout en appelant déjà ce qui viendra par la suite. La scène, qui est un classique, et qui se veut anodine, devient une scène psychologique : notre interrogation est celle de Ripley. Nous avons donc, un très gros plan de la goutte qui coule, puis un plan large de Ripley qui s’essuie (pas de raccord de mouvement : ellipse ; le raccord se fait dans notre tête, c’est un assemblage d’idées, pas une recomposition du réel), puis un troisième plan avec la réaction du médecin (il réagit à quoi au juste ? le voit-on voir la goutte couler, le voit-on voir précisément Ripley s’essuyer ? non, sa réaction, c’est encore la nôtre, et on ne peut… qu’imaginer ce à quoi il réagit ; on peut faire dire n’importe quoi aux images, c’est bien pour ça qu’avec un montage on peut tordre la réalité et constituer une « action d’ambiance » à travers un montage resserré d’actions dont on est seul interprète). Ainsi, l’action dramatique est ce qui est annoncé ou prévu dans une scène ; l’action d’ambiance est ce qui est suggéré et ce qu’on comprend d’une forme de sous-texte des images. Il faut marier les deux pour éveiller la curiosité, l’imagination et l’intelligence du spectateur. Et c’est bien en se contentant de ne traiter que des actions dramatiques qu’on tombe dans le ton sur ton. Le récit devient trop prosaïque, on se fait succéder une suite d’événements logiques attendus, et on ennuie le spectateur.

Deuxième exemple avec la scène du réveil de Ripley. Le docteur arrive (plan moyen introducteur), regarde son état (gros plan) ; on voit Ripley dormir (gros plan) ; le docteur décide de lui faire une piqûre (gros plan) ; Ripley dort toujours (autre plan, gros plan, autre description) ; le docteur présente l’aiguille au bras (insert) ; réaction de Ripley qui se réveille (gros plan, mouvement du bras suggéré mais non amorcé) ; enfin Ripley tenant le bras du docteur (très gros plan). Suivent quelques plans d’échanges entre les deux personnages (ici le montage s’évertuera encore à ne pas commenter les dialogues, mais apporter un sous-texte pouvant révéler ou suggérer autre chose.

Un tel montage a toutes les qualités d’une scène travaillée sur story-board, mais souvent cela offre des plans trop hiératiques où, en effet, chaque plan peut proposer une nouvelle idée à travers une composition riche. Pas ce souci ici. Si Fincher travaille sans doute au préalable avec un story-board ou une bonne idée du plan à faire, il arrive à recréer une ambiance authentique, pleine de détails significatifs ou, au contraire, composée autour d’une idée centrale, sans négliger la part du film qui doit se jouer hors-champ et qu’il faut laisser au spectateur le privilège d’imaginer. Méthode, quelle qu’elle soit, terriblement efficace.

2013, révision : Ce qui ne marche pas.

La tradition du huis clos est respectée ; ils ont voulu un retour manifeste à une certaine impuissance face à l’alien. Pour cela, l’accent est trop porté sur la nature intrinsèque d’un pénitencier (en plus, laissé à l’abandon). Il n’aurait pas été impossible de poursuivre un huis clos sur une planète avec quelques centaines de personnes, ce qui aurait donné de l’animation au film tout en respectant le huis clos puisqu’ils ne peuvent pas partir de la planète et sont contraints de rester à une même base. Ça donne un côté un peu cheap à l’histoire. Avec seulement une trentaine de personnes, ça aurait également très bien pu fonctionner : on aurait pu voir ce que les habitants d’Aliens avaient pu vivre, et c’est de reste ce qu’on voit dans beaucoup de films d’horreur (même utilisant le huis clos pour intensifier la peur en les enfermant). Arriver sur une planète sans arme, car c’est bien ça l’idée censée intensifier le danger, on pouvait imaginer deux solutions : des moines ou des prisonniers. C’est là le problème. Le scénario fait les deux. L’idée des moines est intéressante, ils représentent peut-être un peu trop des hommes diminués face à un monstre et on aurait peine à croire qu’il cherche à se défendre, et le discours religieux aurait fini par ennuyer. Restait donc les prisonniers. Cela marchait parfaitement sans vouloir en faire en plus des fanatiques. Religieux, mais aussi sexuels. C’est trop, il faut choisir, et la meilleure solution aurait sans doute été d’en faire des prisonniers tout ce qu’il y a de plus commun. Un peu plus d’une trentaine pour pallier le poids de la bête sinon difficile à y croire.

L’idée d’en faire des fanatiques sexuels avait sans doute comme but de mettre en danger Ripley. Cela peut sembler séduisant, mais là encore, c’est à mon avis une erreur : Ripley est la chose de l’Alien, tout autre viol serait hors sujet. Par ailleurs, il faut tout de même qu’on puisse croire que les prisonniers aient les moyens de se défendre. On a appris à connaître l’Alien depuis deux épisodes, on sait de quoi il est capable, donc on n’est pas obligés de diminuer encore le poids des hommes pour créer une situation de danger. Au contraire, c’est moins crédible. On sait déjà qu’il n’y a pas d’armes disponibles, les prisonniers doivent donc s’organiser de manière qu’on puisse croire à leur réussite (espérance qu’il sera bon de tacler à la première occasion pour créer une nouvelle situation).

Que tout bascule d’une scène à l’autre quand, à la fois, Clements et le directeur de prison meurent, ça fait un peu répétition. Les deux personnages auraient pu être réunis, autour d’un directeur-médecin (le fait qu’il soit prisonnier n’apporte pas grand-chose à l’histoire, et au contraire, cela pourrait laisser penser que l’Alien se débarrasse d’un concurrent de poids). Clements aurait pu être un personnage plus fort et plus convaincant en étant joué par une star et en disparaissant brutalement à la manière de Janet Leigh dans Psychose : on croit qu’une fois de plus Ripley va faire équipe comme dans Aliens, et finalement, cette aide bienvenue disparaît aussitôt, laissant le second acte commencer sans autre aide que celle de ploucs pédophiles.

