Notes de lectures

Janvier 2023

Le Diable au corps, Raymond Radiguet

On peut difficilement échapper à la question suivante : le roman aurait-il eu autant de succès sans l’âge et la mort relativement jeune de son auteur, et plus encore, sans toute la publicité dont il a bénéficier à cause du scandale de sa parution (un scandale qui sera réanimé après l’adaptation du film avec Micheline Presle et Gérard Philipe après la Seconde Guerre mondiale) ? Le sujet pourtant pourrait être tout à fait inoffensif. Parce que ce qui me pose légèrement problème, personnellement, c’est moins qu’un soldat soit fait cocu par un mineur que le fait que le narrateur soit précisément ce mineur. Malgré toute l’intelligence de l’écriture, et à la différence du film bien entendu, le récit à la première personne rapproche le genre, quasi confessionnelle, à une sorte de vantardise d’écolier. Voire à un fantasme déplacé. L’amour de la jeunesse, ça devrait être tout ce qu’il y a de plus joli, même dans un adultère, mais malgré l’intelligence folle de l’écriture, la beauté de la langue, le narrateur a aussi parfois les réflexions et l’inconstance de son âge. Rien de plus naturel, mais on peut difficilement s’émouvoir ou rentrer en empathie avec un personnage qui a sans doute plus de défauts que de qualité. Car de qualités, on ne lui en connaît aucune et semble surtout avoir séduit Marthe par un je ne sais quoi qu’on certains mâles qui attachent peu d’importance à la morale ou au respect des filles. On échappe à cet écueil dans le film : au moins, les deux personnages sont traités à part égale, et on peut comprendre l’attirance stupide mais réelle d’une femme pour Gérard Philipe. Et l’inconstance est beaucoup plus acceptable la voyant par touches et non à travers les réflexions à la première personne d’un petit vantard tout heureux d’avoir tiré son coup à la place d’un autre. Tout est toujours histoire de distance, et ici, la première personne, pour moi, gâche le plaisir de la langue et de l’intelligence de l’auteur.

2020

Race et histoire, Claude Lévi-Strauss

Je résume : Une culture est la somme d’essais collaboratifs passés avec des cultures différentes. Pour gagner au loto du progrès, il vaut mieux contribuer à la table de jeu d’un grand casino commun plutôt que de jouer seul à sa table.

Ceux qui votent pour la fin des collaborations, des métissages des cultures, du repli sur soi ou du culte d’un passé révolu votent pour la disparition de leur propre culture. Les civilisations se nourrissent de leurs diversités, tarir cette collaborations, renoncer à choyer ses propres diversités et accueillir avec gourmandise celles d’ailleurs, c’est choisir le grand remplacement du vivant et du progrès par la fossilisation lente et certaine de la culture qui nous a vu naître.

Le mariage, c’est la vie. Le Pen, fruit monstrueux d’une parthénogenèse nationale, c’est mourir. Il est bon de rappeler parfois certaines évidences, merci Clau-Clau. Et merci trineor pour la lecture.

Les Âmes mortes, Nicolas Gogol

Guère séduit. J’ai lu que certains comparaient ça à L’Odyssée, j’y vois plutôt une tentative de récit slavo-picaresque inspirée de Don Quichotte. Seulement, là où le roman de Cervantès était touchant parce que son personnage principal était victime de sa folie, ici on a affaire à un escroc. Il est donc parfaitement conscient de ce qu’il fait, et que tout cela soit grotesque, caricatural, ça me fait ni chaud ni froid si le personnage principal m’est totalement indifférent.

Les Démons, Dostoïevski

Je termine mon exploration du nihilisme russe. Le récit est tellement éclaté qu’on dirait que le roman a été écrit sous la torture : les démons, ce ne serait pas plutôt l’interrogatoire constant que la conscience de l’auteur, surgissant de sa jeunesse, se ferait subir à lui-même pour se convaincre de son innocence et des torts supposés de ces méchants progressistes inspiraient par des idées venues d’Occident… Quand Dostoïevski en aurait fini avec ses inventions à propos d’une situation donnée et de leurs personnages, sa conscience torturée réclamant toujours plus de révélation sur ces sociétés secrètes et maléfiques, serait ainsi obligé de faire intervenir d’autres personnages, leur créer un passé et des motivations parallèles puis croisées avec des personnages déjà évoqués… Alors certes, Dostoïevski a toujours procédé ainsi, à broder autour de deux ou trois événements tragiques un canevas particulièrement complexe qui inspirera bientôt les futurs romans policiers. Seulement ici pour moi, c’est peut-être un peu trop. Les romans russes sont déjà assez souvent compliqués à suivre avec leur mille et une manière de décrire une seule personne (j’avais tu m’arrêter dans ma lecture très tôt avec Docteur Jivago), mais j’ai assez peu de mémoire, je visualise assez mal les personnages, et quand il y en a trop je sature. J’ai ainsi pas mal décroché au cœur du récit quand Pierre organise sa petite affaire en trompant tout son monde. Trop de conspiration-nihiliste (trouvaille de mon correcteur) pour moi, trop de fils tirés autour de victimes consentantes ou machiavéliquement dupées… Et assez peu de personnages lumineux et de situations quasi théâtrales avec peu de personnages pour me réveiller de ma torpeur. Heureusement, la fin est plus lumineuse, avec des séquences fortes souvent à l’intérieur d’une chambre : le retour de la femme de Chatov et son accouchement, son assassinat, le service après-vente de Pierre pour faire porter le chapeau un autre (la manière dont il avait arrivé à impliquer ces partenaires dans l’assassinat rappelle ce que Dostoïevski fera avec Les Frères Karamazov : l’idée que les athées, ou les simples criminels, seraient assez tordus pour forcer des alliances, donc une complicité, par le crime), puis la fuite du vieux bientôt retrouvé sur son lit de mort par la femme qu’il aime. La densité narrative, et la force des descriptions, même s’il faut sans doute noter la traduction, ça reste chez Dostoïevski d’un niveau assez époustouflant. Il faut aussi lui reconnaître que même s’il en vient, sous la torture de sa conscience ou non, et en dehors du personnage de Pierre qui est sans doute irrécupérable, Dostoïevski commence souvent ses portraits à la frontière de la caricature pour les ramener peu à peu vers la lumière (même si ça n’empêche pas l’auteur de les punir malgré tout). À relire sans doute, en étant plus appliqué dans l’identification des démons de l’ombre (les personnages secondaires ayant une savante manie ici apprendre tout à coup la lumière, puis à disparaître, puis à réapparaître en tant que personnages secondaires). Je crois que je ne pourrais jamais lire La Guerre et la Paix.

Pères et Fils, Tourgueniev

Intrigué par la notion de nihilisme russe évoquée dans les Souvenirs d’enfance de la mathématicienne Sophie Kovaleskaïa où elle définissait sa sœur, avant de le devenir elle-même, comme nihiliste, je me suis donc tourné vers ce roman de Tourgueniev censé être à l’origine de ce concept opposant les pères traditionalistes et les fils révolutionnaires. Au passage, l’autobiographie de Sophie Kovaleskaïa, hommage surtout à sa sœur aînée, et merveilleusement bien écrit, et illustre probablement assez bien la condition féminine au dix-neuvième siècle et l’envie d’émancipation qui se faisait déjà jour chez les femmes instruites d’Europe. Sa sœur aurait réussi, en le cachant à son père, à proposer une nouvelle Dostoïevski qui lui aurait répondu en retour, impressionner, et un peu insistant pour essayer de la rencontrer et d’en apprendre un peu plus sur elle. L’écrivain deviendra alors un ami de la famille, et s’éprendra la sœur allant même jusqu’à lui faire une demande en mariage, que cette dernière refusera, expliquant à sa cadette, avouant elle dans son récit être alors amoureuse de l’écrivain, que non seulement un tel génie avait besoin d’une femme dévouée corps et âme à son mari (et que cela était contraire à ses principes d’indépendance), mais surtout qu’elle ne l’aimait pas. La mathématicienne finit son récit en laissant entendre que sa sœur aurait inspiré certains personnages de l’écrivain ; et elle s’arrête là, au moment où elle est sa sœur, devenues adultes, entamaient leur vie remarquable. C’est une amie dramaturge suédoise qui se chargera à la mort de la mathématicienne de faire le récit de sa vie : ses intentions avec sa sœur de contracter un mariage blanc à Saint-Pétersbourg afin de gagner leur indépendance, la description à gros traits de leur nihilisme qui les mènera un peu plus tard à participer à la Commune, les voyages de la Russe en Europe afin de trouver des universités qui accepteraient de l’intégrer, ses cours particuliers par un professeur convaincu de ses grandes capacités, son attachement malgré tout à un mari dont la dramaturge voudrait nous faire croire qu’elle avait fini par l’aimer, sa reconnaissance par ses pairs mathématiciens, ses rencontres avec des personnages illustres, la disparition de son père qui avait fini semble-t-il, comme dans le roman de Tourgueniev, à se rapprocher des idées de ses filles, ses tentatives pas toujours fructueuses en littérature, la mort cette fois de sa sœur, sa nomination dans une université suédoise, sa victoire dans un concours de mathématiques qui fera sa gloire apparaît, etc. Bref, passionnant.

