Little Women, Greta Gerwig (2019)

Note : 2.5 sur 5.

Les Filles du docteur March

Titre original : Little Women

Année : 2019

Réalisation : Greta Gerwig

Avec : Saoirse Ronan, Emma Watson, Florence Pugh, Laura Dern, Timothée Chalamet, Louis Garrel, Meryl Streep

Seule la fin me paraît plutôt réussie. Tout ce qui précède, sans surprise, reste décevant. Comme si Greta Gerwig ne proposait pendant deux heures qu’une suite de tonalités propres aux dénouements, avec ses séquences rythmées par des montages-séquences, sa musique ronflante. Résultat : un récit décousu avec cette impression permanente (et une vilaine manie des productions hollywoodiennes même quand elles sont destinées à un public censé être plus exigeant) d’être pris par la main pour nous tirer les larmes des yeux, et cette longue attente vite étouffée parce qu’elle ne viendra jamais d’une introduction digne de ce nom capable de nous exposer comme il le faut personnages et enjeux retrouvés tout au long…

Little Women, Greta Gerwig (2019) | Columbia Pictures, New Regency Pictures

Cet assemblage grossier sans queue ni tête pose un vrai problème narratif, surtout quand vient se greffer à ce château de cartes déjà bien fragile des flashbacks où ne finit plus que par dominer des séquences choisies pour leur potentiel dramatique exclusif. Quand on raconte une histoire, le sens général importe beaucoup plus que l’intérêt particulier des séquences qui la composent. À ce petit jeu d’échelle dramatique, on s’écarte des séquences mettant en évidence des informations essentielles à la compréhension d’une histoire pour se focaliser sur des situations. Une information, c’est froid, sans saveur, pourtant, s’il s’agit de bien mettre en évidence les ressorts d’une histoire, on ne peut y échapper ; tandis qu’une situation, ç’a quelque chose de rassurant (à tort) parce qu’on se dit qu’il y a quelque chose, là, qui se passe d’important. C’est un défaut qu’on pourrait malheureusement reprocher à beaucoup d’acteurs américains d’inspiration stanislavkienne passés à la réalisation. Chez les acteurs qui cherchent à donner un sens à chacun des mots prononcés, on dit au théâtre qu’ils « jouent les mots », cela pour dire qu’ils privilégient le détail sur le sens général. Il en va un peu de même des raconteurs d’histoires qui se perdent en route à vouloir donner un sens dramatique à chacune des séquences de leur film au détriment du sens général.

Cette idée de flashbacks d’ailleurs ne trouve son sens, et toujours, qu’à la fin, pour mettre un parallèle intéressant, mais le reste du film, le procédé ne sert qu’à brouiller un peu plus la structure et la définition des enjeux de tout ce petit monde (et ce n’est pas faute d’ignorer l’histoire, j’ai dû voir trois ou quatre versions différentes des Quatre Filles du docteur March).

Autre problème, le rythme frénétique qu’impose Greta Gerwig à ses acteurs et à son monteur : c’est réalisé comme un film d’action ou une bande-annonce, on ne voit rien, on n’a pas le temps de recevoir, on a à peine le temps de voir les cinquante émotions délivrées par les acteurs en un rien de temps. La situation est au cœur du dispositif, toujours.

J’imagine bien Gerwig efficace pour des films mettant en scène des périodes contemporaines, mais pour les reconstitutions, elle se plante autant qu’un Spielberg a pu le faire durant ses diverses tentatives de films en costumes. C’est peut-être d’ailleurs ce qui semble tant plaire dans sa manière de filmer et qui explique les nominations du film dans les récompenses hivernales. Parce que c’est vrai que c’est vivant… Sauf que, là encore, si pour certains personnages, ça peut se concevoir, imprégner son film d’autant d’émotions, c’est assez peu conforme aux usages suivis dans les rapports sociaux au XIXᵉ siècle, et plus la marque d’une société américaine actuelle dans laquelle il est bien vu, voire encouragé, d’affirmer et de partager ses sentiments. C’est paradoxal de mettre en lumière ce qu’il y a de plus moderne, d’émancipé pour les femmes… de cette époque, tout en éclipsant la nature d’une société par ailleurs, et au contraire, très rigide, pleine de codes, que tous les personnages mis en scène ici par Greta Gerwig semblent ignorer. Les rapports entre amoureux, par exemple, ne peuvent se montrer comme des rapports amoureux du XXIᵉ siècle, même si on peut supposer que cette modernité dans les rapports amoureux (mais tout aussi amicaux) entre individus de sexe opposé est une volonté de la réalisatrice. Non seulement ça concourt à donner au film une forme de vivacité parfois insupportable, forcée, mais du coup, on comprend moins la force pour une femme que ça pouvait être que de se mettre ainsi volontairement à l’écart des règles de la bienséance et des mariages entendus. Ce qui est parlant, c’est le contraste. Si on lisse, normalise et démocratise pour ainsi dire tous les rapports entre les personnages indifféremment de leur sexe, de leur âge, de leur position ou de leur classe, on ne comprend plus rien des enjeux de l’époque exposée.


