Blonde Crazy, Roy Del Ruth (1931)

Partner in crime

Note : 4.5 sur 5.

Blonde Crazy

Année : 1931

Réalisation : Roy Del Ruth

Avec : James Cagney, Joan Blondell, Louis Calhern, Noel Francis, Guy Kibbee, Ray Milland

C’est un peu désolant de voir que certains films pré-code mettant les femmes à l’honneur ne soient pas aussi prisés aujourd’hui pour le rôle essentiel qu’ils ont eu dans la construction des rapports homme/femme au vingtième siècle. J’en ai souvent parlé ici, et voilà un nouvel exemple fabuleux de rapports d’égal à égal entre un homme et une femme comme il a pu en exister dans le cinéma muet jusqu’à l’application stricte du code Hays autour de 1935. Le code n’a pas seulement imposé plus de moralité au niveau de la représentation de la sexualité ou des crimes à l’écran, elle a surtout porté un frein à un type de relations qui se généralisait à Hollywood après la guerre. Tout d’un coup, les femmes pouvaient prendre les commandes ou être les égales des hommes. Avec le code Hays, elles redeviendront leur faire-valoir, leur compagne ou leurs amantes. Ce stéréotype de rapport que l’on identifie en général à la révolution sexuelle des années 70 et à l’émancipation des femmes, parfaitement illustré au cinéma par exemple par la relation princesse Leïa/Han Solo, il est né entre 1920 et 1935 essentiellement à Hollywood. Et la courte période pré-code, parce qu’elle mettait en scène des personnages qui gagnaient en réalisme, a peut-être encore plus montré la voie et fait la preuve que ce type de relations mixtes était non seulement possible, mais que ça ne nuisait pas nécessairement à la séduction comme on peut le voir au début du film.

Il faut voir les dix premières minutes de Blonde Crazy pour se convaincre que tout en jouant un jeu de séduction classique, la personnalité et l’équilibre des rapports de force dans les situations présentées gagnent en densité et en véracité grâce au parlant. L’insolence de James Cagney, son génie à exprimer une certaine fantaisie, son audace bouffonne pleine d’autodérision qui est la preuve qu’il ne ferait au fond de mal à personne (et nous pousse à l’aimer, à s’identifier à lui, à lui ressembler), tout cela ne serait pas possible sans le son, sans les dialogues, sans la repartie. Surtout, la même chose serait impossible à imaginer pour une femme… si on n’était pas en 1931.

On comprend mieux la nécessité pour les conservateurs voyant arriver le cinéma parlant de chercher à imposer un code de bonne conduite aux studios : le parlant avait bien redistribué les cartes et devenait une incroyable machine de guerre pour imposer des idées nouvelles, libérales, à un public sidéré par cette nouvelle révolution du cinéma.

Encore aujourd’hui, on voit rarement une femme à l’écran tenir ainsi tête à un homme pour le moins insistant. Ce n’est pas seulement le talent des auteurs capables d’écrire les répliques qu’il faut pour répondre au pot de colle qu’est James Cagney, il faut aussi et surtout le caractère qui va avec afin de rester crédible : je ne suis pas sûr que les petites Françaises, en voyant revenir leurs hommes cabossés de la Première Guerre mondiale, montraient autant d’autorité et d’indépendance que certaines des actrices qu’on a vu fleurir à la même époque jusqu’aux premières heures du parlant à Hollywood. Je passe la période du muet que j’évoque dans It Girl, mais en 1931, au tout début de cette nouvelle révolution de la représentation des relations à l’écran, et donc de l’imaginaire social auquel tout le monde sera alors censé se référer par la suite, le public, et probablement encore plus le public féminin, peut s’identifier à de forts caractères féminins, des actrices, tenir la dragée haute à des partenaires masculins. Mae West, Barbara Stanwyck (dont j’évoque aussi l’importance dans Stella Dallas et dans L’Ange blanc), Jean Harlow, et donc ici Joan Blondell, et quelques autres ont montré la voie à toutes les autres. Ici, c’est bien l’intelligence de l’actrice qui lui permet de se mettre au niveau (très haut en matière d’autorité, de charisme et d’intelligence) de James Cagney.

Elle a tout : la même insolence, la lucidité (fini les grandes naïves), la désinvolture, le détachement ou l’assurance qu’elle saura toujours faire face (c’est aussi ce qui donne cette impression d’autorité naturelle, car la personne, qu’elle soit un homme ou une femme, n’a jamais besoin de passer par l’agressivité ou de hausser le ton pour se défendre — sauf avec des baffes), et une certaine forme de bienveillance cachée derrière une froideur feinte. Sur ce dernier trait de caractère, c’est le même tempérament qui fait qu’on apprécie James Cagney malgré ses penchants agressifs, ses sautes d’humeur fréquentes, et ici, son goût pour la filouterie : ils n’auraient pas tous deux des jeux de regards ou des sourires servant de contrepoint et de sous-texte, jamais on ne pourrait autant les aimer. C’est bien leur imprévisibilité, leurs retournements (il arrive au personnage de Cagney de reconnaître qu’il est allé trop loin) et leur capacité à produire des sous-entendus qui forcent le respect du spectateur. Personne n’a envie de s’identifier à des personnalités fades et toujours prévisibles dans leur constance molle.

Au-delà de ces traits de caractère qui prouvent une personnalité déjà bien affirmée, elle a aussi du répondant. Que ce soit au niveau du verbe parce qu’elle a autant de repartie que son acolyte masculin sinon plus, mais aussi au niveau physique : c’est peut-être un tour peu réaliste, voire carrément burlesque (et en l’occurrence, c’est un running gag assez efficace au début du film), mais je ne peux m’empêcher de penser que son audace physique, celle qui lui permet de filer des gifles à celui qui lui court après, a pu donner des idées aux femmes qui voyaient le film au début des années 30. Oui, on pouvait gifler un homme, non pas parce qu’on serait outré de ses agissements, non pas parce qu’on serait une garce, non pas parce que l’on chercherait à commencer une bagarre perdue d’avance, mais parce qu’on estime être son égal. Il y a dans ces gifles quelque chose qui ressemble bien plus à des claques que Titi pourrait filer à Gros Minet, d’une grande sœur à un petit frère turbulent : la violence n’en est pas une (elle ne l’est jamais dans le slapstick), c’est une tape sur les fesses de bébé, c’est une tape au cul qui va dire « t’es bien gentil, mon garçon, mais tu m’importunes : je te gifle et on est quitte, ça te fera fermer ton caquet ». Et on tourne les talons sans air hautain, sans agressivité, sûre de son fait et de son droit, et peut-être un peu aussi avec un œil en coin (amusée ou non) pour voir la réaction du Gros Minet (ceci, seulement ici parce que l’on comprend que la Joan Blondell en question pourrait tout autant être intéressée par le bonhomme s’il se comportait plus en gentleman). On peut adhérer à cette forme d’égalité parce que si le personnage de Cagney est un peu lourd, il ne tombe jamais dans ce qu’on appellerait aujourd’hui du harcèlement. Au contraire de quoi, la réaction de Joan Blondell aurait toute légitimité à ne plus se contenter de petite claque amicale. Et quand on est un public masculin, on se dit qu’on se laisserait bien faire la leçon par pareille femme : tout compte fait, si c’est pour nous apporter un « partenaire », plus qu’une docile concubine ou une esclave sexuelle, pourquoi s’en plaindre ? On le voit d’ailleurs par la suite : sans sa blonde crazy, le filou ne se sent pas d’arnaquer son monde (ce que paradoxalement elle avait toujours espéré trouver en lui).

C’est un paradoxe très « pré-code » : le personnage de James Cagney est un effroyable filou, ne cherche surtout pas à être autre chose, mais on sent derrière cette carapace de « gros dur », une sensibilité et un sens des limites… avec les femmes, en tout cas avec celle qui l’intéresse. Le danger de ces films, peut-être parfaitement identifiés par les conservateurs de l’époque ayant poussé à suivre un code de bonne conduite, c’était probablement moins la question de la représentation (positive) faite des criminels (il y a tout un abécédaire de l’escroquerie dans le film qui aurait pu faire naître bien des vocations) ou de la représentation de la sexualité à l’écran que celle de la place de la femme, émancipée, dans la société américaine d’alors. Par la suite, on aura bien des paires homme/femme qui apparaîtront ensemble à l’écran toujours complices, mais que ce soit dans la série des Thin Man par exemple ou dans les screwball comedies (et en premier lieu, les comédies de remariage, si typiques de cette ère du code Hays), il s’agira presque toujours de couples mariés ou appelés à l’être (en tout cas, rarement des criminels).

Quand on sortira du cadre du mariage (si relation d’égalité il y a), elle sera toujours relative, et presque toujours avec des filles de mauvaise vie. La femme fatale n’est pas une égale, c’est une paria, une femme qui justement doit payer le prix de son émancipation, le prix d’avoir cherché à se faire l’égale des hommes.