Tourgueniev, donc. Si le roman aurait décrit une opposition entre ancien monde et nouveau, entre pères et fils, et si l’auteur utilise un terme, celui de nihilisme, pour désigner les nouveaux révolutionnaires, il est assez amusant de remarquer qu’au fond cette opposition a toujours été valable partout, et qu’on remarque à chaque fois, ce que Tourgueniev décrit très bien : une fâcheuse tendance à ceux qui se prétendaient radicaux à le devenir de moins en moins. Toutes les révolutions finissent par s’embourgeoiser, les jeunes Turcs cherchant à faire table rase du passé seront les premiers à s’encroûter et à refuser d’apports d’idées nouvelles, ou une remise en question. L’auteur d’ailleurs ne semble aucunement prendre le parti ni pour l’un ni pour l’autre des mondes, se contente de décrire à la fois la radicalité des uns et des autres, et la manière dont ils finissent souvent par se concilier en faisant un pas vers l’autre, en devenant de ce fait moins radical. Le nihilisme serait même probablement là, à l’incapacité des hommes à tenir leur promesses idéologiques. Des deux nihilistes, le plus radical mourra bêtement, incapable de faire confiance à la médecine dont il est le spécialiste, et acceptera sur son lit de mort de faire un dernier geste en direction de ses parents pieux ; l’autre, abandonnera ses principes en découvrant l’amour (et en abandonnant du même coup ses principes d’indépendance), tandis que les deux patriarches adopteront un peu plus de ses idées nouvelles : l’un, le plus radical, le plus libéral (au sens anglo-saxon), proposant à l’autre de faire fi des conventions et de leur supposé statut aristocratique en proposant le mariage à la femme qu’il aime et qu’il a déjà engrossée… Assez ironique.

La Recherche du temps perdu / Notes brutes juin 2021

Un amour de Swann

Quelle intelligence vertigineuse d’un mythomane hypermnésique livrant au lecteur toute nue la complexité des raisonnements et réflexions si détestables chez d’autres : le commentaire, l’explication. L’intelligence et la méticulosité sont si prégnantes chez Proust qu’on lui laisse passer ses défauts : son manque de clarté, son intérêt pour ce qui paraît à notre époque si futile, l’irréalisme de certaines situations ou leur faible valeur dramatique (l’épisode où Swann retourne chez Odette en craignant l’y trouver avec un autre homme et voir Proust en faire des tonnes quand vient à Swann le moment de décider ou non de taper au volet, le tout pour se rendre compte qu’il s’est trompé de fenêtre est tout de même assez révélateur du style de Proust). À l’image du Miroirde Tarko (ou le contraire), il y a quelque chose dans ce récit qui tient à la fois de l’inceste, de l’impossible et de l’amusement à arriver à se projeter ainsi aussi facilement (ou facticement) dans la vie intime, les pensées même, du père de son premier amour. Le gros du premier volume est ainsi uniquement dédié à l’amour de ce père fantasmé avec une cocotte, et il repart ensuite en reprenant tout son récit à la première personne comme si de rien n’était. Vertigineux toujours, et pour le moins embarrassant, au point qu’on puisse comprendre que s’il y a une bonne part d’expérience personnelle là-dedans que Proust ait préféré évoquer et inventer un monde parallèle allant même jusqu’à créer des lieux où des personnages historiques qui n’existent pas… Je crains un peu pour la suite, depuis vingt ans, je tourne autour de Proust, mais j’avais bien compris instinctivement que, comme Proust avec sa mère à l’heure du coucher, je ne voudrais jamais quitter Combray. Cette première partie m’avait tellement fascinée il y a vingt ans que je m’étais endormi à la première entrée en scène de Swann…

À l’ombre des jeunes filles

J’ai du mal à comprendre comment on peut être aussi précautionneux dans la description de la psychologie des sentiments et en savoir si peu sur les personnages rencontrés. C’était déjà le cas avec Swann, mais avec Gilberte, c’est encore pire : on ne sait rien d’elle, et même sur le jeune narrateur, on sait finalement rien à part ces allées et venues incessantes sur la nature de son amour et de sa relation avec Gilberte ; c’est aussi à travers les actions et les décisions qu’on se définit, pas simplement à travers l’étude (réflexions, interrogations, commentaires et comparaisons) qui se veut faussement minutieuse à force de répétitions des sentiments. On ne retrouve en fait rien des artifices géniaux narratifs du premier tome de la Recherche, pire, à certains moments le récit tourne à la description mondaine fatigante. Dans ce premier tome, le décor, l’espace, les objets, donnaient au récit une couleur qui enrichissait le thème de la mémoire : or c’est beaucoup moins le cas ici, c’est tristement moins visuel, moins sensoriel.

Balbec rehausse l’intérêt de la première partie, on sent peut-être ce lien qu’en fera Visconti avec Mort à Venise. Celle qui décrit le mieux le style, et donc le caractère de ce petit chou de Proust, c’est encore sa grande mère : « Mais quand même elle se contenterait d’un grattement on reconnaîtrait tout de suite sa petite souris, surtout quand elle est aussi unique et à plaindre que la mienne. Je l’entendais déjà depuis un moment qui hésitait, qui se remuait dans le lit, qui faisait tous ses manèges.… »

Juin 2021

Classement Maupassant

Mai 2021

La Main gauche (recueil de nouvelles), Maupassant : Souvent le même principe du récit dans le récit et un talent propre à Maupassant à parvenir à faire traîner les révélations entre les lignes pour trouver à chaque seconde à nous donner à grignoter du suspense (parfois pour des choses toutes connes: « … un poisson. C’était un… »). La première nouvelle, la plus longue, Allouma, et peut-être la plus navrante, l’auteur parvenant à lier ce qui est difficilement digeste aujourd’hui, le sexisme et le racisme. Elle est même assez brutale à lire. Le Rendez-vous est assez cocasse et manie bien l’art de la chute si nécessaire à la nouvelle (avec un soupçon là encore de sexisme bienveillant propre à ce siècle de gentlemen et d’aventures libertines). Tout le contraire de Hautot père et fils et du Port, deux histoires jouant sur la perte des pères, sur la fatalité et la misère sociale, et sur l’inceste consenti et fortuit, voire par procuration (s’enticher de la maîtresse de son père). Parce que c’est bien quand l’auteur parle de cette misère (sociale, parfois heureuse certes — la différence entre le réalisme et le naturalisme sans doute –, quand il dépeint certaines prostituées ou servantes, mais souvent génératrice d’une autre misère, sexuelle là, pour les femmes pauvres souvent objets de plaisir contraints), qu’il est le plus intéressant (La Maison Tellier ou Boule de suif par exemple, et pour ce qui est plutôt à ranger dans les prostitutions heureuses). Boitelle est anecdotique mais attachante, faisant le récit d’un amour véritable entre une Noire et un brave Normand et rappelant le simplicité et la douceur d’Un testament. La Morte transpire de la même cocasserie que Le Rendez-vous (ou qu’Un coq chanta des Contes de la bécasse), et d’un même talent pour la chute. Duchoux, qui fait le récit d’un baron partant à la recherche de son fils illégitime, rappelle en moins émouvant Un fils ou un homme riche, venu y retrouver bien des années plus tard la  servante qu’il avait violée, découvrait qu’il l’avait engrossée et était morte en couche en mettant au monde un garçon handicapé.