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À bout portant / The Killers, Don Siegel (1964)

À bout portant

The Killers Année : 1964

6/10 IMDb

Réalisation :

Don Siegel

Avec :

Lee Marvin, Angie Dickinson, John Cassavetes

Sac de flashbacks colorés au goût acidulé fêtant joyeusement la mort de chacun des personnages. Seuls les seconds couteaux ont la vie sauve.

L’allure des killers et leur attitude pourraient faire penser à Tarantino, mais on est clairement encore dans le film noir, avec la couleur pour lui refaire un semblant de beauté. On ne dirait pas qu’on est en 1964.

Aucune psychologie, de la musique pour la remplacer, des post-synchronisations, des transparences ridicules en voiture, et en prime Ronald Reagan, piètre acteur ayant étrangement plus la carrure d’un homme politique qu’un escroc (on change un escroc pour un autre, le tout est de trouver sa vocation), et qu’on retrouve ici brièvement travesti en policier de la circulation.

Avec des flashbacks aussi longs, aucune chance de s’identifier comme il faut aux deux personnages de tueurs principaux. Si bien que quand l’un des deux meurt, on ne s’y attarde pas et on s’en moque. Pas bon signe. Mais on amorce aussi par là la fin des impératifs moraux du code et sur lesquels Siegel ne cessera par la suite d’appuyer jusqu’à Dirty Harry (à la même époque et avec le même principe — mise en scène de personnages qu’on ne cherche pas à rendre moralement “bons” —, c’est le western spaghetti qui redonnera un peu de souffle à un autre genre sur le déclin).

On retrouvera le même duo (Lee Marvin et Angie Dickinson) quelques années plus tard dans Le Point de non-retour de John Boorman.


 


Forfaiture, Marcel L’Herbier (1937)

Forfaiture

Forfaiture

Année : 1937

Réalisation :

Marcel L’Herbier

4/10 IMDb

Avec :

Victor Francen, Lise Delamare, Louis Jouvet, Sessue Hayakawa

Les dialogues sont nuls. Ça tombe bien, Sessue Hayakawa est incapable de se faire comprendre. (Découpage brouillon de L’Herbier, ce n’est pas beau à voir…)

Au niveau de l’histoire, c’est quand même très typé mélo, un genre qui sera un peu passé de mode dans les années 30 où on ne pouvait plus présenter le couple de la même manière.

L’Herbier rend hommage à un réalisateur (Cecil B. DeMille) qui a tourné un film original vingt ans avant et qui encore vingt ans après continuera de réaliser des chefs-d’œuvre. Y a les petits, et y a les grands… L’Herbier est un petit. (Et j’adore L’Argent.)

En dehors de Abel Gance et de René Clair qui avaient probablement une expérience du jeu et de la scène, les autres réalisateurs de l’avant-garde française étaient surtout des formalistes qui trouvaient avec le cinéma muet un parfait moyen de s’exprimer à travers le montage, la composition, les décors… Et avec le parlant, ceux-là se sont trouvés face à un art complètement différent où l’expérimentation devenait presque interdite et où surtout il fallait savoir diriger des acteurs. Il n’y a pas que certains acteurs du muet qui ont eu du mal à passer la barrière du parlant. Les metteurs en scène aussi.


