Blonde Crazy, Roy Del Ruth (1931)

Partner in crime

Note : 4.5 sur 5.

Blonde Crazy

Année : 1931

Réalisation : Roy Del Ruth

Avec : James Cagney, Joan Blondell, Louis Calhern, Noel Francis, Guy Kibbee, Ray Milland

C’est un peu désolant de voir que certains films pré-code mettant les femmes à l’honneur ne soient pas aussi prisés aujourd’hui pour le rôle essentiel qu’ils ont eu dans la construction des rapports homme/femme au vingtième siècle. J’en ai souvent parlé ici, et voilà un nouvel exemple fabuleux de rapports d’égal à égal entre un homme et une femme comme il a pu en exister dans le cinéma muet jusqu’à l’application stricte du code Hays autour de 1935. Le code n’a pas seulement imposé plus de moralité au niveau de la représentation de la sexualité ou des crimes à l’écran, elle a surtout porté un frein à un type de relations qui se généralisait à Hollywood après la guerre. Tout d’un coup, les femmes pouvaient prendre les commandes ou être les égales des hommes. Avec le code Hays, elles redeviendront leur faire-valoir, leur compagne ou leurs amantes. Ce stéréotype de rapport que l’on identifie en général à la révolution sexuelle des années 70 et à l’émancipation des femmes, parfaitement illustré au cinéma par exemple par la relation princesse Leïa/Han Solo, il est né entre 1920 et 1935 essentiellement à Hollywood. Et la courte période pré-code, parce qu’elle mettait en scène des personnages qui gagnaient en réalisme, a peut-être encore plus montré la voie et fait la preuve que ce type de relations mixtes était non seulement possible, mais que ça ne nuisait pas nécessairement à la séduction comme on peut le voir au début du film.

Il faut voir les dix premières minutes de Blonde Crazy pour se convaincre que tout en jouant un jeu de séduction classique, la personnalité et l’équilibre des rapports de force dans les situations présentées gagnent en densité et en véracité grâce au parlant. L’insolence de James Cagney, son génie à exprimer une certaine fantaisie, son audace bouffonne pleine d’autodérision qui est la preuve qu’il ne ferait au fond de mal à personne (et nous pousse à l’aimer, à s’identifier à lui, à lui ressembler), tout cela ne serait pas possible sans le son, sans les dialogues, sans la repartie. Surtout, la même chose serait impossible à imaginer pour une femme… si on n’était pas en 1931.

On comprend mieux la nécessité pour les conservateurs voyant arriver le cinéma parlant de chercher à imposer un code de bonne conduite aux studios : le parlant avait bien redistribué les cartes et devenait une incroyable machine de guerre pour imposer des idées nouvelles, libérales, à un public sidéré par cette nouvelle révolution du cinéma.

Encore aujourd’hui, on voit rarement une femme à l’écran tenir ainsi tête à un homme pour le moins insistant. Ce n’est pas seulement le talent des auteurs capables d’écrire les répliques qu’il faut pour répondre au pot de colle qu’est James Cagney, il faut aussi et surtout le caractère qui va avec afin de rester crédible : je ne suis pas sûr que les petites Françaises, en voyant revenir leurs hommes cabossés de la Première Guerre mondiale, montraient autant d’autorité et d’indépendance que certaines des actrices qu’on a vu fleurir à la même époque jusqu’aux premières heures du parlant à Hollywood. Je passe la période du muet que j’évoque dans It Girl, mais en 1931, au tout début de cette nouvelle révolution de la représentation des relations à l’écran, et donc de l’imaginaire social auquel tout le monde sera alors censé se référer par la suite, le public, et probablement encore plus le public féminin, peut s’identifier à de forts caractères féminins, des actrices, tenir la dragée haute à des partenaires masculins. Mae West, Barbara Stanwyck (dont j’évoque aussi l’importance dans Stella Dallas et dans L’Ange blanc), Jean Harlow, et donc ici Joan Blondell, et quelques autres ont montré la voie à toutes les autres. Ici, c’est bien l’intelligence de l’actrice qui lui permet de se mettre au niveau (très haut en matière d’autorité, de charisme et d’intelligence) de James Cagney.

Elle a tout : la même insolence, la lucidité (fini les grandes naïves), la désinvolture, le détachement ou l’assurance qu’elle saura toujours faire face (c’est aussi ce qui donne cette impression d’autorité naturelle, car la personne, qu’elle soit un homme ou une femme, n’a jamais besoin de passer par l’agressivité ou de hausser le ton pour se défendre — sauf avec des baffes), et une certaine forme de bienveillance cachée derrière une froideur feinte. Sur ce dernier trait de caractère, c’est le même tempérament qui fait qu’on apprécie James Cagney malgré ses penchants agressifs, ses sautes d’humeur fréquentes, et ici, son goût pour la filouterie : ils n’auraient pas tous deux des jeux de regards ou des sourires servant de contrepoint et de sous-texte, jamais on ne pourrait autant les aimer. C’est bien leur imprévisibilité, leurs retournements (il arrive au personnage de Cagney de reconnaître qu’il est allé trop loin) et leur capacité à produire des sous-entendus qui forcent le respect du spectateur. Personne n’a envie de s’identifier à des personnalités fades et toujours prévisibles dans leur constance molle.

Au-delà de ces traits de caractère qui prouvent une personnalité déjà bien affirmée, elle a aussi du répondant. Que ce soit au niveau du verbe parce qu’elle a autant de repartie que son acolyte masculin sinon plus, mais aussi au niveau physique : c’est peut-être un tour peu réaliste, voire carrément burlesque (et en l’occurrence, c’est un running gag assez efficace au début du film), mais je ne peux m’empêcher de penser que son audace physique, celle qui lui permet de filer des gifles à celui qui lui court après, a pu donner des idées aux femmes qui voyaient le film au début des années 30. Oui, on pouvait gifler un homme, non pas parce qu’on serait outré de ses agissements, non pas parce qu’on serait une garce, non pas parce que l’on chercherait à commencer une bagarre perdue d’avance, mais parce qu’on estime être son égal. Il y a dans ces gifles quelque chose qui ressemble bien plus à des claques que Titi pourrait filer à Gros Minet, d’une grande sœur à un petit frère turbulent : la violence n’en est pas une (elle ne l’est jamais dans le slapstick), c’est une tape sur les fesses de bébé, c’est une tape au cul qui va dire « t’es bien gentil, mon garçon, mais tu m’importunes : je te gifle et on est quitte, ça te fera fermer ton caquet ». Et on tourne les talons sans air hautain, sans agressivité, sûre de son fait et de son droit, et peut-être un peu aussi avec un œil en coin (amusée ou non) pour voir la réaction du Gros Minet (ceci, seulement ici parce que l’on comprend que la Joan Blondell en question pourrait tout autant être intéressée par le bonhomme s’il se comportait plus en gentleman). On peut adhérer à cette forme d’égalité parce que si le personnage de Cagney est un peu lourd, il ne tombe jamais dans ce qu’on appellerait aujourd’hui du harcèlement. Au contraire de quoi, la réaction de Joan Blondell aurait toute légitimité à ne plus se contenter de petite claque amicale. Et quand on est un public masculin, on se dit qu’on se laisserait bien faire la leçon par pareille femme : tout compte fait, si c’est pour nous apporter un « partenaire », plus qu’une docile concubine ou une esclave sexuelle, pourquoi s’en plaindre ? On le voit d’ailleurs par la suite : sans sa blonde crazy, le filou ne se sent pas d’arnaquer son monde (ce que paradoxalement elle avait toujours espéré trouver en lui).

C’est un paradoxe très « pré-code » : le personnage de James Cagney est un effroyable filou, ne cherche surtout pas à être autre chose, mais on sent derrière cette carapace de « gros dur », une sensibilité et un sens des limites… avec les femmes, en tout cas avec celle qui l’intéresse. Le danger de ces films, peut-être parfaitement identifiés par les conservateurs de l’époque ayant poussé à suivre un code de bonne conduite, c’était probablement moins la question de la représentation (positive) faite des criminels (il y a tout un abécédaire de l’escroquerie dans le film qui aurait pu faire naître bien des vocations) ou de la représentation de la sexualité à l’écran que celle de la place de la femme, émancipée, dans la société américaine d’alors. Par la suite, on aura bien des paires homme/femme qui apparaîtront ensemble à l’écran toujours complices, mais que ce soit dans la série des Thin Man par exemple ou dans les screwball comedies (et en premier lieu, les comédies de remariage, si typiques de cette ère du code Hays), il s’agira presque toujours de couples mariés ou appelés à l’être (en tout cas, rarement des criminels).

Quand on sortira du cadre du mariage (si relation d’égalité il y a), elle sera toujours relative, et presque toujours avec des filles de mauvaise vie. La femme fatale n’est pas une égale, c’est une paria, une femme qui justement doit payer le prix de son émancipation, le prix d’avoir cherché à se faire l’égale des hommes.

Voilà pourquoi ces films pré-code sont si importants dans ce qui est devenu une norme dans les relations en Occident. Toute notre manière de nous comporter en société est née de cette représentation de la relation homme/femme à l’écran après la Première Guerre mondiale, essentiellement à Hollywood, mais destinée à un public de masse mondialisé. Le cinéma muet n’était pas seulement muet, il était encore à la limite de ce qu’il était possible de faire en matière de représentation et de réalisme à l’écran. Avec le parlant, on voyait sous nos yeux une manière d’être, de se comporter, de parler qui était devenue presque naturelle, en tout cas suffisamment vraisemblable pour qu’on puisse chercher à en imiter les codes, à en explorer les limites et les possibilités dans la vie réelle. Parfois, peut-être pour le pire (si on cherche à reproduire les savantes escroqueries du personnage de James Cagney), mais surtout pour le meilleur : la possibilité pour le public féminin de se représenter la possibilité d’un monde où les femmes tiendraient tête aux hommes sans crainte d’en subir les conséquences (puisque je l’ai encore en mémoire, Bette Davis se fait défigurer pour son audace dans Femmes marquées, on est en 1937 : fini l’égalité ; on châtie plus tard ses agresseurs, mais on suggère un peu aussi qu’elle l’aurait un peu cherché en exerçant un tel métier) et d’affirmer ainsi un statut, égal à celui des hommes, prétendre aux mêmes audaces, qualités ou excès, etc.

Le film devient plus conventionnel par la suite. Le personnage de Joan Blondell s’adoucit, rentre dans le rang, mais ces premières minutes du film illustrent peut-être à elles seules ce qu’est l’époque du pré-code. Une époque de possibilités, d’ouverture, d’égalités acquises ou à prendre, et qui annoncera les luttes menées par les femmes des années 60 et 70.

J’insiste beaucoup sur ce sujet, et peut-être que je ne connais pas autant la période que je voudrais le croire, peut-être que mes connaissances en sociologie ou en ethnologie sont est inexistantes, et peut-être qu’on ne voit les choses qu’à travers ce que l’on connaît, mais j’attends toujours de trouver des arguments venant me convaincre que cette période n’aurait pas eu l’importance dans notre société comme je le prétends et ne serait qu’un épiphénomène auquel je porterais depuis des années trop d’importance historique.

En attendant, je me permets de dire, presque un siècle plus tard, à cette petite blonde potelée que je l’adore. Pas seulement pour sa beauté, sa douceur, toute féminine…, mais pour son intelligence, sa dureté aussi, sa constance, et pour l’assurance et l’audace dont fait preuve son personnage dans ce film (et qu’elle a parfaitement su transmettre au spectateur). Dommage que les films dans lesquels elle apparaîtra par la suite (même en vedette) ne soient pas restés autant dans l’histoire que ses films pré-code.

Des actrices mentionnées plus haut, seule Barbara Stanwyck restera au plus haut à l’ère du « code », et dans un style plus policé que dans les films où elle apparaissait à la même époque. Toutes deux se sont croisées d’ailleurs sur L’Ange blanc. James Cagney, lui, se fait remarquer la même année avec Jean Harlow dans L’Ennemi public, et à nouveau avec Joan Blondell, deux ans plus tard, dans le formidable Footlight Parade. Lui aussi restera un acteur de premier plan après 1935. Mais comme il y a eu un plafond de verre pour les acteurs du muet à l’arrivée du parlant, il y a eu plafond de verre pour les actrices attachées à des personnages émancipés au moment de l’application du code. Les hommes n’ont pas eu à souffrir du même problème, semble-t-il. Après avoir montré la voie pendant vingt ans, Hollywood devenait presque une arme de soft power au profit des conservateurs, alors même que c’était désormais les démocrates avec Roosevelt qui dirigeaient le pays…


Blonde Crazy, Roy Del Ruth 1931 | Warner Bros.