Voilà pourquoi ces films pré-code sont si importants dans ce qui est devenu une norme dans les relations en Occident. Toute notre manière de nous comporter en société est née de cette représentation de la relation homme/femme à l’écran après la Première Guerre mondiale, essentiellement à Hollywood, mais destinée à un public de masse mondialisé. Le cinéma muet n’était pas seulement muet, il était encore à la limite de ce qu’il était possible de faire en matière de représentation et de réalisme à l’écran. Avec le parlant, on voyait sous nos yeux une manière d’être, de se comporter, de parler qui était devenue presque naturelle, en tout cas suffisamment vraisemblable pour qu’on puisse chercher à en imiter les codes, à en explorer les limites et les possibilités dans la vie réelle. Parfois, peut-être pour le pire (si on cherche à reproduire les savantes escroqueries du personnage de James Cagney), mais surtout pour le meilleur : la possibilité pour le public féminin de se représenter la possibilité d’un monde où les femmes tiendraient tête aux hommes sans crainte d’en subir les conséquences (puisque je l’ai encore en mémoire, Bette Davis se fait défigurer pour son audace dans Femmes marquées, on est en 1937 : fini l’égalité ; on châtie plus tard ses agresseurs, mais on suggère un peu aussi qu’elle l’aurait un peu cherché en exerçant un tel métier) et d’affirmer ainsi un statut, égal à celui des hommes, prétendre aux mêmes audaces, qualités ou excès, etc.

Le film devient plus conventionnel par la suite. Le personnage de Joan Blondell s’adoucit, rentre dans le rang, mais ces premières minutes du film illustrent peut-être à elles seules ce qu’est l’époque du pré-code. Une époque de possibilités, d’ouverture, d’égalités acquises ou à prendre, et qui annoncera les luttes menées par les femmes des années 60 et 70.

J’insiste beaucoup sur ce sujet, et peut-être que je ne connais pas autant la période que je voudrais le croire, peut-être que mes connaissances en sociologie ou en ethnologie sont est inexistantes, et peut-être qu’on ne voit les choses qu’à travers ce que l’on connaît, mais j’attends toujours de trouver des arguments venant me convaincre que cette période n’aurait pas eu l’importance dans notre société comme je le prétends et ne serait qu’un épiphénomène auquel je porterais depuis des années trop d’importance historique.

En attendant, je me permets de dire, presque un siècle plus tard, à cette petite blonde potelée que je l’adore. Pas seulement pour sa beauté, sa douceur, toute féminine…, mais pour son intelligence, sa dureté aussi, sa constance, et pour l’assurance et l’audace dont fait preuve son personnage dans ce film (et qu’elle a parfaitement su transmettre au spectateur). Dommage que les films dans lesquels elle apparaîtra par la suite (même en vedette) ne soient pas restés autant dans l’histoire que ses films pré-code.

Des actrices mentionnées plus haut, seule Barbara Stanwyck restera au plus haut à l’ère du « code », et dans un style plus policé que dans les films où elle apparaissait à la même époque. Toutes deux se sont croisées d’ailleurs sur L’Ange blanc. James Cagney, lui, se fait remarquer la même année avec Jean Harlow dans L’Ennemi public, et à nouveau avec Joan Blondell, deux ans plus tard, dans le formidable Footlight Parade. Lui aussi restera un acteur de premier plan après 1935. Mais comme il y a eu un plafond de verre pour les acteurs du muet à l’arrivée du parlant, il y a eu plafond de verre pour les actrices attachées à des personnages émancipés au moment de l’application du code. Les hommes n’ont pas eu à souffrir du même problème, semble-t-il. Après avoir montré la voie pendant vingt ans, Hollywood devenait presque une arme de soft power au profit des conservateurs, alors même que c’était désormais les démocrates avec Roosevelt qui dirigeaient le pays…


Blonde Crazy, Roy Del Ruth 1931 | Warner Bros.


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Les Indispensables du cinéma 1931

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Les Conspirateurs, Jean Negulesco (1944)

Thriller de remariage (ou pas)

Note : 3 sur 5.

Les Conspirateurs

Titre original : The Conspirators

Année : 1944

Réalisation : Jean Negulesco

Avec : Hedy Lamarr, Paul Henreid, Sydney Greenstreet, Peter Lorre, Victor Francen, Joseph Calleia

Adapté d’un roman d’espionnage, le scénario tient la route. Et avec lui, toute la production, Negulesco compris. Manque peut-être l’audace, le style, la folie ou la fantaisie qui auraient permis au film de se démarquer des autres. Des dialogues plus percutants et une fin plus réussie aussi (le climax à suspense est bon, mais on y ajoute une séquence de fuite où, comme dans tout bon film du code qui se respecte, on abat traditionnellement le méchant ; ce qui se révèle être parfaitement inutile ou mal mené, car on se rapproche alors plus du film noir lugubre et criminels : une tonalité que le film ne connaissait pas alors — on était plutôt sur des tonalités « diplomatiques » propres au thriller d’espionnage).

En la matière et dans un tel contexte, le choix des acteurs joue beaucoup et assure parfois l’essentiel de l’intérêt d’un film. Hedy Lamarr est parfaite en petite Française sortie de Dachau au bras d’un nazi, mais ce serait en oublier presque qu’elle ne tient qu’un rôle d’appoint dans le film : à se demander si Hitchcock n’avait pas compris que pour faire un bon film d’espionnage, il fallait lorgner du côté de la comédie du remariage, et ainsi s’assurer qu’homme et femme aient un rôle plus ou moins égal (ce qu’il n’a par ailleurs pas toujours respecté). Hedy Lamarr se contente ici d’être une sorte de femme fatale un peu molle, un prix que le héros convoite… Une prison après l’autre pour la jolie juive en fuite.

Par ailleurs, si à côté d’elle les seconds rôles sont fabuleux (Peter Lorre, Joseph Calleia, Sydney Greenstreet et tous les autres), l’acteur principal, Paul Henreid, est plutôt quelconque : bon acteur, de la présence, de la tenue, mais cette audace, ce style, cette folie, ou cette fantaisie que j’évoquais plus haut, c’est à l’acteur principal de l’apporter, surtout quand les dialogues sont aussi fades. James Mason par exemple aurait apporté beaucoup à ce personnage bien trop lisse pour qu’on s’attache à lui.

On remarquera surtout (c’est ma tendance actuelle) les superbes tenues portées par Hedy Lamarr. À chaque apparition, un nouveau chapeau, une nouvelle robe pour le joli oiseau en cage : pas de grande excentricité, mais toujours beaucoup de créativité dans les formes et des textures drôlement classes…


Les Conspirateurs, Jean Negulesco 1944 The Conspirators | Warner Bros.


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Pique-Nique en pyjama, Stanley Donen (1957)

The Company

Note : 3 sur 5.

Pique-Nique en pyjama

Titre original : The Pajama Game

Année : 1957

Réalisation : Stanley Donen

Avec : Doris Day, John Raitt, Carol Haney

Quel dommage de voir Doris Day si mal entourée… Ça ne devrait pas être permis de l’entourer ainsi d’un tel bellâtre sans charme dans un rôle principal. Il manque singulièrement de fantaisie, de malice et de simplicité, ce bonhomme (des types qui se prennent au sérieux, dans une comédie musicale encore plus qu’ailleurs, le spectateur ne peut pas les piffer).

L’amourette est donc ce qui plombe le plus le film, mais l’univers manufacturé proposé, je dois l’avouer, n’est pas beaucoup plus réjouissant. On notera toutefois quelques numéros dansés (chorégraphiés par Bob Fosse) de haute qualité : celui notamment où les deux amoureux proposent une sorte de parodie des chants et danses folkloriques du Far West.

Le plus remarquable dans ces numéros, c’est encore ceux proposés par Carol Haney dans un style loufoque et acrobatique très « années 30 » : une précision remarquable, grande inventivité, incroyable précision dans ses gestes malgré des segments hors normes, et pour le coup une fantaisie bien présente avec des mimiques à la Pépé le putois de Tex Avery. Des excès toonesques parfaits pour la scène de Broadway, mais malheureusement pas du tout adaptés pour le cinéma (elle est impressionnante dans ses numéros dansés, mais insupportable dans ses passages « comiques » : à moins de s’appeler James Carey, le jeu excessif à la Tex Avery est loin d’être conseillé au cinéma…).


Pique-Nique en pyjama, Stanley Donen 1957 |Warner Bros.


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L’Ange blanc, William A. Wellman (1931)

Star system

Note : 4 sur 5.

L’Ange blanc

Titre original : Night Nurse

Année : 1931

Réalisation : William A. Wellman

Avec : Barbara Stanwyck, Ben Lyon, Joan Blondell, Clark Gable

Avoir de bons acteurs, ça vous change tout de même la face d’un film…

On sent que le film a été tourné exclusivement en studio, aucune scène dehors, aucun plan vers l’extérieur, ne serait-ce qu’une vue dans un coin de fenêtre filmée par une seconde équipe. Et malgré cela, grâce aux acteurs, on arrive à y croire. Du moins à être saisi par l’intensité de leur jeu, pris par l’enjeu, et séduit par leur allure et leur personnalité.