 

Forfaiture, Marcel L’Herbier 1937 | Société du Cinéma du Panthéon


Le Quarante et Unième, Grigoriy Chukhray (1956)

De la musique d’appoint

Le Quarante et Unième

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Sorok pervyy

Année : 1956

Réalisation : Grigori Tchoukhraï aka Grigoriy Chukhray

Avec : Izolda Izvitskaya, Oleg Strizhenov, Nikolay Kryuchkov

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Quelques notes éparses :

La musique propose un contrepoint efficace à la niaiserie romantique qu’on sent venir très vite. Je ne connaissais pas le contexte, mais en le voyant, je me suis dit que cette musique pouvait convaincre les autorités de censure que le regard sur cet amour, forcément individualiste, devait être vu comme une tragédie, une chose grave. Paradoxalement, ça rend pour moi le film bien meilleur.

En dehors de la fin qui prend clairement le parti de la tragédie des amoureux, ce qui précède, avant l’échouage, peut être vu comme une tragédie cornélienne où l’héroïne doit composer entre son amour naissant pour le lieutenant blanc et son devoir. On serait dans le niais, la musique ferait du ton sur ton, nous disant que c’est merveilleux l’amour… Là, les notes sont graves, rappelant sans cesse les enjeux opposés de chacun, et le dilemme qui est un peu le propre de chaque histoire, en URSS comme ailleurs.

Question d’appréciation. La fin pourrait tomber dans l’excès, le mièvre, mais tout ce qui précède la prépare parfaitement en la rendant presque inéluctable.

Le but du récit est de concentrer très vite la relation sur les deux personnages pour mettre en œuvre les conflits qui viendront après. La naissance de l’amour, s’il apparaît souvent être le sujet des films opposant un homme et une femme, est ici assez accessoire.

Quant aux images, c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau en matière de profondeur de champ et de clairs-obscurs…

Le Quarante et Unième, Grigori Tchoukhraï (1956) Mosfilm


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Frère aîné, sœur cadette, Mikio Naruse (1953)

De la noblesse des pestiférés

Frère aîné, sœur cadette

Note : 5 sur 5.

Titre original : Ani imôto

Année : 1953

Réalisation : Mikio Naruse

Avec : Machiko Kyô, Masayuki Mori, Yoshiko Kuga

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(J’avais pourtant une envie d’ailleurs, j’ai horreur de finir un travail, et la filmographie de Naruse, j’hésitais à la finir… Il me restait quelques films, pas forcément emballé, j’hésitais. Sauf que je vais bien devoir les voir, parce que celui-ci est magnifique.)

Du Naruse pur jus. Les liens familiaux, les petites gens, les prostituées de l’ancienne ou de la nouvelle génération. Il est très peu fait mention de prostitution, mais si les jolis kimonos et l’allure ne trompent pas (voire les délicates prières d’une mère à sa fille qui lui demande d’éviter de trop boire…), le terme n’est jamais employé. Parce qu’on est bien loin des maisons closes, des quartiers des plaisirs ou des bars à hôtesse. Tokyo est de l’autre côté de la rivière apprend-on. À la fois si loin et si proche. Ici, c’est la campagne, l’antichambre de la ville grouillante où tout se passe. L’idée n’est pas si éloignée de celle de Suzaki Paradise où la caméra était posée autour d’une boutique à l’entrée du quartier des plaisirs, et où venaient s’échouer diverses filles, les mêmes décrites dans La Rue de la honte. Quand les prostituées arrivent (et repartent parfois) de la campagne, eh bien on y est là. On est à l’origine du monde, celui des filles de joie, perdues, pour qui les lanternes rouges des quartiers des plaisirs apparaissent comme un dernier recours de survie.

La société campagnarde n’est pas moins stricte que celle souvent décrite dans les villes. Une fille engrossée avant le mariage, ça reste un scandale, un déshonneur, et ça décide de la trajectoire de toute une vie…

Frère aîné, sœur cadette, Mikio Naruse 1953 Ani imôto | Daiei Tokyo Daini

L’entrée en matière est assez lente. C’est qu’il en faut du temps pour présenter le parcours de toute une fratrie. On commence par le père d’ailleurs, ronchon, désabusé, agressif. Le récit brouille les cartes en ne nous révélant pas tout à fait les raisons exactes de ses bougonneries. Et puis, arrive une des sœurs. Sa trajectoire pourrait devenir celle de sa sœur aînée qui est déjà passée de l’autre côté. Elle est très éprise d’un garçon, mais ses parents lui font vite comprendre qu’étant la sœur d’une fille peu recommandable, il ferait mieux de regarder ailleurs… Est-ce qu’on est enfin là où on devrait être ? Au cœur du récit ? Au sein du drame que toute histoire se doit de présenter ? Pas tout à fait, pas encore. On tourne autour du pot, on essaie de comprendre. On y vient petit à petit. On présente alors la mère, et enfin le frère aîné ; puis, on revient à la sœur cadette, pour faire traîner l’apparition de l’aînée.