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Les femmes naissent deux fois (Onna wa nido umareru), Yûzô Kawashima (1961)

Cinéma de filles de joie & émancipation des femmes

Note : 4 sur 5.

Les femmes naissent deux fois

Titre original : Onna wa nido umareru (女は二度生まれる)

Année : 1961

Réalisation : Yûzô Kawashima

Adaptation : Toshirô Ide

Avec : Ayako Wakao, Sô Yamamura, Jun Fujimaki, Furankî Sakai, Kyû Sazanka

Les rudes conditions de vie des filles de joie, encore et encore. Le Japon a beau avoir interdit la prostitution, le pays n’a jamais manqué d’imagination pour créer de nouvelles normes sociales héritées des précédentes pour maintenir des usages censés avoir disparu. Le constat est toujours le même : solitude et misère pour des femmes toujours appelées à se soumettre aux désirs des hommes ; hypocrisie et fausses promesses pour les hommes qui profitent de leur dépendance pour en soutirer avantages et services divers.

La question qu’il faut se poser en Occident quand on voit ces mêmes histoires sur des filles de joie qui espèrent et croient parfois en une vie meilleure, c’est si on peut raisonnablement les qualifier de féministes. Ou plus précisément, si on peut être convaincus que la démarche de leurs auteurs vise à dénoncer et améliorer la condition des femmes japonaises du milieu du XXᵉ siècle.

En apparence, le regard posé sur ces femmes semble sincèrement ému de leur vie passée au service des hommes, virevoltant sans doute plus d’un espoir à un autre que d’un client à l’autre. Pourtant, à y regarder de plus près, en mettant en lumière l’histoire de ces femmes avec celles des femmes d’aujourd’hui, il est plus probable que les hommes qui écrivent, racontent ou filment ces histoires, car il s’agit presque toujours d’hommes (parfois même d’hommes amateurs de ce type de « services »), s’ils aiment à dévoiler ces histoires sordides, ils n’ont probablement aucune intention de voir la condition de ces femmes changer. Et cela pour une raison simple : toute cette culture liée aux filles de joie dans la littérature ou au cinéma n’a jamais donné lieu ne serait-ce qu’à un début de contestation (même par les principales intéressées) ou à de réelles prises de conscience de la question de la prostitution dans le pays.

Il n’y a pas eu au Japon l’équivalent des mouvements de suffragettes jusqu’aux années folles, accompagnés, voire initiés au cinéma, à Hollywood en particulier et le temps d’une courte période, par un mouvement de soft power en faisant écho, et suivis tout au long du siècle d’un large mouvement d’émancipation des femmes dans les sociétés occidentales et qui connaîtra son paroxysme dans les années 60 et 70. Choisir prioritairement des femmes comme personnages principaux n’assure pas pour autant à toute cette culture nipponne liée aux filles de joie d’en faire un cinéma de l’émancipation.

Les traditions sont vivaces au Japon, et les usages figés. Le Japon compte aujourd’hui parmi les pays les plus rétrogrades en matière d’égalité hommes-femmes au sein du monde dit civilisé. La question de la prostitution, comme celui de la place de la femme dans la société, ne souffre d’aucun débat. C’est entendu, la femme est toujours dans la culture nippone au service des hommes. La femme, ou mère, au foyer reste la norme sociale (celle donc à laquelle il faut se conformer, et celle aussi à laquelle les petites filles aspirent). Et si avant le mariage, les Japonaises jouissent d’une certaine liberté et indépendance (sexuelle notamment), nombre d’entre elles sont encore poussées par manque de moyens à gagner de l’argent à travers d’innombrables petits métiers « d’accueil » héritiers des hôtesses de bar ou des geishas à travers lesquels les services sexuels, sans que ce soit officiel, sont la norme. Cela concerne même les mineures sans que cela n’émeuve outre mesure la société, car si des lois interdisent toutes ces pratiques, la complaisance est en réalité totale. Une hôtesse, une masseuse, une maîtresse entretenue, etc., ce n’est pas de la prostitution, ce sont des hôtesses, des masseuses ou des maîtresses… Circulez, il n’y a rien à voir.

On le voit bien dans ce film qui décrit la situation dans les années 60, et on le voyait déjà dans certains films de Naruse ou de Mizoguchi (Quand une femme monte l’escalier suit le même modèle de récit et le même sujet, même si le personnage de Hideko Takamine évoluait plus précisément dans le monde des bars, et si elle cherchait à devenir propriétaire ; Ayako Wakao se trouvait dans la même situation dans La Rue de la honte, même si le caractère de son personnage dans le film de Mizoguchi était beaucoup moins résigné qu’on le voit ici) : on s’appelle « sœur », « mama », « papa » pour cacher la réalité des rapports entretenus. Personne n’est dupe, mais le besoin de conformité aux règles est le plus fort, et tout le monde accepte cet état de fait. Les femmes en souffrent, mais ne leur viendrait jamais à l’idée de contester cet ordre des choses, sinon pour elles-mêmes, et c’est peut-être ça le plus triste dans toutes ces histoires. Dans cette incapacité des Japonais, jusque parmi ses principales victimes, à oser aller contre l’ordre établi. Un homme accepte et profite bien souvent de ce qu’une femme soit d’abord une femme au foyer, la mère de ses enfants, une bonniche, puis qu’une autre, pour une nuit ou pour la vie soit sa maîtresse.

Ainsi, le personnage de Ayako Wakao se trouve un client régulier, un protecteur, et devient « officiellement » la maîtresse de l’homme qui l’entretient. Comme aux belles heures des grandes horizontales et des mariages arrangés où il fallait préserver les apparences d’une famille unie et où ces messieurs couraient les cocottes, en France ou ailleurs, les épouses en viennent même à inciter leur mari à prendre des maîtresses. En retour, le personnage de Ayako Wakao, comme toutes les autres de son rang, n’est pas censé prendre d’autre client. Avoir un protecteur, c’est lui être fidèle, et restée toute dévouée à ses petits plaisirs sensuels. Aujourd’hui, ce type de relations semble perdurer, avec des hommes mûrs par exemple qui proposent à des étudiantes de leur payer le loyer contre services rendus.

Au cinéma, il n’est par rare de voir les femmes venir s’entretenir avec les maîtresses de leur mari (c’était le sujet de Comme une épouse et comme une femme, sorti la même année et scénarisé par le même Toshirô Ide). En d’autres circonstances, on parlera de polygamie. Et à côté de cette position privilégiée des hommes toujours aux petits soins au milieu de toutes ces femmes, une femme, si elle a de la chance, n’aura jamais à se donner à un homme pour l’argent, une fois mariée deviendra mère et bonniche de tous les hommes de sa vie, et cessera naturellement d’avoir des rapports sexuels avec son mari, étant entendu que dans cette norme sociale, une femme se donne à son mari pour son plaisir à lui, et qu’une fois mère, ce rôle pourra être tenu par une autre femme ; si elle a moins de chance, on lui proposera rapidement de prendre un de ces métiers d’accueil qui vous poussent implicitement à la prostitution parce que les sollicitations sont partout, et parce qu’il y a peu d’alternatives pour une femme dans le monde du travail lui permettant de gagner son indépendance… D’une manière ou d’une autre, hier comme aujourd’hui, une femme japonaise est toujours dépendante, d’abord de sa famille, ensuite d’un homme en particulier (que ce soit un père, un mari ou un client — quand ce n’est pas un frère, comme dans Frère aîné, sœur cadette). Même dans un Japon moderne où les femmes travaillent au sein des mêmes grandes entreprises que les hommes, La Femme de là-bas illustrait bien l’idée que les usages étaient loin d’avoir changé. (C’était le paragraphe spécial racolage pour renvoyer vers d’autres pages.) Une situation qu’on imaginerait réservée aux pays pauvres…

Tant que personne ne s’offusque de cette marchandisation du « service » que doivent naturellement fournir les femmes envers les hommes avant même parler de services sexuels (qui serait presque pour commencer du domaine de la piété, peut-être pas filiale, mais sexuée, comme une loyauté sans faille que les femmes se devraient de suivre envers les hommes — à mettre en contraste avec ce qu’avec nos yeux d’Occidentaux on interprète souvent comme de la lâcheté de la part des hommes), aucune raison de penser que ces usages changent.

Des femmes, donc des victimes, qui s’en offusquent, j’en ai personnellement jamais vu. Jamais aucune revendication ou dénonciation ; les femmes semblent même trouver cet état de fait normal (comme dans les pays normalisés par la religion, on se rapproche d’une sorte de servitude volontaire). Alors voir dans ces films d’hommes qui s’extasient devant le malheur des filles de joie une forme de féminisme, oui, ce serait sans doute surinterpréter les petits signes favorables aux femmes qu’on pourrait y déceler. L’empathie, ce n’est pas une aspiration à l’égalité. Les hommes qui ont tout du long de l’âge d’or du cinéma japonais (et avant cela dans la littérature) mis en scène le malheur de ces femmes, ne cherchent pas à dénoncer l’inégalité dont elles sont victimes, la misère émotionnelle, sexuelle, psychologique ou sociale dont les hommes seuls sont responsables. Non, les hommes mettent en scène ces histoires parce qu’elles sont émouvantes, et parce qu’elles rendent ces femmes plus belles et plus désirables pour eux : elles se laissent faire, acceptent leur sort, baissent la tête avec dignité et résignation avant d’adopter le même visage rayonnant, ne manquent jamais à leur devoir de loyauté envers les hommes… Il ne faudrait pas s’y tromper, ces hommes aiment voir ces femmes souffrir, et aiment les voir rester à leur place, c’est-à-dire réduites à leur condition d’objets (sexuels, de réconfort, de compagnie) ou d’esclaves. Le personnage d’Ayako Wakao chante dans le film comme au bon temps des geishas, elle se demande déjà ce qu’elle pourrait faire pour accéder à une vie meilleure, mais la société japonaise des années 60 jusqu’à aujourd’hui regorgera d’idées nouvelles pour perpétuer encore et toujours ce qu’elle fait tout en prétendant faire autre chose afin de préserver les apparences.

On trouve dans Les femmes naissent deux fois sans doute moins de complaisance que dans de nombreux films sur la prostitution, mais on n’est déjà plus à la hauteur des shomingeki des dix ou quinze années qui précèdent, notamment à travers les adaptations ou les scénarios originaux de Sumie Tanaka auxquels Toshirô Ide (scénariste ici) avait souvent collaboré. Chez Mizoguchi, il faudra sans doute attendre le tout dernier plan de son tout dernier film pour voir explicitement une critique grinçante de la société qu’il s’est tout au long de sa carrière évertué à mettre en lumière. Yûzô Kawashima, lui, grâce à une approche plus réaliste (en dépit de la couleur qui a tendance à embellir les choses, ici, la musique aide à garder une forme de distance avec le sujet du film), montrait sans doute moins de complaisance que son collègue, comme il l’avait démontré avec Le Paradis de Suzaki (adapté, toujours avec Toshirô Ide, et comme La Rue de la honte, de la romancière Yoshiko Shibaki). Et les décennies suivantes seront loin de faire évoluer les choses. Des jeunes filles victimes des agressions des hommes, des femmes sexualisées à outrance (jusque dans les films d’action), des femmes au foyer, des mères… on cherche les exemples de femmes émancipées, indépendantes, dans le cinéma comme dans la société nipponne. Princesse Mononoke ?…

Même le cinéma coréen, alors que la Corée ne brille pas beaucoup plus pour son traitement des questions d’égalités, paraît offrir aux femmes de notre époque des rôles autrement plus modernes.

Sur le plan formel, joli travail de Yûzô Kawashima sur la direction d’acteurs, avec notamment des jeux de regard révélateurs de l’état d’esprit de son personnage principal : Ayako Wakao joue parfaitement son rôle de belle hypocrite chargée de mettre à l’aise les hommes, avec la petite tape qu’il faut pour créer une intimité de façade avec les hommes, le sourire poli qu’elle se doit d’offrir à son hôte à chaque geste en guise d’approbation ou d’encouragement, la remarque ou le silence de courtoisie visant à renforcer la complicité avec un client, et puis soudain, un regard qui se perd dans le vague, qui fixe un homme occupé lui à autre chose. Bref, tout le travail de sous-texte et d’aparté si nécessaire à un travail de mise en scène pour illustrer au mieux une situation.


 

Les femmes naissent deux fois (Onna wa nido umareru), Yûzô Kawashima (1961) | Daiei


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Les perles du shomingeki

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Insiang, Lino Brocka (1976)

Insiang, une tragédie philippine

Note : 4 sur 5.