Mars 2021

Le Paradis perdu : Jolie erreur de casting, pourquoi ai-je donc lu cette vulgaire chose de fantaisie bigote ?

Février 2021

La Guerre des mondes, H.G Wells : Je retrouve assez le style de Lovecraft chez qui Wells aurait donc pu avoir une influence. Le même recours à la première personne permettant à la fois de montrer des événements de l’intérieur sans en être pour autant souvent l’acteur principal, mais aussi de trouver une distance nécessaire pour adopter un semblant de récit objectif. On est entre la chronique, le témoignage ou le reportage de guerre. Comme plus tard Lovecraft, Wells utilise ainsi différents niveaux de témoignage permettant la remise en doute des faits rapportés et suggérant du même coup que celui de première main (celle du narrateur) est plus crédible (tout en insistant bien sur le fait qu’il n’est qu’un témoin malheureux de l’invasion martienne) : le narrateur fait ainsi état du rapport des journaux à Londres en insistant bien sur leur ignorance des événements exacts, ou encore de l’intérêt de son frère (cherchant à voir les extra-terrestres avant qu’ils disparaissent, suggérant ainsi qu’il ne fait aucun doute pour les Anglais qu’ils seront vite exterminés).

Janvier 2021

Je ne passe pas assez souvent ici, et comme je ne retrouve plus ma page d’anthologie, je plante ça ici : la dernière partie du premier volume de Middlemarch (George Eliot).

George Eliot et la mort prochaine de Casaubon

Enfin fini ce gros pavé (façon de parler puisque je l’écoute plus que je le lis). Assez époustouflé de bout en bout par les descriptions psychologiques et la langue (ou ce qui est dit à travers elle, la traduction ne changera jamais grand-chose à ce point). Pour le reste, c’est bien trop long pour finalement des histoires aussi communes et surtout aussi peu fournies. En un sens, on évite les effets de rebondissement sans doute propres aux mélodrames, Eliot propose comme une sorte de photographie sociologique de la bourgeoisie provinciale de son époque, et les péripéties sont par conséquent assez rares, mais si au début on peut être impressionné par l’intelligence et l’œil de la romancière, ça finit vite par tourner en rond. Le roman est centré, en gros, sur deux couples, et l’évolution est pour le moins sommaire : recherche du meilleur parti, mariages, ennui et désillusion, puis dans un second temps, mort d’un époux mais impossibilité de se lier à l’homme aimé, difficultés professionnelles et réputation entachée, pour conclure par une conclusion en forme de double renoncement salvateur. C’est tellement coincé (même si ça loue les vertus d’indépendance et des mariages d’amour) et long que je vais devoir m’empiffrer d’un bon truc populaire pour changer. Autre réserve, comme à mon habitude, j’ai une difficulté toujours aussi pénible à identifier et à mémoriser le nom des personnages. On ne lit pas tous les jours Robinson Crusoé.

Mai-juin 2020

Crime et Châtiment : c’est brillant bien sûr (le preprint de beaucoup de roman policier si je ne m’abuse), mais la description d’un esprit malade sent à la longue un peu le renfermé. J’ai l’impression d’avoir trop passé de temps dans la tête de Peter Lorre.

La Voie de la sagesse et de la vertu : mélange de bon sens et de principes basés sur des observations qui donnent l’impression de la sagesse, mais qui souvent sont issus de généralités abusives. Si certains de ces principes mènent indéniablement à la « sagesse », à des comportements qui sont préférables à d’autres belliqueux ou individualistes, certains principes relèvent beaucoup de l’aphorisme (on sait que l’aphorisme est efficace pour dire quelque chose, affirmer une vérité présentée comme implacable et indiscutable, mais qu’au-delà de la rhétorique, c’est une manière à peu près certaine de tendre vers le sophisme, et ce qui, parfois, peut être du bon sens, se mue en contre-sens ; d’ailleurs certaines maximes manient assez bien l’art du paradoxe et du contre-pied, mais ce n’est pas parce que l’image livrée est saisissante qu’elle est juste) ou de l’allégorie (pouvant même être absurde). Plus amusantes sont les vérités creuses qui ont presque l’allure d’aphorisme, mais qui affirment des vérités tellement évidentes qu’elles en deviennent ridicules.

Les Entretiens de Confucius : Hymne à la féodalité. Mais respect, du vivant de Confucius, la Chine était soumise à un grand chaos, après, les souverains se sont servis de ses principes pour « pacifier » la Chine et inféoder le peuple.

Frankenstein ou le Prométhée moderne, Mary Shelley : C’est fou d’imaginer que ce roman a été écrit au début du XIXᵉ siècle. Il contient à la fois toutes les petites habitudes de son temps (langage soutenu voire précieux, recours volontiers au genre épistolaire, avec un attrait déjà pas mal développé pour la psychologie et l’exagération toute romantique), mais aussi beaucoup de ce qui suivra, surtout en matière de roman populaire. Je retrouve énormément des aspects de Lovecraft (la première personne des lettres laisse place au témoignage presque journalistique, mais le principe, l’approche, est le même : pas de récit omniscient, ce qui permet de jouer sur la réalité des faits rapportés, et donc de créer le mystère sans avoir à recourir aux artifices grossiers du fantastique) ou de Jules Verne (encore le récit à la première personne et ce jeu de distance sur le point de vue tout comme chez Lovecraft que cela peut provoquer, tout en intégrer la figure du scientifique au centre de ces récits, voire le voyage). Ce qui est assez étonnant, c’est de voir comment le roman a pu faire l’objet d’adaptations, d’abord théâtrales, puis cinématographiques, alors qu’un roman épistolaire, c’est un peu par définition le contraire d’une pièce qui joue plutôt sur les situations et les dialogues que sur le discours rapporté. C’est même d’ailleurs un des seuls reproches que je peux faire au roman de Shelley, il est tellement bon quand ses différentes voix mettent en scène des situations, des confrontations avec d’autres personnages, que c’en devient frustrant, car le roman, par ailleurs, devient un peu répétitif et psychologique sans matière dramatique à nous mettre sous la dent. À ce titre, j’avoue être un peu réfractaire aux différentes humeurs (souvent peu variées) de Frankenstein, tandis que le récit de la créature, c’est un morceau bien plus original. Car voilà une créature hideuse mais sensible, naïve comme un nouveau-né, forcée de se cacher de ses contemporains, qui vient à apprendre par elle-même les usages et la langue des hommes. Et le résultat est là, surprenant, ce récit à la première personne. Shelley a l’excellente idée (la forme s’adapte au propos général du bouquin qui est un hymne à la tolérance et à la différence) de ne pas changer de niveau de langage quand elle fait intervenir la créature. C’est même pas tout à fait crédible de trouver une telle idée dans la langue employée entre les trois différents narrateurs, d’autant plus que Frankenstein et sa créature sont censés être francophones. Ce dernier point est d’ailleurs assez amusant, et ça explique aussi peut-être en partie pourquoi une adaptation fidèle serait impossible : comment faire dire à la créature qu’il note qu’un protagoniste parle en anglais, laissant penser que lui-même a appris le français, alors qu’un acteur l’interpréterait probablement en anglais (mais le faire parler en français ne résoudrait rien car Shelley l’a bien écrit en anglais, donc ce ne serait plus cohérent de le faire parler en français dans une adaptation qui se voudrait être fidèle).