Elle arrive alors, avec ses manières d’hôtesse de bar. On décrit ses relations avec tous les membres de la famille, et on se concentre enfin sur sa relation avec son frère. Ils sont comme d’anciens amants, se chamaillent, et sont plutôt vulgaires quand on les compare aux autres membres de la famille. Enfin le sujet est là : la fille est en cloque et, bien sûr, c’est un drame, parce qu’il n’y a pas de père.

Pendant près d’une heure, le film flirte ainsi sans prendre frontalement le problème. Même quand le “père” de l’enfant à naître, un étudiant de la ville, vient pour présenter ses excuses, tout est dans l’art de l’évitement. La sœur aînée est déjà repartie sans laisser d’adresse. Elle revient, parfois… Dans cette séquence avec l’étudiant venu de la ville, le frère et le père voudraient l’insulter, créer un esclandre pour le remettre à sa place, mais le garçon est trop bien élevé pour ça, ils ne s’attendaient pas à ça. Le frère lui donne deux ou trois baffes et lui dit bien toutes ses vérités, mais c’est surtout l’occasion pour nous de découvrir à quel point lui et sa sœur étaient proches, à quel point il a pu souffrir de la voir le quitter… On est toujours sur le fil du rasoir : il montre qu’il le déteste, mais il finit par lui montrer gentiment (et après l’avoir battu) comment rejoindre l’arrêt de bus pour retourner en ville. L’art du détail, et du contrepoint.

Arrive le finale, magistral. Ellipse. Plan sur l’eau dans la rivière, le vent dans les herbes, et la petite musique : un classique pour exprimer le temps qui passe. Et là, attention, ça ne rigole plus. On ralentit le rythme, on arrête la musique, on suit chacun des personnages arrivant chacun de leur côté, placés comme autant de pièces d’échecs pour la « scène à faire », tout cela en montage alterné. Des petites séquences de vie où rien ne se passe, sinon la pesanteur du temps présent, étouffé sous un passé trop lourd. C’est aujourd’hui jour de fête, on ne le sait pas encore, on va le découvrir, comme d’habitude, pas la peine d’expliquer, le spectateur finira par comprendre au fur et à mesure. Voilà pourquoi tous les membres de la famille vont se retrouver. Les deux sœurs, si différentes l’une de l’autre. Celle qui a maintenant la beauté criarde et vulgaire des geishas de la ville voisine, et l’autre qui y a échappé, en renonçant à son homme, lâche, comme toujours, et qui a fini par se marier avec une fille de meilleure famille. Toutes deux retrouvent leur mère. Malgré leurs différences, leurs différends, le temps qui passe…, c’était comme si rien n’avait changé. La simplicité de l’amour familial. Désintéressé, confortable. On n’est jamais aussi bien que chez maman. Le temps passe avec ses banalités de la vie quotidienne. C’est ça que veut nous montrer Naruse : retrouver la simplicité de tous les jours quand tous étaient heureux, peut-être. Toujours pas de musique, parce que la musique, c’est comme le souffle du spectateur, il réagit à ce qu’il voit, et là on ne sait pas encore ce qu’on fait là : il ne se passe rien. On attend, et plus le temps s’éternise, comme dans un Leone, plus l’ambiance se fait lourde, car on sait comme dans un Tennessee Williams que les relations vont tourner à l’orage. Eux sont encore à l’aise, ou font semblant de l’être, mais on ne respire plus. La musique qui s’est arrêtée, on l’a dans la tête, redondante, comme les vrombissements lourds, presque muets, discrets, qu’on entend dans Blade Runner quand on monte avec Roy Batty et Sebastien dans l’ascenseur pour retrouver Tyrell… On attend avec crainte cette explosion dont on comprend qu’elle veut venir. Et elle vient, bien sûr, quand le frère réapparaît en rentrant du travail (un travail dur, honorable, authentique et physique, pour trancher avec le métier jugé facile de la sœur). Il se vante d’avoir battu l’étudiant qui l’avait engrossée le jour où il était venu s’excuser. Elle ne le supporte pas. Comment peut-on être assez brutal pour frapper quelqu’un qui vient s’excuser… On comprend que la vulgaire hôtesse de bar, elle l’aimait son homme. La désillusion vue de la ville, face au déshonneur vu de la campagne. Ce ne sont pas des sauvages, mais des êtres blessés, désespérés d’avoir perdu ce qui les liait les uns aux autres. Naruse n’insiste pas. C’est un mélo tout en délicatesse. Il a montré où il voulait en venir. Et la musique peut resurgir, doucement. On peut respirer. C’est fini maintenant.