Insiang

Année : 1976

Réalisation : Lino Brocka

Avec : Hilda Koronel, Mona Lisa, Rez Cortez

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Plongée brutale dans le monde sordide de Manille. Beaucoup de clichés sur la condition des femmes des grandes villes pauvres. À une ou deux reprises, on flirte même avec le soap (les soaps c’est comme un éternel épilogue qui se répète où les protagonistes n’agissent plus et ne font plus que causer et pleurer, une forme de théâtre classique moderne dans lequel l’action est toujours passée et hors-champ — l’épilogue ici n’était pas vraiment nécessaire). Mais au-delà de ces excès excusables, j’avoue qu’on y retrouve beaucoup des aspects, par son sujet et son parti pris pour les femmes, et de la couleur des films avec Ayako Wakao où sa beauté, attirant des hommes toujours plus beaux parleurs, obsédés et lâches, s’impose à elle comme une fatalité sans cesse répétée, une beauté présentée non comme un don ou une chance, mais un fardeau responsable de diverses souffrances et supplices. On retrouve cette répétition de malheurs, jusqu’au comique parfois, dans le Justine du Marquis de Sade, et sans aller jusqu’à ces excès, le parcours d’Insiang vaut surtout le détour pour son caractère représentatif de la condition des femmes dans le monde.

Insiang est donc bien servie par le malheur : dotée par la nature d’une composition agréable au regard, tout le monde ne pense qu’à la sauter. Ce monde-là d’hommes ne vit et parle que pour ça : de quoi parlent les hommes quand ils se réunissent ? De savoir si oui ou non ils vont enfin conclure (sexuellement s’entend), de savoir qui couche avec qui, de savoir qui l’a déjà fait, de savoir lequel sera capable de toucher la poitrine de la serveuse, etc. Et à ce petit jeu vulgaire qui ne fait rire que les hommes, les femmes, qu’elles soient jolies ou non, n’ont jamais le beau rôle, au point que même quand une d’entre elles tombe dans le piège d’un de ces sauvages, elles prennent rarement le parti de leur congénère et victime. À la violence et à l’insécurité physique et sexuelle, s’ajoutent la violence et l’insécurité psychologique : les agresseurs aux yeux de la société ne font que s’amuser, les hommes ont tous les droits, et plus tragique encore, même les femmes se rangent à cette idée. Il y a une forme de servitude volontaire dans ce manque de soutien des femmes entre elles. Le violeur est toujours un héros ; la femme violée, une tentatrice. On n’a probablement pas beaucoup évolué depuis que les femmes qui faisaient tourner la tête des hommes au Moyen Âge étaient brûlées pour sorcellerie. Une femme dans ces conditions, quand elle se fait violer, comme Insiang ici, ou comme les personnages d’Ayako Wakao, n’a d’autres choix que de se venger et de manipuler les hommes à son tour, souvent simplement ne serait-ce que pour échapper à son ou ses agresseurs ou pour se prémunir encore des suivants.

Rien de bien original là-dedans (même s’il faut reconnaître que ça pointe bien du doigt les mécanismes qui, à travers toutes les sociétés du monde, font des femmes les sempiternelles victimes des hommes), mais un regard aiguisé d’homme civilisé porté sur le comportement des hommes envers les femmes. Le seul male gaze véritable que je connaisse, c’est celui-ci, celui d’hommes cinéastes prenant à 100 % fait et cause pour les femmes victimes de la sauvagerie des hommes, de l’indifférence des autres femmes et de la société tout entière.

Brutal donc, réaliste voire naturaliste, mais c’est la force du cinéma aussi de savoir poser de tels constats et de rappeler certaines évidences qui font mal. On est loin des luttes virtuelles et désuètes lancées par les pseudo-féministes de ce siècle, incapables d’en rester à ce constat pourtant souvent encore d’actualité pour y préférer humilier et dénigrer les hommes qui ne les ont jamais agressées ou qui sont censés à leurs yeux leur voler une part du monde qui leur revient. Quoi que vous fassiez alors, cela sera vécu comme une agression, comme la preuve que vous appartenez à cette caste d’agresseurs de l’ombre : coupez la parole à une femme comme vous pourriez le faire tout autant à un homme, et vous voilà censeur misogyne ; prenez un peu trop de place dans un bus, et c’est la marque évidente de votre potentiel agressif misogyne ; réfutez la typographie inclusive, vous voilà démasqué dans votre refus de faire place à la féminisation sous toutes ses formes ; votre enfant porte des chaussettes bleues, et vous le préparez à se conformer à l’idée qu’il est un mâle voué à dominer des femmes formatées par leurs petites chaussettes roses. Oui, savoir pointer du doigt les bons problèmes, au cinéma comme ailleurs, c’est un talent et une nécessité sans quoi les solutions apportées ne font toujours qu’additionner de nouveaux problèmes aux anciens.

Insiang, Lino Brocka 1976 | Cinemanila

On remarque un détail parlant dans le film qui résume le conflit intérieur presque schizophrène, voire racinien, d’un désir très vite porté en passion qu’une femme ne reconnaît pas toujours être responsable de ses malheurs : le frère timide de la meilleure amie d’Insiang, amoureux d’elle, sérieux, lui propose de partir loin comme elle en rêve. Le problème, c’est que les hommes gentils, discrets et sérieux, ça passe pour un manque flagrant de virilité et les femmes s’en détournent au profit d’hommes bien moins sûrs qui seront souvent leurs futurs agresseurs (et amants). Je ne suis pas sûr que l’attention que Insiang réserve à ce garçon serait bien différente dans une société occidentale de ce siècle. Un homme pourtant, ça s’éduque, si on donne raison aux types violents, audacieux et menteurs, en répondant à leurs attentes, y compris sexuelles, en valorisant leurs audaces grasses, en privilégiant parmi tous les autres qui se feront alors rares, en un mot si on récompense leur virilité mal placée, eh bien, ces hommes n’apprennent pas à respecter les femmes, à respecter leurs désirs contraires ou retardés (un simple « non » qui aurait pu se muer en « oui » franc et lascif en réponse à des assauts répétés mais attentifs et doux), et on accepte que ces hommes, au détriment des femmes, ne vivent qu’à travers leurs petites satisfactions sexuelles éphémères. Un homme, ce n’est pas différent d’un môme ou des clebs, il faut lui apprendre les bonnes manières et lui apprendre à réfréner ses pulsions. Ce que Insiang fait d’ailleurs très bien avant d’être victimes de deux hommes lâches et violents gouvernés par leur instrument frétillant. Eux sont encore joyeusement et égoïstement esclaves de leurs pulsions sexuelles, de véritables pulsions destructrices que personne encore n’a sues (surtout pas eux-mêmes) restreindre et dompter, et on ne parle pas ici d’une certaine propension que pourraient avoir certains à couper la parole ou à s’étaler sur une place de bus. C’est la différence entre un homme sauvage et un homme civilisé. Et soit dit en passant, je range nombre d’hommes modernes se proclamant fièrement féministes parmi les tartuffes cherchant à s’attirer les faveurs des femmes pour mieux les tromper ou simplement pour se conformer à des idées derrière lesquelles on se réfugiera d’autant plus facilement qu’elles restent vagues et mal définies (la conformité, c’est comme la paix sociale, c’est une forme d’invisibilité qui vous permet sans grands efforts d’être accepté par les autres, d’être « conforme » en vous déclarant simplement « en être » comme les autres). Derrière cette nouvelle forme d’hommes trompeurs et menteurs se cachent les nouveaux sauvages ; et les femmes semblent encore beaucoup plus attirées par ces hommes habiles et dangereux, que par ces autres mecs timides, respectueux et discrets à qui elles ont trouvé un nouvel adjectif pour se moquer de leur manque de virilité (et donc d’attirance pour elles) : les « fragiles ». Dénigrer les individus de l’autre sexe pour leur signifier qu’ils ne nous plaisent pas en prenant un prétexte différent à leur renvoyer à la figure, c’est d’ailleurs une des marques usuelles des agresseurs mâles : on dira à une femme qu’elle est grosse par exemple pour bien signifier plus que nécessaire, et plus par goût de l’humiliation que cela devrait impliquer pour quelqu’un de ne pas se conformer aux désirs de l’autre, qu’elle ne nous plaît pas. Les extrêmes se rejoignent, surtout dans l’idée qu’on gagne sa liberté en l’imposant au détriment d’un individu plus faible, du moins dénigré, rabaissée par notre attitude envers lui.

Les « fragiles » pourtant ne mentent pas, n’abusent pas, n’ont pas d’arrière-pensées et ne violent pas. Quoique. Il faut se méfier de l’autre qui dort : même si on peut difficilement qualifier le petit ami d’Insiang de « fragile », il aime à se présenter à elle comme un garçon tout ce qu’il y a de respectable, et par conséquent un type d’homme qui ne la viole pas. Un loup dans la chaumière de grand-mère. À ce stade, la question de savoir si elle est conscience de l’état d’esprit de son amoureux reste ouverte ; nous voyons, nous en tant que spectateurs, toute la bassesse et la dualité du personnage avant qu’il parte une fois obtenu ce qu’il cherchait, mais la jeune fille en était-elle toute aussi consciente que nous avant leur nuit à l’hôtel ou était-elle naïve et aveugle comme sa mère, cela n’est pas évident. Et quoi qu’il en soit, sans en arriver jusqu’au viol, son petit ami présente finalement malgré sa gueule d’ange tous les aspects d’un dangereux hypocrite en quête d’aventures sexuelles. Difficile pour une femme de se faire une place parmi les loups : une femme qui n’a pas encore vu le loup et qui se jette malgré elle dans sa gueule, et voilà la tragédie philippine d’Insiang — comme les Malheurs de Justine — qui commence.

Quant au frère de sa meilleure amie, Insiang l’écoute indifférente lui proposer de partir, lui dire qu’il n’avait jamais osé lui dire qu’il l’aimait jusque-là, et elle ne semble pas le croire ou vouloir le croire parce qu’on a dû lui faire cent fois. Son aveu la laisse de marbre, et on ne reverra plus ce frère éconduit (le récit joue parfaitement l’affaire en intégrant à l’histoire ce personnage comme une possibilité laissée à Insiang, une chance à saisir pour s’extirper de son destin, une occasion manquée, qui se révélera donc être une fausse piste, une piste en tout cas vite rejetée par Insiang — et une indifférence qui à elle seule en dit beaucoup sur l’aveuglement ou la naïveté tragique de ces femmes).

Bref, un homme qui n’insiste pas, c’est tellement peu séduisant, tellement peu rassurant pour une femme qui se sentira tellement plus en sécurité aux côtés d’un beau parleur et d’un type à la virilité (et donc à la violence) plus affirmée. C’est une question de violence indomptée, de désirs destructeurs, ce n’est pas qu’une question de choix ou de valorisation sociale et culturelle de certains types d’hommes plus que d’autres, c’est aussi tout simplement des femmes qui répondent à leurs désirs les plus primaires. Alors oui, ça leur fait beaucoup de choses à dompter dans ce monde, mais s’il fallait attendre que le monde tourne rond grâce aux hommes, seuls, je crois qu’on pourrait encore attendre longtemps. La civilisation, elle naît aussi, et entre autres, de la capacité de la femme à dresser ses propres désirs (favoriser les mecs dociles et droits) et à dresser les hommes qui s’appliqueront à combler ces désirs. Une civilisation faite et par les hommes est une civilisation vouée à se bouffer de l’intérieur, c’est une civilisation en quête permanente de nouveaux territoires, une civilisation en lutte permanente interne pour s’arroger le gros du pouvoir, et au final, une civilisation vouée à la disparition parce qu’elle ne construit rien : c’est Gengis Khan, en somme.^^

Une civilisation qui construit au contraire, c’est une civilisation où les hommes sont tenus en laisse au lieu de rêver à de grandes conquêtes sauvages, c’est une civilisation où les femmes ont le pouvoir d’être craintes au moins pour ce qu’elles sont, les égales des hommes, et non vues comme des objets de conquête ou d’échange. Un homme qui veut conquérir une femme, c’est un homme qui veut tout autant conquérir le monde pour l’assujettir à ses désirs, le contraire d’une civilisation donc. On ne conquiert pas une femme, on s’entend avec elle, comme on s’entend avec la société. (« Mademoiselle, je m’entends avec vous passionnément ! — Comment, ne voudrais-tu donc pas conquérir mon cœur ? — Oh, non, belle demoiselle, je ne souhaite rien de plus que de m’entendre avec vous ! — Ne serais-tu prêt à décrocher la lune pour moi ?! — Oh, non, ma belle, je veux vivre en bonne intelligence avec vous, que nous nous ennuyons ensemble jusqu’à la fin de nos jours ! — Joli programme ! Ne voudrais-tu pas te faire moine à la place ?! — Que nenni ! Que voudriez-vous que je fasse pour vous séduire ?! — Mais voyons, Monsieur, je rêve de chevalier blanc ! Un homme qui présente bien au regard de la société, et un homme, un vrai, qui saura me botter les fesses dans l’intimité de notre couche ! — Un homme madame, qui partira faire de nouvelles conquêtes dès qu’il vous aura engrossée ! — Oui, et non ! Un homme comme cela, mais un homme qui laissera son cheval à l’étable et sa lance dans le porte-parapluies ! — Madame, un homme qui a un cheval et une lance finit toujours par repartir à l’assaut d’une nouvelle forteresse ! — Que tu m’ennuies ! — Merci. — Reviens quand tu auras fait la guerre pour moi. Sinon, ne reviens pas ! Je suis digne d’être aimée par un homme, un vrai ! Un homme viril et féministe ! Pas d’être seulement… entendue par un confident ! »)