Dans la seconde séquence du film, quand elle sort de l’hôpital par les portes-tambour, un passant fait tomber son sac à main : dans cette situation, et encore aujourd’hui, la femme s’excuserait et s’accroupirait pour récupérer ses affaires. Avec Barbara Stanwyck, c’est tout différent. La demoiselle a à peine vingt ans, mais son personnage ne fait pas un geste, laisse l’homme lui faire le travail, et elle, pleine d’assurance et d’audace, le regarde de haut, une main négligemment posée sur la hanche. On appelle ça l’autorité. À deux doigts de l’insolence. On peut dire qu’elle va lui donner un sacré coup de pied aux fesses à l’image stéréotypique de la gentille infirmière… J’ose pas dire coup de vieux, parce que cette image, une image d’asservissement ou au mieux de dévotion, c’est un peu ce qui persiste aujourd’hui. Alors que le personnage de Barbara Stanwyck est ici une rebelle. (Le cinéma, quand il est bon, s’intéresse d’ailleurs rarement à autre chose. Aux rebelles.)

Autour d’elle, il faut avouer qu’elle a à qui parler. Joyeuses années 30… Joan Blondell aura sans doute beaucoup joué les seconds rôles lors de ce début de carrière pour la Warner et à l’époque du « grand remplacement » des acteurs du muet, et Wellman l’utilisera d’ailleurs la même année dans L’Ennemi public. Il faut dire qu’elle est assez exceptionnelle : une autorité différente de celle de la Stanwyck, plus désinvolte et souvent plus comique (c’est son rôle en tout cas ici). Dommage qu’on la perde un peu de vue par la suite.

Mais quand on perd Joan Blondell au profit de Clark Gable, on voit le niveau de la production… et des surprises de casting. Une production toutefois qui donne le rôle du gentil malfrat à un acteur sympathique, alors qu’il aurait tout aussi pu convenir à un jeune Clark Gable.

Le futur acteur de la MGM tient un rôle mineur (il finit d’ailleurs par se faire tuer, Docteur Spoiler), pourtant, dans les deux ou trois séquences où il apparaît, on ne voit que lui. Un maintien exceptionnel (un corps d’athlète qu’on devine derrière son costume de chauffeur, et le haut du corps qui ne fléchit jamais) : la tête bouge, les bras peuvent bouger, la démarche est assurée et franche, mais le buste, lui, demeure en toutes circonstances large et impassible… On sent les heures passées en cours de maintien…

Dans son face-à-face, avec Barbara Stanwyck, il la mangerait presque. Et voir deux acteurs prêts à se bouffer des yeux ou autre chose, parce qu’on ne sait encore s’ils finiront par s’entre-tuer ou par se tomber dans les bras, c’est en général ce qui provoque de bons films d’acteurs. Le sujet du film devenant ainsi accessoire (et il vaut mieux parce qu’on a des relents de films muets dans ces excès mélodramatiques ; étrangement ou non, il est probable qu’on se rendra compte que le son offrira au spectacle beaucoup plus d’impression de réalité et que ces excès à peine croyables ne passeraient plus auprès du public).

Et c’est sans doute pour ces mêmes raisons que le code Hays, en plus d’annihiler toute possibilité de subversion, toute image licencieuse ou toute morale supposée favorable aux criminels aurait tué le mélodrame après son âge d’or au temps du muet. Des projets d’assassiner des gosses, on ne doit voir ça que dans la réalité, dans cet espace où tous les extrêmes sont possibles, l’impensable aussi, pas au cinéma. Ce que les films pré-code rendent encore parfois possibles.

Hommage également à la longue carrière posthume de Lon Chaney, probablement ici dans sa meilleure composition dans le rôle de la gouvernante…

Wellman, qui ne pouvait pas ignorer le potentiel de Clark Gable, tournera avec lui quatre ans après dans L’Appel de la forêt, et vingt ans plus tard Au-delà du Missouri. Deux films qui, contrairement à ici, prendront un peu l’air. Recommandation sanitaire de votre bonne infirmière personnelle. Le cinéaste tournera d’ailleurs par la suite beaucoup plus souvent en extérieurs, c’est peut-être bien qu’il n’était pas très à l’aise en studio.

De son côté, Barbara Stanwyck continuera à donner au spectateur une image de la femme libre et indépendante : deux ans plus tard, son personnage intéressé et cynique dans Baby Face participera sans doute un peu à provoquer la mise en place d’un code de bonne conduite dans les studios. Et pour l’émancipation de la femme, il faudra désormais regarder ailleurs qu’à Hollywood. La contre-réforme conservatrice pourra toujours se poursuivre quelques décennies encore, il aura fallu moins de vingt ans grâce au pouvoir phénoménal de représentation du cinéma pour laisser entrevoir aux femmes un monde où elles ne seraient pas cantonnées aux rôles d’infirmières… Stanwyck, et les autres, avait mis un pied dans la porte ; les spectatrices ont vu la lumière, et ne se sont pas gênées pour entrer.


 

L’Ange blanc, William A. Wellman 1931 Night Nurse | Warner Bros


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Les Indispensables du cinéma 1931

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Matrix Resurrections, Lana Wachowski (2021)

Notes diverses

Transcription de réponses faites essentiellement sur Twitter.

The Matrix Resurrections, Lana Wachowski 2021 | Warner Bros., Village, Roadshow Pictures, Venus Castina Productions

Réponse au podcast C’est plus que de la SF épisode Matrix Resurrections :

https://t.co/eQZhtMk3Tr

« L’époque n’est peut-être plus aux blockbusters mais aux séries. »

Les films cités, blockbusters contemporains sont presque tous des séries. James Bond, Spider-Man et tous les films Marvel / DC, Matrix, on est en plein dans ce qu’on appelait il y a un siècle, et qui faisait déjà le succès de ces mêmes studios à l’époque du muet : les serials. Avec souvent les mêmes recettes : l’aventure, le crime, le sentimentalisme, le complot, l’exotisme (la high-tech SF, voire le cyberpunk, c’est une forme d’exotisme). Même Dune à sa manière, c’est du serial. Adapter une seconde fois (et pardon, toujours avec si peu de talent) un feuilleton littéraire SF, ça relève aussi de la logique du serial. Avec une logique qu’on pourrait résumer ainsi : un maximum de risques pris par les héros ; un minimum pris par les créateurs (voire le public pour qui les “révisions” de ses doudous passés, s’ils ne sont pas à la hauteur, sauront toujours au moins lui rappeler l’ivresse des hauteurs passées…). Sur les quatre intervenants, vous êtes trois à souscrire totalement à cette révision (ou reboute). Quand on aime sans doute, on ne compte pas… les suites.

Seulement, il y a quelque chose qui m’interpelle dans vos commentaires et vos analyses. C’est que vous ne voyez un film qu’à travers le prisme des intentions supposées d’un auteur, jamais de l’exécution.

C’est une constante chez les critiques, on le sait. On juge et défend des films, des cinéastes, en fonction de ce qu’on suppose, ou sait, de ce qu’ils ont voulu dire. Avec cette approche (quoi, dialectique ?) on en vient toujours à trouver des justifications à des ratages. Quand le public n’est pas allé voir un film ou ne l’a pas apprécié, c’est alors qu’il ne l’a pas compris ; si le public court en voir un autre, il ne l’apprécie pas pour les bonnes raisons parce qu’il n’en a pas compris le sens (forcément).

D’abord, ça supposerait que les intentions d’un auteur (si tant est qu’il en existe un – on connaît la propension de certains critiques à faire de simples exécutants de studio de cinéastes) soient comprises. Il n’est pas rare de voir des cinéastes s’amuser des interprétations faites par certains professionnels, à quoi ces critiques ont vite fait de laisser entendre que des cinéastes peuvent révéler beaucoup d’eux-mêmes sans s’en rendre compte dans leurs films. Soit, mais ce serait des interprétations d’autant plus faciles à faire qu’un “auteur” aurait réalisé plusieurs films, avec ses petites manies certes, ses petits secrets de fabrication (comme c’est amusant de remarquer que l’acteur est l’actuel mari de et l’ancienne doublure de : le sens caché des choses, toujours :) ).

Mais ça supposerait encore qu’il y ait une réelle valeur à juger un film en fonction de ses intentions (cachées, supposées, interprétées, analysées, etc.). Pardon d’être radical, mais je pense que les intentions, c’est un peu comme l’imagination : tout le monde en a. Tout le monde est capable de créer un univers qui ne serait fait que « d’intentions », de « sens cachés révélés que par une poignée d’insiders, d’érudits ou de fans assidus ».