Ce qui rebute un peu dans cet opus, c’est bien le côté déchetterie des lieux. Personne n’a envie de traîner là-dedans. L’idée des sous-sols est bonne, même de la fonderie, mais pas la peine d’en faire un pénitencier perdu reconverti en tout à l’égout. On ne peut pas manquer au devoir de high-tech dans un film de SF. Ici avec Alien, ce serait rajouter de l’horreur à l’horreur, or pour moi Alien est plus de la SF que de l’horreur. La SF est le contexte, et l’horreur est la plupart du temps suggérée ; si on perd le contexte high-tech, lisse, propre et lumineux et qu’on décide de tout montrer, on frôle le mauvais goût. Par ailleurs, il aurait fallu montrer un peu plus la frontière avec l’extérieur du pénitencier pour montrer l’horizon et l’impossibilité de le franchir. Du coup ce n’est plus un égout mais une fosse septique.


Du sang sur la neige, de Raoul Walsh (1943)

Un bon Allemand

Du sang sur la neige

Northern Pursuit

Note : 3 sur 5.

Titre original : Northern Pursuit

Année : 1943

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Errol Flynn, Julie Bishop, Helmut Dantine

Encore un film avec Errol Flynn pour Raoul et encore un film de guerre. Flynn est remarquable (surtout au début du film quand il y a moins de dialogues et d’action). Le sujet est plutôt original et c’est tout l’intérêt du film. Comme d’habitude chez Raoul Walsh, tout est prétexte à une bonne aventure.

Des soldats allemands sortent de la banquise canadienne à bord d’un sous-marin nazi pour s’infiltrer en Amérique du Nord. Tous les soldats meurent sauf un officier qui est recueilli alors qu’il est inconscient dans la neige, par deux gardes forestiers canadiens. Ils s’aperçoivent tout de suite que c’est un nazi : l’un d’eux part prévenir l’armée, tandis que l’autre, Flynn, reste avec lui. Seulement il a des origines allemandes et l’officier nazi tente de lui retourner le cerveau… L’armée vient, mais c’était à craindre, on suspecte Flynn de fricoter avec l’ennemi. Il est envoyé en prison alors qu’il allait se marier (c’est un peu le Comte de Monte-Cristo). Là, il reçoit la visite d’un étrange personnage qui le fait libérer. On le mène alors chez l’homme qui a payé sa caution. Un nazi bien sûr. Il se joint à lui et va retrouver l’officier allemand qui avait été entre-temps emprisonné, mais aussi évadé en compagnie de quelques soldats. Tout ce monde se retrouve dans le Nord canadien tandis que la fiancée de Flynn vient s’inquiéter de la disparition de son galant auprès des autorités militaire… On apprend qu’il est en fait en mission pour infiltrer le groupe nazi et connaître leurs intentions… Etc.

On n’est pas loin de James Bond ou de Hitchcock. Espionnage, grands espaces… Ça ne vole pas bien haut, mais c’est savoureux.


Du sang sur la neige, de Raoul Walsh 1943 Northern Pursuit | Warner Bros., Thomson Productions


Liens externes :


La Guerre du feu, Jean-Jacques Annaud (1981)

Un Annaud pour les amener tous, et dans la lumière les guider

La Guerre du feuLa Guerre du feu, Jean-Jacques Annaud (1981) Année : 1981

Liens :
IMDb   iCM

 Une histoire du cinéma français

Réalisateur :

Jean-Jacques Annaud

7/10

Le film commence par une idée et une quête simple : la tribu perd le feu, il va falloir le rechercher. À partir de là, l’histoire va être une suite d’échecs où ils ressortiront victorieux, mais l’intérêt vient de l’évolution de la quête en cours de route. Il y a ce point de départ, facilement compréhensible, excitant, et il y aura une quête, ou une découverte, parallèle. Parce que le feu, nos hommes préhistoriques se le réapproprient assez vite, et alors la lumière peut être faite sur les relations, les conflits, les découvertes faites par des hommes qui nous sont aujourd’hui bien étrangers. La question n’est plus alors de ramener le feu à la tribu, mais comment passer à travers les divers événements, obstacles, intérieurs ou extérieurs, qui se présenteront à eux. Ainsi nos hommes rencontreront des tribus de mangeurs d’hommes, des mammouths, mais aussi et surtout une tribu, ou une espèce d’hommes plus évolués. Déjà le choc des cultures, déjà l’attrait pour l’étranger. Une confrontation offrant à nos hommes, le feu cette fois de la connaissance, de l’intelligence et de la culture, car la question n’est alors plus de partir à la recherche d’un quelconque feu comme on tire parti de son environnement, ou comme on part cueillir les cerises, mais de transmettre un savoir aux siens. Entretenir le foyer. Avoir l’idée de ne plus tirer profit de son environnement, mais de faire fructifier les graines du savoir pour tirer le meilleur de la terre (ne serait-ce que pour des queues de cerise). Et quand on n’en est pas capables, tout n’est pas perdu pour autant. On voit bien ici, l’origine (et l’utilité) de la guerre, des conflits entre tribus : quand l’herbe semble plus verte chez le voisin, on n’oublie pas qu’on peut encore tirer avantage de notre héritage de « chasseur-cueilleur ». L’avantage évolutif qu’a su se pourvoir les hommes, c’est bien celui d’être opportuniste. Il faut pouvoir manger à tous les râteliers. Quitte à prendre la tête (et la queue) de son voisin, pour une cerise (ce n’est pas sale, l’autre jour je regardais deux limaces en manger une autre, c’est beau la nature !…).