La Personne et le Sacré, Simone Weil : intéressante opposition entre le droit romain et la justice grecque, même si ce point historique mériterait d’être approfondi sous un angle strictement historique. Antigone. Un texte qui une nouvelle fois me confirme dans l’idée que certains philosophes sont plus dans la posture que dans la recherche de la vérité : si je peux admirer Discours sur la disparition des partis politiques, c’est parce que c’est sans équivoque possible de l’opinion, on n’est pas dans le vrai mais dans le parti (aussi). Mais si on use des mêmes artifices rhétoriques pour prétendre à dire le vrai, là je m’insurge !…^^ Se servir des mots et de leur capacité à nous tromper pour faire passer des idées, parfois même des idées qui ne vivent que par le truchement rhétorique qui ne prétendre que les véhiculer, j’ai aucune idée si c’est de la philosophie, en tout cas ce n’est pas être dans le vrai, c’est être dans le convaincre ou dans la littérature, l’essai. Je retrouve exactement les mêmes artifices rhétoriques dans ce texte que dans les textes de la pensée chinoise antique que je viens de lire. On dit ce qui est, parce que la langue permet de le dire, sans équivoque possible grâce à la grammaire, et à son auxiliaire être, sans nuance, sans atténuation, sans petite touche de doute, ni même sans faire passer ça comme une hypothèse ou une base de travail pour une réflexion en cours : non, on dit ce qui est, et c’est ainsi, sans discussion possible, et on se laisse convaincre parce que le discours nous paraît juste, voire seulement beau et harmonieux. (Paradoxalement, elle parle elle-même de l’emprisonnement du langage…) Certaines allégories me laissent par exemple rêveur. Celle de la personnalisation de l’erreur de calcul chez l’enfant par exemple. Celle entre l’intelligence et une cellule, c’est peut-être ce qu’il y a de plus séduisant dans ce que je peux lire ici, mais c’est de la littérature, pas de la philosophie (on est dans l’aphorisme de « talent » qui peut même avoir vocation à devenir des maximes). L’intrusion aussi tout d’un coup de la religion me laisse songeur. Je dois être un peu sectaire c’est vrai pour douter d’un coup de la logique d’un auteur à partir du moment où il fait intervenir le christ, mais je préfère la secte des athées, de la raison, au concret, à ce qui est tangible, plutôt qu’à la secte de ceux qui voient le monde à travers le prisme d’un idéal mal défini puisqu’on ne peut le saisir. Ainsi si je peux reconnaître admirer la bienveillance de Simone, j’ai peur qu’il naît chez elle pour des raisons qui me laisseraient perplexe.

Janvier 2018

Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski

La seconde tentative est la bonne. J’avais d’ailleurs oublié avoir déjà tenté de le lire, et l’introduction (les cent premières pages en fait) se révèle particulièrement ardue. Jean-Philippe Jaworski a certes une écriture talentueuse, proche parfois même du génie, mais dans ces premières pages, cela peut devenir particulièrement indigeste. La faute d’une part à une volonté d’en faire certainement beaucoup trop, puis surtout par un type de vocabulaire (celui de la marine de la Renaissance pour l’essentiel) inconnu. La bataille, plus le passage à Ressine, avaient fini par m’achever. En insistant un peu, à la seconde lecture donc, le suite se révèle plus facile à digérer. Un petit quelque chose du Comte de Monte Cristo, puis très vite, on entre dans le cœur machiavélique du roman, à savoir les jeux de pouvoir au sein de la cité-État, Ciudalia.

On est alors plongé dans les manigances les plus basses de la part du « patron » du personnage principal et narrateur. Plus besoin de lire Machiavel, on y est, parfaitement illustré. On peut songer aussi à cet instant au Parrain ou aux récits de cape et d’épée. Jusque-là tout va bien donc, jusqu’à ce qu’un coup fourré oblige notre héros crapuleux à fuir la cité. Et là, on frôle un peu le n’importe quoi, parce que d’une Renaissance fantaisiste, on passe clairement à un univers de hard fantasy avec ses royaumes, ses elfes et sa magie noire… Si dans l’esprit de l’auteur toute cette mélasse narrative a une cohérence, il faut avouer que c’est foutrement mal mis en boîte pour le lecteur qui ne voit pas venir le passage de la ville à la campagne. Manque d’unité certain. Quand on revient après quelques centaines de pages dans notre cité préférée, on peut lire « En fait, votre seigneurie, nobles, bourgeois ou plébéiens, on a tous cette catin dans le sang, il n’y a que Ciudalia qu’on se sent vivants ». Eh ben, pour le lecteur que j’étais, c’était pareil !

En plus de ce manque d’unité, on peut également déplorer une science narrative assez peu habile (l’auteur se révèle surtout génial pour élaborer le contexte historique de son roman et surtout les complots de ses personnages au pouvoir) : le roman souffre de longueurs assez peu excusables et la structure dramatique d’ensemble manque de consistance, de cohérence ou donc d’unité (un savoir-faire malheureusement qui passe pour être bien trop souvent accessoire dans le monde du roman populaire français). Reste l’essentiel, les coups d’éclat de Benvenuto Gesufal, aussi habile à l’écrit qu’en duel (voire plus, le bonhomme passant tout de même son temps à en prendre la gueule). Des traits d’esprits particulièrement bien trouvé, son humeur générale qu’il parvient malgré ses origines à contrôler grâce à une intelligence et une méfiance permanentes, un style certes souvent très lourd, travaillé, mais le plus souvent savoureux (surtout quand l’auteur derrière le narrateur devient paradoxalement moins exigeant), et très efficace quand il se contente de décrire la psychologie (ou les intentions, les manigances) des personnages et de leurs actions (c’est déjà moins plaisant quand surgissent les longues descriptions savantes du décor, même de la cité-État).

Décembre 2017

Molloy, Beckett

Rien pu suivre. On dirait un objet à la jonction d’un James Joyce et d’un autre plus tardif, théâtral de Beckett. L’absurde est là, mais ce qui marche au théâtre grâce à l’opposition d’au moins deux personnages, ne marche pour moi plus du tout quand elle surgit du récit d’un seul personnage (même multiple, mais c’est justement ce côté joycien qui me rebute). On n’y comprend rien, or il semblerait bien qu’il y ait un sens caché et inaccessible à toute cette chose informe. Trop indigeste pour moi. Beckett saura mieux me convaincre en allant vers le minimalisme théâtral tout en gardant l’absurde, oubliant de se focaliser sur le sens supposé d’un truc dont on se fout et s’amusant juste de la vacuité ou de l’absurdité du monde, qui peut au théâtre prendre en sens immédiat : ici et maintenant. Grosse déception.

Novembre 2017
Le Jeu du siècle, Kenzaburo Oé

Un borgne qui se cogne contre les étagères, un enfant difforme dont on ne saura rien, un adultère, un vieil inceste caché, un suicide avec un concombre dans l’anus, un meurtre, un autre suicide, puis encore un autre, des alcooliques, une ogresse, un assassinat, un lynchage espéré, un narrateur qui dort dans des fausses septiques, une histoire d’un bled paumé réinventée… À part ça tout se passe très bien dans la tête d’Oé. L’écriture est comme d’habitude formidable, mais ça fait du sur-place. Y a tous les ingrédients d’un film chiant d’Oshima des années 60. Y a des romans qui creusent littéralement pour trouver un trésor, et il y en a d’autres qui se laissent creuser au figurer. J’ai pas une grande capacité d’imagination : sur une nouvelle, aucun problème, sur 300 pages, j’ai l’impression d’être à la mine, et j’ai pioché, pioché. Alors OK, la fin vaut le temps passé à se rouler dans la neige en imaginant mon frère déjà incestueux niquer avec ma femme alcoolique, mais merci pour la grippe.

octobre 2017
Notes de Hiroshima, Kenzaburo Oé

Oé admet que ses notes ne feront jamais qu’effleurer la réalité d’Hiroshima, il a raison, seulement je doute qu’on puisse toucher du doigt cette réalité en multipliant les témoignages forcément poignants et en se refusant de s’interroger sur une telle tragédie en prenant plus de distance ou de hauteur. Le choix d’un point de vue à la loupe, au plus près des victimes, peut se comprendre, mais Oé ne fait alors plus appel qu’à la compassion pour justifier son rejet de l’horreur et alors son engagement anti-nucléaire. Cette vision s’illustre assez bien quand il déplore que Hiroshima ne soit pas assez perçue comme l’égale de l’extermination des Juifs à Auschwitz. Parce que si la comparaison est de toute façon vaine, elle montre surtout à quel point le langage, ou ce que le langage retient de l’histoire, est discriminante et colle ainsi mal à la réalité d’une tragédie. Car si tous les Juifs n’ont pas été tué à Auschwitz, on pourrait dire de la même manière que les victimes, ou que la tragédie de Hiroshima, occulte aussi d’une manière, celle de Nagasaki. Le langage exclue, et le regard à la loupe interdit la vision d’ensemble qui elle seule me semble pouvoir proposer les questions réellement essentielles après de telles désastres pour toute une humanité. Jamais ces questions ne seront évoquées, tout occupé qu’est Oé à s’attacher au récit ou à l’évocation des petites histoires tragiques des victimes de Hiroshima. Comme si la compassion suffisait, naïvement, à justifier son opposition à la bombe atomique. Un peu facile, et pas franchement productif si les questions légitimes qui se posent ne sont jamais évoquées.