Les intentions, les bonnes comme les mauvaises, comme les idées, c’est gratuit. Au cinéma (comme en littérature), qu’est-ce qui fait qu’une idée est bonne ? Quand elle est articulée avec d’autres idées, pas forcément bien originales d’ailleurs, et que tout un savoir-faire, une technique, se met à son service pour laisser supposer qu’il n’y en a pas de meilleure.

Rare photo de Lana Wachowski tentant de rejoindre les deux bouts : The Matrix, The Wachowski (1999) | Warner Bros., Village Roadshow Pictures, Groucho Film Partnership

Et là, c’est cruel pour les commentateurs ou les analystes, parce que si on peut juger d’une intention ou d’une idée rien qu’en l’évoquant, c’est beaucoup plus difficile, et toujours discutable, de juger du savoir-faire technique et narratif d’un cinéaste. (C’est bien pourquoi rares sont ceux qui s’y aventurent. Les critiques proposent ainsi soit des commentaires descriptifs qui paraphrasent à leur manière ce qu’ils ont vu, ce qu’ils interprètent ou ce qu’ils jugent être de valeur dans un film, soit des analyses personnelles rarement techniques.)

Tout ça pour dire que s’agissant d’un blockbuster, le public se trompe rarement. Sauf, évidemment s’il se rue sur un film, faute de mieux (Spider-Man, en cette fin d’année). Pour des films plus confidentiels, j’aurais tendance à penser aussi qu’ils finissent toujours par trouver leur public et par être loués par les critiques…

Ainsi, je doute que des critiques ayant déjà souscrit à de précédentes resucées, à mon sens, ratées (je ne parle pas des intentions, mais de savoir-faire, ce qui est une manière assumée d’accepter l’immense part de subjectivité de nos jugements ; alors qu’une interprétation : Freud parle, il n’y a plus rien à dire^^), soient capables de juger un film, appartenant à une série précédente, différemment des autres. Au contraire, un nouveau film ira toujours nourrir un peu plus leur narratif (quoi, dialectique j’ai dit ?). Qu’importe qu’un film soit bon ou pas bon (avec ce que ça implique de subjectivité assumée encore une fois), qu’on l’aime ou pas (pourquoi ne pourrait-on pas défendre des films, les aimer, tout en reconnaissant qu’ils sont mauvais ?) : un nouveau Nick Carter, un nouveau Fantomas, un nouveau Flash Gordon, un nouveau Indiana Jones, ça ne fait jamais que nourrir le mythe. Et quand un de ces “épisodes” est raté, cela n’est jamais alors parce que le film serait, intrinsèquement, jugé comme mauvais, mais parce que son “auteur” aurait présenté des “intentions” qu’eux seraient capables de juger qu’elles ne sont pas conformes au mythe (à la franchise) initial ou tout au contraire n’auraient su correctement le rebouter.

Qui se cache derrière Matrix, qui en est l’auteur ?… 

Le gros du public, dont je suis, n’a pas apprécié le 2 et le 3, au risque déjà d’altérer le souvenir, et la vision, qu’il se faisait du premier.

Pourquoi, pour le gros du public, le premier avait été une claque et la suite d’épouvantables supplices ? Eh bien, j’ose le croire, parce que le premier est un chef-d’œuvre technique, narratif, il fait partie de ces films rares où tout semble s’aligner au bon moment, avec les bonnes personnes et avec les techniques arrivant à leur maturité au bon moment.

Les intentions des frangines ? Je m’en moque. Ce qui m’importe en tant que spectateur à ce moment, ce sont les intentions hautement spéculatives, et très largement influencées par la sidération que me procure le film au moment où je le vois. Quand on a une telle claque en tant que cinéphile, les interprétations sont multiples, c’est même souvent à ça qu’on reconnaît un grand film. Personne ne voit le même film, et c’est peut-être ça déjà, le premier niveau de lecture “meta” du film.

Parce que pour le reste, l’essentiel, ce qui fait la réussite du film, du premier, c’est l’évidence encore compréhensible de son récit, la folle ingéniosité de ses trouvailles techniques, son design fou, le fait que pour la première fois enfin un film de SF arrivait à convaincre avec le cyberespace (Ghost in the Shell venait juste de montrer la voie). Dans les précédents ratés hollywoodiens, ce n’était pas les bonnes intentions qui manquaient… mais la bonne histoire, la bonne exécution. Le bon moment.

En matière de films SF, je ne crois qu’aux miracles. Je ne crois ni aux auteurs de SF, ni aux intentions, ni au savoir-faire (cf. Ridley Scott est-il un auteur ?). Tous les grands films de SF sont comme des générations spontanées qui se perdent dans le temps comme les larmes dans la pluie… D’abord, ils sont rares. Et leurs suites, toujours, capitalisent sur une œuvre initiale jamais égalée. Ce qui veut dire que comme dans tout serial, on joue sur la répétition, sur les digressions vers des personnages déjà connus, sur ce qui se joue avant, après, au-dessus, au-dessous, etc., et sur la nostalgie aussi beaucoup. Il faut se rappeler ce qui s’est passé avec ces vieux serials. Certaines resucées médiocres, voire sans doute peut-être déjà des sabotages assumés, peuvent radicalement changer la perception qu’a un public pour une œuvre initiale. Jusqu’à l’oubli pur et simple. (Nick Carter ? Die Spinnen ? Les Exploits d’Elaine ?) Peut-être que le public d’aujourd’hui a plus de facilités que celui d’hier à avoir accès aux œuvres initiales, mais on peut aussi supposer que le public reste toujours plus enclin à s’intéresser à des films récents. Et pour ce public, viendra un moment où avoir plus facilement accès à Matrix 4 achèvera la possibilité pour eux de voir Matrix 1. Eux n’ont aucune nostalgie. Je serais même prêt à penser qu’avec d’autres blockbusters sur les rangs en décembre, le film aurait encore plus fait un four.

À voir si à force de vouloir saboter le film, (intention supposée) Lana ne prendrait pas le risque d’enterrer un mythe. Elle joue avec le feu, si pour moi, ni elle ni sa sœur ne sont véritablement « auteurs » du film (puisque je le range dans les « petits miracles spontanés du cinéma SF »), elle peut encore en être le fossoyeur.

Y a-t-il quelqu’un au bout du film ?


Échanges avec trineor :

« Personnellement j’ai immensément aimé Reloaded à l’époque, beaucoup aimé Resurrections il y a une semaine, et toujours été assez convaincu que ceux qui avaient adoré le premier mais trouvaient que les suites racontaient n’importe quoi aimaient le premier sur un malentendu. »

> Et peut-être que si tu étais honnête avec toi-même, tu émettrais également cette hypothèse que ce malentendu peut aussi venir de toi. :)

Tout est toujours affaire de malentendus. On pourrait faire un sondage auprès des auteurs, leur demander s’ils pensent que leur œuvre a été comprise, et je serais prêt à parier qu’une grande majorité répondrait non.

En revanche, le spectateur a toujours raison. Il n’a jamais tort d’avoir compris ce qu’il a compris d’une œuvre. Ce qu’il a compris lui appartient. Ce que tu as compris t’appartient. Et je suis loin de penser que ce que les frangines ont compris elles-mêmes de leur œuvre ait un sens. Une cohérence.

On est peut-être nombreux à ne rien avoir compris du film initial qu’on adore, en revanche, sans notre naïveté, aucune de ces suites n’aurait été possible.

« D’où : 1. On ne peut prétexter du malentendu toujours, partout, pour tout dire d’une œuvre ; parfois il y a dans l’œuvre quelque chose qui dit explicitement non et résiste à ce qu’on en dit.

2. La fréquentation régulière d’une œuvre augmente la connaissance que nous en avons. »

>

Je suis d’accord. Mais je vais utiliser une allégorie, ou une comparaison je ne sais trop, pour essayer de te faire comprendre pourquoi je n’adhère pas aux films qui jouent trop sur ces malentendus (et sans interdire à qui que ce soit de le faire). Pour moi, un bon récit, c’est comme une histoire drôle. Le ton, l’attaque, la lancée, l’ambiance, l’astuce qui la compose, sa durée et surtout sa chute, tout ça est important. Mais si au moment de la chute, on ne comprend pas. Tu peux toujours ramer, expliquer, la blague a raté.

Je suis désolé, je vois une parfaite cohérence dans le premier film. Un film qui n’a aucunement besoin des surenchères proposées dans les suivants.

Toi, tu aimes les films qui te disent quelque chose, quitte à y passer cinq ou six films, quitte à contredire ce que tu disais dans le précédent tout en arrivant après un bullet time théorique à retomber sur tes pieds, mais qui revient en fait à dire « vous pensiez avoir compris, je vais vous expliquer que vous n’y avez rien compris ». Bref, décrit ça comme tu veux, vois-y une cohérence d’ensemble inaccessible pour les intransigeants de mon genre, moi, je reste ferme sur mes principes : la cohérence, c’est le spectateur qui la crée.