Un retour aux sources, tout aussi historiques que cinématographiques. Rien ne passe bien sûr par les dialogues. La communication se fait par signes, difficilement, surtout entre tribus étrangères. Ces hommes se font alors anthropologues. Comprendre déjà, partager. Et nous, on se met à rêver au devenir de ces tribus, à toutes ces histoires sans histoire. À tous ces hommes, ces tribus, ces conflits, ces découvertes oubliées, tout cela dont nous ne cessons aujourd’hui de vouloir pénétrer les mystères. C’est peut-être la part de notre histoire la plus fabuleuse, la plus décisive, et il est curieux de voir qu’elle n’est pas plus souvent traitée au cinéma. Où est le cinéma préhistorique, les films anthropologiques ? Les raconteurs d’histoires ont su très bien s’approprier une frange de la science, mais ce domaine, lié au passé, à nos origines n’a curieusement jamais été pris en compte par les auteurs. Pourtant, il n’est pas moins passionnant de se questionner sur « d’où l’on vient » que sur « là où on pourrait aller ». Les deux sont marqués par la même incertitude. Incertitude, propice aux fantasmes et aux interrogations les plus fascinantes.

29 août 1996


La Belle et la Bête, Jean Cocteau (1946)

Vérités et Mensonges

La Belle et la Bête

Note : 5 sur 5.

Année : 1946

Réalisation : Jean Cocteau

Avec : Jean Marais, Josette Day

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Tout est comme gonflé de mystère. Un rêve. Un soupir.

Toute l’idée est de proposer des scènes courtes pour permettre à la lenteur de prendre corps. La trame est réduite à rien. Chaque scène représente une avancée, un thème, une idée, et cette mise en scène, comme étirée, agonisante, peut alors prendre forme et offrir au spectateur une action dénuée d’artifices. C’est la contemplation du vide, de la lenteur et du temps présent. Certains films sont tirés par des curseurs qui broient et labourent la terre du présent — on ne voit rien passer sinon des images floues évoquant brièvement l’inaccessible horizon qui vient. Au contraire ici, le film prend de la hauteur, et en prenant de la hauteur, élargit ses perspectives. Son présent est une ombre qui s’étend comme une encre sur les labours du temps.

En se concentrant sur le rien, ou le peu, en s’interdisant la grossièreté et l’originalité de la psychologie, là encore, le film permet de voir ses personnages en grand. La grandeur de la simplicité. Des icônes. Là où certains récits lassent par un trop-plein d’images, de sons, de sensations, ici, la lenteur nous invite à nous reposer sur ces deux seuls éléments. Deux cartes de jeu. La Belle et la Bête. Le reste, nous dit cette lenteur envoûtante, c’est à nous de l’imaginer entre les lignes. Là où d’autres nous perdent en nous bringuebalant les sens jusqu’à l’ivresse et bientôt la nausée, La Belle et la Bête nous envoûte, nous capte, nous prie de les rejoindre eux, ces icônes animées au souffle saccadé. Leurs mouvements sont comme anéantis, appesantis, et c’est parce qu’ils sont rares et précieux qu’on ne les voit pas stagner. Qui ment le plus entre celui qui se sert outrageusement de la pertinence rétinienne pour imiter la réalité, et celui qui au contraire la sabote pour mieux la laisser voir ? Les saccades du temps-roi. La saccade des cartes. Celles de nos albums de famille. Le présent omniprésent. Comme cette encre sur le temps…

Un rêve ? un soupir ?

Oui, le paradoxe, c’est qu’ici tout est mouvement. Dans des couloirs aux promenades, tout remue. Mais ce tout est presque rien, comme ces chandeliers au milieu du vide. On ne voit alors plus que ça. Le voilà le sens de la mise en scène. Les mots ne sont rien. La vérité, un mensonge… Cocteau aime la vérité, c’est vrai, mais il sait aussi que la vérité ne l’aime pas. Alors, il se concentre sur ce qui nous reste de vérité qui peut encore nous être subtilisé : le geste, le souffle, le regard. Pour comprendre le cœur, la pensée, il sait que le mouvement et l’image sont parfois plus honnêtes que les mots. Et pour s’assurer que les mots ne trompent pas, eux aussi, il les décompose, les enferme dans une bogue traînante, comme un écho qui vibre encore longtemps aux oreilles. Les mots ne sont alors que musique, et les gestes, un mystère qui bouillonne et remue pour jaillir enfin dans la lumière. Le fantastique devient le réel, le vrai, le vraisemblable, de la même manière que le rêve s’insinue en nous avec l’apparence de la réalité.

Et alors, l’univers de la maison, censé être réaliste, par contraste, éclate à nos yeux comme un mensonge évident. La magie opère quand vous ne savez plus distinguer le rêve de la réalité. La Belle, de la Bête.


La Belle et la Bête, Jean Cocteau (1946) | Les Films André Paulvé

Rencontres du troisième type, Steven Spielberg (1977)

La montagne magique

Rencontres du troisième type

Close Encounters of the Third Kind

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Close Encounters of the Third Kind

Année : 1977

Réalisation : Steven Spielberg

Avec : Richard Dreyfuss, Teri Garr, François Truffaut

— TOP FILMS

C’est un peu mon film fétiche. Je l’ai vu tout petit à la même époque que E.T, avant même Star Wars (normal, il y a un âge où on regarde ce que les parents regardent). Le film a eu beaucoup de succès à l’époque, mais pas autant que le film précédent de Spielberg (Jaws) et que les suivants (Indiana Jones et E.T). Si bien qu’aujourd’hui on ne le connaît peut-être pas autant que les autres films de Spielberg…, d’autant plus que son titre n’est pas terrible et qu’on pourrait le voir aujourd’hui comme une vulgaire introduction à E.T et que pour couronner le tout, le film est sorti six mois après Star Wars, de quoi profiter d’un premier effet de mode de la SF, mais de très vite retomber dans l’ombre du film de Lucas.

