Rocky II, Sylvester Stallone (1979)

La revanche de Bambi

Note : 3.5 sur 5.

Rocky II

Année : 1979

Réalisation : Sylvester Stallone

Avec : Sylvester Stallone, Talia Shire

Il n’est jamais trop tard pour voir ses vieux classiques.

J’ai vu Rocky premier du nom assez tardivement (je ne retrouve même pas la date), probablement dans les années 90, lors de mes soirées solitaires sur M6 ou la 5. Bien avant avoir vu Rocky Balboa au cinéma. Les deux films ne m’ayant pas laissé un souvenir impérissable. Je suis un enfant des années 80, j’ai donc grandi avec autour de moi des personnes citant les films de la série pour en dégager les meilleurs… Mais ça me passait par-dessus la tête : j’étais plutôt de l’école de Bruce Lee (je n’ai même jamais vu Rambo, et personne dans mon entourage regardait en réalité ces films gonflés à la testostérone). Certains adolescents de cette époque avaient une forme d’appétence conscientisée ou non pour la virilité affichée de Rocky, en tout cas pour les promesses de testostérones garanties par tout ce qui virevolte autour du film. Et à l’adolescence, mon identité ne s’est absolument pas portée sur ce genre de films… Je vivais chez les ploucs, des ploucs petits-bourgeois, à la fois loin et proche de la ville, un esprit provincial sans l’être vraiment, et pour moi, le cinéma était une porte ouverte vers des mondes exotiques. Pas des miroirs dans lesquels j’espérais puiser des éléments identitaires (j’aimais les films, les histoires, je me foutais des stars ou des personnages). Bruce Lee cependant avait quelque chose de plus fin, de plus dansant, de plus étrange donc folklorique, et dans la famille Stallone j’avais probablement plus un intérêt à l’époque pour le frère, Franck, musicien et auteur de quelques chansons de la suite de La Fièvre du samedi soir, que Sylvester réalisera par la suite : Staying Alive. Car en plus d’être fan des films de Bruce Lee, je l’étais tout autant des films disco… Chacun sa croix.

Je découvre donc sur le tard l’idole des “amis” de ma jeunesse (enfin les deux ou trois pékins qui disaient voir ce genre de films, c’est-à-dire pas grand monde, l’idole des années 80 devrais-je plutôt donc dire), et au-delà du fait que Stallone nous a manifestement servi la même recette à chaque film, il faut toutefois reconnaître à l’acteur-réalisateur-scénariste certaines qualités qui expliquent l’immense succès de la franchise à l’époque. Des qualités auxquelles paradoxalement je ne suis pas insensible. Aujourd’hui en tout cas ; le premier film à l’époque ne m’ayant pas laissé un grand souvenir.

Rocky II, Sylvester Stallone 1979 | Chartoff-Winkler Productions

On parle beaucoup, d’après ce que j’ai compris, du fait que le film (ou la série) soit un conte de fées. Je pense aussi et surtout que rien n’aurait pu se faire sans la personnalité de Sylvester Stallone. Souvent moqué ou déconsidéré pour son jeu d’acteur, limité pour certains, je crois au contraire que sa présence et son talent, son intelligence aussi, sa sensibilité évidente, voire sa vulnérabilité, ne trompent pas. Quand un succès est aussi démesuré, il est rarement immérité. Je le dis et je le redis encore : les personnages idiots sont à la fois les plus durs à jouer et les plus ingrats parce qu’on reconnaît moins volontiers votre talent. Et plus qu’un film de muscles, je vois en Rocky un film sur un naïf et gentil garçon, un Forest Gump avant l’heure.

Il faut donc un certain talent pour rendre sympathique un personnage idiot. En faire même une icône. Et je crains que, comme souvent, certains critiques aient l’idiotie de confondre le personnage et l’acteur. Rien que le fait de s’écrire pour soi-même un rôle qui n’est pas censé vous valoriser, et par conséquent vous rendre plus intelligent qu’on ne l’est, c’est une preuve en soi d’intelligence. Stallone sait que son emploi, c’est les imbéciles aux gros muscles. Mieux, on sent qu’il a en lui cette sorte de complexe d’infériorité ancien qu’il partage avec d’autres acteurs ou même écrivain (Mishima, par exemple) qui explique sa volonté d’offrir au regard des autres une forme de virilité assumée, voire reconstructive. Ces musculeux sont souvent d’anciens gringalets, et ils gardent toute leur vie en eux cette forme de retenue et de crainte, d’assurance feinte, propre aux personnes qui ont dû subir les moqueries et les brimades des plus grands. Ce qu’on décèle chez lui, et qu’on prend plaisir à voir transpirer plus que la sueur, c’est donc cette fragilité issue de ce complexe qu’il a su dépasser et contre lequel il lutte sans doute encore dans ses rêves. Le spectateur perçoit ça, et c’est pour ça qu’il apprécie le personnage. On aime les personnages qui se dépassent et qui ont des failles intérieures qu’ils peinent à cacher. Les années 80 ne seraient donc pas seulement les années fric, mais peut-être aussi un peu les dernières années d’insouciance : les années où le divertissement puéril (sans connotation négative, ce sont les années Spielberg) explose, comme elles voient émerger un autre gringalet timide et fragile, devenu un quasi-dieu sur terre en façonnant là encore son corps, et sa voix, à ses désirs : Michael Jackson.

Et si la personnalité de Stallone et de Rocky se mêlent, c’est au profit du film et de l’icône encore puissante aujourd’hui. Le personnage crée par l’acteur (comme les clowns, Stallone a eu le génie de créer le sien à partir de rien, comme Charlot, comme le mime Marceau) est tout aussi appréciable pour les autres qualités qui se voient illustrées dans chacun des films : la gentillesse (joli paradoxe de ne jamais montrer une once d’agressivité pour un boxeur, ce qui colle mal avec l’archétype viriliste que Rocky est censé incarner : on apprécie la nuance, même si le musculeux gentil relève également du cliché), la détermination (une des qualités principales reconnues en Amérique surtout dans les années 80 de Reagan), et sa générosité (si son personnage est si photogénique, c’est qu’il ne recule derrière aucune audace, il est sans filtre et donc à la fois expressif et dénoué d’arrière-pensées, autrement dit, il a toutes les caractéristiques d’un enfant — ou d’un imbécile).