En tant que spectateur, c’est mon droit de refuser qu’après avoir adhéré à une proposition narrative et esthétique qui tenait la route dans un premier film, on cherche à déflorer cette cohérence en imposant une surenchère ou une complexité inutiles exploitées dans des suites.

Le nouveau siècle a été déterminant dans ce domaine, car les sœurs n’ont pas été les seules à se vautrer dans cette surenchère. J’ai adoré Nolan quand il proposait Memento, parce qu’il te retourne le cerveau, et parce qu’à la fin comme dans tout bon récit qui se respecte tout redevient cohérent et lisible pour tous. Pas de twist pour t’expliquer que ce que tu viens de voir dans un film qui tient la route que ce que tu croyais être n’était pas tout à fait, et de devoir passer encore d’autres films pour trouver une nouvelle cohérence. Puis Inception est arrivé, et Nolan a commencé à vouloir ajouter une couche de complexité. Le twist est permanent, la volonté de perdre le spectateur est permanente, et c’est là que moi je dis, non, stop. Il ne faut pas confondre complexité et cohérence. Gigi Abrams fait pareil.

Dans un récit, une cohérence doit faire l’effet d’une évidence. Un dénouement, une résolution, doit rendre simple et claire ce qui ne l’était pas jusque-là. C’est mon droit de spectateur d’exiger cela des films que je regarde. Ce n’est pas un malentendu, c’est une exigence. Une exigence morale de spectateur. Si suite il y a, elle doit renouveler le plaisir du film initial sans renier les propositions narratives et esthétiques qui ont fait son succès. Si les suites servent à me dire que j’ai mal compris ou mal apprécié ce que j’ai vu : poubelle. Autrement dit, une franchise doit étendre son univers, pas le restreindre en remaniant, ou déconstruire, les éléments du premier pour les tordre vers une cohérence nouvelle. Étendre un univers, c’est ajouté des personnages, des histoires, respecter la proposition de départ.

Comme tout auteur, les sœurs ont tous les droits, mais c’est mon droit de spectateur de refuser d’adhérer à une proposition basée sur une surenchère des effets, sur une complexité réclamant une attention renforcée, et sur un reniement des qualités premières d’un film initial. Je peux prendre un exemple de surenchère : quand Néo se bat dans le premier, il est en apprentissage, il se bat d’abord contre lui-même, puis contre ses alliés, puis contre une poignée d’opposants parfaitement désignés. C’est clair, on ne fait pas plus classique comme récit. Arrive la suite, et on y voit un personnage principal avec des pouvoirs démultipliés, des alliés acquis à sa cause, une quête devenue tellement incompréhensible qu’elle en devient abyssale, et des opposants qui se comptent par milliers. Ce n’est pas un récit, c’est de la bouillie.


The Endrix Activation

Wonder Woman 1984, Patty Jenkins (2020)

Novland

Note : 1.5 sur 5.

Wonder Woman 1984

Année : 2020

Réalisation : Patty Jenkins

Avec : Gal Gadot, Chris Pine

Je n’avais pas vu un film bourré d’autant d’approximations scénaristiques depuis un bon moment.

Le film aborde tellement de sujets nécessitant une bonne contextualisation et compréhension du domaine abordé qu’il faudrait faire revoir toutes les secondes du script par des spécialistes. Mais même en s’y connaissant à peine, on devine facilement que ce travail n’a pas été fait, on pourrait ainsi passer des heures à relater les assertions dramatiques irréalistes ou tout bonnement fantaisistes. Ça donne furieusement l’impression d’avoir été écrit par un enfant de dix ans. À force de vouloir contenter ses plus jeunes fans, on en vient sans doute à écrire comme eux…

Une des premières propositions dramatiques contextuellement discutables qui m’a bien fait marrer, c’est quand l’archéologue prétend qu’elle dispose dans son bureau de bien d’autres machins plus chers que la pierre des miracles… Même dans Indiana Jones, on aurait échappé à un commentaire aussi stupide de la part d’une chercheuse.

Les maladresses scénaristiques s’enfilent ensuite à la chaîne, ça en devient même follement drôle. Le jeu ne consiste plus qu’à essayer d’en relever le plus possible.

Déployer une telle artillerie pyrotechnique pour un scénario aussi mal conçu, alors que faire relire son scénario par des spécialistes avant d’engager des frais pharaoniques devrait être la base, et que n’importe quel pékin serait capable de pointer du doigt instinctivement les éléments susceptibles d’être foireux, ça relève franchement pas mal de la catastrophe industrielle, voire de la faute professionnelle ; ou des deux unis, ce qui pourrait être bien le signe cette fois d’une décadence totale des productions hollywoodiennes dans le genre, rappelant les pitreries grotesques dont elles étaient capables dans les années 60.

Le film précédent était pourtant une réussite…


 

Wonder Woman 1984, Patty Jenkins 2020 | Warner Bros., Atlas Entertainment, DC Entertainment


Liens externes :


Wonder Woman, Patty Jenkins (2017)

Pompier de service

Note : 4 sur 5.

Wonder Woman

Année : 2017

Réalisation : Patty Jenkins

Avec : Gal Gadot, Chris Pine, Robin Wright 

Plutôt étonné du résultat. J’avoue que je me pointais devant cette soirée TF1 sans grand enthousiasme. Le début n’est pas si vilain, c’est même beau à voir dans le genre cité insulaire paradisiaque à la Seigneur des anneaux. Guère convaincu au début par le jeu d’actrice de Gal Gadot ; encore moins par celui de Chris Pine qui, à chaque fois que je l’ai vu, me fait penser à un sous Matt Damon ; le film réussit en fait à me prendre par les sentiments et à me gagner par son humour résolument… féministe (si tant est que ça veuille dire quelque chose). C’était même une expérience plutôt étrange de ne pas être convaincu par les acteurs et se bidonner malgré tout des audaces et des gentilles et piquantes trouvailles du scénario de la première heure.

D’autres doutes pointent le bout de leur pique un peu avant les premières batailles sur le « front », et je commence à faire mon rabat-joie (si, si), en trouvant que… tout de même, il n’y aurait pas un peu de grossophobie et de laidophobie quand même derrière tout ça ? C’est vrai quoi, la grosse est forcément pleine d’humour et au service des autres, et les laids (en particulier la fille magnifique, chimiste du Reich, sévèrement enlaidie pour l’occasion) sont forcément dans le camp du mal. Je suis toujours un peu taquin avec le féminisme (surtout dans un film qui selon moi est le pire moyen pour faire passer aussi ouvertement une morale ou une idéologie — ça passe beaucoup mieux en soft power), alors vous pensez bien qu’un film dont il se raconte qu’il pourrait être féministe (ou pas, selon les interprétations), il fallait bien que je vienne y mettre mon grain de sel…

Au final, concernant le féminisme supposé ou non du film (tendance « représentation de la femme au cinéma »), franchement, on est loin du compte : il ne fait pas de doute que le message intrinsèque et/ou involontaire véhiculé dans le film, c’est celui que la femme idéale est forcément belle, et accessoirement… toujours une princesse (c’est un piège de toute façon auquel personne ne pourrait échapper avec une telle adaptation : il faut respecter un tant soit peu l’image sculpturale du personnage original). Si on regarde le film cette fois sous l’angle de l’égalité des sexes, et si on juge par conséquent son refus de tomber dans certains clichés et codes montrant la femme comme évidemment plus faible et à la merci des hommes (ou d’un homme, celui à qui elle plaît et à qui elle se doit alors d’être soumise à ses désirs), on est là encore loin de la perfection. Si Diana montre une certaine audace et indépendance d’esprit vis-à-vis de sa mère, dès qu’un homme entre dans sa vie, elle redevient curieusement une petite fille docile (ce qui, en plus, n’est pas tout à fait conforme à l’idée assez asexuée du personnage original parfaitement rendu dans la série et qui lui donnait une autorité certaine — une sorte de caractère infaillible à la John Wayne — mais c’est vrai aussi que l’humour de la première heure tient dans cette posture contrastée entre petite fille tout émue par l’arrivée de cet homme providentiel et son éducation amazone).