Une des dernières images résume assez bien le ton du film. Tout le village se retrouve autour de la rivière lors d’un festival des lanternes. La sœur cadette (la sérieuse), venue avec sa mère, reconnaît près d’eux le garçon qu’elle aime tout fraîchement marié accompagné de son épouse. Comment aborder cette situation ? Comme l’herbe soufflée par le vent : un sourire poli à sa mère pour lui montrer qu’il n’y a pas de mal, et elle lui propose simplement d’aller plus loin. L’art de l’évitement. Ce que n’a probablement pas réussi à faire sa sœur, trop attirée par les hommes, et par tout ce qui brille…

À signaler tout de même, un rôle très inhabituel pour Masayuki Mori qui joue ici le rôle du frère. Peut-être un peu vieux pour le rôle, et pourtant, très convaincant dans son rôle de brute bougonne qui est bien le fils de son père. Et l’ironie, c’est qu’il joue ici avec Machiko Kyô. Tous deux jouaient la même année pour Mizoguchi dans Contes de la lune vague après la pluie… Ce sont les deux qu’on voit sur cette fameuse affiche, l’une reposant sa tête sur l’autre. Cela renforçant donc un peu plus l’impression suggérée pendant tout le film d’une sorte de relation incestueuse entre les deux. Leur interprétation, comme celle de tous les acteurs, est d’ailleurs remarquable. Quand on laisse autant de liberté, de temps, à des acteurs pour s’exprimer, quand ils sont bons, voilà ce que ça donne. Des détails qui tuent, de la subtilité, de la précision. Le plus souvent, ils n’ont rien à faire. Juste adopter une humeur et se laisser regarder. Le génie de la simplicité. Facile, évident, comme l’eau des rivières.

(Remake d’un film de Sotoji Kimura (1936) que Naruse s’est lui-même proposé de réaliser.)



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47 Ronins (Chûshingura), Hiroshi Inagaki (1962)

Peplum-geki

47 Ronins

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : Chûshingura

Année : 1962

Réalisation : Hiroshi Inagaki

Avec : Toshirô Mifune, Yûzô Kayama, Chûsha Ichikawa, Tatsuya Mihashi, Takashi Shimura, Setsuko Hara

D’un ennui fatal.

Deux heures trente qui semblent des siècles. L’histoire est sans doute bien connue des Japonais (un fait historique cent fois reproduit au cinéma), et c’est peut-être facile pour eux de suivre qui est qui sans avoir besoin de temps pour se familiariser avec cette faune renégate ; mais moi en histoire nippone, je n’y connais rien (et je n’ai pas vu les autres versions de cet épisode fameux). Le film a donc été un calvaire à suivre.

En plus, manque de pot, le seul personnage avec lequel il est encore possible de s’identifier est poussé à faire hara-kiri au bout d’une demi-heure…

Le reste est incompréhensible, ennuyeux et mou. On alterne scène de cour sur tatami à l’autre ponctuée par le ronronnement nonchalant de séquences d’arrivée et de départ dans un château, dans une ville. On peut difficilement faire plus redondant…

Pas un film de samouraï comme on le conçoit d’habitude, 47 c’est le nombre de fois où j’ai cru mourir sans qu’aucun personnage n’ait eu à sortir le katana de son fourreau. La peur du vide.

Chaque star possède vingt secondes de figuration. Pièces de valeur parmi d’autres au milieu de tous ces décors somptueux qui piquent les yeux jusqu’à l’indigestion. On se croirait au jubilé du président de la Toho. Tout le monde participe à la fête en faisant un petit quelque chose, et tout le monde se fait suer et attend la fin avec dépit… Le cérémonial respectueux du petit monde des défloreurs de mouches.