Reste que pour moi, c’est un chef-d’œuvre. Chez aucun autre cinéaste, on voit la vie de banlieue traitée comme Spielberg le fait ici. Il l’avait déjà fait dans Jaws, il continuera dans ET… Les scènes dans les familles sont absolument géniales, pas loin des meilleures scènes de Cassavetes (oui, monsieur). La différence, c’est que tel Shakespeare, Spielberg mélange les genres (oui, monsieur). Son film n’est pas une analyse sociale ou psychologique : il vise à montrer. Et il ne montre pas la vie ordinaire des gens, mais la vie ordinaire des gens embarqués dans des événements exceptionnels. Certains disent que c’est commercial…, que faisait d’autre Shakespeare ? Il informait son public tout en le divertissant. Tous ses personnages sont exceptionnels, tous les événements ou presque de son théâtre sont des moments importants de l’histoire, ou des histoires exceptionnelles. Spielberg et Shakespeare : même combat. S’il leur arrive de proposer une analyse, ou plutôt une vision d’un monde, d’une société, ils ne s’y attardent pas ; ça reste anecdotique dans leur sujet, parce que ce qu’il cherche avant tout c’est plaire, divertir. Aristote, il y a plus de 2000 ans, ne disait pas le contraire… Il n’y a que des snobs irrités aujourd’hui par le succès, coincés du cul (un peu constipé, je vais y revenir) qui méprisent ce cinéaste (tout en vénérant sans doute Shakespeare parce que c’est ancien, sans y reconnaître la volonté de l’auteur de plaire…).

Rencontres du troisième type, Steven Spielberg (1977) | Julia Phillips and Michael Phillips Productions, EMI Films

Qu’y a-t-il de mal à raconter des histoires qui plaisent ? Est-ce que Jésus est un prophète commercial ? Est-ce que Gutenberg méritait le bûcher parce qu’il a rendu possible l’accès à tous de la culture… à des plaisirs nouveaux. Il n’y a pas que la connaissance et le savoir dans les livres. Si on les lit, c’est aussi parce qu’on y trouve du plaisir. Si on aime les récits du vieux conteur à la lumière douce de l’âtre, c’est aussi pour en apprécier les effets magiques. Les conteurs d’antan cherchaient à émouvoir, bien sûr, ce n’était pas l’objet premier de ces histoires, car elles visaient avant tout à évoquer des événements passés. Mais si les conteurs avaient utilisé des méthodes prosaïques pour raconter leurs histoires, c’est que pour les diffuser, il faut bien un peu de magie, de rêve, d’exceptionnel. Il ne faut pas oublier l’origine de chaque histoire : c’est le conte oral et non la thèse. Les « pseudo-intellos » sont les fossoyeurs de la poésie, ils ne veulent pas voir le sens du beau et du mystérieux dans ces formes brutes de récit. Eux qui ne s’attachent qu’au fond, ne voient que la forme des films de Spielberg, que les effets de mise en scène, le désir de plaire…, et n’y voient pas tout le génie que cela comprend. C’est bien plus simple de faire un film froid, sans saveur, neutre, analytique. On paraît toujours plus intelligent quand on ne se mouille pas (et c’est bien ce dont il est question pour certains : paraître intelligent), alors que jouer avec le feu de la pyrotechnie, c’est prendre le risque de se brûler et d’en faire trop. Tout l’art réside dans la mesure. L’une des vieilles règles aristotéliciennes, c’est la vraisemblance… Si le récit qu’on expose est déjà un réel sans saveur, sans artifices, où est la difficulté de traiter de la vraisemblance puisqu’on s’efforce de montrer la vie telle qu’elle est vraiment ?

Bref, je parlais de ces scènes entre le personnage de Richard Dreyfuss et sa femme au milieu de leurs enfants. Des scènes que certains applaudiraient dans Une femme sous influence…, seulement, c’est du Spielberg, beurk, c’est mal vu, on ne doit pas aimer ce genre de dessert trop gras et trop sucré…

Pour être franc, je ne revois pas ce film tous les ans non plus. Mais j’avais lu quelque part que dans la version originale Truffaut jouait en français. Ce qui m’avait plutôt étonné parce qu’il a tout de même un rôle conséquent. J’étais donc curieux de voir la vraie version, celle où Truffaut parlait français et était traduit, en direct, si on peut dire. Et ce qui marque dans le film en fait, c’est que, en effet, le cinéaste français ne parle pour ainsi dire jamais en anglais, mais qu’il n’est pas non plus toujours traduit ! Ce qui doit donner aux spectateurs non francophones une impression bizarre, parce qu’ils entendent du français, ne le comprennent pas, et cependant, grâce au contexte et au jeu d’acteur très doinelien de Truffaut, doivent sans doute comprendre les trois quarts de ce qu’il dit. Et il n’est pas pour autant sous-titré. En fait, tout se joue dans la suggestion. Truffaut, c’est un peu comme le requin dans Les Dents de la mer : on ne le voit jamais et pourtant on est persuadé de l’avoir vu pendant tout le film. Truffaut, les Ricains ne le comprennent pas, mais au final, ils ont tout compris de ce qu’il raconte. Spielberg, s’il arrive à capter l’attention du spectateur, c’est bien qu’il arrive à faire travailler son imagination, contrairement à ce que pourraient penser certains, devant un film de Spielberg, on n’est pas inactif, stupide. Brecht visait à « faire penser », Spielberg vise, lui, à « faire rêver ». Il faut les deux…

On devrait d’ailleurs être fiers de l’image de la France dans ce film. S’il est parfois fait allusion dans des scènes du début aux Nations Unies ou à une organisation internationale de déchiffrement des codes envoyés par les extraterrestres, il n’y a que deux nations mises en avant dans le film. Bien sûr la France est souvent montrée en second plan, mais tout de même… Dans la longue séquence finale de la rencontre, les deux drapeaux qui flottent dans la base, sont les drapeaux ricain et français. Quand Richard Dreyfuss, demande avec véhémence qui est en charge dans la base, qui est le responsable, on lui dit que « Monsieur Lacombe est celui qui commande tout ici » À quoi il répondra : « Mais il n’est même pas Américain ! » En effet, ça peut paraître curieux. On est souvent agacé de voir que dans les mégas productions hollywoodiennes, les extraterrestres rentrent toujours en contact avec les Américains, s’il y a des colonies dans l’espace, il n’y a que des Américains… C’est un peu comme si sur Terre, il n’y avait que des Américains. Eh bien, là pourtant, dans peut-être le premier film du genre (il y a un peu du Jour où la terre s’arrêta, c’est vrai, mais ça fait loin), c’est un savant français qui mène la barque. Bien sûr, il y a les méchants militaires us avec leurs lunettes noires qui veulent prendre le contrôle, mais le véritable pouvoir, c’est Truffaut. — Pas très crédible, mais sympathique à voir. Spielberg fait d’une pierre deux coups : il rend hommage à la fois à Truffaut lui-même, mais aussi à Jacques Vallée, un des ufologues les plus connus à l’époque.