Ce n’est pas tout de balancer quelques répliques qui piquent et chatouillent le patriarcat sous le scrotum et de jouer les dures quand il est question de se battre au milieu de tous ces virilistes en uniforme, faudrait peut-être aussi que Diana montre au mâle qui lui plaît, quand vient le moment de le séduire, que contrairement aux femmes pas encore tout à fait émancipées de son époque, l’insoumission totale aux hommes est pour elle une évidente nécessité. Pourquoi devient-elle tout à coup soumise quand ils s’enlacent pour une petite danse, et pourquoi arrivés dans la chambre, elle est clairement en position d’attente vis-à-vis de son amoureux ? L’insoumission réclamée et légitime, elle commence là. Si on a des femmes (ou des féministes) qui attendent toujours dans ces circonstances particulières que l’homme fasse le premier pas (signe qu’elles se soumettent à ses désirs au lieu de se mettre, elles, à commencer à prendre l’initiative), il y aura toujours une forme de schizophrénie dans le féminisme de ce siècle. La femme ne doit pas attendre que l’homme guide ou soit le seul moteur des décisions, et cela, dans tous les domaines. Celui (ou donc celle) qui est souvent le plus audacieux, le plus conquérant, c’est parfois celui qui gagne la partie, quitte parfois à imposer ses vues aux autres qui se satisferont de cette position d’attente. Et c’est aussi en ça que les femmes se retrouvent toujours sous-dimensionnées si on peut dire par rapport à certains hommes qui osent toujours tout et tout le temps. S’il y avait une femme qui aurait pu montrer cette voie, cette audace d’action jusque dans l’expression de ses désirs (comme les femmes des pré-code films dans les années 30), c’était bien cette Wonder Woman. Et cela, malgré sa jeunesse. C’est typiquement ce que certains appellent le male gaze, or ces séquences de séduction sont réalisées par une femme. (Oui, c’est un argument de plus pour moi pour dire que cette idée de regard sexué pour un cinéaste n’existe pas.)

Malgré ça, je dois avouer que le film a finalement su me convaincre également à travers ses scènes d’action. C’est stupide, mais j’adore la danse, la chorégraphie pour être plus précis, et il y a dans les batailles ou les scènes d’action, dans certains films parfois, une recherche purement formelle qui peut presque miraculeusement donner quelque chose d’élégant ou tomber inexplicablement à plat (John Woo en est un bon exemple). D’abord, dans un univers aussi gris et sombre, les couleurs bariolées et excentriques, presque kitsches, de Diana, j’avoue que ça fait son petit effet. Ensuite, si j’étais déjà fan de la série, il y a toujours eu une forme d’élégance chez Diana qu’on ne retrouvait pas par exemple dans… Xéna la guerrière. Pourtant Gal Gadot, au niveau de l’élégance, elle est un poil en dessous de Lynda Carter. Cette manière de se tenir étrangement, les épaules en arrière et la tête en avant comme un vautour, ça n’a pas vraiment grand-chose à voir avec le maintien d’une reine, mais plutôt avec celui d’une adolescente rebelle et fâchée… Là où en revanche Gal Gadot, bien aidée sans doute par les effets spéciaux, fait mieux que Lynda Carter, c’est dans le côté athlétique. La danse acrobatique, c’était une des disciplines de base dans les principes et les cours donnés par Ned Wayburn, le chorégraphe des Ziegfeld Folies. La mise en scène reprend les ralentis apparus depuis Gladiator je crois, mais c’est particulièrement pertinent ici parce que ça met bien en valeur les pirouettes gravitationnelles des Amazones et donc de Diana.

Et puis, j’ai beau pester contre la laidophobie (et donc plus globalement contre une répétition un peu stupide pour un film présenté comme féministe des clichés sur l’indispensabilité de la beauté pour une femme parfaite), ainsi que la posture ou le jeu de Gal Gadot, l’actrice a tout de même… une longueur de jambes, des yeux d’un noir profond et un sourire pas vilain qui, par Zeus…, m’ont fait oublier tout rapport possible au féminisme et rappelé à mes vicieux biais de spectateur mâle privilégié, et ainsi fait goûter à la morale finale bien avant la fin (du film, pas de ma phrase) : « Si les hommes sont capables du pire en matière de violence, ils sont aussi capables d’amour… Ah, l’amour, l’amour (aveugle), toujours l’amour. » La société nous permet-elle encore de tomber amoureux des actrices de cinéma ? De fantasmer sur elles jusqu’au point de se surprendre malgré soi à reluquer leurs jambes et leurs courbes avantageuses ?… C’est encore autorisé ? Eh bien allons-y alors. Je suis fou de Gal Gadot, et ça, ce n’était pas gagné. (Beau joueur, je la laisserai, elle, se jeter à « lasso » vers moi.)

Une image de synthèse en train de danser. Wonder Woman, Patty Jenkins 2017 | Warner Bros., Atlas Entertainment, Cruel & Unusual Films, DC Entertainment, Dune Entertainment, Tencent Pictures, Wanda Pictures


Pour en finir avec le supposé féminisme du film, j’avoue que ça me fait joyeusement rire (je ne parle pas des petites répliques et situations du début du film), et je repense aux idéologies retournées comme des crêpes dans les films. Mon exemple de référence, c’est Tueurs nés où la confusion entre violence et dénonciation (vaine) de la violence desservait totalement le film. Ici, c’est le contraire, non seulement je prends un plaisir coupable devant un tel spectacle rococo et pyrotechnique, mais la confusion du message censé être féministe me régale, et cela, non pas parce que je me réjouirais que le féminisme se vautre wonderfolliquement, mais parce qu’au fond, au-delà du fait que ça fasse malgré tout réfléchir quant à la possibilité ou de la pertinence de mettre aussi ouvertement (ou tragiquement) une idéologie au cœur d’un film, cela montre surtout l’impossibilité de définir ce qui devrait être pro ou antiféministe. Et pas que dans un film. Et que plutôt de mettre au centre du « débat féministe » certains sujets indéfinissables, creux ou eux-mêmes, ironiquement, stigmatisants (le male gaze, le patriarcat, le manspreading, le mansplaining, le manterrupting, la rape culture, la charge mentale, etc.), on aurait tout à gagner à chercher à adopter des comportements « égaux » quelle que soit la personne, et identifier des problèmes d’inégalités bien réelles et bien spécifiques sur lesquels, potentiellement, on a prise. Si un film véhicule malgré lui une certaine idée de la femme, eh bien j’aurais tendance à dire que c’est un film, on peut (et on doit) certes essayer de viser un changement des comportements à travers le cinéma (tendance soft power toujours), mais difficile de légiférer sur la créativité. En revanche, il serait beaucoup plus facile de le faire dans la publicité et dans les médias (tout comme il ne me semble pas bien compliqué de rendre les protections hygiéniques gratuites, ramener le nombre de jours de congé de paternité à celui des femmes et les rendre obligatoires, pousser pour la parité dans les conseils d’administration, les assemblées, etc.).


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Les Animaux fantastiques, David Yates (2016)

Boule de neige

Note : 3.5 sur 5.

Les Animaux fantastiques

Titre original : Fantastic Beasts and Where to Find Them

Année : 2016

Réalisation : David Yates

J’avoue que je serai toujours aussi conciliant avec l’univers de J.K Rowling, même si à force d’en être resté éloigné des années, le sortilège d’oubliette a dû s’exercer sur moi plusieurs fois. Eh oui, je suis un vieux moldu fasciné de longue date par la capacité de l’auteure à user ici, comme il y a vingt ans, des mêmes artifices pour construire ses récits à partir principalement des personnages et de leur histoire personnelle servant à illustrer la plus grande, celle servant de contexte à tout cet univers fantaisiste et recomposé. Ça remonte à la surface dans le récit, ça se télescope avec les révélations qui émergent ici ou là, ça rentre en opposition, ça joue aussi pas mal du twist ou du contre-pied sans en abuser, et surtout ça imagine un certain nombre de personnages dont les premiers traits de caractère apparaissent très rapidement, et qui pour certains démontrent une certaine obstination chez elle à enfoncer certaines évidences ou thématiques qui lui sont chères.

C’est d’ailleurs probablement ce qui explique mon indulgence ; je dois partager un certain nombre des obstinations de J.K Rowling, sauf si, bien sûr, elle a le talent de me faire croire que ce qu’elle y met de supposément personnel correspond à mes attentes. À cet égard, c’est sans doute l’esprit de prof qui s’exprime ici chez elle, mais je lui trouve une certaine bienveillance vis-à-vis des cancres, des élèves en difficulté, tourmentés ou incompris : je ne pense pas me tromper en disant que la grande majorité de ses « méchants » sont de ces élèves que le « système » n’est pas parvenu à récupérer à temps. Beaucoup sont des terroristes d’ailleurs, des personnages marqués par une grande intolérance à l’autre (justement souvent parce qu’ils ont souvent souffert au départ de l’intolérance des autres), et ce sujet trouve réellement un écho à ce qui se passe aujourd’hui dans nos sociétés où des « élèves » de la nation, méprisés, rejetés, par la société pour leur différence, retournent cette difficulté contre les autres et en font une force jusqu’à devenir une menace (terroriste parfois) pour cette société.

Ce film-ci n’est pas sans défaut par ailleurs. L’acteur qui joue Norbert est trop « parfait », trop beau, pour jouer un tel personnage à côté de ses pompes, du coup, il surjoue le mec bizarre et lunaire, et c’est un peu pénible à voir. Guère convaincant. En revanche, l’acteur qui joue le moldu, ainsi que son personnage (sorte de pendant de Ron), est peut-être le véritable héros de cette histoire. L’effet boule de neige présent dans nombre d’histoires se situant dans un monde imaginaire est poussé à la limite (du ridicule) à la fin quand toute la ville est touchée par un sortilège géant d’oubliette, ignorant la possibilité que les nouvelles extravagantes de la ville aient pu être transmises dans le reste du monde (l’univers n’est pas une boule de neige).