L’autre réussite du film, sans doute, c’est qu’à l’image d’autres films sur la boxe de l’âge d’or, ce n’est pas qu’un film sur la réussite ou le dépassement de soi, c’est un film sur l’amour. Ces films sur la boxe de l’époque classique souvent étaient également des films noirs, où la mafia, les combines avaient leur part. Rien de tout cela dans Rocky : à l’image des années 80, on baigne dans l’optimisme. On se relève toujours plus fort. Sly is the limit. Ainsi Rocky pourrait être un mélange positiviste entre Sang et Or et A Star is Born… 

Les films de Stallone ne sont peut-être pas des chefs-d’œuvre, mais ils offrent au public quelque chose qui lui paraît honnête et authentique : Stallone lui raconte simplement une histoire, qui est en quelque sorte la sienne, avec sincérité. Et avec ses excès. On pourra reconnaître au moins que l’acteur aura ces cinquante dernières années imposé son image dès qu’on pense à la boxe au cinéma jusqu’à en éclipser toutes les autres. Ce n’est pas rien. Victoire par K.-O.

I comme Icare, Henri Verneuil (1979)

Soleil trompeur

Note : 2 sur 5.

I comme Icare

Année : 1979

Réalisation : Henri Verneuil

Avec : Yves Montand, Michel Albertini, Roland Amstutz, Jacques Denis

Scénario assez consternant semblant avoir été écrit par un enfant de dix ans. À l’image de Costa-Gavras, Henri Verneuil cherche à faire à l’américaine et se plante à la française…

De nombreuses séquences traînent en longueur et les décors ‘France moderne’ sont à vomir : le genre de décor urbain des villes nouvelles populaires et propres aux années soixante-dix qui finiront par devenir des déchets à ciel ouvert quand les matériaux utilisés seront sales, cassés, jamais rénovés, abandonnés ou vieillis. La mise en scène, elle, est à un carrefour entre Conversation secrète et Derrick sans jamais flirter ne serait-ce qu’une seconde avec le premier.

Mais le pire de tout, c’est donc ce scénario rempli de trous et d’incohérences. Je veux bien que les méthodes de fonctionnement dans un pays fictif ne soient pas les mêmes que dans un autre bien réel, mais quand cela devient un prétexte à des facilités scénaristiques, cela pourrait être fictif ou réel, cela ne changerait rien à l’incohérence et au ridicule de nombreuses situations.

L’une des plus grosses incohérences valant au moins quelques dizaines de facepalms et de rires dans la salle consistant à faire du personnage principal un procureur à qui échoue, pour d’abracadabrantesques raisons procédurières, la tâche de relancer l’enquête… à partir de zéro, alors qu’il était « juge » à la première et avait par conséquent connaissance des énormes dossiers (manifestement vides) qu’on ne manque pourtant pas de nous montrer à plusieurs reprises… Dans le dictionnaire des pièges et des mauvaises idées à destination des scénaristes, on appelle cette technique, le circuit court. Quand une idée n’a qu’une fonction : justifier une autre qui elle-même ne tient qu’à un fil. C’est un peu le même principe qui pousse certains dans la vraie vie à voir des complots partout : à partir d’une information là bien réelle, ils vont dégager un rapport de causalité qui, dans leur esprit, parce qu’il fonctionne en circuit court (apporte une clé de compréhension “évidente”, facile à comprendre, avec par exemple la confusion entre lien d’intérêt et conflit d’intérêts), va devenir la preuve d’une intention cachée, donc d’un complot. Les raccourcis, les heuristiques scénaristiques ou dramaturgiques comme on pourrait dire, ce sont les ennemis des raconteurs d’histoire. Il faut créer des liens entre les idées quand on invente une histoire, mais il faut s’arranger pour tisser des liens complexes qui impliquent différents facteurs, qui sont parfois troubles et incertains, et il faut éviter qu’ils soient soit trop proches (évidences, facilités peu crédibles ou déceptives) soit trop éloignées (rapports forcés peu crédibles). Y avait-il donc ici un intérêt ou une justification dramatique à faire du procureur chargé d’enquêter sur le dossier le même procureur ayant participé au précédent rapport d’enquête ? Ben, c’est pratique, on voit très vite le rapport de cause à effet, sauf qu’il faut alors expliquer pourquoi lors de la première enquête il n’a rien trouvé et rien vu… C’est bien pour ça qu’en général dans ce type de récit, on fait intervenir un nouveau personnage amené à être le personnage principal, n’ayant aucun rapport avec le passé qui sera remis en question dans son enquête, et qui est mis en liaison dans l’introduction par un personnage secondaire qui lui est en rapport direct avec ce passé trouble et qui bien souvent disparaîtra très vite, souvent dramatiquement (ce qui renforcera la volonté du personnage principal d’enquêter).

On n’en est qu’au début du film et on pouffe déjà pas mal. Il y a aussi par la suite des choix assez saugrenus qui enfoncent un peu plus le film et le spectateur dans son siège… Comme le fait de choisir l’acteur de La Question (un film sur un journaliste torturé lors de la guerre d’Algérie que je viens précisément de voir, sinon je ne l’aurais probablement jamais reconnu ; il apparaît également dans Les Arpenteurs, donc dans le genre saugrenu, on est bien), pour illustrer une séquence particulièrement longue et hors de propos sur la soumission à l’autorité, et donc sur la torture… Une séquence qui a presque autant d’intérêt que les digressions dont je me rends souvent trop coupable en commentaires… Le film prend à ce moment-là assez clairement je pense en référence l’expérience de Milgram, seul problème, l’expérience a été depuis largement remise en cause… (Sans parler, là encore, des incohérences ridicules faisant que notamment des scientifiques travaillent depuis des années et tous les jours sur la même expérience avec des cobayes différents, et avec un déroulé, non seulement qui serait illégal même dans des dictatures — dans les dictatures, la torture, elle est au service du pouvoir, pas de la « science » ; quoi que, durant la Seconde Guerre mondiale, Allemands et Japonais ont bien cherché à mettre « la science » au service de pouvoir, bref —, mais aussi peu crédible : ce n’est plus l’expérience de Milgram, c’est Le Prix du danger…).

Après, il faut reconnaître qu’avec de telles propositions de scénario, et cela malgré tous ces défauts, on prend un plaisir étrange à voir illustrées toutes ces idées dystopiques sur un monde alternatif pas si éloigné du nôtre… Selon l’adage, plus c’est gros plus ça passe. Le même plaisir qu’on éprouve sans doute en lisant les premières pages d’un roman de Stephen King en en découvrant les propositions fantastiques (qui ne manqueront pas par la suite de décevoir). Des audaces qui manquent peut-être aujourd’hui au cinéma français, même si le cinéma de genre semble revenir en force ces dernières années.

(La note sur IMDb, 7,9, est un mystère.)


 

I comme Icare, Henri Verneuil 1979 | V Films


Listes sur IMDb : 

Une histoire du cinéma français

Liens externes :


Un jouet dangereux, Giuliano Montaldo (1979)

Il giocattolo

Note : 3 sur 5.