Le film est surtout connu pour cette longue séquence finale de la rencontre. Tout est transporté par la musique de Williams, les effets spéciaux de Douglas Trumball et par la mise en scène, attentive, précise, discrète de Spielberg. Mais ce qui m’a marqué encore plus, tout petit, ce sont ces séquences curieuses où certains personnages tentent de reproduire leur vision de cette montagne perdue au milieu de nulle part. Dans mon esprit d’enfant, c’était toujours resté quelque chose de mystérieux, je ne faisais pas le lien avec la suite. Pour moi, ce n’était pas une vision. Leur attitude mystérieuse demeurait inexpliquée. C’était des séquences où, tout à coup, sans aucune raison, des personnages se mettaient à jouer avec la nourriture, avec la terre, la mousse… Ce comportement devait éveiller des sentiments étranges en moi, parce qu’un personnage qui n’a comme intérêt que de dessiner, construire un énorme phallus de purée, il doit y avoir quelque chose d’une obscénité enfouie là-dedans… Mais surtout, c’est la scène où Dreyfuss fait une immense montagne de boue (pour ne pas dire de merde) dans son salon. Pour un enfant, il est autant interdit de jouer avec la nourriture que de jouer avec son caca (ou peut-être que c’est devenu un lien logique pour moi après ce film). Quoi qu’il en soit, pour moi, c’était bien ça, à cette époque, Richard Dreyfuss ne faisait rien d’autre que de jouer avec son caca… Sa quête, son obsession à lui c’était d’élever un immense phallus de merde dans son salon ! De quoi traumatiser un enfant…

« ET…télétron… maison. »

Et là, j’ose une analyse encore plus poussée (hi… hi… hi… — pas le son du vieillard qui rit, mais bien celui du petit Lim constipé sur son pot qui ne veut pas voir l’étron magique sortir de son popotin) que j’appellerai en toute simplicité : « psycacanalyse de mon troisième type à moi ». J’ai donc dit que j’avais vu ET à la même période… Et certains exégètes très sensés ont relevé que si les enfants aimaient particulièrement ET, c’est que celui-ci ressemblait à un véritable étron… Je passe sur les détails et le pourquoi pour un gamin un étron sur patte (de surcroît venant de l’espace) peut paraître si passionnant… Parce que pour moi, ce qui m’a le plus marqué dans ce film, ce n’est pas le départ larmoyant de la petite créature couverte de “boue” ou la connexion qui pouvait exister entre un étron de l’espace et un gamin de dix ans (et une fleur qui reprend vie grâce à l’engrais ET), non pour moi, c’est le mythique « ET téléphone maison, ET rentre à la maison »… Tellement mythique que j’amusais toute la classe en imitant la voix de la créature disant cette phrase. Je vous laisse le soin de faire le lien très spirituel entre mes constipations de jeunesse et le « ET go home ».

En fait, l’objectif de la dramaturgie, c’est de divertir et d’instruire. Depuis les Grecs, et sans doute bien avant, c’est ainsi. C’est seulement à mon avis, avec la naissance du théâtre épique de Brecht (qui n’a d’épique que le nom), et la théorisation d’un art de la distanciation pour faire réfléchir, que la dramaturgie s’est un peu détournée du public de masse (un paradoxe puisque c’était le but premier). Au Moyen Âge, on jouait des pièces, des farces, des bouffonneries, des pièces religieuses, sur le parvis de l’église. On mélangeait un peu tous les genres et c’était la télévision de l’époque. Le peuple, pour l’instruire (essentiellement de la chose religieuse), il n’y avait qu’un moyen : le théâtre. La chanson de geste, c’est le même principe : on chante les louanges des exploits des héros passés, ça avait une valeur informative, et personne n’aurait à l’époque l’idée de faire un truc austère, puisque l’idée est de toucher le plus de monde, d’instruire le plus de monde. Chez les Grecs, c’était la même chose, Aristote en parle même dans sa poétique : le but de l’art, c’est de plaire et d’instruire. Même chose en Afrique avec les contes oraux, en Asie avec les différents théâtres “chantés”…

Là, où c’est devenu un peu pervers, c’est que de fil en aiguille, puisqu’un genre en crée souvent un autre, une théorie en amène une autre, l’idée de départ de Brecht qui est de rendre moins bête le peuple qui devait sans doute à cette époque regarder la Star Ac’ de l’époque, est devenue ailleurs du pseudo-intellectualisme. De l’idée de départ d’instruire le peuple, on en est venu à faire une dramaturgie d’élite pour des élites. C’est quelque chose qui a plané dans l’air un certain temps sans s’imposer, parce qu’au milieu du XXᵉ siècle, on avait encore dans l’idée de plaire au plus grand nombre (cf. Jean Vilar, les films de l’époque qui sont à la fois exigeants et tout public). Mais tout s’est précipité, en France, autour des années 60. Ça a commencé par le Nouveau Roman. Robbe-Grillet, c’est intéressant, mais c’est de la littérature expérimentale. Le problème, c’est qu’on ne fait pas d’une expérimentation quelque chose de populaire, et avec l’augmentation d’une tranche de la population qui a accès au savoir, aux choses “intellectuelles”, bah ce genre de truc qui aurait dû rester underground a trouvé un public suffisant pour plaire et pour survivre. Mais surtout l’apparente simplicité du style, cet intérêt de s’attacher aux petites choses simples de la vie, aux non-dits communs de tout le monde, a donné la fausse impression que l’art, que la dramaturgie, c’était simple à faire, et que surtout, ça pouvait se suffire à lui-même dans une sorte de regard sur lui-même totalement effrayant. Cette époque, avec le Nouveau Roman, la starification de la philosophie ou plutôt du couple Sartre-Beauvoir, c’est le chant du cygne de la culture française, et la naissance du grand n’importe quoi. Le grand paradoxe, à cette époque, c’est que tout le monde s’émerveille de cette culture, elle est donc encore “populaire”, mais un art tourné vers l’intellect, vers la réflexion, la masturbation, vers les choses communes de la vie au quotidien, ça ne peut pas avoir comme vocation de plaire à long terme.