 
Les Animaux fantastiques, David Yates 2016 Fantastic Beasts and Where to Find Them | Heyday Films, Warner Bros

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American Sniper, Clint Eastwood (2014)

Indiens & Envahisseurs

Note : 1.5 sur 5.

American Sniper

Année : 2014

Réalisation : Clint Eastwood

Avec : Bradley Cooper, Sienna Miller, Kyle Gallner

On voudrait donc nous faire croire qu’il y avait des terroristes en Irak avant l’invasion US. Un joli conte de fêlés… Au moins la morale est sauve, ce très honorable tueur en série, qui d’après ses dires, n’a pas assez exécuté de “sauvages” en opération, l’a été (exécuté) par un des siens dans son propre pays. Oui, la guerre élève des monstres, et pas qu’un peu ; si tu te vantes et te donnes un peu trop le beau rôle sans respecter cette règle qu’aucune guerre au monde n’a jamais contestée : il y a un retour de bâton. On ne va pas dire que c’est bien fait pour sa gueule, mais pour tous les types qu’il a butés pendant sa carrière, et globalement pour tout ce que les types comme lui représentent comme gros fouteurs de merde dans le monde, eh ben, c’est pas volé.

La nuance apportée en cours de route par Clint pour justifier la mise en scène de l’hagiographie d’un criminel en série est risible. Le bonhomme dézingue des “sauvages” et participe à une guerre illégale, lui et les siens se plaignent du chaos et des terroristes qu’ils ont eux-mêmes aidés à s’implanter dans un pays, le type a de vagues remords pour sa première partie de chasse où il dégomme un enfant et sa mère qui, ouf quand même, s’apprêtaient à jeter un obus sur les gentils envahisseurs, mais, mais… la vie d’un héros qui rentre à la maison ce n’est pas si facile ! La solitude du tueur en série… Mais que voulez-vous, la tension est trop élevée (salauds de sauvages, ça doit être de leur faute) : tu ne vois pas tes gosses grandir (que tu élèves en futurs tueurs pour poursuivre la tradition familiale), alors merde quoi, c’est tragique, un peu de compassion pour ces cow-boys envahisseurs qui vont chaque jour buter des musulmans à l’autre bout de la planète et qui sont trop loin pour rentrer tous les soirs à la maison ! Les héros de guerre absents de leur foyer, c’est une vraie cause oubliée aux USA, on le dira jamais assez.

D’autres détails agacent. La vision de la famille américaine décrite dans le film est à gerber. Probablement une réalité cela dit. Mais voir un père amener son aîné à la chasse pour tuer du gibier et lui apprendre à devenir un homme, voir ce gosse refaire la même chose avec son propre fils, ça passe mal. On est au XXIᵉ siècle, qu’un film montre ça, ça me paraît totalement hors du temps. Que Kyle ensuite s’amuse avec un flingue dans sa baraque pour le poser sans y prêter attention n’importe où, le tout avec deux enfants à proximité, c’est peut-être du cinéma, mais je n’ai pas envie de voir ce type de comportements dans un film surtout si c’est pour valoriser de prétendues valeurs familiales. Même chose quand le bonhomme demande à son fils de prendre soin des femmes de la maison en son absence. Là, tu as juste envie de dire…, mais putain, connard, quoi. Trop, c’est trop. Même les westerns des années 50 sont plus progressistes.

American Sniper, Clint Eastwood 2014| Warner Bros., Village Roadshow Pictures, RatPac-Dune Entertainment

La seule note positive du film, c’est l’interprétation de Bradley Cooper. Il arrive à humaniser une ordure par son intelligence, son charme, sa présence. On le sent à la limite du contre-emploi, et ça participe peut-être à une volonté d’Eastwood de lisser le personnage de Kyle qui en réalité était pire que ce qu’il nous en montre ici. On passe en quelque sorte du « j’en n’ai pas tué assez », qui est grosso modo le discours du vrai Kyle, à un policé : « j’en ai pas sauvé assez ». Ça ne sauve évidemment pas le reste. Ce serait un film dénué totalement de son histoire, de la réalité, on parlerait d’une autre guerre, le film serait appréciable pour toutes les qualités qu’il peut posséder, techniquement, par ailleurs. Le fait est qu’il est question de l’hagiographie d’un tueur en série au service d’une guerre sale et illégitime. On se galvaniserait peut-être à une autre époque d’un tel criminel, comme les corsaires d’autrefois ou des as de la Première Guerre mondiale, mais c’est bien de la guerre en Irak dont il est question. Une guerre lancée sur des accusations mensongères, aux motifs non-avoués et douteux, pour des conséquences géopolitiques catastrophiques. Pour une petite misérable vie pleurée en Amérique, des millions d’autres sacrifiées sur le “terrain”.

Juste en passant, depuis l’intervention de ces héros glorifiés par le cinéma et les autres, comment se porte ce pays qu’une armée de serial killers était censé venir lui apporter la paix et la démocratie ? Bien, n’est-ce pas. Il y a deux types d’enfoirés : ceux qui ne se cachent pas, et ceux qui se font passer pour des anges ou des héros. La plus grosse menace, elle vient des seconds. Clint est tombé dans leur piège, ou il en est un lui-même.



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Dunkerque, Christopher Nolan (2017)

Gorge profonde

Note : 1 sur 5.

Dunkerque

Titre original : Dunkirk

Année : 2017

Réalisation : Christopher Nolan

Avec : Tom Hardy, Kenneth Branagh

Il y a des événements inceptionnés qui me font parfois douter de vivre dans le même monde que mes semblables. L’étrange impression de ne pas goûter aux mêmes délices ou de rester hermétique aux expériences censées ravir la vaste majorité des spectateurs. Et parmi ces événements, il y a les films de Christopher Nolan.

Je garde une certaine affection pour Memento, qui pour moi, au-delà du simple exercice de style, arrivait à produire une réelle tension, liée au récit ou aux personnages, parce qu’il y avait la menace permanente pour le principal de se faire manipuler par un autre, et le procédé de la narration à rebours rendait impossible alors pour le spectateur de se sentir presque utile un peu comme dans un bon slasher où le plaisir naît de cette illusion que le spectateur pourrait prévenir les victimes juste avant qu’elles se fassent massacrer. L’exercice de style dans Memento, paradoxalement, renforçait — et c’est souvent le cas quand on joue avec la distance — l’identification aux personnages, d’autant plus que le principal, interprété par Guy Pearce, du fait de son handicap, attirait facilement l’empathie : la frustration de se savoir incapable de l’aider ne faisait que renforcer la sympathie qu’on pouvait avoir pour lui, et donc l’intérêt, la peur, qu’on ressentait face au déroulement tronqué de son histoire… On affectionne les objets qui vous procurent du plaisir, mais on en reste encore me semble-t-il dans un plaisir qui reste avant tout empathique, voire intellectuel, et ça reste encore une des propriétés de l’homme. L’animal se contentera de plaisirs bien moins subtils.

Memento reste pourtant le seul film de Christopher Nolan m’ayant procuré ce type d’émotions. Mon intérêt et mon… affection se sont vite évanouis au visionnage des suivants. Je pense même pouvoir dire que le reste de sa filmographie, au mieux me laisse indifférent, au pire, me donne envie presque de vomir (littéralement, étant sorti de Inception avec un mal de crâne et des nausées). Et si l’idée de voir des films mal foutus paraît encore pour moi une évidence, ça tend tout de même à devenir de plus un plus à l’évocation de certains titres une incompréhension profonde.

Quand j’évoque Memento, je crois encore pouvoir exprimer clairement ce qui, moi, me plaît et me fascine. Pour Inception, Interstellar et maintenant pour Dunkerque, je cherche, interrogatif, presque halluciné, et je ne vois rien. Je lis que Nolan propose des expériences immersives… D’accord, ce serait du cinéma d’action expérimental ?… J’avoue avoir toujours été un peu hermétique au cinéma expérimental, justement parce qu’il n’est pas narratif, et parce que dans mon expérience de spectateur, j’ai compris que ce qui me motivait à voir un film, c’était bien de suivre une histoire. Une histoire raconte, suggère, réveille en nous l’animal empathique, et tend à nous inculquer des savoirs qu’une seule vie ne nous aurait pas suffi à maîtriser. Regarde-t-on un film de Christopher Nolan pour suivre une histoire ? Ou l’expérience désormais suffit-elle pour elle seule ? Est-ce que le spectacle produit ne peut-il être que sensoriel ? Comment peut-on adhérer à des personnages qui ne sont plus que des pantins utiles à servir nos sens, à un récit qui n’est lui plus qu’un procédé servant à cacher l’objectif unique du film : multiplier les séquences… immersives, d’action et d’émotion ?