Un jouet dangereux

Titre original : Il giocattolo

Année : 1979

Réalisation : Giuliano Montaldo

Avec : Nino Manfredi, Marlène Jobert, Arnoldo Foà

Western des villes cubiste, anti-réaliste voire absurde et nihiliste. Une sorte de cauchemar cinéphile où on ferait jouer à l’infini Dillinger est mort à un comptable surmené et naïf.

C’est aussi les amours un peu étranges, parfois homosexuelles refoulées (ou ironiquement suggérées), entre un homme (décrit volontiers comme peureux et impuissant) et son calibre. Ça ne ressemble à rien, et ça ne s’encombre souvent pas de cohérence psychologique (la femme est particulièrement robotique, répondant toujours favorablement aux comportements de plus en plus étranges de son mari, jamais agressive, toujours à l’écoute, compréhensive, alors même qu’elle est en train de mourir devant son homme indifférent à sa souffrance…).

Et que dire de tout ce passage aux rapports pour le moins suggestifs entre notre comptable et son nouvel ami beau gosse et flic de profession ?… Montaldo les dirige comme s’il était question là de séquences d’amour, et on ne voit pas beaucoup ce que ça pourrait être d’autre, tant l’amitié semble être poussée vers des limites ridicules dont on ne sait au juste si ces séquences tendres et joviales sont des parodies de buddy movies ou si elles ont été réellement tournées au premier degré. L’allégorie initiatique qui se joue entre les deux hommes quand l’un amène l’autre au stand de tir comme s’il l’emmenait chez les putes pour le dépuceler est révélatrice de ces rapports. Comment s’imaginer que tout cela soit fortuit ? L’un des profs de tirs a d’ailleurs beaucoup plus des manières homosexuelles que ces deux-là sans que s’en émeuve plus que ça nos protagonistes. On y trouve tout l’avantage des bordels : on tire un coup, on prend soin de son joujou, on compare les objets, leur efficacité, on regarde son tableau de chasse, sans jamais avoir affaire à des femmes. Un vrai paradis homosexuel. Le plus mignon, c’est que tout cela est montré comme si tout était parfaitement normal (à moins que j’aie l’esprit mal placé).

La tonalité du film est ainsi encore une fois très étrange en jouant de tous les genres, de la comédie à la tragédie. Il faut peut-être y lire une forme de satire à l’italienne mais qui pour le coup m’échappe un peu. Si la morale liée au danger des armes, en particulier concernant des individus fragiles fascinés par le mirage sécuritaire qu’elles leur inspirent, tout le développement et la manière d’arriver à cette fin, me laisse plutôt rêveur. Ces incohérences psychologiques presque volontaires, puisqu’elles apparaissent peut-être moins dans le scénario que dans des comportements stéréotypés jusqu’à l’excès ne peuvent être que le fruit de la volonté d’un réalisateur se refusant à tout réalisme. En dehors de Ferreri, au rayon des affinités, on pourrait citer Moretti parfois, ou Deville en France voire certains Resnais. Plutôt baroque au fond…


Liens externes :


Stalker, Andreï Tarkovski (1979)

Stalker

Stalker

Année : 1979

Réalisation :

Andreï Tarkovski

7/10

Top des meilleurs films de science-fiction

IMDb

Revu le : 11 juillet2017

+2 pour la mise en scène à la revoyure.

La quête me laisse toujours aussi froid. Ça paraît trop évident que tout ça mène nulle part, et les pseudos interrogations philostropiques qui arrivent en particulier en bout de chaîne sonnent bien creuses.

Le design post-éboulis dans la gare de fret de Pétaouchnok est toujours aussi moche, je ne m’y ferai jamais.

C’est aussi très, trop, bavard. Des séquences trop longues ou statiques (c’est une habitude chez Tarkovski, mais quand on n’est pas capté par les images, on reste très vite sur le quai et on s’ennuie). Pas de montage, fini les jeux de ralentis ou d’effets que le cinéaste a renié (Cf. Le Temps scellé[1]). Tarkovski qui se fait dévorer par Bresson en quelque sorte, et sa volonté de le rejoindre dans une ascèse minimaliste (jamais bon quand on est un génie de chercher à en copier un autre surtout dans sa plus mauvaise période).

Direction d’acteurs et acteurs exceptionnels cela dit. Manque la présence de personnages féminins tout le long du trajet. Je serais bien resté avec Ouistiti et sa mère à tordre des cuillères et à foutre du lait partout.

Ah, et on dit donc “stallequeur” et non “staukeur”. Le terme est anglophone, mais il est prononcé par des Russes, à la russe. Veri importanchko.


[1] notes et commentaires sur Le Temps scellé : 1, 2, 3

 

Stalker, Andreï Tarkovski 1979 | Mosfilm Vtoroe Tvorcheskoe Obedinenie


Alien, Ridley Scott (1979)

Revoyure

Note : 5 sur 5.

Alien, le huitième passager

Titre original : Alien

Année : 1979

Réalisation : Ridley Scott

Avec : Sigourney Weaver, Tom Skerritt, John Hurt, Yaphet Kotto, Harry Dean Stanton, Ian Holm, Veronica Cartwright

— TOP FILMS

Notes pour un septième voyage.

Toujours sympathique les relectures de chefs-d’œuvre, surtout sur grand écran. Amusant aussi de voir qu’à la Cinémathèque on tient tant à parler d’interprétation à travers le biais de la psychanalyse. Ne peut-on pas parler d’interprétation, de symboles, de références, sans ramener ça systématiquement à une escroquerie vieille d’un siècle ? Toutes les interprétations sont possibles, il n’existe aucune science pour en légitimer une plus qu’une autre. La mienne, j’essaie de la faire à travers un autre prisme : je préfère essayer de comprendre la force, la justesse, la puissance évocatrice de ce film, de ce qu’il éveille en une grande majorité de spectateurs, grâce à des mythes plus anciens, à des thèmes qui pourraient avoir tout de… psychanalytiques mais qui ne le sont pas.

Bref. Quelle (nouvelle) lecture après cet énième visionnage ? Eh bien, comme l’impression que Alien, c’est le mythe d’une petite fille défiant la volonté toute puissante de ses parents souverains. C’est une petite fille refusant l’ambition surhumaine de cette même autorité. Après la « mort de Dieu », et son absence dans le grand cosmos, que reste-t-il aux souverains cherchant à établir une lignée d’hommes en perpétuelle recherche de la mutation nouvelle qui leur assurera la « vie » éternelle, et maintiendra l’espèce entière au sommet de la constellation des vivants ? Eh bien, l’expérimentation médicale, génétique, voire eugénique. On en est encore à rabâcher le premier mythe de la science-fiction, Frankenstein. Mais ce n’est pas la mariée de Frankenstein, à laquelle on a affaire ici, c’est sa fille. Et si ce n’est pas le Minotaure, c’est Ariane qui finit par tirer son épingle du jeu.