Ce monde décrit par Lino Brocka est un enfer pour tous, et c’est probablement un enfer qui est encore une réalité pour beaucoup de populations dans le monde, mais c’est un enfer où le plus souvent les sociétés sont des sociétés d’hommes. Des hommes victimes d’une société sans pitié, dure, corrompue ; des hommes victimes dont la puissance frustrée et laminée par une société malade, viendra s’exercer sur plus faibles qu’eux : les femmes et les enfants. Je ne parlerais pas de patriarcat parce que ça ne veut rien dire, surtout dans une société qui me semble surtout mourir de ses inégalités et de son absence de droit (d’ailleurs on voit bien qu’il n’y a pas de patriarche dans le film mais une matriarche aveugle, froide et avare) mais donc bien de sociétés d’hommes : ils sont comme des cafards dans le film : paresseux, violents, ivres et manipulateurs (tous les composants d’une société corrompue et inégale), tandis que les femmes sont, en dehors de la matriarche, dignes, besogneuses et soumises. Les femmes rasent les murs et se mettent au service des hommes, souffrent autant que les hommes des injustices qui parsèment la société, souffrent bien plus encore des agressions et de l’insécurité physique, mais n’ont pas encore pris conscience que leurs malheurs prennent racine dans ce rapport de force constant où au lieu de s’unir contre une oppression commune, on cherche à trouver plus faible et soumis que soi. (C’est même flagrant dans le film : les hommes sont parfois relativement, et faussement, solidaires, alors que les femmes ne le sont jamais entre elles. Comme dans toutes les sociétés pauvres et corrompues, on incite les plus pauvres et les plus soumis non pas à s’unir, mais à user de ces mêmes méthodes de soumission avec d’autres dans l’espoir un peu vain de s’émanciper un jour de ses grandes et petites contraintes — pour ne pas dire soumissions — sociales.)

La révolution sexuelle, celle capable de faire émerger une civilisation juste et apaisée, elle passe d’abord par une révolution du droit (la sécurité au sens large et la justice, ce qui a été probablement en Europe une conséquence de l’embourgeoisement de la société…) et une révolution quasi sociale des tâches : si les femmes ont un rôle supérieur par rapport aux hommes, c’est celui de dompter les hommes, de les humaniser, de les punir quand il faut comme on punit un enfant ou un chien récalcitrant parce qu’encore une fois un homme ce n’est souvent pas différent ; et le devoir des hommes alors, ce serait celui d’obéir, si tant est qu’ils soient capables de reconnaître et de juger que les ordres qu’on leur donne vont dans le sens de la « civilisation », une idée de la civilisation dépourvue de corruption, guidée par le droit et le bien commun, car le but n’est pas d’obéir aveuglément à une puissance supérieure, mais de comprendre que la civilisation, le droit, la justice, l’égalité, la société, c’est encore aussi le meilleur moyen d’arriver, pour un homme, à ses fins : niquer tant qu’il lui plaira. Enfin… dans certaines limites : tant que sa partenaire s’en contentera. (La liberté de niquer s’arrête là où commence celle de l’autre.) Les bons toutous font les bons citoyens.

Les hommes sauvages et les hommes civilisés ont cela en commun qu’ils sont avant tout des êtres sociaux : les petits sauvages draguent en meute, boivent et parlent de leurs aventures en société, et ce n’est pas beaucoup différent chez les hommes civilisés. La seule différence, c’est le niveau de violence induite dans les premiers groupes et les capacités productives d’une société sans violence chez les autres. Si les femmes sont de fait victimes des hommes, les hommes sont aussi les premières victimes de ces quelques hommes sauvages d’une société malade et corrompue. C’est encore bien montré dans le film : le goujat, qui s’est moqué d’Insiang en lui promettant monts et merveilles pour lui voler une nuit d’amour avant de partir avant le lever du jour, finira les dents cassées ; il l’a peut-être bien cherché mais, de fait, il devient à son tour victime de la violence d’autres hommes, plus puissants, plus nombreux, et obéissant à la volonté assez légitime mais extrême d’une femme. Le cercle vicieux se referme, et aucune autre justice, aucun droit ou autorité supérieure, ne vient s’interposer à cette justice personnelle.

Ces hommes-là sont aussi incapables, seuls, de dompter la sauvagerie qui les gouverne ; c’est donc toute une société, ces hommes supposément « fragiles » ainsi que les femmes qui doivent « faire société » et ne pas laisser de place dans cette société à ces hommes violents. Malheureusement, le féminisme misandre de ce siècle est à l’image de la matriarche du film, à la fois aveugle de la manipulation dont elle est victime, mais aussi incapable d’accepter ses responsabilités dans la manière dont elle traite sa fille et sa naïveté face au scélérat qu’elle a laissé entrer chez elle. Si les sauvages sont problématiques et profondément nocifs pour une société, les femmes tout à la fois acariâtres, misanthropes et misandres semblent toujours tiraillées par leurs désirs tout aussi sauvages ou penser qu’il y aurait un plus grand intérêt à se lier à ces tartufes virils (qu’ils en veuillent à leur argent ou à leurs filles) qu’à ces « fragiles » honnêtes et timides. Une sorte d’attirance-répulsion destructrice : une bête, on apprend d’abord à ne pas faire d’elle une bête, on lui préfère ses congénères plus dociles ; ensuite, tenter de raisonner une bête sauvage ou de s’en plaindre pour précisément ce pour quoi on l’a préférée à une autre plus docile, ç’a presque autant de sens que de raisonner un troll. On dompte une bête comme on dompte ses désirs.

Reste à savoir, pour en finir, si des femmes plus guidées par la défense de leurs droits que de leurs désirs, soucieuses de s’émanciper ensemble des mains de leurs bourreaux, peuvent émerger dans une telle société philippine, foncièrement traditionaliste, corrompue et patriarcale. Il est à craindre, qu’avant que les femmes puissent faire valoir leurs droits, que les hommes aient obtenu largement les leurs. Le film date de 1976, est-ce que la situation aux Philippines a changé sur le plan des droits humains et des droits de la femme ? Rien n’est moins sûr. Il y aurait encore à l’heure actuelle un système de corruption généralisée (appelé système Padrino) qui ne laisse guère espérer d’avancées en la matière.


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Wonder Woman, Patty Jenkins (2017)

Pompier de service

Note : 4 sur 5.

Wonder Woman

Année : 2017

Réalisation : Patty Jenkins

Avec : Gal Gadot, Chris Pine, Robin Wright 

Plutôt étonné du résultat. J’avoue que je me pointais devant cette soirée TF1 sans grand enthousiasme. Le début n’est pas si vilain, c’est même beau à voir dans le genre cité insulaire paradisiaque à la Seigneur des anneaux. Guère convaincu au début par le jeu d’actrice de Gal Gadot ; encore moins par celui de Chris Pine qui, à chaque fois que je l’ai vu, me fait penser à un sous Matt Damon ; le film réussit en fait à me prendre par les sentiments et à me gagner par son humour résolument… féministe (si tant est que ça veuille dire quelque chose). C’était même une expérience plutôt étrange de ne pas être convaincu par les acteurs et se bidonner malgré tout des audaces et des gentilles et piquantes trouvailles du scénario de la première heure.

D’autres doutes pointent le bout de leur pique un peu avant les premières batailles sur le « front », et je commence à faire mon rabat-joie (si, si), en trouvant que… tout de même, il n’y aurait pas un peu de grossophobie et de laidophobie quand même derrière tout ça ? C’est vrai quoi, la grosse est forcément pleine d’humour et au service des autres, et les laids (en particulier la fille magnifique, chimiste du Reich, sévèrement enlaidie pour l’occasion) sont forcément dans le camp du mal. Je suis toujours un peu taquin avec le féminisme (surtout dans un film qui selon moi est le pire moyen pour faire passer aussi ouvertement une morale ou une idéologie — ça passe beaucoup mieux en soft power), alors vous pensez bien qu’un film dont il se raconte qu’il pourrait être féministe (ou pas, selon les interprétations), il fallait bien que je vienne y mettre mon grain de sel…

Au final, concernant le féminisme supposé ou non du film (tendance « représentation de la femme au cinéma »), franchement, on est loin du compte : il ne fait pas de doute que le message intrinsèque et/ou involontaire véhiculé dans le film, c’est celui que la femme idéale est forcément belle, et accessoirement… toujours une princesse (c’est un piège de toute façon auquel personne ne pourrait échapper avec une telle adaptation : il faut respecter un tant soit peu l’image sculpturale du personnage original). Si on regarde le film cette fois sous l’angle de l’égalité des sexes, et si on juge par conséquent son refus de tomber dans certains clichés et codes montrant la femme comme évidemment plus faible et à la merci des hommes (ou d’un homme, celui à qui elle plaît et à qui elle se doit alors d’être soumise à ses désirs), on est là encore loin de la perfection. Si Diana montre une certaine audace et indépendance d’esprit vis-à-vis de sa mère, dès qu’un homme entre dans sa vie, elle redevient curieusement une petite fille docile (ce qui, en plus, n’est pas tout à fait conforme à l’idée assez asexuée du personnage original parfaitement rendu dans la série et qui lui donnait une autorité certaine — une sorte de caractère infaillible à la John Wayne — mais c’est vrai aussi que l’humour de la première heure tient dans cette posture contrastée entre petite fille tout émue par l’arrivée de cet homme providentiel et son éducation amazone).

Ce n’est pas tout de balancer quelques répliques qui piquent et chatouillent le patriarcat sous le scrotum et de jouer les dures quand il est question de se battre au milieu de tous ces virilistes en uniforme, faudrait peut-être aussi que Diana montre au mâle qui lui plaît, quand vient le moment de le séduire, que contrairement aux femmes pas encore tout à fait émancipées de son époque, l’insoumission totale aux hommes est pour elle une évidente nécessité. Pourquoi devient-elle tout à coup soumise quand ils s’enlacent pour une petite danse, et pourquoi arrivés dans la chambre, elle est clairement en position d’attente vis-à-vis de son amoureux ? L’insoumission réclamée et légitime, elle commence là. Si on a des femmes (ou des féministes) qui attendent toujours dans ces circonstances particulières que l’homme fasse le premier pas (signe qu’elles se soumettent à ses désirs au lieu de se mettre, elles, à commencer à prendre l’initiative), il y aura toujours une forme de schizophrénie dans le féminisme de ce siècle. La femme ne doit pas attendre que l’homme guide ou soit le seul moteur des décisions, et cela, dans tous les domaines. Celui (ou donc celle) qui est souvent le plus audacieux, le plus conquérant, c’est parfois celui qui gagne la partie, quitte parfois à imposer ses vues aux autres qui se satisferont de cette position d’attente. Et c’est aussi en ça que les femmes se retrouvent toujours sous-dimensionnées si on peut dire par rapport à certains hommes qui osent toujours tout et tout le temps. S’il y avait une femme qui aurait pu montrer cette voie, cette audace d’action jusque dans l’expression de ses désirs (comme les femmes des pré-code films dans les années 30), c’était bien cette Wonder Woman. Et cela, malgré sa jeunesse. C’est typiquement ce que certains appellent le male gaze, or ces séquences de séduction sont réalisées par une femme. (Oui, c’est un argument de plus pour moi pour dire que cette idée de regard sexué pour un cinéaste n’existe pas.)

Malgré ça, je dois avouer que le film a finalement su me convaincre également à travers ses scènes d’action. C’est stupide, mais j’adore la danse, la chorégraphie pour être plus précis, et il y a dans les batailles ou les scènes d’action, dans certains films parfois, une recherche purement formelle qui peut presque miraculeusement donner quelque chose d’élégant ou tomber inexplicablement à plat (John Woo en est un bon exemple). D’abord, dans un univers aussi gris et sombre, les couleurs bariolées et excentriques, presque kitsches, de Diana, j’avoue que ça fait son petit effet. Ensuite, si j’étais déjà fan de la série, il y a toujours eu une forme d’élégance chez Diana qu’on ne retrouvait pas par exemple dans… Xéna la guerrière. Pourtant Gal Gadot, au niveau de l’élégance, elle est un poil en dessous de Lynda Carter. Cette manière de se tenir étrangement, les épaules en arrière et la tête en avant comme un vautour, ça n’a pas vraiment grand-chose à voir avec le maintien d’une reine, mais plutôt avec celui d’une adolescente rebelle et fâchée… Là où en revanche Gal Gadot, bien aidée sans doute par les effets spéciaux, fait mieux que Lynda Carter, c’est dans le côté athlétique. La danse acrobatique, c’était une des disciplines de base dans les principes et les cours donnés par Ned Wayburn, le chorégraphe des Ziegfeld Folies. La mise en scène reprend les ralentis apparus depuis Gladiator je crois, mais c’est particulièrement pertinent ici parce que ça met bien en valeur les pirouettes gravitationnelles des Amazones et donc de Diana.