Mon incompréhension est là. Les films de Christopher Nolan ne sont pour moi que des objets de plaisir immédiat, des gadgets remplis d’artifices amusants mais sans autre ambition. C’est presque la critique qu’on pourrait faire de n’importe quel film à gros budget, mais c’est là le plus étonnant, c’est que ces films passent pour être des chefs-d’œuvre. Merde…, des chefs-d’œuvre de quoi ? Un film tout tourné vers le plaisir, ne nous en apprenant rien sur nous-mêmes, sur les autres, c’est de la simple pornographie, non ? Pourquoi ces films, vides de sens, de récit (sinon pour s’en servir comme d’un godemichet), avec des personnages sans consistance, sans histoire, sans désirs, sans contradiction, avec un rythme de grand huit ou digne d’une vulgaire page de publicité, pourquoi ces films fascinent autant et voient autant de public adhérer à ce qu’ils proposent ?

Parce qu’attention, si je peux comprendre, à la limite, qu’on entre dans le jeu du film de superhéros et du parti pris « dark » ou qu’on se laisse envoûter par les labyrinthes visuels et cérébraux, et qu’on y décèle des propriétés et des mérites que je peux deviner ; ici avec Dunkerque, Nolan réduit presque au maximum ces ambitions esthétiques ou prétendument narratives. Je vois donc encore moins où peut se situer l’intérêt ou le plaisir que semblent y ressentir la majorité des spectateurs. Ironiquement, durant la conférence précédant le film, Nolan semblait évoquer Bresson ayant influencé son cinéma (à moins qu’il ait parlé de quelqu’un d’autre…) ; on pourrait donc voir en effet une certaine forme de minimalisme, pour Nolan de ce film, en le réduisant à un survival. Pourquoi pas. Sauf que ça marche encore moins avec moi que pour ses précédents films. Les prétentions formelles pouvaient au moins laisser deviner un fond derrière les artifices. Là, rien. Formellement, ça pue.

Si Dunkerque n’est pas un film de guerre, mais un survival movie, comme Christopher Nolan semble lui-même le dire (pour être franc, je ne vois pas bien ce que ça change, mais d’accord), reste que le film n’est pas divertissant, effrayant ou simplement immersif. Pour la plupart des spectateurs, si je sais encore lire et entendre, si, bien sûr, ça l’est. Mais qu’est-ce qui est divertissant ? Je l’ai dit, même dans un film de guerre ou de survie, ce qui m’importe, ce sont les personnages, ce qu’ils révèlent d’eux, donc de nous, dans des situations de danger ; c’est la brillance des échanges entre eux (quand un film se réduit à trois lignes de dialogues ça limite les possibilités de se poiler devant la repartie des personnages), la beauté presque chorégraphique des mouvements, de la violence, du montage, l’utilisation savante du rythme, donc la capacité du chef d’orchestre à gérer les temps faibles et les temps forts ; c’est aussi, et c’est important, l’ironie, la fantaisie, l’humour, le second degré… parce que tout ça, ça dénote une capacité de celui qui raconte à s’élever au-dessus de ce qu’il décrit tout en restant respectueux à la fois de l’action et des personnages… Bref, même dans un film d’action, dans un film de guerre, dans un thriller, dans un survival movie, il faut du savoir-faire de storyteller (qu’on dit maintenant), mais aussi de mise en scène, de metteur en image, etc. Et contrairement aux précédents, je ne vois rien de tout cela. Je ne vois dans Dunkerque qu’un montage de rushs de séquences ratées et supprimées de Pearl Harbor et d’Il faut sauver le soldat Ryan. C’est laid, ce n’est pas inventif, c’est chiant et ça se prend méchamment trop au sérieux.

Qu’est-ce qu’a voulu faire Nolan en adaptant un épisode (plutôt méconnu pour nous Français) de la Seconde Guerre mondiale ? Utiliser l’histoire comme prétexte à en raconter d’autres, plus petites, c’est la règle, et il n’y a même pas un devoir de fidélité, l’auteur fait ce qu’il veut. Mais au-delà de l’opportunisme du faiseur de cinéma devant trouver son prochain sujet, ces petites histoires nous racontent souvent autre chose. Pourquoi avoir choisi tel soldat plutôt qu’un autre ? On ne sait pas. Pourquoi ce pilote plutôt qu’un autre ? Cet officier ? On ne sait pas. À la rigueur, il y a un semblant de singularité, les prémisses d’une histoire, avec les personnages embarqués sur le bateau et venant rejoindre les côtes françaises ; mais cette histoire, là encore, n’a rien de passionnant, c’est même plutôt grossier. Peut-être alors faut-il entendre Nolan dire qu’il s’agit d’un survival… Mais un survival n’a-t-il pas ses règles pour ? Quand je pense à Délivrance ou à Alien, par exemple, je ne peux que constater que ces deux chefs-d’œuvre du genre possèdent des modèles d’introduction, et que l’action, le cœur de l’enjeu — survivre — se présente au moins dans un deuxième tiers voire un troisième tiers du film. Christopher Nolan (après un clin d’œil peut-être très ironique aux films lents de Béla Tarr, mais j’en doute) commence son film, et c’est déjà le chaos. Une présentation sommaire du contexte historique, quelques incrustations pour nous expliquer le pari (raté à mon sens) d’un récit avec trois lignes parallèles n’évoluant pas à la même vitesse*, et puis on entre coup de pied au cul dans une logique de survie.

(* Ç’aurait pu être intéressant de voir une construction avec des séquences montées en parallèle comme dans Intolérance, jusqu’à ce que ces lignes se rejoignent pour proposer enfin un montage alterné, sauf que le chaos n’est pas seulement sur la cote, il est dans la tête, et comme à son habitude, Nolan complique son récit et on n’y comprend plus rien)

L’exercice de style (si c’en est un) pourrait être séduisant. A priori, un survival ne misant que sur l’enjeu de survivre ne me semble pas si éloigné que de faire un road movie filant droit comme Point limite zéro (quoi que la différence, c’est peut-être bien que le passé du personnage s’immisce, et le rattrape, au bout du compte, dans son échappée folle). Reste que cet aspect du film ne marche pas du tout. Pour faire un film de survie, il faut au moins pouvoir s’identifier aux personnages. Sans quoi, il pourra leur arriver les pires cataclysmes, on s’en foutra royal parce qu’aucun procédé d’empathie avec eux n’a été mis en œuvre. Et on ne sympathise pas avec des personnages pour lesquels on ne sait rien, ni du passé, ni des désirs cachés ou avoués, ni des peurs, ni de leur rapport aux autres ou à la guerre. On ne sait rien, et c’est bien cette absence de savoir qui rend le film particulièrement pénible à suivre, l’expérience sensitive pure et exclusive, ne laissant jamais place à l’autre sens, celui qui chez l’homme le différencie de l’animal.

Est-ce que ce qui fascine dans les films de Nolan, et dans ce film en particulier, ce n’est tout simplement pas l’attirail explosif, artificiel, mais sans but, seul, déployé pour exciter nos sens primitifs, et est-ce que toutes les prétentions parfois avancées pour expliquer, ou excuser, le plaisir ressenti durant le visionnage d’un de ces films ne sont tout simplement pas prétexte à autre chose, au seul plaisir masturbatoire de faire exploser ou émouvoir ? En quoi ce cinéma serait-il alors différent de celui de Michael Bay, mystère. Il y a des mauvais tours de magiciens, et d’escrocs, qui peuvent faire le tour du monde, ils marchent toujours… Peut-être alors qu’il est là le talent de Christopher Nolan. Se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Et à le voir en interview, c’est vrai que ce type se prend tellement au sérieux et a tellement peu de choses à raconter (ou à vendre) qu’on pourrait difficilement le croire honnête. S’il y a une logique derrière tout ça, j’ai peur d’y retrouver celle exposée et très bien (malheureusement) illustrée par Scorsese dans Le Loup de Wall Street : dans le monde aujourd’hui, tout se résume à vendre un crayon. Nolan vend de la camelote, mais il le vend bien… Sinon il n’y aurait pas tant de monde pour s’y tenir les côtes quand ce bel escroc les y enfile les basses de son copain Zimmer dans le derche. Prestigieux.


Un mot sur le public. L’ayant vu à la Cinémathèque, j’ai été surpris de la moyenne d’âge des spectateurs. Réservée aux abonnés, je crois n’avoir jamais vu autant de jeunes à une séance… La moyenne tournait bien autour de vingt ans alors que pour les projections auxquelles je suis présent (et j’y vais tous les jours), la moyenne tourne plutôt autour de cinquante. Je n’y ai vu que trois ou quatre habitués, ils font quoi de leur carte d’abonnés le reste de l’année tous ces jeunes ?

(Le son était tellement merdique, et… immersif avec ces horreurs de basses que certains appellent effets sonores, ou pire, musique, que la pellicule a cassé à un moment. Même la bobine voulait se tirer de là. On était bien les deux seuls.)

 

Dunkerque, Christopher Nolan 2017 Dunkirk | Syncopy, Warner Bros., Dombey Street Productions


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