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Qui est Maman du Nostromo ? C’est la femme du pharaon, la grande prêtresse, chargée de faire appliquer les désirs de son défunt mari. Le Nostromo, c’est la pyramide (ou le labyrinthe) dans lequel le souverain une fois mort veut voir ses parents (femme, concubines, fils et filles) réunis pour une dernière procession en son honneur, un sacrifice, une opération, une mutation, une copulation, une alliance (comme celle ayant fait naître le Minotaure) censés à la fois lui permettre de gagner la vie éternelle via la « recherche militaire » et l’établissement d’un sanctuaire inviolable, mais aussi assurer la survie de l’espèce, mutée, grâce à l’apport de cet agent… étranger. L’alien. L’idée ici, c’est comme dans tous les sacrifices, de faire en sorte que les parents ignorent tout de desseins du souverain. Seuls la grande prêtresse (Maman) et un prêtre serviteur (Ash) sont au courant pour mettre en œuvre cette union sacrée capable d’engendrer un monstre, puis le sacrifice des frères et sœurs ayant eux-mêmes, dans une sorte d’inceste si familier des souverains antiques, donné naissance à cette créature d’un nouveau genre, à la fois alien et humaine, donc, demi-dieu, donc légitime à régner encore parmi les hommes.

Ripley, c’est donc Ariane et Thésée à la fois. Mais aussi un peu Alice qui découvre le monde souterrain des adultes dans le terrier. Son but est de s’échapper de la pyramide où doit s’opérer la mutation, une fois qu’elle aura compris son rôle dans cette machination. L’un après l’autre, l’agent étranger est uni à ses frères et sœurs, elle sera la dernière. Mais Ariane se rebelle (les mythes ne sont jamais allés que contre l’ordre établi). Et tandis que tous les autres échouent, elle parvient à se démêler des entrailles de la pyramide et immole dans le feu le fruit monstrueux des ambitions de son père. Ripley, c’est l’homme, ou la femme, qui se reproduit à l’identique. Sans mutation. Une reine, mais une reine humaine, à hauteur d’homme. C’est nous. C’est aussi, comme dans toute bonne histoire, le retour à la normale, mais non pas un retour à la tyrannie d’une seule volonté, le retour à une forme d’état apaisé, loin des forces gravitationnelles, coercitives, de la société. Ripley, c’est encore la révolution contre l’oppresseur et le diktat d’un seul homme. Ni dieu, ni père. Ripley, toujours, c’est nous. L’humanité au temps présent, héritière d’une longue lignée de survivants après des millions d’années d’évolution. C’est celle qui n’a pas encore enclenché, ou forcé, la prochaine mutation. L’humanité à un temps t, l’humanité en mode pause et qui se révolte encore face aux mutations inutiles. Ripley, c’est encore, Alice, la princesse fourmi encore vierge ayant réussi à s’échapper du terrier et s’envolant pour fonder une nouvelle colonisation… à moins de retourner chez elle, portant en elle l’échec de sa mutation, ayant refusé le mariage, une grossesse non désirée sinon par « l’autorité souveraine »… Rattrapée par la société de son père, offerte à nouveau à son emprise, le vol de la révolution ne dure toujours qu’un temps. L’appel à la mutation est toujours plus fort, car cette force souveraine, c’est celle de notre survie. L’alien, c’est d’abord cet adulte, ces parents, qui volent à l’enfant son innocence en lui privant de sa condition d’individu, pour lui rappeler à ses obligations dans la grande lignée des vivants et des souverains : vivre, c’est s’accoupler avec l’étranger, pour mettre au monde des monstres. La jeune reine peut s’effaroucher, mais si à la fin du premier acte, elle fait la nique à cet étranger qui voulait l’engrosser d’un monstre, elle y passera pour de bon à la fin de la prochaine bobine.

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Fini les interpénétrations.

Petite subtilité de mise en scène découverte lors de cette révision. Ridley Scott nous annonce à un moment qui des 7 passagers survivra. Quand les trois explorent le vaisseau spatial extraterrestre émettant ses signaux d’avertissement, la séquence se termine par un gros plan du pilote fossilisé. On ne distingue pas grand-chose de lui, mais par un léger fondu, le montage suggère que Ripley se trouvera à son tour dans cette position, puisque le plan suivant, c’est elle, qui apparaît, pratiquement dans la même configuration. Et en effet, le film se terminera sur un gros plan tout à fait identique… Subtile le Ridley. (Quand a-t-il cessé de l’être ?)

Dernière remarque concernant l’emploi du suspense. Plus qu’un film d’horreur, c’est sans doute plus un thriller usant parfaitement des codes du suspense, au sens presque littéral. On sait que Hitchcock opposait les séquences tournées vers un principe de suspense et celles vers un principe de surprise. L’un des avantages du suspense, c’est qu’il permet de revivre (Replay) le même plaisir à chacun des nouveaux visionnages. Les surprises, les twists, ne marchent qu’une fois, et paradoxalement, si on y prend un plaisir lors d’un second personnage, c’est bien parce qu’on connaîtra ce qui suit et au lieu d’être surpris, on sera tendu dans l’attente de ce qu’on sait déjà de ce qui vient. Le suspense permet d’instaurer une ambiance tendue tout en connaissant la suite. La plupart des scènes du film jouent sur cette attente. À une exception peut-être : quand Ripley amorce la destruction du vaisseau, qu’elle revient vers la navette et y rencontre la bête, c’est une surprise. Même si, c’est une rencontre forcément attendue, quand Ripley décide de rebrousser chemin pour annuler le processus de destruction, c’est un retour en arrière jamais très bon dans une histoire. Alors que ça devrait être une période de tension maximale, à la revoyure, la séquence perd de son intérêt parce qu’on sait la première fois qu’elle y rencontrera la bête et retournera à la passerelle de commandement. Au contraire, par exemple dans la scène du repas, à la première vision, on pourrait être surpris bien sûr, mais en fait toute la séquence joue sur le même principe de suspense : la tension est redescendue, il ne se passe rien, et ce calme suspect doit éveiller une tension chez le spectateur qui comprend à ce moment que quelque chose va se passer, sinon la séquence n’aurait aucun intérêt. La surprise de la « naissance thoracique » n’est alors que l’achèvement de ce qu’on sait déjà, et il faut même noter le côté amusant de la séquence lors d’un nouveau visionnage, parce que la sidération des personnages à ce moment n’est plus le nôtre, on adopte presque à cet instant le point de vue du monstre, et on rit avec lui quand il glisse sur la table et s’enfuit. Il n’y a pas, ou plus, de surprise ; on jouit d’un plaisir sadique, enfantin même, comme quand une de nos blagues stupides a réussi son coup (boule puante, bombe à eau, coussin péteur…). Dans l’autre scène clé du film, le viol raté de la fin, on a encore affaire à une fausse « surprise ». À nouveau, si on s’éternise, c’est bien qu’il va se passer quelque chose, et on se doute d’autant plus qu’il se passera quelque chose, qu’on ne peut pas, nous spectateurs, nous enfuir ainsi sans avoir vu l’alien mourir dans l’explosion du Nostromo. On voit d’ailleurs la créature avant Ripley, et sa présence n’est une surprise que pour elle ; à nouveau, on prend ses distances avec le point de vue de la victime, et on gagne un peu à nous identifier à l’alien. Notre plaisir de spectateur est toujours un plaisir sadique, pas du tout lié à un enchaînement d’événements et de situations (donc à leur surprise relative) ; rarement, sinon dans des films d’horreur (et même dans Frankenstein — rappelons-nous de la scène avec la gamine et de la créature au bord de l’eau), on verra un film proposer de se mettre à la place d’un tel monstre (et dans les films suivant l’alien redevient un monstre à abattre). Le suspense marche à plein parce qu’on a aucun doute que dans ce duel final, la femme finira par l’emporter sur le monstre, mais si la situation marche autant, c’est bien que finalement on arrive à s’identifier un peu à un monstre sur lequel on sait finalement peu de choses. Ridley Scott évite ainsi une séquence d’action superflue et se concentre toujours sur la tension, l’attente et la peur de ce qui vient, l’idée de tâtonnement, d’embuscade. On comprend dès qu’elle enfile la combinaison que sa volonté est de le jeter dans le vide, toujours, aucune surprise, aucune lutte, ou improvisation. À la revoyure, c’est bon comme pour la première fois.