Pour ceux qui ne se seraient pas fait hara-kiri avant la fin, ils auront la chance d’assister à la première scène d’action du film, précisément à la 160ᵉ minute, avec la scène de l’assaut des sous-titrés 47 ronins (47 étant également le nombre de minutes que dure la scène en question, ou encore le nombre de cadavres utilisés dans la salle comme figurants pour cet épisode attendu). Tout ça avant de finir, bien sûr, par une dernière scène de transition en guise d’épilogue, avec le départ des champions sous les yeux des villageois.

Arrivée, papotage, départ, papotage, arrivée, papotage, départ, papotage, arrivée… C’est chiant comme un manuel d’histoire au mois d’août.

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47 Ronins (Chûshingura), Hiroshi Inagaki 1962 | Toho Company

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Les Amants passionnés, David Lean (1949)

It Rains Trevors and Todds

Les Amants passionnés

Note : 4 sur 5.

Titre original : The Passionate Friends

Année : 1949

Réalisation : David Lean

Avec : Ann Todd, Trevor Howard, Claude Rains

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David Lean retrouve Trevor Howard (Brève Rencontre) pour un nouveau mélo avec Ann Todd et Claude Rains. Histoire banale mais très bien menée ; on s’y laisse prendre du début à la fin.

Le cinéaste britannique est un maître quand il s’agit d’exposer l’imagination des personnages : pris plein cadre, il les laisse vivre, l’œil perdu dans le vague. Et puis…, mouvement de caméra en gros plan (lean closer en anglais de Londres), et voilà les vagues qui apparaissent. Mais cette fois…, il se contentera des feuilles dans les arbres (il fera la même chose dans Docteur Jivago). Quel poète ce David.

L’une des nombreuses qualités du film, c’est son rythme. Il va à l’essentiel. Deux ou trois phrases dans une scène suffisent, parfois un regard. Il suit le principe d’Hitchcock qui disait filmer les scènes de crime comme des scènes d’amour et des scènes d’amour comme des scènes de crimes. Deux acteurs hitchcockiens ça aide aussi.

(Claude Rains a un petit air de DSK, mais là, c’est lui qui joue le cocu.)


Les Amants passionnés, David Lean 1949 The Passionate Friends | Cineguild


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Funny Games U.S., Michael Haneke (2007)

Tape le replay

Funny Games U.S.

Note : 3 sur 5.

Titre original : Funny Games US

Année : 2007

Réalisation : Michael Haneke

Avec : Naomi Watts, Tim Roth, Michael Pitt

La version autrichienne est un petit chef-d’œuvre de cruauté. Là, c’est pareil, puisque c’est le même film. Le Haneke il ne faut pas le faire chier. Hollywood, il n’en a rien à cirer. « Vous voulez un remake ? OK, bah, je vais le refaire à l’identique alors, avec d’autres acteurs. »

À la Psycho, version Gus van Sant, donc. Exercice de style. Sauf que là, c’est Haneke qui s’y colle. Et c’est le cas de le dire, parce qu’il colle plan par plan au film original. Quel intérêt ? Le même que celui au théâtre de voir une même pièce jouée par d’autres acteurs. Suffisant pour moi, même si l’intérêt en est certes assez limité. En dehors des bêtises « mise-en-abîmiques » (regard caméra ou retour rapide…), il doit y avoir un sens caché derrière tout ça. Pourtant, pas la peine d’une morale pour qu’on comprenne que la violence gratuite, ce n’est pas bien et que c’est la TV qui en est responsable — voire lui Haneke… Même problème et même idée que pour Benny’s Vidéo. Pas sûr que le Haneke soit jugé pour ce qu’il dénonce vraiment…

Funny Games U.S., Michael Haneke 2007 | Celluloid Dreams, Halcyon Pictures, Tartan Films

L’actrice principale, Naomi Watts, (que je ne peux pas — ou ne pouvais pas — blairer) est productrice exécutive. J’imagine donc que c’est une idée à elle de vouloir faire un remake… C’est très oscorisant d’avoir un rôle de victime, qu’on vous voit en train de pleurer pendant une heure à moitié à poil… Mais Haneke, soit ne s’est pas foulé pour la direction d’acteurs, soit les acteurs ne sont pas aussi bons que les acteurs autrichiens de l’original (en passant, ce n’est pas sympa de faire un remake sans penser à eux…, tout est pareil, sauf eux…, c’est quoi cette idée des Ricains de vouloir tout refaire eux-mêmes… Est-ce que les Vénitiens avaient comme intention de reproduire les soieries d’Orient ? un Racine qu’on remonte à envie d’accord, on ne peut pas faire autrement, mais l’intention est assez douteuse, même si au fond, je m’en moque un peu…).