Une affaire personnelle, Kenzaburo Oé

— Monsieur, c’est horrible ! Votre bébé…

— Quoi ?!… Oh, mon Dieu, mais c’est un monstre !

— Monsieur, vous voulez bien me suivre, je dois vous informer de l’état de votre bébé.

— C’est horrible, il va mourir ?

— Non.

— Ah.

— Oh, mais c’est horrible !…

— Quoi, docteur ? il est mort, c’est ça ?

— Non, cet autre bébé est né sans foie !

— Ah.

— Monsieur…

— Il est mort ?

— Non.

— Monsieur, on vous demande à la clinique.

— Voilà, il doit être mort, c’est horrible.

— Le bébé va très bien. Vous voulez le voir ?

— Non. Mais il va vivre ?

— Oui, mais nous devons l’opérer. Vous voulez l’opérer n’est-ce pas ?

— Et sinon, si on décide de pas l’opérer, il va mourir c’est ça ?

— Oui, c’est terrible.

— En effet… Mais… on peut ne pas l’opérer ?

— Oh, mon Dieu ?!!!

— Quoi encore ? Ça y est, il est mort ?!

— Donc vous êtes sûr, vous voulez l’emmener avec vous et ne pas l’opérer.

— C’est décidé, une opération serait trop risquée.

— Oh, comme il est mignon !

— Hein ?! Qui, quoi ?!

— Votre bébé !

— C’est pas le mien.

— Mais c’est horrible !!!

— Quoi ?

— Ce nom que tu lui as choisi ! C’est celui d’un propriétaire de bar homosexuel !

— Monsieur, un appel de la clinique.

— Qu’est-ce qu’ils me veulent ?

— Votre femme, monsieur. Elle demande à voir le bébé et voudrait savoir s’il se rétablira.

— Vous êtes sûr que vous voulez vous débarrasser de votre petit monstre ?

— … C’est horrible…

— Oui, il est vraiment vilain, je comprends que vous vouliez vous en débarrasser.

— Non, je veux dire… ce que je fais.

— Bon, vous pouvez l’opérer, finalement ? Il sera normal ?

— Il ne sera jamais normal, mais il vivra.

— D’accord.

L’humour noir, qu’on peut lire en filigrane dans ce récit que pour une fois Oé structure simplement et à la troisième personne, peut aussi mener à la compassion. C’est grotesque, sans fards, donc cru, et en permanence malgré les excès (d’un personnage flirtant pas mal avec ses limites) emprunt de justesse et d’intelligence dans la description des situations et des dilemmes du personnage principal. Le style est beaucoup moins dense que dans ses nouvelles, les dialogues y sont plus abondants, mais Oé semble avoir trouvé là son cheval de bataille (l’autre étant la bombe atomique, qui est aussi évoqué dans ce court roman). Surtout il a un don pour dévier la réalité vers un grotesque qui ne fait que rendre cette réalité plus poignante. L’homme face à ses responsabilité. L’homme qui se dresse et qui décide de devenir adulte. Un peu comme si le monstre, ç’avait été lui, et qu’il se jure cette fois de grandir (en laissant au passage ses rêves de phacochère au vestiaire).

septembre 2017
Mort d’un jeun militant

Suite de Seventeen. L’écriture est toujours dense, mais faut avouer qu’on finit par se lasser de ce qui ressort un peu trop comme des évidences dans le comportement d’un jeune narrateur. Le récit colle probablement trop à l’incident, au meurtre, dont il s’inspire, et il ne fait que retracer dans un premier temps ce qui le pousse à agir, et enfin à expliquer son geste. C’est cette dernière partie qui semble un peu forcé, inutile et laborieuse dans sa tentative de mettre en scène les introspections d’un jeune nationaliste. Encore une fois la langue, les images, tout ça est formidable, mais on peine à comprendre l’intérêt d’évoquer un criminel. Au-delà de l’invention, collée à la réalité des faits, un tel procédé n’apporte pas grand-chose à la compréhension non seulement de l’âme humaine ou sur la personnalité même du criminel en question, et cela quel que soit la manière dont Oé, peut-être à l’image d’un Capote, ce serait inspiré de la réalité. La première partie, plus détachée des événements, me paraissent plus intéressantes parce que c’est au lecteur de faire le lien avec n’importe quel criminel. Le récit à la première personne tend vers l’universalisme car le crime qu’on pourrait imaginer qu’il se rende un jour coupable, ça peut être n’importe lequel. Et en écrivant cette deuxième partie, Oé coupe cette possibilité et nous force à ne plus voir que la singularité d’un événement bien déterminé.

Seventeen, Oé 1960

Première nouvelle du diptyque qui fera scandale. C’est beau comme du Céline. Oé est expert quand il est question de décrire les aspirations et les tourments (nés notamment de certaines frustrations sexuelles) de sombres connards. Difficile aujourd’hui de ne pas faire le lien avec les djihadistes. Oé décrit parfaitement, en à peine vingt pages, la trajectoire d’un petit con ultranationaliste, ayant commencé avec des idées de gauche mais incapable et honteux de s’affirmer face aux idées de sa sœur mollement conservatrice, et attendant presque désespérément une réaction d’autorité de son père « libéral », transparent à l’école et avec les filles, et qui commence à se trouver une identité une fois qu’il est traîné par hasard pour faire la claque à un meeting d’extrême-droite… Il se sentira alors et seulement nationaliste qu’après un réflexe stupide, quand on l’invectivera croyant qu’il est en effet de ce bord et se voyant alors félicité par ceux pour lesquels il n’avait pourtant jusque-là aucune affinité ; comme une réponse, une attention portée sur lui, que sa famille ne lui avait pas donné plus tôt en oubliant son anniversaire… Même réflexe aujourd’hui chez les djihadistes qui finissent par adopter des idées par esprit de contradiction et par défiance. Le narrateur parle de la même manière de son uniforme, inspiré des S.S, comme d’une armure… là encore ça rappelle quelque chose.

Ironiquement, Mishima semble avoir apprécié ce récit, suspectant Oé d’avoir certains penchants nationalistes…

C’est en tout cas le récit qui s’apparente le plus pour le moment à celui qui aurait adapté à la même époque au cinéma pour Le Faux Étudiant. Et le bonhomme n’a que 25 ans.

Quelque part ailleurs, 0é 1959

Courte nouvelle. Absurde et dense. Déconstruction et suggestion. Formidable réussite pour un premier récit à la troisième personne.

Le Faste des morts, Kenzaburo Oé

Maîtrise impressionnante. La force du détail, l’absurdité ou l’incongruité des images. Les mots (du traducteur) toujours justes et apportant une précision jamais inutile. Une excellente densité des évocations et une alternance entre les différents modes et scènes. Un côté nihiliste, illusoire ou absurde appréciable ou pour le moins étrange. Brillant.

Quarto Kenzaburo Oé :

Note : Oé est très proche de Juzo Itami (lui-même fils de Mansaku Itami, réalisateur dans les années 30 et auteur de L’Homme au pousse-pousse, réadapté par Inagaki), réalisateur dans les années 80 de Jeux de famille ou des Funérailles, mais encore avant ça avait un rôle dans Le Faux Étudiant (dont je ne trouve toujours aucune trace). Oe est aussi marié avec la sœur cadette d’Itami.