Vu le : 9 mars 1995 (A) + 6 autres fois

Revu le 28 septembre 2016 (tek)

Sonagi, The Shower, Youn Nam Ko (1979)

The Shower

Sonagisonagi-the-shower-youn-nam-ko-1979Année : 1979

Réalisation :

Youn Nam Ko

6/10  IMDb

C‘est beau, c’est certain. Les images, les prises de vues, la lumière, les paysages, la Corée… Mais le reste est un peu tendre.

Le scénario n’est pas si mal, il tend vers une certaine simplicité, même si le mélo a au fond ici peu d’intérêt (l’amourette d’un garçon et d’une fille).

L’exécution en revanche est plus qu’aléatoire. La direction de ces jeunes acteurs les pousse à en faire trop là où la situation parlait pour eux ou un brin de mystère ou d’incertitude aurait ajouté un peu de poésie à ces relations. Toujours une question de trop ou de pas assez, et là c’est trop, et c’est probablement une tendance du cinéma coréen de cette période. Voire une tendance générale.


Sonagi, The Shower, Youn Nam Ko 1979 | Nam-a Pictures 


Les mains négatives, Marguerite Duras (1979)

Ainsi fondent les mains

Les mains négatives

Note : 1.5 sur 5.

Année : 1979

Réalisation : Marguerite Duras

Marguerite. Je t’aime. Un peu, beaucoup, passionnément. Passionnément. Pas du tout. Tu es la femme. La cabine. Téléphonique la cabine. La cabine téléphonique sur l’océan de mon amour. Marguerite, je t’aime. Pas du tout. J’aime pas du tout tous ceux qui t’aiment. À la folie.

1000 ans. Mille ans que tu racontes. La même chose, si tu le sais bien. Un peu, beaucoup. Pas du tout. Regarde tes mains. Elles sont noires. Ou bleues. Beaucoup. Beaucoup trop. Tu écris. Marguerite écrit. Marguerite écrit n’importe quoi. Marguerite, trois mille ans de mains. Dans la gueule. Trois mille ans de mains dans la gueule. Et tu continues d’écrire. Un peu. Beaucoup. Beaucoup trop. Et puis, plus du tout.

Des vagues. Des vagues de voiture qui luttent contre le vent dans Paris. Des tombeaux. Nos tombeaux. Des mains dans ta gueule. Des mots. Marguerite. Des mots en lambeaux. La mémoire perdue. Des mots. Des mots en bleu et en noir. J’en ai encore plein les doigts. Cinq. Quatre, trois. Deux, un. Zéro. Marguerite. Je t’aime, je te tripote. Pas du tout. Oh, une cabine. Téléphonique. Une cabine téléphonique. Paris. Une benne à ordure. Une benne. Marguerite. Une ordure. En noir. Ou en bleu. Le Lido. Caverne où se tripotent les tribus qui s’effeuillent. Marguerite et son pull. Roulé. Comme une cigarette. Fumée. Un peu. Pas du tout. La vache, Marguerite. Personne dans les rues. Paris, quelle caverne. J’aime toutes les cavernes face à l’océan. Et la pluie. La pluie remplit le verre. De marguerites. Boire le champagne à la paille. Marguerite. Plus de bulles encore. Pas du tout de vin. Dix mille ans. Vingt mille ans. Trois millions d’années d’ivresse. Un peu, beaucoup. J’aime ceux qui boivent au volant. Le volant de ceux qui boivent. Marguerite. Qui boivent trop.

Une benne. Une benne à ordure. Bleu, noir. Rouge. Bleu. Mes marguerites. Mes marguerites dans la benne à ordure. Passionnément. Les pétales étalés. Des pétales étalés sur le trottoir. C’est trop tard. Beaucoup trop tard. Mille ans. La cabine téléphonique. Mille ans que je t’attends et que je t’aime. Pas du tout. Marguerite. En négative. Marguerite en négative. Paris s’éveille. Je m’étais endormi. Dring dring. Quand trente mille ans duras quinze secondes. Beaucoup d’ennui. Beaucoup. Ainsi font. Fond. Ainsi fondent les mains négatives. De Marguerite.

Les mains négatives, Marguerite Duras 1979 Les Films du Losange (1)

Les Mains négatives, Marguerite Duras 1979 | Les Films du Losange (1)

Les mains négatives, Marguerite Duras 1979 Les Films du Losange (2)


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Le Syndrome chinois, James Bridges (1979)

Le cœur du problème

Le Syndrome chinois

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : The China Syndrome

Année : 1979

Réalisation : James Bridges

Avec : Jane Fonda, Jack Lemmon, Michael Douglas

Suite aux incidents de Fukushima, je suis tombé sur ce film « catastrophe » sorti… 12 jours avant la mère des catastrophes nucléaires, celle de Three Mile Island.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça fait froid dans le dos. Le film n’est pas à proprement parler un film catastrophe parce qu’il ne va pas au bout des dangers suggérés. Mais le plus intéressant, c’est surtout la démonstration de l’impossibilité d’assurer une sécurité fiable. Le film décrit d’abord la volonté de l’entreprise gestionnaire du site nucléaire de minimiser les faits pour protéger ses intérêts (minimiser les coûts, les responsabilités pour éviter les fuites dans les médias, mentir pour pouvoir ouvrir une prochaine centrale, et ça va même jusqu’à la tentative de meurtre, mais là on espère qu’on reste dans le cinéma…). Ensuite, on voit comment le personnel peut être amené à cacher des informations, consciemment ou non pour sauver leur peau et donc mettre en danger la fiabilité de la centrale.