Un autre exemple très significatif de ce tournant, c’est la nouvelle vague française au cinéma (d’ailleurs cette multiplication de l’épithète “nouveau” devait être un signe qu’il y avait un truc qui se cassait la gueule). Les premiers films, en dehors de leur qualité (Le Beau Serge par exemple, c’est très moyen) sont véritablement novateurs. Mais c’est en rien une révolution… Les Italiens avaient remis les caméras dans la rue quinze ans plus tôt. Mais les films suivants sont sans cesse (en dehors des exceptions confirmant la règle) toujours plus élitistes. Et toute cette mentalité se propage, à cause de la puissance et du rayonnement d’alors de la culture française, partout dans le monde (en dehors peut-être de l’Asie). Alors malgré tout, il y a des génies qui naissent de ce grand n’importe quoi. Bresson, Bergman, Tarkovski… (quoiqu’il y avait aussi une culture de l’austérité chez les Scandinaves et chez les Russes bien avant que ça explose chez nous… Brecht avait d’un côté influencé les austères protestants et de l’autre les Slaves au sang chaud mais bridés par un pouvoir austère). Mais dans l’ensemble, puisque l’idée de cet art coupé de son public, n’a aucun sens, ça roule un peu comme des villages de consanguins. Les individus au fil des générations deviennent de plus en plus débiles, de moins en moins exigeants avec leur art tout en prétendant atteindre le summum de la création car faisant partie d’un cercle restreint « d’initiés ». C’est un non-sens total. Et ce qui a couronné le tout, c’est la révolution en 68. La liberté de faire n’importe quoi s’est propagée, on a vomi l’ancienne « qualité française », cette liberté devient la possibilité de mettre sur un piédestal le n’importe quoi, tout le monde se prétend artiste avant-gardiste, veut inventer quelque chose de nouveau (alors que les véritables savants eux savent qu’on n’a rien inventé depuis les Grecs, mais à ces savants, on a fini par leur couper la barbe et par leur faire manger pour les faire taire). Tout le monde produit, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil… Bref, on ne se rend pas compte qu’on est déjà dans le trou. Et le fossé entre un art d’élite et un art du peuple se creuse. Les uns méprisant les facilités et le goût de plaire, l’absence d’intérêt intellectuel, d’instruction, de l’art populaire et les autres méprisant l’austérité des nouveaux pseudo-intellectuels-masturbateurs… Les deux règles premières d’Aristote se scindaient en deux. C’est le schisme culturel. D’un côté, les partisans de l’art du “plaire”, de l’autre, les partisans de l’art du “instruire”. Tout ce petit monde ne se rejoignant jamais sans comprendre qu’ils ont tous les deux torts.

Fort heureusement, le monde a fini par se détourner de notre vision absurde de l’art, et on a cessé d’influencer le monde de nos idées idiotes. On retrouve ailleurs ce même schisme entre deux cultures distinctes, d’une part la culture Pop, qui ose à peine se définir comme une culture (en France, ce terme est tout de même devenu un gros mot = si on va dans la rue et qu’on demande à un type avec une casquette et un maillot de basket ce qu’il pense de la culture, il répondra : ah non c’est chiant la culture…) et de l’autre celle qui se prétend comme la seule culture légitime, celle qui fait de l’HArrrt.

Donc, nous, on continue, certaines cultures étrangères sont tombées dans le piège, mais la culture dominante du monde a fini par s’en moquer totalement. La culture américaine si on peut par exemple aujourd’hui bien voir une démarcation entre différents types d’œuvres…, on parle de cinéma indépendant par exemple en opposition au cinéma d’Hollywood, on a tout le mouvement underground new-yorkais (qui est apparu sans doute même avant tout le n’importe quoi français, mais eux, c’était surtout dû pour une trop grande concentration de talents du monde entier) qui touche à tous les arts… Mais globalement, il y a une même idée de plaire et d’instruire en même temps, en tout cas de plaire par l’exigence du contenu. Bien sûr, la culture us nous abreuve de bêtises chaque jour, mais il n’y a pas de secret : si tout naît là-bas, c’est aussi qu’il y a des putains de talents qui ne se demandent pas de quel bord ils sont, qui font les choses comme on les a toujours faites avant ce putain de XXᵉ siècle.

Alors oui comparer Spielberg à Shakespeare, ça peut faire vomir certains parce que ce n’est pas dans l’ordre des choses. Et au fond, ils sont très différents, si on oublie le point commun sur lequel je pointais le doigt en faisant cette comparaison : ce sont deux putains de conteurs qui atteignent l’universalité, qui sont au-dessus de toute querelle de clocher.

Alors, si l’un est méprisé parce qu’il est compris dans ce grand préjugé, que le théâtre, c’est vieux et poussiéreux, chiant (un bon tiers des pièces de Shakespeare sont des comédies et toutes ses pièces contiennent des scènes de comédie…, on oublie aussi que Molière n’écrivait rien d’autre que des comédies, que Cervantes n’en était pas loin… — alors, c’est passé de mode, mais découvrir un vieux truc, c’est un peu comme aller à l’autre bout de la planète pour découvrir une autre culture), et si l’autre l’est tout autant, parce qu’il a du succès, parce que ses histoires sont simples et compréhensibles de tous, que dans tous ces films ou presque il y a un rapport à la vision de l’enfant, à sa naïveté ; si l’exotisme et l’aventure sont perçus comme des puérilités de seulement dignes des fêtes foraines ; si on ferme les yeux sur son génie de conteur…, alors oui, c’est bien, bien dommage. Tous ces gens-là se privent bêtement de cette saveur universelle connue depuis des millénaires par les conteurs et les spectateurs : le mélange parfait du plaisir et de l’instruction.