J’ai rarement vu Tim Roth aussi mauvais (quoique, dans Hulk, il n’était déjà pas terrible — les metteurs en scène étrangers ne lui réussissent pas beaucoup). Et le fils est vraiment très mauvais… — je n’ai pas le souvenir que le jeune acteur autrichien était aussi insupportable.

Michael Pitt en revanche est excellent. On croirait que le rôle a été écrit pour lui… C’est vrai, il a toujours fait des rôles comme ça, des ados pervers, des détraqués.

Bref, ce n’est pas pareil, mais un peu tout de même…, donc l’histoire est là. Crue et cruelle. Un film indispensable, mais je préfère tout de même l’original.



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Psycho, Gus Van Sant (1998)

Ycho

Psycho

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1998

Réalisation : Gus Van Sant

Avec : Vince Vaughn, Anne Heche, Julianne Moore, Viggo Mortensen, William H. Macy

Un remake, non l’adaptation.

J’en avais marre de voir que, dès qu’il y a un remake, on se permette de tout changer, histoire de dire que ce n’est pas le même film ou « qu’on a amélioré l’histoire qui était bidon ». Là, j’ai donc été servi. En dehors de deux ou trois trucs, c’est vraiment un remake plan par plan, et c’est vraiment l’intérêt du film.

Je ne crois pas que cela ait déjà été fait, ce qui peut sembler curieux. On n’ose pas encore comme on le fait depuis des siècles au théâtre et encore plus dans les ballets. Il n’y a pas de honte à refaire complètement un classique en voulant coller à l’original.

Quel intérêt me direz-vous ? Pas moins que quand on remonte sans cesse un ballet de Noureïev ou une pièce de Tchekhov. Faire un remake plan par plan, c’est accepter, pour un metteur en scène, le fait que la mise en scène ce n’est pas tout dans un film. Autrefois au théâtre, on parlait de régisseur pour les metteurs en scène, il se contentait d’être fidèle à l’auteur, sans chercher à tout prix, comme on le veut aujourd’hui, à faire une adaptation… Une œuvre, il faut la respecter, se mettre à son service, pas chercher à se l’approprier… D’autant plus quand il s’agit d’un classique.

Psycho, Gus Van Sant (1998) | Universal Pictures, Imagine Entertainment

Et le Psychose du Hitchcock est un classique. L’un des films les plus importants du cinéma. L’un des films les plus chocs de l’histoire des salles de cinéma, même on pourrait dire. Il faut savoir qu’à l’époque ce film a été une vraie bombe. Les gens allaient voir le film sans savoir ce qu’ils y verraient. Il pensait aller voir un film dont la vedette était Janet Leigh, et au bout de vingt minutes, elle se fait assassiner dans une scène à la violence inédite ! C’est l’une des seules fois où le bon Alfred a utilisé le procédé de surprise, mais là ça valait vraiment le coup ! Mais le pire, ce n’est pas ça, c’est surtout le style du film qui pour l’époque était vraiment du jamais vu (en tout cas pour un gros film — petite production mais c’était tout de même un Hitchcock, qui à l’époque était à la fois Spielberg et Lucas réunis).

Pour la première fois, une violence crue était suggérée. Pas encore montrée, mais rien que par des effets de montage et par la musique géniale de Hermann, les gens étaient persuadés de voir le couteau rentrer dans la chair de cette pauvre Janet… Une star de cinéma trucidée dans sa douche ! Le choc. C’était un peu la même peur qu’avaient éprouvé les spectateurs d’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat. Le film allait ouvrir une boîte de pandore : la violence au cinéma était maintenant possible. Ce film a eu autant d’importance dans le cinéma que Le Chanteur de Jazz, Naissance d’une Nation, Autant en emporte le vent, Blanche Neige et les Sept Nains, Les Dents de la mer ou Star Wars

Ce n’est pas seulement un film scandaleux ou novateur. L’histoire…, on a rarement fait mieux. Et pourtant c’est d’une simplicité… Pas du tout basé sur les principes habituels de Hitchcock… Alfred qui fait son anti-manifeste ! L’exception qui confirme la règle…

Donc, quel intérêt de le refaire à l’identique aujourd’hui ? Simplement pour montrer, avec la force des acteurs d’aujourd’hui et la couleur (chose que n’avait pas osé Alfred alors que tous ses films en étaient), qu’on pourrait faire exactement le même film aujourd’hui… Pour montrer que ce film est une véritable perle universelle, intemporelle.