Les reproches faits au film semblent surtout le fait que c’est de la science-fiction, à savoir que le cœur du réacteur en fusion puisse traverser sa cuve et couler à travers la croûte terrestre… jusqu’en Chine, d’où le titre. Or, qu’est-ce que la science sans prospective et sans conjecture. Non seulement l’idée que de tels incidents pouvaient se produire s’est confirmée (et encore une fois pas plus tard que deux semaines après la sortie du film où une partie du combustible à Three mile Island avait fondu jusqu’au fond de la cuve sans la percer, car ils ont réussi à rabaisser la température à temps ; la situation est la même aujourd’hui au Japon) ; en plus, l’idée qu’un magma puisse couler jusqu’au centre de la terre est elle-même envisagée par certains scientifiques pour se frayer un chemin jusque dans les couches inférieures de la croûte terrestre dans un seul but scientifique… Les idées folles que se posent certains scientifiques, les auteurs de fictions ne le pourraient pas ? Là où c’est de la science-fiction, de la fable oui, c’est de voir un personnage comme celui de Jack Lemmon, seul contre tous, directeur de la maintenance dans la centrale, essayer de faire comprendre à tous qu’il y a un problème et que c’est leur devoir de pousser des travaux de recherches coûteux pour s’assurer du contraire. Et si, c’est de la fable, ce n’est pas une bonne nouvelle… Le film montre bien que chacun dans ces circonstances est amené à protéger ses intérêts particuliers plutôt que la sécurité. On comprend bien comment une directrice d’Areva vient se pointer devant la TV française pour nous assurer qu’il n’y a aucun problème au Japon et qu’il suffit d’attendre que ça se refroidisse, que des spécialistes travaillant dans le nucléaire nous expliquent que s’il y a un risque, il est minime…, parce que si demain on décide de se passer du nucléaire, ces gens-là n’ont plus de boulot. Les intérêts des uns ne sont pas les intérêts du plus grand nombre. Donc les décideurs, les politiques, sont forcément mal conseillés.

Parce que tout ce qui découle de ces accidents, c’est que le nucléaire, bien que « hyper » sécurisé, n’est pas à l’abri d’escrocs leur refilant du matériel de merde pour une centrale (comme dans le film), qu’on ne peut écarter les erreurs humaines (comme à Three Mile Island) parce que plus la sécurité est sophistiquée, plus on peut multiplier les possibilités d’erreurs. On ne peut être également à l’abri de catastrophes naturelles imprévisibles ou d’attentats… Or, quand on parle de nucléaire, aucune erreur, aucun incident n’est envisageable. Quand il y a un accident, ce n’est pas comme à la Nasa comme on l’entend dans le film (pour décrire le niveau de sécurité — il n’y a jamais eu d’accident à la NASA c’est bien connu) où un équipage disparaît avec tout leur matériel… Une tragédie certes, mais sans conséquence. Un accident nucléaire, c’est toute une zone qui est interdite pour des milliers d’années, des radiations imprévisibles avec non pas des effets seulement sur la santé sur les populations, mais sur tout l’environnement, c’est aussi des fonds à allouer non plus pour prévenir les risques, mais pour contenir les dégâts et les risques… Sans parler du problème soulevé par le film, finalement à peine développé mais qui se posait deux semaines après la sortie du film et aujourd’hui au Japon : à savoir, ce qu’il se passerait si un cœur en fusion devenait incontrôlable et finissait dans l’environnement. Les scientifiques nous disent qu’on ne peut pas faire de conjecture parce que ça ne s’est jamais produit… Il faut donc que la plus grave catastrophe arrive pour attendre d’étudier ses effets sur l’environnement…

La science est arrivée à un point où elle a inventé un monstre, une sorte de King Kong qu’on se plaît à montrer aux yeux des spectateurs, tant qu’il est dans son trou, enchaîné, maîtrisé. On mesure à peine les conséquences si le monstre venait à devenir incontrôlable. Les expériences ont débuté dans les labos, elles sont désormais à l’échelle de la planète. « Il y a un risque sur mille »… C’est déjà trop parce que c’est potentiellement la destruction de tout un environnement. On ne met pas en application des sciences dont on ne mesure pas les risques. La vie n’est pas un champ d’expérimentation. C’est tout ce que nous avons. Nous mourrons tous, mais notre planète n’a qu’une vie. Le nucléaire nous dépasse totalement et même un risque quasi nul, c’est toujours trop. Les bénéfices de confort qu’on peut en tirer sur un ou deux siècles ne sont rien face à un accident majeur qui rayera de la carte des continents entiers. L’énergie nucléaire civile, c’est pratique, ce n’est pas cher, mais c’est un monstre imprévisible qui, s’il se réveille, peut devenir incontrôlable. Laissons King Kong sur son île avant d’être sûr d’avoir les outils pour le contrôler. Attendons au moins quelques siècles que nous ayons installé des bases sur la lune ou Mars pour jouer aux apprentis sorciers.

 

J’avoue que j’étais plutôt favorable au nucléaire avant ça. J’étais plutôt « écologiste » mais le nucléaire semblait justement une bonne alternative aux énergies fossiles. Trois accidents majeurs en trente ans, c’est la preuve qu’il n’y a pas de risque 0. La preuve qu’on est tous assis sur une bombe. Le changement climatique, on le sait, ça arrive, doucement ; le danger nucléaire lui, on ne le voit pas venir, et il vous frappe en pleine gueule pour vous mettre KO.

On nous dit que c’est de la science-fiction, mais le film est bien en deçà de la réalité. La réalité dépasse souvent la fiction. C’est parfois le cas en science-fiction. Les intérêts industriels passent avant la sécurité. Malheureusement, les incompétents, les escrocs, les corrompus, ça existe, et eux jouent avec le feu. La vie n’est pas un jeu.