Que font les jeunes animaux pour apprendre à survivre dans la nature ? Ils jouent. Nos propres enfants font la même chose, les spectateurs font la même chose. Si je m’ennuie, je n’apprends rien ; si je m’amuse, si mon plaisir est mis en éveil, j’apprends, je m’enrichis. C’est à la base de notre nature.

Ouh là, désolé pour la montagne de merde… !



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Elle et Lui, Leo McCarey (1957)

Elle et Lui

An Affair to Rememberelle et lui Année : 1957

Réalisation :

Leo McCarey

Avec :

Cary Grant
Deborah Kerr

9/10 IMDb

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Journal d’un cinéphile prépubère : 9 décembre 1996

L’histoire est parfaite, les idées merveilleuses, seulement cela me semble pâlement mis en œuvre. On le voit par exemple dans la scène finale dans laquelle l’accent ne me paraît pas suffisamment mis sur la sensibilité, l’attente, l’incertitude. Quand Cary Grant rentre dans cette chambre où sont exposés des tableaux, on lit bien une forme de dénouement sur son visage mais McCarey ne l’exploite pas assez. Le spectateur n’est ému qu’une fraction de seconde. Même chose quand il retourne vers Deborah Kerr, on ne fait qu’effleurer les choses et finalement on se détache de leurs préoccupations, de leurs envies. Ce que Minnelli était parvenu à faire selon moi, avec la même Deborah Kerr, dans Thé et sympathie. Les situations fortes du film, surtout à la fin, ces moments de flottement, d’incertitudes qui doivent faire planter le doute dans l’esprit du spectateur, mais un doute salutaire, l’amenant à s’interroger sur les différentes voies qui vont bientôt s’offrir à eux, tout cela était parfaitement exploité. Au-delà du texte, de la situation, il y a une sensibilité, des états d’âme qui doivent apporter de la profondeur aux personnages ; quelque chose dans les silences. Allez à l’essentiel oui, mais l’essentiel se trouve justement derrière les mots et la compréhension d’une situation. Si on ne prend pas son temps dans les moments forts d’une pièce, si on ne décide pas que cet à cet instant-là précisément qu’il faut mettre du relief par rapport au reste, on ne le fait jamais.


Blade Runner, Ridley Scott (1982)

Blade Runner

Note : 5 sur 5.

Titre original : Blade Runner

Année : 1982

Réalisation : Ridley Scott

Avec : Harrison Ford, Rutger Hauer, Sean Young, Edward James Olmos, Daryl Hannah, Joanna Cassidy

— TOP FILMS —

Suite de notes anciennes souvent incompréhensibles.

Journal d’un cinéphile prépubère : le 14 août 1997

Un travail extraordinaire sur la mise en scène. Une mise en scène envahissante focalisée sur des ambiances travaillées. L’action dramatique (celle qui touche aux événements de l’intrigue à proprement parler) se met en retrait et devient presque anecdotique face aux actions d’ambiance multiples. Une place tellement envahissante qu’elles tendent à prendre un rôle dramatique dans l’esprit du spectateur. L’intrigue, ainsi, peut se perdre à la première vision et paraître hermétique : on ne comprend les différentes évolutions et éléments qu’à la seconde ou troisième vision du film, une fois le choc esthétique passé.

En plus, les véritables actions d’ambiance (celles qui sont précisées par le scénario et l’action générale, et non par une mise en scène pour créer une atmosphère) sont légitimement refoulées à un rôle moins important, de remplissage. Elles paraissent invisibles et contribuent à l’élaboration d’une ambiance vraisemblable, car la réalisation ne s’y attarde pas : c’est compris dans la mise en scène mais la caméra reste fixée sur l’essentiel. Par exemple, quand Deckard trouve son premier répliquant avec la femme au serpent, on ne se rend même pas compte qu’en s’enfuyant, une autre femme du cabaret vient lui demander ce qui se passe : cette action d’ambiance est pratiquement éludée par la rigueur de la mise en scène, et contribue ainsi à créer du « vent », une sorte de bruit ambiant fait d’actions secondaires en marge de l’action principale.

Blade Runner, Ridley Scott (1982) | The Ladd Company, Shaw Brothers, Warner Bros.

Ensuite, quand Deckard la poursuit, la mise en scène instaure plus de plans d’ambiance qui nous inspireront une parade mystique dans les rues de Los Angeles, et n’insiste pas en faisant des plans plus dramatiques (tournés vers l’action du moment) : on sait qu’il doit la rechercher, c’est un tout, c’est l’essence de la séquence, mais les plans montrent autre chose, et on oublie qu’il la cherche pour la tuer, car c’est presque anecdotique (on se doute qu’il la supprimera) : une fois que la séquence introduit cette idée et qu’on est convaincu de son identité, ce thème de la poursuite, il en est fatalement question durant la séquence, alors autant montrer autre chose qui va plus loin, avec un sens à chaque plan. L’environnement existe et prend une part dramatique lorsque les plans de la réalisation aident à construire l’état psychique des personnages. En somme, la mise en scène de Scott consiste à montrer ou à chercher ce qui se cache derrière ce récit, et derrière chaque action, l’action d’ambiance devenant le reflet révélateur de l’action dramatique.

La réalisation dans Blade Runner a beau être sophistiquée, recherchée, elle n’est jamais explicative ou répétitive : elle n’est nullement prétentieuse. Scott montre les choses simplement dans un parfait équilibre de lenteur et de montage renouvelant l’action. La mise en scène est donc transparente et efficace. De plus, ces actions, si elles sont traitées dans une forme parfaite (unité, concision), le fond n’est pas mal non plus : il s’agit d’actions-conséquences, et non d’action-causes ; elles se suffisent à elle-même, ne suggérant qu’imagination, et non une suite, et donc une réflexion, et participent ainsi à la création d’une vision, et d’une ambiance mystérieuse.