Et puis, j’ai beau pester contre la laidophobie (et donc plus globalement contre une répétition un peu stupide pour un film présenté comme féministe des clichés sur l’indispensabilité de la beauté pour une femme parfaite), ainsi que la posture ou le jeu de Gal Gadot, l’actrice a tout de même… une longueur de jambes, des yeux d’un noir profond et un sourire pas vilain qui, par Zeus…, m’ont fait oublier tout rapport possible au féminisme et rappelé à mes vicieux biais de spectateur mâle privilégié, et ainsi fait goûter à la morale finale bien avant la fin (du film, pas de ma phrase) : « Si les hommes sont capables du pire en matière de violence, ils sont aussi capables d’amour… Ah, l’amour, l’amour (aveugle), toujours l’amour. » La société nous permet-elle encore de tomber amoureux des actrices de cinéma ? De fantasmer sur elles jusqu’au point de se surprendre malgré soi à reluquer leurs jambes et leurs courbes avantageuses ?… C’est encore autorisé ? Eh bien allons-y alors. Je suis fou de Gal Gadot, et ça, ce n’était pas gagné. (Beau joueur, je la laisserai, elle, se jeter à « lasso » vers moi.)

Une image de synthèse en train de danser. Wonder Woman, Patty Jenkins 2017 | Warner Bros., Atlas Entertainment, Cruel & Unusual Films, DC Entertainment, Dune Entertainment, Tencent Pictures, Wanda Pictures


Pour en finir avec le supposé féminisme du film, j’avoue que ça me fait joyeusement rire (je ne parle pas des petites répliques et situations du début du film), et je repense aux idéologies retournées comme des crêpes dans les films. Mon exemple de référence, c’est Tueurs nés où la confusion entre violence et dénonciation (vaine) de la violence desservait totalement le film. Ici, c’est le contraire, non seulement je prends un plaisir coupable devant un tel spectacle rococo et pyrotechnique, mais la confusion du message censé être féministe me régale, et cela, non pas parce que je me réjouirais que le féminisme se vautre wonderfolliquement, mais parce qu’au fond, au-delà du fait que ça fasse malgré tout réfléchir quant à la possibilité ou de la pertinence de mettre aussi ouvertement (ou tragiquement) une idéologie au cœur d’un film, cela montre surtout l’impossibilité de définir ce qui devrait être pro ou antiféministe. Et pas que dans un film. Et que plutôt de mettre au centre du « débat féministe » certains sujets indéfinissables, creux ou eux-mêmes, ironiquement, stigmatisants (le male gaze, le patriarcat, le manspreading, le mansplaining, le manterrupting, la rape culture, la charge mentale, etc.), on aurait tout à gagner à chercher à adopter des comportements « égaux » quelle que soit la personne, et identifier des problèmes d’inégalités bien réelles et bien spécifiques sur lesquels, potentiellement, on a prise. Si un film véhicule malgré lui une certaine idée de la femme, eh bien j’aurais tendance à dire que c’est un film, on peut (et on doit) certes essayer de viser un changement des comportements à travers le cinéma (tendance soft power toujours), mais difficile de légiférer sur la créativité. En revanche, il serait beaucoup plus facile de le faire dans la publicité et dans les médias (tout comme il ne me semble pas bien compliqué de rendre les protections hygiéniques gratuites, ramener le nombre de jours de congé de paternité à celui des femmes et les rendre obligatoires, pousser pour la parité dans les conseils d’administration, les assemblées, etc.).


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Petites remarques concernant les César 2020

Les capitales

Violences de la société

Puisque j’ai la flemme de réécrire un billet sur ce que je pense de ces César, mais comme je veux pouvoir garder au frais les divers commentaires écrits ici ou là (et que je n’aurais probablement pas dû écrire), je poste à nouveau tout ça ici, avec quelques corrections, mais en en préservant la structure et le style, comme à mon habitude, chaotiques.


(Des commentaires sont susceptibles d’être ajoutés ou corrigés.)

La “honte” perçue par certains lors de cette cérémonie et tout particulièrement après la célébration de Roman Polanski en tant que réalisateur de l’année, est assez symptomatique d’un monde où certains hommes pour se dédouaner d’être des hommes prennent hypocritement le parti de certaines femmes prétendument féministes. Par nature, les escrocs, les violeurs, sont des manipulateurs, et je range tous les collaborateurs de ce mouvement de la honte dans le même sac : vous ne défendez pas les victimes et ne défendez pas la cause des femmes, pire, dans vos rangs se cachent des abuseurs, des violeurs, des escrocs, des opportunistes qui profitent de ces tribunes pour se présenter comme des chevaliers blancs.

Il n’y a pas de scandale dans ces votes : les votants ont fait la preuve qu’ils n’avaient que faire des histoires de cul, que les histoires judiciaires, ça se règle devant un tribunal, pas avec un bulletin de vote, et qu’accessoirement, on vote pour des techniciens et des artistes pour ce qu’ils ne font pas pour ce qu’ils sont ou seraient. Parce que s’il est difficile, voire impossible de connaître tout d’un homme (en particulier dans sa chambre à coucher), en revanche, on est parfaitement libres de juger de sa production.

Les hypocrites et prétendus défenseurs de la cause des femmes nous promettent un monde où chacun aura son mot à dire sur ce qu’on fait en dehors de notre activité professionnelle, où tout se sait et où tout doit être commenté, ostracisé si besoin pour purger leur monde idéal des porcs supposés ou des iconoclastes. Et perso, je me bats contre cette vision du monde.

L’histoire du cinéma est pleine de films nous mettant en garde contre les faux prophètes, les escrocs manipulateurs de causes apparaissant justes parce qu’elles prétendent prendre le parti des victimes et des opprimés, nous mettant en garde contre les apparences trompeuses, les faux procès ou les lynchages médiatiques. Ceux-là n’apprennent rien de ce qu’ils voient.


Ce que je ne comprends pas, c’est en quoi un cinéaste, un monteur, un chauffeur de bus, un boulanger, ton frère, ta sœur, si tous ceux-là sont des voleurs, des criminels, des pédophiles, en quoi ça me regarde si je regarde un film, si je monte dans un bus, si je mange une baguette ou si je dis bonjour à ta sœur. La société juge les criminels, ils ont droit à un procès, je n’ai pas à me faire spécialiste du droit international en matière d’extradition ou guetter toutes les pages popu/faits divers pour savoir qui est à y lyncher ou non. Je ne suis pas apte à juger des individus, mais des œuvres.

Le monde que vous prônez, c’est un monde où chacun peut dénoncer sur la place publique untel ou untel avec appel au lynchage. Encore une fois, vous n’apprenez pas des centaines de films qui mettent en garde contre ces dérives. Pire, vous vous présentez comme les défenseurs d’une cause féministe alors que votre obsession à l’inquisition fait tout sauf améliorer la cause des femmes. Parmi les votants qui ont voté pour Polanski, il y en a certainement qui ont voté précisément parce que toutes ces attaques, ils les trouvent indignes et illégitimes, et là où vous auriez voulu faire et voir un acte et un symbole politique en “honorant” plus l’un que l’autre, eh bien ils en ont pris le contre-pied total en vous le mettant bien là où il faut. C’est peut-être con, assez réactionnaire, mais le résultat c’est que la cause des femmes, dans le cinéma notamment, elle passe à la trappe. Parce qu’une nouvelle fois, au lieu que soient honorées des femmes pour leur travail et qu’on finisse par même plus avoir à noter que ce sont des femmes primées, les femmes se trouvent une nouvelle fois poussées dans un cul-de-sac, celui de la position de la victime. Personne n’a envie de s’identifier à des victimes : les petites filles qui voudraient faire du cinéma peuvent s’émouvoir de cette situation, entrer en empathie, souffrir avec les “victimes”, mais justement parce que personne ne veut être “victime”, elles n’auront pas envie de devenir cinéaste ou scénariste ou que sais-je encore.

Et ce n’est pas la faute des réactionnaires : les réactionnaires dans cette histoire, ils réagissent, ils ont fait un acte politique contre le pseudo-féminisme de certains. Ce sont eux qui ont tort ? Je n’ai pas envie d’un monde sous l’inquisition permanente de qui a fait quoi avec qui et pourquoi, moi je regarde des films, et s’il y a une seule question politique qui se pose, ce n’est pas de faire juger un type pour des crimes supposés dont je ne sais rien et dont je n’ai rien à foutre (je n’ai pas à être juge ou spectateur des petites crapuleries des uns ou des autres), c’est de me demander comment il peut y avoir plus de femmes de “pouvoir” dans le cinéma, c’est me demander comment quand il y a une agression faire en sorte que l’agresseur soit immédiatement poursuivi, et que tout le monde à ce moment-là trouve ce comportement “anormal”.

Or, là, si on prétend que cette décision est politique, qu’elle est toujours politique quand on honore quelqu’un, eh ben on ne pourra pas faire pire pour résoudre tous ces problèmes. On voudra peut-être foutre tous ces pro-Polanski au camp de réhabilitation, ce ne sera pas possible ; le seul moyen, c’est d’arrêter le radicalisme, l’idéologie de la victimisation passant par des faits divers et qui tout à la fois donne bonne conscience aux chevaliers blancs qui « s’honorent » de ces batailles mais qui enferment les victimes dans leur condition de victime, d’arrêter la suspicion permanente, et misandre, à l’égard de tous les hommes.

Lyncher des individus, quels que soient leurs crimes et la réalité de ces crimes, n’a jamais fait avancer une société. C’est un peu comme avec l’extrême droite : tout débat qui s’agite autour de l’extrême droite favorise l’extrême droite. Donc dès qu’on casse les couilles d’un criminel qui se trouve être soit chauffeur de bus soit écrivain, soit cinéaste, on se fait du bien le temps de lui dire nos quatre vérités, mais au final, tout ce venin craché restera vain, parce que si on l’empêche d’exercer son travail, son droit, c’est nous qui passons pour le connard, et lui, la victime. Le bus continuera de rouler, et les films de se faire… avec des hommes aux volants. Non seulement on gueule pour rien, mais peut-être aussi qu’on aura fait naître ainsi tout un tas de petits réactionnaires qui ne seront sans doute pas les premiers pour améliorer la cause des femmes.

Je me fous de Polanski, l’homme, des pages des faits divers, et je suis persuadé que pour qu’il y ait des femmes cinéastes, il faut se demander comment est-ce qu’on peut inciter les femmes à l’être, que pour que les agresseurs soient poursuivis, il faut se demander comment améliorer la prise en charge des plaintes… Cracher sur Polanski ou les votants qui l’ont “honoré” n’aidera en rien, jamais, ces causes, elles, justes.


Honnêtement, ce qui me pose le plus gros problème avec cette « vague metoo », ce sont les illusions de réhabilitation et de capacité de résilience d’une dénonciation publique. Elles sont doublement, voire triplement victimes. D’abord à travers l’agression qu’elles ont subie, puis par la non-reconnaissance institutionnelle (policière, judiciaire et parfois même familiale) de cette agression, mais ensuite aussi par l’illusion que « ça va mieux en le disant ».

Je dirais la même chose à Adèle Haenel comme aux autres. Si vous espérez vous reconstruire après un traumatisme de ce genre en mettant tout sur la place publique et en faisant du name and shame un acte politique, vous vous trompez lourdement. Si vous gagnez le soutien d’autres victimes, de personnes compatissantes ou d’hypocrites, vous aurez également en retour bon nombre de réactions hostiles que vous ne comprendrez pas et qui ne vous aideront à vous reconstruire. C’est déjà difficile de voir la police douter de votre parole parce que c’est son travail, ça l’est encore plus de voir que le « peuple » à qui vous demandez et espérez le soutien remet en cause cette parole ou se laisse aller à des commentaires qui vous blessent. On peut alors se dire que ces réactions sont le fait des connards et se consoler avec l’idée que la majorité silencieuse est de notre côté. La preuve, tous les influenceurs sont de notre côté, ça ne peut être que bon signe… Sauf que la majorité silencieuse justement pense peut-être autrement.