Certains effets apparaissent aujourd’hui un peu dépassés comme ceux dans la voiture au début, mais pour le reste ça passe tout à fait. Van Sant reprend la musique d’Hermann, en lui laissant la même force narrative que dans le premier, parce que, que ce soit dans Vertigo, dans Psychose ou dans Taxi Driver, par exemple, les musiques d’Hermann, sans être symphoniques, remplissent l’image comme aucune autre musique : il suffit de le laisser faire.

Il y a des moments fort sympathiques. Par exemple, on reconnaît l’acteur qui joue le flic qui poursuit Anne Heche au début : c’est l’acteur qui jouait le père de Dexter dans les flash-back de la série éponyme (un rôle très similaire). Ou encore quand, en voyant cette voiture s’arrêter à mi-chemin, Bates la noie dans le marais et qu’on se surprend à prier pour qu’elle s’enfonce un peu plus (pas très code Hays tout ça…, à l’époque, c’était encore plus singulier qu’aujourd’hui, puisque prohibé, de se ranger du côté des crapules — le film a d’ailleurs participé à la fin de ce code, car il allait très vite disparaître après ça). Avec l’interprétation de l’acteur qui joue Bates qui imite (dans d’autres circonstances, j’aurais trouvé ça insupportable) Anthony Perkins à la perfection, jusqu’à la séquence culte du roulage de cul quand Bates monte les escaliers en contre-plongée. (Je me demandais s’il allait le faire, et il a osé !…).

Dans quelques années, quand les studios en auront assez de faire des suites, ils feront peut-être des remakes de vieux films fidèles aux originaux, parce qu’il y a vraiment quelque chose à voir et surtout tant de chefs-d’œuvre à refaire découvrir… Parce que oui, c’est bien une manière de les refaire découvrir.

C’est De Palma qui devait être dégoûté quand il a vu ce film… Lui qui s’est évertué pendant toute sa carrière à copier Hitchcock. Finalement, il aurait pu faire la même chose, au lieu de prendre le risque de se casser la gueule dans des films improbables s’inspirant du maître…

Au passage, je viens de me rendre compte, que la fin de Taxi Driver, avec cette caméra qui erre sur la scène de crime pendant le générique et qui s’éloigne peu à peu du lieu avec la musique de Hermann, c’était donc un hommage à Psychose, puisqu’Alfred utilise exactement le même procédé dans son film.

L’un des meilleurs films d’Hitchcock n’est pas du Hitchcock, c’était assez savoureux de lui rendre hommage. Il a passé sa vie à mettre en pratique le principe du suspense, et là où il casse la baraque (plus encore que d’habitude), c’est quand il fait un film anti-suspense, avec pas mal d’effets de surprise. Un réalisateur à contre-emploi on pourrait dire… on a vu ça maintes fois dans d’autres domaines. Et l’ironie, c’est que depuis tout le monde se méprend en identifiant le suspense à un style hérité de Psychose, alors qu’il n’y en a que très peu : dans la scène de la douche, le suspense dure à peine quelques secondes (quand on voit arriver l’ombre derrière le rideau, mais ce qui prime c’est surtout la surprise de voir l’actrice principale du film assassinée), quand le détective se fait tuer, c’est tout aussi court (caméra en plongée pendant qu’il monte les escaliers et on voit venir avant lui la mère) ; le suspense est fait pour s’installer dans le temps, pour augmenter l’angoisse de ce que l’on craint, et psychose joue plus sur des esprits de surprise, c’est un thriller… D’ailleurs, tous les films de genre qui viendront après, joueront sur les deux tableaux, avec à la fois de la surprise et du suspense, pour alterner les plaisirs (ou les peurs)… Et de toute façon, aujourd’hui, on peut même dire qu’il y a du suspense dans Psycho, parce que tout le monde connaît le déroulement de l’histoire, il n’y a plus de surprise. En revanche, on craint toujours ces instants…



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