Le traitement et l’importance de l’espace et des décors sont assez particuliers. Ridley Scott a voulu leur donner une grande importance, à en croire le travail de création qu’il en découle, et à son identité spécifique (anticipation, bien sûr, mais on retrouve des éléments traditionnels, surtout dans la mégapole asiatique qu’est devenue LA, et chez Tyrell où l’environnement est au début pharaonique, et à la fin dans sa chambre, baroque, avec des bougies ; on se croirait dans La Belle et la Bête ou dans le Dracula de Francis Ford Coppola ; ou encore dans l’immeuble désaffecté du jeune généticien où se déroule toute l’action de la rencontre entre Deckard et le répliquant).

Néanmoins, si le travail de décoration-design n’est pas primaire, la réalisation ne joue pas son jeu et évite le ton sur ton, et la réflexion de Scott est intéressante : si les décors et l’espace sont bons, ils se verront inévitablement, et participeront à créer une ambiance ; ainsi la réalisation se porte plus sur la psychologie des personnages, en les mettant en évidence, mais il est compris dans un espace, un décor, à forte personnalité ; il invite ainsi le spectateur à ne pas regarder que l’évidence, le premier plan, mais ce qu’il y a derrière. C’est un traitement différent de celui de Kubrick par exemple, qui lui est primaire (il montre le rien, en suggérant, ou montrant, beaucoup par des plans larges, très éclairés), concret, pragmatique, et tout autant mystique, même si ses plans montrent des personnages, ils sont compris dans l’environnement, souvent clos, labyrinthique, par des plans d’intérieurs larges, immobiles, objectifs, froids, avec de rares gros plans ou simples plans rapprochés, tandis que le gros du développement des séquences chez Scott se fait par des plans rapprochés : on pénètre dans l’action. Kubrick, lui, les identifie, émeut, par sa distanciation, Scott n’utilise les plans larges que pour introduire, montrer des actions non-essentielles, ou dans des inter-séquences de présentation d’ambiance, d’intermède rythmique (les publicités). La réalisation de David Fincher se rapprocherait plus de celle de Scott dans Blade Runner, sans la lenteur et le mystère.

À noter aussi que cette lumière obscure, ces néons, et ses lumières tourbillonnantes autour d’espaces nocturnes, contribuent à ne jouer le rôle de l’espace et des décors que dans une mesure paradoxale : on cherche plus à les voir quand ils sont dans l’obscurité qu’on les découvre au même moment que les personnages. Là encore tout le contraire des lumières de Kubrick qui aspergeait ses décors d’une lumière claire et envahissante tout en suggérant qu’on ne voyait pas tout. Dans les deux cas, il y a un mystère à découvrir derrière ces décors angoissants, simplement par le fait qu’on n’utilise pas une luminosité ordinaire et qu’on semble y tapir des éléments susceptibles d’apparaître à tout moment.

J’écrirai, un jour, un commentaire digne de ce nom…

Paris, Texas, Wim Wenders (1984)

Paris, Texas

Note : 5 sur 5.

Année : 1984

Réalisation : Wim Wenders

Avec : Harry Dean Stanton, Nastassja Kinski, Dean Stockwell

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Journal d’un cinéphile prépubère : le 30 mai 1997 (non revisité)

(Les scénaristes du Rain Man semblent s’être inspirés de la situation du début entre les deux frères. Bref.)

Tout se limite aux séquences finales : retrouvailles émouvantes, filmées simplement sans sophistication. L’essentiel du génie se trouve dans la transparence, l’humilité et l’intelligence de la mise en scène qui axe le propos sur la relation entre les deux personnages, leur psychologie, et la situation mélodramatique.

Le brut d’une situation extraordinaire dans un style réaliste doit être transmis avec des artifices esthétiques peu essentiels (?!). Rarement un film est parvenu à un tel degré d’émotion. Le style réaliste y est pour quelque chose, il trouve sa réelle valeur dans ce genre de situations rendues paroxysmiques par sa lenteur, sa langueur, et uniquement là. C’est un(e) apogée remarquable qui ne nécessite aucune intellectualisation. C’est une magie dont les coulisses nous sont inaccessibles pour rester émus. C’est le but de cet art, sa portée inconsciente et humaniste est bien plus efficace que la recherche intellectuelle d’un sens quelconque. Le sens n’est là qu’anecdotique, l’émotion c’est toujours une forme, quelque chose d’imperceptible, d’inexplicable, une ambiance, une impression, un état d’esprit : ce n’est pas la rencontre en elle-même qui est émouvante, sinon on serait émus rien qu’en lisant les pages du script, mais c’est la manière, la réaction des personnages placés l’un en face de l’autre et amenés à se redécouvrir. Assez de Freud qui tue la magie ; hourra à l’invisible !

Paris, Texas, Wim Wenders (1984) | Road Movies Filmproduktion, Argos Films, Westdeutscher Rundfunk (WDR)

C’est un film plus spectaculaire (regardable), et plus populaire, et par conséquent meilleur qu’Au fil du temps. Le thème du film est concret : thème éternel et donc clair, amenant l’identification immédiate, celui de l’amour, ou de l’après amour, il est suggéré durant toute la première partie où Wenders comme Bresson ne montre que les effets ; la transition avec la dernière partie fait naître un suspense, qui est la mère ? Pourquoi le couple s’est-il déchiré ? Et surtout comment s’effectueront ces retrouvailles s’ils ont lieu ? Les réponses à ces questions explosent dans la séquence du peep-show. Mimétisme incroyable quand on cherche à déceler les réactions de la mère, ou la scrute. Et quand s’effectue le dénouement, la libération par le verbe, quand la bombe explose enfin, c’est plus le fait que tout soit libéré plutôt que ce qui est libéré qui importe, et qui alors nous émeut. La preuve, la mère explique tout, mais le spectateur n’y prête pas attention, ce qui l’intéresse c’est de guetter les réactions du personnage vers l’autre, les comprendre, comme disait Kieslowski ; et Wenders et N. Kinski arrivent à ne pas prêter attention au contenu du script en allant droit, le plus simplement du monde : l’interprétation se lit plus sur le visage de l’actrice que sur ce qu’elle dit. Chez Wenders, la bombe explose, elle le peut, car l’explosion dure peut-être vingt minutes, donc être concret dans le scénario, mais pas trop, car on perd toute émotion en inscrivant tout à l’avance.



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