Le Sang des 7 rois

Bonne maîtrise dans l’écriture pour faire varier les images, en particulier dans la description des lieux. Mais le manque de vocabulaire, le recours systématique, finalement, à ces mêmes images, manque de convaincre sur la longueur. Et si on peut remarquer un certain a propos dans le récit descriptif, on tombe facilement dans le bavardage quand il est question de varier les discours et de faire intervenir les dialogues. L’apport des récits écrits sous forme de lettres aide à pallier à ce défaut, mais encore une fois, sur la durée, l’écriture laisse une mauvaise impression de sécheresse, et ce qui apparaissait d’abord comme une qualité devient très vite une faiblesse. Le style et le mode procèdent ainsi aux mêmes logiques : langage concret rarement enrichi d’abstraction, de descriptions psychologiques, de commentaires, de langage recherché. L’impression de lire un roman muet, sage, sans éclats, sans taches. Et puisque l’écriture se démarque pas vraiment d’un roman jeunesse, on pourrait être en droit d’espérer trouver une structure dramatique, un univers, plus riches. Là encore c’est la déception, l’auteur grillant toutes ses cartouches dans la première moitié quand son personnage traverse le monde de part en part avant de s’établir dans un petit îlot pour ne plus le quitter. À ce moment tout s’arrête, ça stagne, on pleure dans l’espoir que quelque chose se passe, et en dehors de scènes d’actions et de révélations historiques attendues, rien de bien captivant.

L’Art de la guerre, Sun Tzu (-VI)

À l’instar du Prince de Machiavel ou du Coran, un texte d’une bêtise sans fond écrit à l’impératif ou au conditionnel. Bref, un manuel fabriqué sur des évidences et/ou des prétentions. Ça vaut zéro.

Contre le masculinisme

Joli recueil de sophismes.

(Aux sophismes, on répondra donc par des sophismes.)

Florilège :

« Cependant, les masculinistes ne cherchent ni à lutter contre le sexisme ni à atteindre l’égalité dans ce domaine, contrairement à ce qu’ils ne cessent de dire. Ils cherchent plutôt à défendre leurs intérêts d’hommes en se victimisant, et à conserver du pouvoir sur leur (ex)femme. »

Un préjugé, voire un procès d’intention, qui ne s’encombrera pas d’explication ou d’argumentation. « Ils disent ça, mais en fait c’est pas vrai, ils cherchent plutôt ça… » Les « masculinistes », ou « les hommes », comme équivalent du « ces gens-là » xénophobe. Pas beau à lire.

À propos de la violence : « si les mâles (enfants et adultes) en sont familiers, c’est qu’on leur apprend très tôt qu’elle est pour eux une ressource, un moyen pour s’imposer et pour s’affirmer face aux autres – c’est pour cela que des adultes peuvent tolérer des comportements violents de la part d’un petit garçon, mais pas d’une petite fille. Dans leur éducation et les différents lieux de leur socialisation, les hommes sont confrontés à la violence. S’ils la subissent parfois, ils apprennent également à l’apprivoiser et à l’utiliser à leur profit, notamment contre des plus faibles qu’eux et, surtout, contre les femmes. Contrairement aux filles et aux femmes, ils sont légitimes à y avoir recours. Des millénaires de domination masculine et de culte de la virilité ont abouti à la croyance que les garçons sont prédisposés à avoir des comportements violents et qu’il faut même les encourager dans ce sens (« c’est bon pour la confiance en soi »). Les filles, elles, n’en auraient pas besoin. Elles disposeraient d’autres « armes » telles que la douceur, la sensibilité, l’empathie… »

Sur quelles planètes on vit pour écrire un truc pareil ?…

« Des hommes peuvent être victimes de violences dans leur couple. Personne ne le nie. Et il arrive qu’ils n’osent pas porter plainte, notamment du fait de l’intériorisation des normes de genre qui veut que les hommes ne doivent pas se montrer faibles. »

Ah, et pourquoi les hommes ne se refuseraient-ils pas à porter plainte pour les mêmes raisons que les femmes ? Est-ce que c’est plus (ou beaucoup plus, ou uniquement) pour ne pas paraître faibles ou c’est aussi, même un peu, parce qu’ils ne peuvent se résoudre à porter plainte contre la personne aimée (et/ou dont ils sont dépendants) ? Qui fait perdurer des clichés sexistes ?…

L’exemple du viol est en tout cas assez significatif. Le dialogue apparaît réellement comme impossible entre ces féministes radicales et ceux qu’elles appellent masculinistes : là encore, les seconds, quand ils ne cherchent pas en effet à réduire tout bonnement la responsabilité statistique des hommes dans la grande majorité des cas de viol, peuvent avoir des revendications légitimes quand il est question de faire entendre la voix d’une minorité mal entendue, c’est pas nier le reste que de le dire (le discours masculiniste est-il uniforme dans ce cas ?). La malhonnêteté est bien dans les deux cas de refuser de parler de la même chose, de comprendre les préoccupations de celui qui les exprime, et de ramener sans arrêt « l’autre » sur le terrain de ses propres revendications. Dialogue de sourds.

« Si les hommes veulent pouvoir jouir sans entrave au détriment des femmes qu’ils se permettent d’assaillir, c’est qu’on leur a laissé penser que rien ne pouvait leur être refusé. Et le viol n’est pas l’expression d’une sexualité mal canalisée, le résultat d’un trop plein de frustration ou d’un désir sexuel irrépressible. Il est plutôt l’expression d’une volonté d’asseoir et de réaffirmer un pouvoir sur les femmes. »

Si « on » laissait penser aux hommes que rien ne pouvait leur être refusé, les violeurs ne seraient pas seulement majoritairement des hommes, TOUS les hommes seraient des violeurs. Les violeurs sont des agresseurs sexuels, pas des tenants de la théorie du patriarcat.

Le passage sur le suicide des hommes est peut-être le plus intéressant, l’explication plutôt convaincante. Reste qu’après le constat, la réaction fait un peu froid dans le dos. S’il y a une prévalence des morts par suicides chez les hommes, quelle que soit la cause de la « réussite » dans ces suicides (même si pour elles, la cause en est le patriarcat – si, si, c’est toujours la faute du patriarcat…), il est donc légitime de s’en préoccuper et de faire en sorte que la prévention par exemple en tienne compte. (Avec un accent porté tout particulièrement sur les jeunes homosexuels, donc. « Bonjour, nous les hommes, on est beaucoup plus victimes de suicides. » « D’accord. Nous allons faire un effort sur la prévention. En particulier sur la prévention des jeunes homosexuels qui sont le plus touchés. » « Heu, non mais, heu, en fait, non, et nous ?… » « Vous ? qui ?… les masculinistes ? » « Heu, non mais… heu… (rah, merde, niqué). » « Vous êtes en effet aussi les premiers concernés. Mais pas seulement en tant que victimes. Qui est responsable du mal-être des jeunes homosexuels à votre avis ? Les femmes ?! » « Heu, non mais ne me parlez pas du patriarcat là aussi ! Moi je suis juste potentiellement suicidaire ET homophobe, d’accord, mais je ne suis pas pour le patriarcat. » Qu’il y ait des homophobes dans les rangs de masculinistes, je veux bien le croire. Mais des tenants de la théorie du patriarcat ? non, parce que la théorie du patriarcat est un fantasme conspirationniste chère aux pseudo-féministes. On ne règle aucun problème en s’attaquant à des mirages.)

« Nous vivons une époque réactionnaire. Le racisme et la xénophobie se portent
bien. Le sexisme et l’homophobie s’expriment sans honte. La culpabilisation des
pauvres va bon train. L’apathie ambiante et le repli individuel ne laissent pas
présager un changement rapide d’ambiance. »

C’est amusant ce discours, il me fait un peu penser aux doutes qu’émettent les tenants de certaines pseudosciences quant aux progrès de la science depuis ces derniers siècles. À notre époque et dans notre société, jamais le racisme n’a été au plus bas, jamais les femmes ont été aussi peu… oppressées, et les homosexuels n’ont jamais autant été respecté pour ce qu’ils sont (dans quelle société les homos avaient-ils le droit de se marier, de se trimbaler librement dans la rue ?), etc. Ce qui est réactionnaire, désolé, c’est bien de dire que l’époque dans laquelle on vit est terrible. Dans une galaxie bien lointaine, il y a bien longtemps, il n’y avait pas de racisme, pas de sexisme ou d’homophobie. Où, sur quelle planète ?…
Maintenant, ce n’est pas parce que notre époque (et notre société… prétendument patriarcale) est championne toutes catégories en matière de tolérance qu’il faille s’arrêter là.