Tu es victime, tu te mets en danger, d’abord en révélant dans un canard que tu t’es fait agresser quand tu étais adolescent et tu cites ton agresseur ; beaucoup de monde te soutient, tu penses que le vent tourne, tu te dis « ah oui, enfin, la vague metoo arrive en France, et c’est un peu grâce à moi et à ma souffrance qui n’aura donc pas été inutile ». Tu te dis que les César, ça va être l’occasion de faire la nique à tous ces agresseurs et à leurs soutiens. Parce que tu es persuadé, tout le monde te le dit, et parce que tout le monde te dit que ceux qui remettent en question sont juste des connards. Et tu le vois bien : tout le monde autour de toi te soutient, dans la profession aussi, ceux que tu côtoies. Et tu as tant envie de leur montrer à ces mâles criminels, à leurs soutiens, que cette fois, la cause vaincra, et que tu peux être leur Jeanne d’Arc. Et puis ça tombe bien, tu es nominée et pourras te fendre d’un petit commentaire à la remise de ton prix, tu l’as tant mérité après tout ce que tu as enduré, et parce que ce serait un tel symbole pour toutes les victimes. Oui, tu le crois. Et puis, si ça ne marche pas, ce sera scandaleux, d’ailleurs, c’est déjà scandaleux de voir un pédocriminel nominé… Et tout le monde te soutient une nouvelle fois. Mais cette fois, tu en es sûr, les votants vont faire un acte politique, parce qu’il faut dire au monde entier combien tu souffres et combien tu as tant besoin de cette reconnaissance.

Arrive le jour de la cérémonie, tu es entouré de tous tes soutiens, le présentateur balance des blagues à la limite de l’antisémitisme sur un présumé agresseur nominé, mais ce n’est pas grave parce que c’est un agresseur, tout le monde voudrait que ce soit vrai, tout le monde le sait, parce que tout le monde le dit, et parce qu’il faut que ce soit vrai parce que notre cause est juste. Et puis une actrice noire balance des blagues racistes, mais c’est normal, une Noire ne peut pas balancer des blagues racistes, parce qu’elle est Noire voyons. Et le présentateur continue d’enfoncer un des nominés, parce que tout le monde sait que c’est un agresseur, et pis en plus, il n’est même pas dans la salle. Et pis, entre nous, qui a voté pour ce monstre, hein, hein, hein ? Ah, on est bien « entre-soi ». Entre victimes. Tous les gens du dehors, tous ces privilégiés, ils ne peuvent pas comprendre que nous tous ici on souffre. Mais heureusement, on est des influenceurs, et les influenceurs, ça change le monde, et on va bien lui montrer au monde qu’on ne laisse pas faire les criminels. Arrive l’heure de ta propre nomination, tu te dis que c’est le moment, tu es venu, un peu aussi pour ça, c’est ton moment, avant que tu puisses en partager un autre avec ton réalisateur sur le plateau. Et c’est un autre qui gagne à ta place ! Comment, mais ce n’était pas prévu ! Ah, c’est donc ça, la majorité des votants sont donc des connards, il y a encore trop de votants de « l’ancien monde », c’est dégueulasse mais au moins tu te rassures ainsi : oui, ce sont tous des connards qui n’ont pas voulu faire un geste politique fort. Pas grave, tu partageras la gloire avec ton réalisateur quand il recevra son prix face au petit monstre qui ressemble à un personnage de Blanche Neige et des sept nains… Mais quand même, tu es extrêmement déçu, tu flaires le scandale. Et ça se confirme, froid dans la salle, c’est le nabot à qui on remet le prix. Tu vois ton réalisateur se lever de sa chaise, alors tu fais comme lui, parce que c’est vraiment top la honte. Que des cons. Ça devait être notre soirée, la soirée de la justice.

Alors, est-ce que tout est politique ? D’accord, peut-être. Mais une cérémonie des César sert-elle à rendre la justice, à consoler les victimes. Triplement non. Les victimes, pour les aider, c’est aux institutions de recueillir leur parole et les aider dans leur reconstruction nécessaire. On sépare la victime de la cérémonie. Sinon les conséquences sont dramatiques. La justice, même si elle est faillible, c’est son rôle de recueillir cette parole et c’est à la société d’aider les victimes dans leur reconstruction. Et si elle faillit, la société, à travers un débat politique, ou si sa justice faillit, oui, il est de savoir comment l’améliorer au profit de tous. Une cérémonie de prix, par définition, elle honore le travail de techniciens et d’artistes. Elle ne réforme pas ce qui ne va pas dans la société. Vous voulez en faire une tribune politique ? Très bien, mais puisqu’une partie ne partagera pas cette position, vous prenez le risque que cette tribune dise le contraire de ce que vous aimeriez entendre. C’est un peu comme dissoudre l’Assemblée ou lancer un référendum : les gestes politiques sont toujours à double tranchant, vous voulez vous en servir comme d’une arme, à vos risques et péril.

Alors quoi, la lutte en vaut-elle la peine ? Oui, bien sûr, si c’était efficace. Or, ça ne l’est pas. Et c’est facile à comprendre. Si les crimes pédophiles, si les violences faites aux femmes, si la discrimination, sont des batailles légitimes, elles doivent se mener en dehors des cérémonies où on honore le travail des hommes, pas les hommes pour leur conduite ou leur manière d’être.

Les œuvres peuvent parfaitement, elles, participer à ce « mouvement ». Ozon l’a fait d’après ce que j’ai compris. Il n’a pas été récompensé, mais il l’a fait, et c’est peut-être le plus important. Où Adèle Haenel mène-t-elle sa lutte ? Dans les médias. La pire place pour le faire. Et c’est curieux, parce que le film de Sciamma, il a peut-être le mérite de présenter des rapports homosexuels comme parfaitement anodins voire normaux tant le film est lisse au possible et n’a pas l’air de choquer grand monde, et en ça, c’est peut-être une réussite, un signe que l’homosexualité présentée n’a plus rien de choquant pour personne aujourd’hui. Mais un film sur les violences faites aux femmes, hé ben, je suis peut-être surpris que le seul peut-être que j’ai vu sur le sujet ces derniers mois en France, je l’ai vu hier et c’est un film de 1956. Assez mélodramatique, mais il enfonce bien là où ça fait mal sur le rôle des hommes manipulateurs sur des jeunes filles fragilisées par un contexte social et familial délicat, et je doute qu’un tel film puisse se faire aujourd’hui. L’ancien monde quoi, celui pourtant qui a fait la preuve qu’il avait pu produire un certain nombre d’avancées suite à des luttes féministes autrement plus dignes et efficaces que celles qui se jouent aujourd’hui.

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Réponse au billet de Marie Sauvion dans Télérama.

« Ils n’ont donc rien compris. » C’est un peu comme avec la macronie : si on n’est pas d’accord, c’est parce qu’on n’a pas compris une réforme… Non, on peut aussi penser que si la vague metoo fait plus de mal à la cause des femmes et des victimes d’agression. Si ça met en lumière la mauvaise prise en charge des plaintes, oui, c’est bien ; si c’est pour dénoncer publiquement (name and shame), appeler à la censure (avec effet Streisand garanti), insulter, eh ben non, ce n’est pas parce que je n’ai pas compris, madame, c’est que je ne suis pas d’accord. Et encore une fois pour une raison assez simple et pragmatique : de tels extrêmes ne profitent qu’aux agresseurs, et les victimes en sont encore doublement victimes parce qu’elles se rendront compte, malheureusement à raison, qu’on n’obtient pas gain de cause en dépassant le cadre de la loi ou de la morale. La cause des femmes mérite mieux que certains porte-étendards ou des causes illégitimes et perdues d’avance : la vraie lutte, dans l’industrie du cinéma en tout cas, elle est de pousser et aider les femmes à faire des films, gérer des institutions ou des entreprises.


Pour moi, ça pourrait être le diable, s’il fait un one man show et qu’il est drôle, je ne vais pas me retenir de rire ou de m’y intéresser parce que c’est le diable. C’est nier la dualité des hommes. Ce n’est pas simplement séparer l’œuvre de l’artiste, c’est séparer le jugement des diverses actions de chacun. Autrement, une seule action pourrait suffire à nier jusqu’à la nature de l’homme accusé. Les hommes ne sont pas par nature mauvais, on ne les juge pas pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils ont fait. Dans la même logique, j’ai l’habitude de dire que les « cons » n’existent pas, tu n’as que des individus se rabaissant à faire ou dire des conneries. Donc un criminel ne peut l’être que dans le strict cadre de ce qu’on lui reproche. Si par ailleurs il fait un bon pain, raconte de bonnes blagues ou fait de bons films, ça n’a rien à voir avec ses crimes. Beaucoup parlent de morale, moi, elle est là ma morale : on juge les hommes pour leurs actions, pas pour ce qu’ils sont ou seraient.

Est-ce que Polanski est un criminel ? Je suis désolé, ce n’est pas à moi de le dire, mais à des tribunaux, et je n’ai pas à devenir spécialiste de droit pour m’informer des modalités de son extradition qui ne me regarde pas en tant que spectateur, et qui ne relève pas plus à mon avis du fait politique mais du fait divers (et prendre des faits divers comme symbole me semble être la pire manière de légitimer des positions politiques, parce qu’elles s’établissent souvent plus sur l’émotion et des faits rares ou exceptionnels). Parce que si je dois me pencher sur le cas de Polanski pour savoir si c’est le diable ou non, je devrais alors le faire pour tout le monde. Pourquoi lui plus qu’un autre ?

Même si certaines personnalités publiques, artistiques sont des criminels notoires, je crois qu’on est tous assez intelligents pour intégrer deux informations distinctes sans que l’une n’ait besoin d’altérer l’autre : l’une concernant leur travail, l’autre, leur vie. Céline a pu écrire des chefs-d’œuvre ET être antisémite ; il peut même écrire des pamphlets antisémites comme d’autres ont pu réaliser des films pédophiles, là ce sont des œuvres, des textes, des films, qui sont pénalement répréhensibles. La loi sait donc parfaitement faire ce qui est à incriminer si nécessaire quand ça touche au travail d’un artiste.

Parce que si comme tu le dis, il n’est pas question d’inélégance, mais de crime, c’est à partir de quel niveau d’immoralité, de nombre d’années de prison, d’amende, que tu décides qu’un type doit être jugé, ostracisé des institutions, d’un monde, non plus pour ce qu’il fait mais pour ce qu’il est ? Si c’est valable pour un viol, pourquoi ne le serait-il pas pour un vol, et si c’est valable pour un vol, pourquoi ne le serait-il pas dès qu’on pète de travers ? Elle est où la limite de la bienséance à partir de laquelle on décide que ce n’est plus acceptable de voir des films d’un criminel ou d’honorer son travail ? Qui la définit cette limite ?

Concernant la politique dans son film, je peux répondre ce que je réponds à chaque fois quand il est question de réception des œuvres : qu’importent les intentions de l’auteur, c’est au spectateur seul d’en faire une lecture personnelle. Je ne suis même pas sûr des intentions qu’ait voulu illustrer Polanski avec son film (je m’intéresse assez peu aux déclarations des cinéastes sur leur film justement parce que ça correspond presque jamais au film que je vois, c’est un jeu de téléphone arabe). Je fais même une différence entre l’œuvre et les déclarations de l’artiste. Le souci se situe peut-être là d’ailleurs : certains ont toujours mis l’auteur au centre de tout, quitte à en faire des héros. Donc, on peut comprendre que dans cette logique, quand le public est déçu de leurs dieux, qu’il ait envie de les sacrifier. Moi, je n’ai jamais vénéré qui que ce soit ; j’ai très tôt été éduqué dans l’idée de démystifier les artistes parce que je les ai toujours côtoyés ; et ils ne valent pas mieux que les autres. Je ne suis pas sûr que de voir Ridley Scott expliciter son interprétation de Blade Runner ou Kubrick de Shining ait un grand intérêt, parce que leur vision serait forcément très éloignée de ce que moi je vois dans ces films. L’auteur, c’est un guignol : je ne crois pas au génie, je ne crois pas aux maîtres de marionnettes ; le moteur principal qui dirige le devenir d’une œuvre, c’est le hasard ; c’est bien pourquoi tant d’interprétations sont possibles. Donc je veux bien qu’on me dise que tout est politique, que les intentions prévalent sur le résultat et l’interprétation personnelle du spectateur, mais dans ce cas, c’est de la politique qui fait à chaque fois plouf. Parce que tu ne seras jamais sûr que ce que tu as voulu dire ne sera pas compris autrement. D’ailleurs, tout le monde s’en fout si J’accuse suggère un quelconque rapport avec les accusations dont Polanski se sentirait victime, et s’il s’en sert pour faire un parallèle avec sa propre situation : DANS le film, le parallèle n’existe pour ainsi dire pas du tout. Donc le reste, c’est juste un procès d’intention, qui touché juste d’ailleurs, mais les « intentions », ce n’est pas « l’œuvre ».