Un film à voir donc. Un film écrit pour être de la SF et qui au bout de dix jours prend forme, puis au bout de dix ans se voit totalement dépassé par la réalité d’un danger, c’est assez rare. D’accord, le film utilise le grotesque (le syndrome chinois) pour faire passer le message d’un risque que l’on pensait alors improbable. Mais, pour le reste, l’illustration des conflits d’intérêts, de la notion de risque zéro, tout cela, le film a vu juste, et même était bien en deçà de la réalité…


Le Syndrome chinois, James Bridges 1979 The China Syndrome | Columbia Pictures, IPC Films, Major Studio Partners

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Hardcore, Paul Schrader (1979)

Pussy Driver

Hardcore

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Hardcore

Année : 1979

Réalisation : Paul Schrader

Avec : George C. Scott, Peter Boyle

Qualité Schrader. C’est-à-dire scénario qui tient la route avant tout. Le début est une leçon d’écriture pour exposer des personnages et des situations. On apprend les noms des personnages en situation, à connaître les caractéristiques des personnages… en situation (par exemple, Vandorn, on montre son exigence, son obstination, dans une scène au boulot où il n’est pas satisfait d’une affiche). Le rythme des scènes se succède à une vitesse folle. Le but toujours étant de délivrer une information, même si bien sûr, on ne sait pas encore où on nous embarque. Une fois que tout est mis en place, le récit peut enfin déraper avec la disparition de la fille de Vandorn. Ensuite, c’est plus classique, plus linéaire, mais pas moins difficile à écrire sans doute.

On pense inévitablement au Taxi Driver que Schrader avec écrit deux ou trois ans plus tôt. Les deux films étant eux-mêmes inspirés de La Prisonnière du désert. Ici, c’est plus évident que dans Taxi Driver puisque le sujet, c’est un père qui part à la recherche de sa fille, enlevée (ou pas) alors qu’elle entrait à peine dans le milieu du porno (version hard, genre snuff movie). Le personnage est toutefois moins intéressant que celui de Taxi Driver (ses relations avec la prostituée qui l’aide sont à peine esquissées, et sans doute à juste titre ; il est moins fou, moins ambigu). On retrouve l’attrait de Schrader pour les mondes opaques, dangereux dans lesquels le héros doit s’infiltrer. Toujours avec ces mêmes travellings latéraux filmés depuis la voiture sur des trottoirs fréquentés par des rabatteurs, des prostituées et autres personnages louches. Et que ce soit à LA, San Francisco ou San Diego, tout fait penser aux rues de NY : grosses enseignes lumineuses, des entrées avec des escaliers qui remontent vers un peep-show (pas loin du bar d’Hideko dans Quand une femme monte l’escalier). L’univers, l’époque, ça fait aussi penser un peu à Boogie Night, le côté fun en moins (le porno glauque, insouciant, des 70’s).

Il y a des images assez cocasses dans le film, comme quand George C. Scott (le Patton de Coppola, et avant ça le général maboul chez Kubrick) jouant ici un père veuf (ou presque) issu de la classe moyenne du trou du cul des États-Unis, très religieux, enfile fausse moustache, perruque, chaîne en or et jean à la mode pour se faire passer pour un producteur de films pornographiques. On y croit moyen, le personnage aussi, donc ça marche.

À noter aussi le personnage assez peu convaincant de la pute au grand cœur, qui s’enfuit avec le père quand il lui demande de l’aider à retrouver sa fille moyennant une semaine de salaire. Schrader ne s’attarde pas sur la relation, c’est à la fois la qualité et le défaut du film. Un personnage quand il vise un objectif (sa fille ici) doit trouver autre chose en chemin (la tradition du truc initiatique, etc.), donc là ça tombe sur elle, sauf qu’un tel personnage est à la fois fascinant au premier coup d’œil (pour un spectateur mâle, je suppose), mais on s’égare très vite dans les clichés. Un peu à l’image des lunettes fumées qu’elle porte sans cesse qui nous laisse seulement entrevoir son regard… En gros, on veut la voir, on nous la montre à poil au début (les seins les plus laids de toute l’histoire du cinéma) et hop, elle se rhabille ; on ne verra même pas ce qui pourrait la rendre plus intéressante, les yeux, son regard, son histoire… Comme si Schrader ne voulait pas tomber dans le piège du héros qui tombe amoureux de la prostituée. Trop grossier, trop cliché. Trop tard, Paul… Vandorn lui-même lui dit clairement que son histoire ne l’intéresse pas avant de changer brièvement d’avis, mais ce sera trop tard, elle filera… Pourtant, c’est bien lui (Schrader) qui a voulu aller dans cette direction… S’il ne voulait pas jouer avec les stéréotypes, il ne fallait pas décrire ce milieu. Peut-être également n’était-il pas satisfait de l’actrice (qui fut madame Kurt Russell pour la petite histoire) : si elle s’en tire pas mal sur le côté physique du personnage (les moues insolentes, la démarche de traviole), il n’y a aucun charme quand elle parle, c’est presque récité… Pas facile de trouver une bonne actrice pour jouer un tel personnage (topless), encore à la fin des 70’s. Surtout si le scénario ne l’a pas développée comme il l’aurait dû. On ne peut cesser de penser qu’il y aurait eu une relation intéressante entre les deux personnages, un jeu de substitution père-fille. Peut-être trop évident pour Schrader, trop éloigné du thème principal (en bon amateur de la ligne stricte à la Bresson).

Pas un grand film donc, mais à découvrir parce qu’il est l’œuvre d’un des meilleurs raconteurs d’histoire de cette fin du XXᵉ (The Yakuza, Taxi Driver, Raging Bull, À tombeau ouvert, La Dernière Tentation du christ, Mosquito Coast, City Hall, Obsession, Affliction, American Gigolo).

Ça m’étonnerait que le film ait rencontré un franc succès. Pas de star, un film assez sombre, pas d’action… L’année d’après, il continuera les adaptations déguisées. Fini la Prisonnière du désert, place à l’esprit de Bresson. Et un Richard Gere pour rendre tout ça un peu plus sexy. Désormais, les balades en voiture ne se font plus en première à mater les néons des peep-shows la nuit, mais en accompagnant une décapotable filant à toute allure sur une route ensoleillée avec une musique pétaradante. On change légèrement d’angle, mais au fond ça reste un peu la même chose et en prime le film a du succès… Au lieu de voir un personnage qui cherche, on a plutôt affaire à un personnage traqué, qui est victime d’un coup monté. On sort de la bagnole et on regarde autour de soi pour se demander qui va nous foncer dessus… Le monde, qu’on le regarde depuis sa voiture ou en piéton traqué, il est le même. Dangereux. Et il tend pas mal à se propager comme une tache d’encre sur un buvard, prêt à imprégner la vie fragile de nos « héros ». La fille de Vandorn, même perdue au fin fond du Michigan, ne pouvait pas échapper au monde cruel et pervers de la société : les Indiens sont partout.

D’ailleurs, il est intéressant de remarquer dans la bio de Schrader que Grand Rapids, la ville du Michigan où se déroule le début du film (où on y décrit les pratiques religieuses strictes) et d’où partent les élèves dont la fille de Vandorn pour la Californie pour un voyage scolaire, eh bien, c’est sa ville natale. Lui-même a reçu une éducation calviniste stricte… Quand on regarde les personnalités issues de cette ville (sur Wiki), en dehors de Schrader on peut y trouver Chris Kaman et Gillian Anderson, ça fait rêver.