« À force de se regarder le nombril, on finit par ne plus voir… que son nombril. Toutes ces litanies sur les mères castratrices et les pères absents, ces complaintes surle père qu’ils ne savent pas être, ces doutes sur le mari qu’ils essayent d’être, etc. donnent le tournis. Mais surtout, à les entendre, on finirait pas croire que les difficultés et la souffrance des hommes est le seul sujet digne d’intérêt. En effet, plus ils parlent d’eux, moins ils parlent d’autre chose : comme de la souffrance autrement plus importante des femmes (…). Quand les membres d’un groupe social dominant décident de se réunir, ce n’est en effet jamais très rassurant. »

Ah oui, mais en même temps, le sujet des masculinistes, c’est de se plaindre de leur sort, pourquoi iraient-ils sur le terrain de la faim dans le monde par exemple ? Idéologie contre idéologie, chacun défend sa paroisse et c’est pas bien beau à voir.

« Pour les hommes qui souhaitent vraiment remettre en question leur place dans la société et contribuer à détruire le système patriarcal, pourquoi ne pas s’attaquer aux racines du problème, en eux, en commençant par reconnaître leurs comportements sexistes et leur propre violence ? »

« racine du problème, en eux » ahah les femmes seraient-elles moins soumises aux préjugés sexistes que les hommes ? ah ben oui, puisqu’elles sont soumises… au « système patriarcal » ahah, voilà, ce délire de persécution, ce complot des hommes contre les femmes… Quant à la rhétorique du « si vous voulez qu’on le fasse commencez pas vous » j’avais suggéré que si les femmes voulaient que les hommes s’impliquent plus dans les tâches ménagères il fallait commencer par accepter de draguer les hommes, arrêter de penser que c’était (par nature) aux hommes de le faire, et cesser de se mettre en position d’attente de ces messieurs. Autrement dit que la charge de la drague repose sur les deux, hommes et femmes (on est égalitarisme ou on l’est pas). Résultat : des baffes, donc question rhétorique, le « commencez par reconnaître » ou le « commencez par faire », c’est zéro. (Malheureusement, là encore, le dire, ce ne serait que me convaincre moi-même. Je ne suis qu’un homme, je n’ai donc aucun pouvoir, aucune autorité, dans le cadre d’une discussion concernant le féminisme ; et je ne peux exercer sur « elles » l’oppression que pourtant je ne manque pas d’exercer par ailleurs dans un tout autre cadre. Merde, si on ne peut pas être un tyran partout, que vais-je faire de ma virilité.)

« La dangerosité de l’idéologie masculiniste tient sûrement au fait qu’elle a donné naissance à un véritable mouvement social, vaste, pluriel et organisé, ainsi qu’à l’écho globalement très favorable que ses idéologues rencontrent dans les médias. »

Ahah, on peut faire un comparatif entre la place des féministes (ou des luttes féministes) et de ces masculinistes « dans les médias » ? (en même temps si on ne les entend pas, c’est pas plus mal, je sais pas de qui des deux, entre les pseudo-féministes-radicales, et les masculinistes-pleurnicheurs-hoministes me sont le plus antipathiques) « Véritable mouvement social »… ah la la, la peur du loup… Sérieux, ils sont où les défenseurs de la cause masculine ? Si une poignée de féministes ne s’en prenait pas violemment à eux, personne n’en entendrait parler.

« en espérant que l’outil que constitue ce texte puisse servir à quiconque voudra aiguiser sa vigilance. »

« Vigilance » Wow, superbe conclusion. Je finirai moi aussi sur le même ton et avec des comparaisons fumeuses. J’attends avec impatience Comment reconnaître un masculiniste, ouvrage où on aidera les féministes de race pure à dénicher le masculiniste caché en chacun des hommes, cette race impure, privilégiée et oppressive… qui a bâti une société dont le seul but a été de soumettre la femme a ses désirs. Apprenez, mesdames, à débusquer le masculiniste caché comme autrefois… le juif. » (Les mêmes biais produisent les mêmes effets.)

Bref, comme l’impression de lire une diatribe des tenants de l’hypothèse extraterrestre contre d’autres de la Terre creuse. Des abrutis incapables de discuter. À se demande de qui des deux camps a l’esprit le plus tordu.

(Ah et pour discréditer une féministe qui n’est pas de son bord, rien de tel que de charcuter son nom. Petit mépris ordinaire et coups de pieds aux ovaires, ça mange pas de pain. Des féministes radicales à propos des pauvres et inoffensifs masculinistes, c’est déjà pas bien beau, mais des féministes entre elles, ça doit pas être bien joli non plus…)

(Noté 2. Il faut garder une marge pour quand je lirai Zemmour.)

avril 2017
Le Prince, Machiavel

« Je ne traiterai point ici des républiques, car j’en ai parlé amplement ailleurs : je ne m’occuperai que des principautés »

Ah, ah j’ai pas lu le bon bouquin. (Sérieusement c’est de la bonne daube en pâte. Succession de lieux communs et de références historiques moisies. Autant lire les traités d’Archimède.)

On doit donc à Machiavel cette merveilleuse idée de pourvoir les États de corps d’armée nationaux au lieu de laisser ces vaillants princes que sont nos chefs d’État mener leur propre guerre avec des mercenaires. Merci Mach, nos petits princes ont bien suivi la leçon et quand tout le monde suit  la même règle censée vous mener au succès ça fait très peu de victimes. L’initiateur presque de la guerre totale.