Je ne trouve d’ailleurs pas moins « scandaleux » d’honorer Polanski qu’un autre. On prime quoi au fond ? Parce que c’est ça la question. Pas des hommes, on a compris. Pas des génies parce que je n’y crois pas. Des techniciens, peut-être, mais qu’est-ce qui nous permet de dire que sur un film, tel ou tel technicien a été « meilleur » qu’un autre ? Moi je ne peux pas. Des films, meilleurs que d’autres ? Oui, selon mes propres critères, donc les films que j’apprécie plus que d’autres. Donc un vote de popularité sur des films. Ça oui, à la limite. Mais en dehors de ça, ces prix sont un non-sens pour moi. Et c’est bien parce que c’est un non-sens que tout le monde peut décider arbitrairement de comment et de qui honorer ou non. Dans cette logique, bien sûr qu’on peut demander à censurer untel ou untel pour x raisons même si elles n’ont rien à voir avec « l’art » ; mais dans ce cas, tu te heurtes à la possibilité que les votes disent tout le contraire. Et c’est sans doute ce qu’on a eu.

Perso, je ne suis pas un grand fan de l’artiste. J’aimais beaucoup Le Locataire à une époque, mais le film est tellement glauque que c’est en général le genre de bobine que j’ai envie de sortir de mon esprit. J’ai bien aimé son Macbeth parce qu’il en faisait une interprétation qui m’avait paru assez juste et à laquelle j’avais jamais pensé ; mais pour moi il est à classer parmi les cinéastes tièdes qui ne ratent jamais un film, mais qui n’a probablement jamais fait de très grands films (Chinatown me gonfle par exemple : sa manière de filmer est tellement classique, tellement propre, que paradoxalement, la relation incestueuse du film ne choque plus, et pour le coup, le glauque de la relation ne transparaît plus du tout). Je pense même que comme bon nombre de personnes du spectacle ou des arts, c’est un mec infréquentable ; seulement je ne vois pas bien le rapport avec ses qualités de cinéaste que les votants sont censés déterminer quand on leur demande « le meilleur réalisateur ».

Le gros problème que ça me pose, cette histoire, et cette stratégie que je juge pseudo-féministe, c’est que pendant qu’on en vient à discuter du cas personnel d’un cinéaste, à savoir s’il devient moral d’établir des petits régimes d’exception pour certains justiciables qui se trouvent avoir une activité au centre de beaucoup d’attention (quand tu fais une manifestation contre le pédophile qui installe sa boulangerie quelque part, ça intéresse moins), c’est une énergie qui n’est pas tournée vers ce qui me semble bien plus légitime de défendre dans la lutte pour l’égalité entre les sexes ou la défense des victimes de prédateurs sexuels. Malheureusement, on se rend compte que la haine est bien plus motrice de revendication que des mesures d’éducation ou d’organisation de la société. Je ne crois pas une seconde aux effets positifs sur la société d’une logique de purge, de blâme, de déshonneur public ou d’ostracisme. Les adultes ne sont pas différents des enfants : on n’apprend rien quand on te tape sur les doigts, quand on te menace ou te fait chanter, quand on t’humilie avec des bonnets d’âne ou te montre du doigt, quand on te dit que de toute façon tu n’es qu’une merde qui ne vaut rien, irrécupérable ou mauvais par nature. Si le problème vient du comportement des hommes (car c’est bien eux qui sont désignés comme les coupables), il faut les éduquer, pas les braquer. Le criminel en puissance, ça lui fait une belle jambe que Polanski soit au centre de l’attention : pendant ce temps, on ne lui règle pas son compte à celui-là, et peut-être même qu’en réaction, ça réactive ses instincts de domination.

Sans compter que le plus dur pour les victimes, me semble-t-il, c’est bien de se sortir de leur condition de victime. Certes, faire en sorte que leur agresseur soit confondu et jugé aide à sortir de cette condition et de se reconstruire, mais quand il s’agit de mettre en permanence cette condition pour jouer sur l’émotion et réclamer des sanctions au-delà du cadre juridique pour des agresseurs, tu fais presque de ta condition de victime une vocation. En soi, ce ne serait pas un problème (même si je pense que ça empêche tout de même de se reconstruire et de se voir autrement que comme une victime), mais surtout je pense bien que ça conforte les agresseurs dans leurs instincts et leur confort de mâles dominateurs à la violence impunie : s’il y a des victimes qui s’identifient ainsi, ça force en retour que d’autres, sagement assis sans rien dire (ou se plaçant insidieusement du côté des victimes pour mieux les tromper), s’identifient comme des agresseurs. On se pose en agresseur (silencieusement) comme on se pose en victime. Je ne sais pas comment tu appelles ça en philosophie, mais de la même manière qu’on n’est pas « con » mais qu’on « fait des conneries », aucune « victime » n’a intérêt à se définir, se voir, s’identifier comme « victime ». Justement parce que les hommes, les individus, sont multiples. Ce n’est pas seulement l’homme qu’il fait séparer de l’artiste, c’est la femme qui aurait tout intérêt à se dégager de sa condition de victime. Et pour ce faire, il faut garder ses histoires douloureuses et personnelles, ses histoires d’agressions, dans le seul cadre juridique. S’il y a une lutte à mener, c’est de faire en sorte que ce cadre-là soit beaucoup mieux efficace pour relever les plaintes des victimes. Parce que si ça passe par l’éducation, ça passe aussi bien sûr par une plus grande efficacité dans la poursuite des agresseurs. Et plus tu t’agites autour de Polanski, moins tu agis, réfléchis ou pousses la société à aller dans ce sens. Les agresseurs n’ont que faire qu’on s’en prenne à Polanski ou à d’autres ; or c’est bien eux, ce qu’ils représentent socialement comme menace, le souci, pas le fait de quelques hommes qu’on estime à tort ou à raison au-dessus des lois.


Rien n’est trop beau, Jean Negulesco (1959)

Rien n’est trop beau

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : The Best of Everything

Année : 1959

Réalisation : Jean Negulesco

Avec : Hope Lange, Stephen Boyd, Suzy Parker, Joan Crawford, Louis Jourdan

Assez similaire à La Femme de là-bas d’Hideo Suzuki, vu il y a deux mois. On peut imaginer, vu les similitudes, que le film japonais soit largement inspiré de celui-ci.

On entame une période douloureuse pour Hollywood, celle de la fin du code Hays, de la concurrence avec la télévision, et pour nous cinéphiles, celle des films des diverses nouvelles vagues prenant leur essor à l’orée de la nouvelle décennie. Si certains films de grands cinéastes américains de cette époque donnent le ton, il faut reconnaître qu’on retrouve dans toute la production hollywoodienne ce même penchant pour des excès parfois incontrôlés. On craint donc le pire quand, au générique, tout sent déjà le prémâché, tout scintille et dégouline derrière la partition orchestrée par Alfred Newman. Tout cela alors qu’une simple secrétaire, belle comme une gravure de mode, sort de la foule pour pénétrer dans un grand building où une grande partie de l’action du film se jouera. Ce ne sera probablement là qu’une des seules images tournées en extérieurs du film.

Le sujet semble bien ancré dans la réalité, mais la mise en scène en fait déjà des tonnes, et on imagine mal le sujet imiter l’audace de Baby Face, par exemple, dans lequel Barbara Stanwyck s’imaginait en bas d’un même immeuble gravir un à un les étages jusqu’au sommet grâce aux faveurs qu’elles accorderaient aux hommes. Pourtant, si la suite demeure dans les clous de la bienséance, tout du moins du point de vue du code et des bonnes mœurs, il faut noter la justesse pour ce qui est de la peinture sociale et psychologique d’une époque. Le constat sur les rapports hommes femmes au travail est plus d’un demi-siècle plus tard, après une révolution sexuelle et après des avancées certaines en matière d’égalité, quasiment identique.

Avec la différence sans doute qu’aujourd’hui les sujets de l’inégalité ou des diverses mufleries dont sont capables les hommes de pouvoir, si on en parle beaucoup et si les mentalités ne semblent pas beaucoup changer, eh bien, je doute qu’ils puissent être encore abordés au cinéma avec la même rigueur et approche objectives. Un tel film ne pourrait être autre chose de nos jours que partisan, dénonciateur, voire lourdement inquisiteur. Il enfoncerait les portes ouvertes, prendrait délibérément le parti des victimes, sans nuances possibles, tombant dans la caricature, et finalement n’expliquerait en rien les dilemmes et enjeux posés à une société ainsi gangrenée par le sexisme. De cette génération de mamies, de leurs luttes, il en reste aujourd’hui quelque chose. Même si les hommes n’ont pas tous changé, et même s’ils continuent de profiter, quand ils l’ont, du pouvoir qu’ils ont sur les femmes (qu’elles soient désireuses tout comme eux de tirer profit d’un rapport sexualisé ou qu’elles soient entièrement victimes), les années qui suivront dans cette génération serviront au moins à garantir un certain nombre de progrès en matière d’égalité. Il faut croire que parfois les usages législatifs prennent de l’avance sur les mœurs. À moins que ce soient les nouvelles générations qui aient opéré un recul par rapport à leurs aînées…

Qu’y trouve-t-on donc ici ? Trois personnages principaux féminins. Trois secrétaires. Trois parcours sentimentaux et professionnels.

Rien n'est trop beau, Jean Negulesco 1959 The Best of Everything Jerry Wald Productions, The Company of Artists (1)_Rien n'est trop beau, Jean Negulesco 1959 The Best of Everything Jerry Wald Productions, The Company of Artists (2)_

La première est plutôt ingénue et multipliera malgré elle les situations embarrassantes, les malentendus, et qui sera, presque classiquement, la victime d’un fils de bonne famille lui faisant d’abord miroiter le mariage avant de chercher insidieusement à la faire passer par la case avortement. Celle-ci, on lui pince les fesses, on lui propose de rester plus tard pour travailler, de la raccompagner, et malgré sa grossesse contrariée, c’est un peu the girl next door, la secrétaire classique, gentille et jolie, mais bas de plafond au point de devenir à tout bout de champ une cible facile pour les baratineurs de tout poil.

Vient ensuite la secrétaire de circonstance rêvant de percer sur les planches. Celle-ci, au contraire de la première, est plutôt futée, elle n’a même aucun remords à se faire porter pâle pour auditionner pour un rôle, seulement l’intelligence n’est pas le talent, et si elle fait preuve de caractère pour en dénicher un, elle ne renonce pas à assurer son avenir (ou un simple rôle) en acceptant les avances à peine voilées du metteur en scène : elle sait ce qu’elle fait, elle le fait sans doute par lassitude de ne jamais décrocher aucun rôle, mais les conséquences inattendues de son carriérisme, loin des clichés et des facilités, seront terribles. L’intelligence est une chose, le sentimentalisme une autre ; et aimer pour ce genre de femmes peut se révéler être un poison parce que l’amour semble bien leur ramollir le cerveau et les rendre dangereusement obstinées.