En bonus : Vandorn décide donc de se faire passer pour un producteur de films de cul pour retrouver l’acteur qui a joué avec sa fille. Il tombe sur un Noir qui n’est évidemment pas le « type recherché », alors le mec s’énerve : « C’est parce que je suis noir que tu ne veux pas de moi ? Mec ! Tu ne sais pas qui je suis ? Je suis Big Dick Blaque. J’ai fait plus de films porno que tu n’en verras jamais ! » Et en face, c’est Patton déguisé comme Burt Reynolds dans Boogie Nights.


Hardcore, Paul Schrader 1979 | A-Team, Columbia Pictures


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Les Guerriers de la nuit, Walter Hill (1979)

Ulysse dans les villes

Les Guerriers de la nuit

The Warriors

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : The Warriors

Année : 1979

Réalisation : Walter Hill

Avec : Michael Beck, James Remar, Dorsey Wright

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Que fallait-il attendre d’autre du papa d’Alien (et de Crossroads) qu’un road movie initiatique ? Le film est tiré d’un roman, lui-même inspiré d’une œuvre antique que je ne connaissais pas (honte à moi) : l’Anabase de Xénophon. Le roman paraît plus dense, alors que le film file à toute allure. On suit un fil, pas celui d’Ariane : pendant tout le film, j’ai pensé à l’Odyssée.

L’histoire colle pas mal à la trame d’Homère : Un gang de Conley Island (pas celui des Achéens mais celui des Warriors) rejoint une réunion à l’autre bout de New York (ce n’est pas Troie), animée par le chef respecté du gang le plus puissant de la ville : Cyrus. On demande à chacun des gangs de la ville de venir à neuf, sans arme. Cyrus se fait buter en plein speech et la bande rivale de Conley Island des Warriors, les Rogues, font croire que ce sont eux qui l’ont tué. Bien sûr, c’est une ruse. Une petite injustice et hop : provoquer la sympathie du spectateur, « check ». Bref, tout ça est prétexte à une petite balade entre le lieu de réunion des gangs et leur chère île de Conley Island. À la fois leur Ithaque et leur Pénélope bien-aimée.

Le chef des Warriors s’étant fait piquer rapidement, c’est Swam qui s’impose rapidement à leur tête : il est sage et rusé, tous les attributs d’Ulysse… Et du lieutenant Ripley. Le retour vers Conley Island n’est pas simple, tout chassés qu’ils sont par un grand méchant à lunettes (celui qui semble avoir pris la relève de Cyrus… limite Poséidon qui passe ses nerfs sur Ulysse). Il mettra tous les gangs de la ville à leurs trousses. Presque toutes… Le premier groupe que les Warriors rencontrent dans leur balade nocturne sera les Orphans. Trop merdiques pour avoir été invité à la fête de Cyrus. Ils les laissent d’abord traverser leur territoire, quand la belle Circée se réveille (à moins que ce ne soit Calypso). En fait, ce n’est que Mercy… Elle convainc les siens de ne pas les laisser passer sans rien leur demander, et finalement, c’est elle qui partira avec eux ! Pour le coup, on ne pense plus à l’Odyssée mais au Tour du monde en 80 jours et à Mrs Aouda, rencontrée en Inde et qui accompagne Fogg dans son retour à Londres où elle deviendra sa femme…

Les Guerriers de la nuit, Walter Hill 1979 The Warriors | Paramount Pictures

Les Warriors passent donc ce premier écueil, arrivent au métro où ils manquent de se faire tabasser… Le métro est un havre de paix antique et passager, l’omnibus de La croisière s’amuse. Chaque arrêt est comme une île avec sa faune endémique, ses populations sauvages, ses déesses… Ils seront obligés de se séparer, chassés dans les couloirs du métro par les Baseball Furies (ce n’est pas moi qui l’invente le lien avec la mythologie…), ou par les Punks (sortes de bouseux en salopettes qui se déplacent en rollers !). L’un d’eux se fait coffrer par la police, d’autres se font charmer par les sirènes, les Lizzies… Bref, on en perd en route, mais toujours grâce à leurs ruses et leur habileté, ils l’emportent et arrivent à se rapprocher de leur île. À chacun de leurs exploits, un peu comme dans les dessins animés (ou dans le dernier acte de Richard III), le grand méchant Noir à lunettes en est informé. Ça permet de mettre du rythme au voyage et d’entendre notre coryphée lancer ses fatwas. Musique groove en prime…, hommage à un autre récit de voyage mythologique : Point limite zéro. Ou juste pour lancer les années 80.

Notre Ulysse parvient donc à retourner sur son île. Il tue les prétendants qui se pressaient aux pieds de Pénélope (ici sa Conley Island). De retour chez lui, il retrouve son arme fétiche et s’en servira pour tromper celui qui voulait s’emparer de son trône.

L’histoire est d’une grande simplicité, c’est ce qui fait son intérêt. Un voyage initiatique, une quête du retour chez soi, la découverte de l’amour… C’est tout ce qu’il y a de plus classique et ça marche toujours autant. Pas la peine de tourner autour du pot, ce qui compte c’est ce parcours-là, le reste on s’en moque. Et Hill tient la route (ou le rail).

Étonnant que le film ait fait scandale à l’époque. C’est tellement grossier (dans le bon sens du terme) qu’on ne peut pas y croire… Une bande de loubards en rollers et salopette, une autre avec des battes de baseball et peinturlurée façon Alice au pays des merveilles…, qui peut croire à ça ? Rocky Warriors Picture Show ! Il n’y a rien de crédible là-dedans. C’est de l’opéra, c’est la Reine de la nuit. Ça fait appel à ce qu’il y a de plus primaire en nous : les groupes, les origines, la fuite du danger, le retour au pays natal, la peur des étrangers, la loyauté envers ses frères… Ce n’est rien d’autre qu’un western ayant pour cadre New York. Alors bien sûr, c’est plus évident aujourd’hui quand on voit les accoutrements des gangs tout justes sortis de Hair ou des Village People, mais à l’époque, on aurait sans doute été plus avisé de fermer sa gueule. Ce n’est pas un hymne à la gloire des gangs, c’est une allégorie. D’ailleurs, on ne voit pas une goutte d’hémoglobine ; contrairement au roman, il n’y a aucun mort (en dehors de l’assassinat initial de Cyrus). Ça reste très bagarre de cour de récré. Ce n’est pas la baston qui importe, mais la traversée de la ville, les rencontres…


The Baseball Furies !

 

And… the Warriors !

 


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