La Montagne magique

C’est qu’il m’emmerde le Thomas. J’ai rien contre un roman qui fait du surplace, une sorte de roman initiatique où le nigaud-héros s’en va faire son éducation comme autrefois on se faisait moine. Sauf qu’il est pas obligé de faire notre éducation. Dans un roman d’amour, c’est le héros qui apprend, découvre, expérimente, nous ben on se contente du compte rendu, pas des longs… discours. Et le Tommy il fait tout le contraire, tout heureux de nous montrer combien il l’a grande et jolie. Et voilà qu’il nous éduque en matière scientifique (très utile un siècle après où tout ce qu’il raconte est dépassé), politique (ce que j’en ai à foutre de la politique allemande, européenne gréco-antique), philosophique (jamais rien capté à ces manuels de savoir penser, ou de traités de guerres à pets idéologiques) ou même parapsychologique (ah la mode des tables tournantes, ça encore, passé de mode, aucun intérêt aujourd’hui). Donc merde, encore le sujet aurait été sur l’art, la narration, des petites idées toutes connes comme des interrogations sur le temps, la mémoire… ok mais science, philo, politique et tables tournantes… Oui maître, j’ai bien entendu, j’ai tout compris, j’ai tout lu… Que nenni, toutes les annotations, je les foutus au cabinet. Véritables tue-l’amour, je lis pas ces merdes qui cassent le rythme et l’intérêt… narratif. Parce que merde, y a que le récit qui compte, les bavardages et l’éducation play-by-play, j’en veux pas Tommy, fais-moi un compte-rendu. Du récit, du récit, et encore du récit ! Parce que bordel de saloperie de génie, quand tu racontes, tu sais y faire. Mais comme certains petits génies, tu t’emmerdes tellement dans la vie à trouver aucun ami à ta hauteur, que tu t’amuses à t’en inventer, et tu t’amuses à les faire rencontrer dans tes romans. Que c’est follement amusant Tommy, que tous ces messieurs sont brillants !… mais putain, c’est pas ce que j’ai envie de lire ! C’est une saloperie de mannie que tu as là mon Tommy ! Tu veux discuter « art » ? Eh ben l’art, c’est se mettre à la hauteur de son public, et l’élever. Pas se mettre au-dessus et voir lesquels là-dedans vont s’élever. Parce que beaucoup feront semblant, les mêmes qui font tourner les tables. Et tous ceux-là liront bien sagement toutes les annotations, feront mine d’avoir lu toutes les références cités ou possiblement évoqués dans ton roman, ils s’élèveront vers tes hauteurs, te souffleront tout fiers « salut ! j’en suis ! j’ai compris ! » quand ils ne se seront jamais élevés qu’à la force de leur pet tutélaire. Pour en arriver si haut, c’est qu’ils en auront chié des montagnes. Pas de ça chez moi, mon ami. Dans ma culture à moi, c’est l’auteur qui se met à la hauteur et qui élève le lecteur (du grec « élevé », si, si, ja vol). On se dresse tous en chœur, dans la joie et l’allégresse. Et le plus joli, c’est que dans cette grande arche de Noé ou tout le monde est sauf, on est tous dans le même bateau, avec toi, ou un autre pour nous guider, on pense tous être là pour les mêmes raisons, on pense tous aller au même endroit et comprendre les vœux du capitaine, et tout ça c’est un mirage. Elle est là la magie de l’art mon Tommy adoré. Toi, avec ton génie qui réclame à ceux qui peuvent péter plus haut que leur cul grâce à des implants pneumotoraxique, tu rabaisses tous les autres, ceux d’en bas, ceux du plat pays, ceux qui, ces cons, n’ont pas la chance d’avoir la tuberculose (ou apparenté, parce qu’il faut avoir une tuberculose, c’est trop la classe, ça fait romantique, c’est toujours plus classe que la syphilis, du moins ça laisse encore quelques possibilités d’échanges horizontaux) et de mourir jeune. Ah, au moins la Première Guerre mondiale t’aura bien été utile hein Tommy… c’est qu’il t’en fallait bien une fin pour achever dans la dignité ton personnage. Aucun héros digne de ce nom ne peut crever dans son lit. Et tu vois ça, Tommy, c’est du récit. Ta fin est géniale, avec le style en prime, avec un gentil tutoiement à ton héros. Quand tu veux, c’est parfait. Quand tu veux. Suffit pas d’être un génie, encore aussi faut-il se contenter, se contenter Tommy, d’être génial. Et certains petits (ou mauvais) génies comme toi sont comme les mecs qui savent plus que toi ou qui veulent te le montrer lors des dîner en ville : on n’a pas envie d’en faire des potes. Et les grands génies savent se rendre sympathiques. Personne n’aime les gens brillants. Alors j’ai fini la chose, c’était long, et j’en fais pas une montagne. Je sauve les passages narratifs, purement narratifs. Où il se passe rien mais où il se raconte tout. Ça j’aime, j’apprécie, et tu m’es alors sympathique. Le reste me torpille les yeux avec sa lumière trop vive et son albédo explosive. Donc tu m’excuseras, mon Tommy. (C’était tout aussi bien, et plus court, à Venise.)

novembre 2016
Le Loup des steppes

« Ah, mais tout ça c’était une blague les copains ! En fait, je suis pas chiant et sinistre, je suis un mec super drôle ! C’était une blaaaague ! C’était drôle, non ? »
« Heu… Non. »
« Hum, d’accord, j’avoue, je m’en sors avec une pirouette ridicule, mais j’avais honte des conneries que j’avais écrites jusque-là. Hé, au moins, les copains, avouez, hé… si je suis pas drôle — je vais y travailler les gars ! je vous promets bientôt le Crime et châtiment de l’humour !, bref, je disais, si je suis pas encore très drôle, Harry, lui, est intelligent, hein, hein, non ! Épatant, non ? »
« Nan. Il est grave con. »
« Hum, oui, vous avez raison… Un peu prétentieux aussi… Mais… vous savez au fond, c’est parce qu’il a une bonne nature, c’est un naïf désabusé par la vie, par les illusions d’un monde sans but et qui tourne en rond… alors au fond, il n’y a plus que l’humour, faute… hum, d’intelligence.
« Oui, mais il est pas drôle. Fallait commencer ton roman là où il se finit. Moi j’aurais bien aimé le voir devenir Pierre Desproges. Sauf que pour ça, il faut un peu d’intelligence et d’humour. Au fond, c’est un peu la même chose, tu crois pas Hermann ? »
« Ben, heu, oui… »
« C’est bien petit. »
« Mais attendez, au moins Hermine, elle dit des choses pas trop connes, non ? »
« Ça lui arrive oui. Mais ça reste un double de toi, Hermann, autant de ton Harry, donc au fond… on s’en fout, parce que même quand tu dis des choses sensées, on ne peut pas y croire, parce qu’on voit bien que tu n’as pas le moindre idée d’où tu vas. »
« Ben, oui, c’est une quête de l’impossible, une initiation de mes mois reconstitués ! »
« Pourquoi pas Hermann. Je les trouve plus sympathiques que ton Harry. En revanche, c’est un peu idiot d’avoir pris le point de vue de Harry pour le raconter. »
« Pourquoi ? »
« Parce que ton Harry, il est tout bonnement insupportable. »
« Mais oui, mais c’est parce qu’il est en pleine quête… il a l’intelligence, il s’est réconcilié avec le monde en apprenant deux pas de tango et… et il lui reste sa quête pour devenir drôle. »
« Peut-être encore une fois, Hermann. Sauf que cette quête qu’il fallait écrire. Note bien que j’ai bien ri souvent pendant ma lecture. Le Traité sur le loup des steppes, c’est, déjà, de l’auto-dérision, rassure-moi ? »
« Hi… hi…. Mais bien sûr !… T’as trouvé ça drôle ?! »
« Drôle de bêtise, oui. Tout ce qui se veut un peu trop intelligent sans l’être paraît toujours un peu niais, Hermann. »
« Hiiiiiii… Je sais. »

 
août 2016
Carrie (1974), Stephen King

L’efficacité de la simplicité.

L’Art d’avoir toujours raison (1830), Arthur Schopenhauer

Un peu déçu. Mais les principes décrits restent assez largement utilisés, non pas « pour avoir raison », mais pour relever les sophismes qui polluent les discussions…

Quelques commentaires supplémentaires, ou échanges : ici. (Susceptible de disparaître avec la suppression du compte.)

 

Éloge de la fuite (1976), Henri Laborit

Intéressant. Dominants et dominés. Je devais écrire des commentaires, mais j’ai la flemme. Ou plutôt, repenser à ce qui y est relevé est plutôt déprimant. C’est gentil de me donner un miroir à mon cynisme.

Le Matin des magiciens (1960), Jacques Bergier et Louis Pauwels

Chef-d’œuvre de la zozoterie. Un peu oublié aujourd’hui et c’est tant mieux. Merci à France Culture (Mauvais genre) de mettre en avant de telles idioties.

Dalva, Jim Harrison

Première excursion dans l’écriture de Harrison. L’évocation et la thématique indienne m’ont plutôt laissé froid de bout en bout, même si l’effort d’information peut être louable. Le traitement en revanche pour illustrer cette idée, en mêlant différentes voix à la première personne, me paraît à la fois artificiel et inefficace. Aucun moyen de s’intéresser pour ces personnages, leurs plans culs ou leurs remarques plus ou moins brillantes.

Si sur le fond, je n’adhère pas du tout, l’écriture elle est remarquable. Certains propos pertinents donc, mais surtout une capacité à ramasser un nombre fou de descriptions dans une écriture dense. Certains parleraient d’imagination, je préfère voir là une maîtrise dans la rigueur assez bien abouti ; les écrivains ont vite fait de tomber dans la facilité en redondances ou en lien une idée à une autre ; chez Harrison, on est souvent à la limite de l’énumération, passant du coq à l’âne sans broncher, mais c’est toujours pour décrire un univers ou une situation.

M’en vais fureter du côté de Stephen King pour trouver une écriture un peu plus tournée vers l’action, la tension. Et voir comment il applique ses principes de On Writing.

Les Guerriers du silence

Le style est parfois trop redondant et s’égare dans des descriptions dont on peine à rapprocher de la situation. Cela montre combien chaque chapitre doit être directement ou subtilement relié aux enjeux ou au contexte général.