La dernière des trois, c’est aussi notre personnage principal. Elle est belle, qualifiée, éduquée. Elle est ambitieuse et connaît sa valeur. Elle aussi est sentimentale : son prince charmant, amour d’enfance, part pour affaire à Londres, et elle pense encore à la possibilité d’une relation longue distance. On la voit peu à peu gagner en responsabilité dans cette maison d’édition grand public. De secrétaire, elle passe lectrice, et finira éditrice. Si elle est ambitieuse, elle n’est pas prête à tout pour réussir, du moins pour commencer, mais elle n’aura pas à se rabaisser comme son amie actrice, par chance peut-être d’être promue assez rapidement, et est assez habile pour repousser les avances grossières de ses supérieurs. C’est sur ce dernier point que les similitudes avec le film de Suzuki se font le plus sentir. Il y a une certaine dignité dans ce genre de personnages ; certaines féministes diraient une résignation. Elle marche droit dans la tempête, sans s’arrêter ni se rebeller (à la première main au cul). Image de la réussite de la femme dans la société, un modèle de vertu, mais pas une idole combattante pour les féministes des années à venir. Le fruit plutôt d’une société occidentale prônant des valeurs comme l’individualisme et la réussite professionnelle. À côté de ces émois professionnels, assez lisses et sans accrocs, la vision qui nous est rapportée de sa vie sentimentale est au contraire plutôt cynique et juste (contrairement à ses deux amies, son histoire échappe au tragique ; elle est cyniquement banale, on dira). Son jules se marie avec une fille de bonne famille capable de lui assurer un avenir professionnel radieux, et quand il vient lui rendre visite à New York, c’est pour essayer de faire d’elle sa maîtresse. Elle comprend d’abord qu’il veut divorcer, parce qu’il lui assure que c’est elle qu’il aime, et ne pense pas un instant qu’il puisse dans son esprit séparer la raison sentimentale et matrimoniale. Elle comprend sur le tard que pour un homme de ce genre, il y a les sentiments (qui pourraient sans doute cacher plus trivialement chez eux un simple appétit sexuel) d’un côté, et la carrière, de l’autre. Un mariage n’est qu’une façade, un tremplin potentiel, pour avancer sur la voie du succès. Heureusement pour elle, il y a un collègue, un peu porté sur la bouteille, fêtard, qui semble être de prime abord un énième homme à femmes, avec qui elle sympathise tout au long de son histoire et qui paradoxalement pourrait être le bon (la justesse dans l’écriture, c’est de ne pas tomber dans les facilités des stéréotypes ou des accusations). Si tous les hommes semblent être malhonnêtes dans le monde qui est décrit ici, lui ne semble pas déroger à la règle. Une seule chose peut-être le différencie des autres : la lassitude de sa vie menée, le besoin réel de trouver son âme sœur. Les femmes attrapent sans doute les hommes ainsi, à l’usure… Un homme est fait pour être infidèle et menteur, mais arrive un moment où il a besoin de se poser et de cesser de jouer les séducteurs… Le repos du guerrier… (et du mufle). Assez juste, et pas forcément flatteur pour les hommes ; parce qu’une fois casé, reposé, assuré de retrouver sa petite-bourgeoise tous les soirs dans son cocon pour s’occuper de sa progéniture, il repartira de plus belle dans l’espoir de se vider les bourses dans le premier vagin sur pattes venu. Et avec les mêmes mauvais tours affligés aux femmes.

Rien n'est trop beau, Jean Negulesco 1959 The Best of Everything Jerry Wald Productions, The Company of Artists (4)_Rien n'est trop beau, Jean Negulesco 1959 The Best of Everything Jerry Wald Productions, The Company of Artists (5)_

En retrait de ces trois parcours de femmes, celui qu’interprète Joan Crawford n’est pas moins intéressant. Elle représente la femme ayant réussi dans un monde d’homme, mais qui paie son succès d’une solitude voilée : une aridité sentimentale voire amicale, qui la rend d’abord cassante et crainte par les secrétaires travaillant pour elle. En réalité, on comprendra peu à peu sa détresse, on imaginera les sacrifices accomplis pour en arriver au sommet, et on finira par la trouver sympathique (voire un peu pathétique) quand elle remettra sa démission : se voyant vieillir, elle se souviendra de la proposition d’un homme qu’elle avait autrefois refusée. Cela pourrait ressembler à une nouvelle résignation, et à un mauvais signal envoyé aux femmes (la femme à succès type, dont on pourrait dire qu’elle est passée à côté de sa vie familiale, et qui renonce au bout du compte à sa carrière pour mener une bonne petite vie bourgeoise auprès d’un homme qu’elle n’aime pas), sauf qu’elle reviendra peu de temps après (le tablier de bonne mère de famille qu’on se résigne à endosser n’est peut-être pas taillé à notre mesure après toute une vie à se convaincre qu’on est fait pour autre chose). Il ne faudrait donc pas trop se hâter à tirer une morale et des intentions cachées derrière ces différents portraits. Si le film est juste, c’est qu’il se limite comme il faut à établir le constat d’une époque, pas à chercher à en tirer des conclusions.

Les hommes dans tout ça ? Des lâches, des obsédés sexuels, mais aussi des enfants : ce côté joueur, dangereusement puéril que certaines féministes reprochent aujourd’hui à leurs aînées de ne pas s’en offusquer suffisamment. Il est fort à parier que la vision contemporaine du personnage de l’éditeur, séducteur, joueur (à en pincer les fesses de ses secrétaires), ne passe plus comme autrefois. La persistance dans ses agressions passerait aujourd’hui pour du harcèlement. Pourtant, tel qu’il est interprété, il demeure toujours sympathique aux yeux du spectateur, et la mise en scène, le récit même, semble nous dire que tout cela ne prête pas à conséquence (même quand hors-champ une employée finit par lui répondre par des gifles). Un goujat profitant de sa position ne serait encore ici qu’un enfant mal élevé cherchant à jouer (au docteur). On imagine donc bien le hiatus entre deux générations de femmes et de féministes : celles de cette époque ayant lutté durement pour leurs droits, et les autres, jouissant précisément de ces nouveaux droits acquis (l’ignorant parfois), et en guerre, elles, contre les comportements déplacés de leur contemporain masculin, au point de ne pas comprendre que ces aînées (anciennes combattantes parfois des luttes féministes) refusent de se révolter, comme elles, contre ce qu’elles (les aînées) jugent puéril et anecdotique face aux problématiques plus sérieuses pour lesquelles elles luttaient alors.

Dernière chose sur eux, les hommes : qu’ils soient corrects ou mufles, la même constance : si un homme peut s’intéresser (sexuellement et sentimentalement) à une femme sans position, sans richesse, il en sera tout autre pour une femme vis-à-vis d’un homme. Les hommes présentés ici sont certes des salopards dont les femmes peuvent bien se plaindre, il faut noter qu’aucune de ces femmes ne portera jamais les yeux sur un homme sans argent ni position. Elles peuvent dire qu’elles ne cherchent « qu’un homme qui les aime », en réalité, elles ne fréquentent que des hommes, riches et bien placés, qui leur courent après (metteur en scène, fils à papa, cadres). Si on ne veut pas être du gibier, peut-être faudrait-il songer aussi à chasser. Si une femme ne postule jamais à un poste dans la vie professionnelle (et attendra une promotion, acceptera sans discuter du salaire, etc.), il est aussi à remarquer qu’une femme (du moins celles décrites dans ces histoires) ne « postule » pas plus quand il est question de trouver l’homme de sa vie et que leur choix s’arrêterait presque toujours sur un type d’hommes bien particuliers (de ceux qui ne font pas de la figuration). Les hommes sont volontaires, opportunistes, ambitieux, audacieux et à l’occasion trompeur ; les femmes attendent qu’on leur offre des fleurs… Et là, on est bien encore dans les conventions du code : les femmes du pré-code étaient bien plus audacieuses, entreprenantes, chasseuses que celles décrites ici ou que n’importe quelle femme qu’on pourrait voir encore aujourd’hui au cinéma. En un siècle, les droits des femmes ont avancé, mais les libertés prises par elles en matière de séduction ou d’entrepreneuriat au sens large ne semblent pas avoir tant évolué que ça. Et pas sûr que ce soit la faute des hommes cette fois. Dans « entreprendre », il y a « prendre », pas « se laisser saisir pour disposer ensuite ». Au niveau professionnel ou sentimental, il serait temps ainsi que les femmes apprennent à « proposer », c’est-à-dire aller au-devant de leurs désirs plutôt qu’attendre que d’autres (souvent des hommes) viennent à leur imposer les leurs (parfois avec insistance), et voir si elles peuvent alors s’y conformer. Cesser de ne postuler que pour les rôles de secrétaires, de maîtresses et de bonniches en somme. Ça ne devrait pas être si compliqué, les hommes ne sont que des enfants turbulents finalement : ils se font une raison quand on leur fait comprendre qui est le patron.


Rien n’est trop beau, Jean Negulesco 1959 The Best of Everything | Jerry Wald Productions, The Company of Artists


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La Femme de là-bas, Hideo Suzuki (1962)

La Femme de là-bas

Sono basho ni onna arite
Année : 1962

Réalisation :

Hideo Suzuki

Avec :

Yôko Tsukasa
Akira Takarada
Kumi Mizuno, Chisako Hara

8/10 IMDb iCM

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Les rapports hommes-femmes au sein de l’entreprise au Japon. Plus d’un demi-siècle plus tard, rien n’a changé ; d’une actualité étonnante. La difficulté des femmes à imposer leur travail, une préférence pour l’ombre en laissant les hommes avoir tous les honneurs même quand ce sont elles qui produisent les meilleures idées, une propension plus globalement à se laisser faire même quand elles sont plus qualifiées, une résignation parfois face à la conception masculine du travail vu comme une jungle dans laquelle il faut s’imposer et où la femme est souvent plus vue comme une conquête possible voire un objet que comme une véritable collègue (et dès lors une concurrente ou une alliée). Les dragues, les agressions sont incessantes.

Finalement, un peu comme pour reprendre le flambeau d’un Ozu ou d’un Naruse dépeignant la situation de ces femmes abusées après-guerre (Yôko Tsukasa avait notamment tourné dans Fin d’automne et dans Courant du soir), la femme que l’on croyait la mieux armée pour repousser les avances du bellâtre de la société concurrente, lui tombe dans les bras. C’est pour mieux t’escroquer mon enfant…

Tragique, mais brillant.



Sois belle et tais-toi, Delphine Seyrig (1981)

Note : 2 sur 5.

Sois belle et tais-toi

Année : 1981

Réalisation : Delphine Seyrig

L’éternelle et navrante rengaine concernant le féminisme : son premier ennemi, c’est le féminisme lui-même avec ces femmes, mollement ou extrêmement, idéologues. Une autre évidence : les acteurs sont des imbéciles. Dommage de les entendre autrement qu’à travers le biais d’un auteur. Ces actrices n’ont que des fantasmes plein la tête, c’en est affolant.

Pour mesurer la bêtise de ces actrices venues à disserter sur la position de la femme dans le cinéma de la seconde partie du XXᵉ siècle, il faut comprendre ce que représente, ce qu’a représenté, le cinéma depuis ses origines, en termes de soft power dans la lutte pour l’égalité entre les sexes. En dehors peut-être du journalisme, je ne connais aucun secteur culturel (ces Américaines, très présentes dans le documentaire, diraient “industrie”, de là sans doute une différence de point de vue) dans lequel le rôle de la femme n’a été aussi important, non seulement à l’intérieur de ce milieu, mais surtout je le redis en termes de soft power. Autrement dit, il y a peu de secteurs professionnels aussi en avance que le cinéma pour changer les mentalités au sein des sociétés.

On a donc une poignée de femmes ayant grosso modo le même profil (le même d’ailleurs que celui de l’actrice, muée pour l’occasion en réalisatrice, Delphine Seyrig), c’est-à-dire des actrices célèbres sans forcément un grand talent mais pratiquement toutes jolies (c’est donc bien à la base une certaine forme de discrimination sexiste, mais positive les concernant, qui les a mis en haut de l’affiche), discourant sur la place de la femme dans le cinéma, du type de personnages qu’on leur propose ou du nombre de scènes proposées avec d’autres femmes dans des films sans que ces scènes ne soient des crêpages de chignons tout juste bons à remplir la machine à fantasmes de ceux qui les imaginent : les hommes.

Remettons donc au point certaines évidences. Ces actrices-là, même Ellen Burstyn, ont eu une carrière, non par leur seul talent (parfois discutable), mais parce qu’elles étaient jolies (ou aussi jolies). Est-ce sexiste ? Oui, certainement. En ont-elles profité ? Oui, certainement. Elles sont donc le fruit (et les principales bénéficiaires) de ce que bien souvent la réalisatrice tente de leur faire dire. Elles se plaignent de ne pas avoir de rôles à la hauteur de leur talent, que tous les meilleurs rôles sont dévolus aux hommes, bref, qu’on les prend pour des idiotes. Eh ben, c’est peut-être un peu parce que souvent, c’est bien le cas, et que si elles ont la chance d’avoir une carrière, des rôles qu’elles jugent après les avoir acceptés, misérables, c’est qu’elles n’ont pas le talent pour autre chose, ou la volonté encore de s’imposer dans autre chose. On appelle ça la gueule de l’emploi.

Désolé mesdames, mais voir par exemple Lillian Hellman interprétée par Jane Fonda, oui, c’est du cinéma ! Maintenant, celle que je voudrais entendre, moi, ce sont les actrices qui plus talentueuses, plus crédibles, mais moins glamours que Jane Fonda, auraient à dire sur le fait de ne jamais avoir eu, elles, les rôles qu’elles auraient aussi pu mériter. N’est-ce pas un peu ironique de voir ces femmes qui bénéficient d’un système et de préjugés sexistes se plaindre des conditions de leur travail alors que justement la raison principale pour lesquelles elles ont travaillé au sein de ce système, c’est non seulement parce qu’elles étaient des femmes, mais des femmes jolies (et dociles).

Ellen Burstyn s’émeut d’avoir découvert par hasard la mise en scène, d’y avoir pris goût, de découvrir qu’une femme pouvait tout à fait être à cette place (on parle bien de préjugés qui tombent du côté d’une femme, pas d’une espèce de patriarcat hypothétique imposant qu’aucune femme ne puisse pratiquer cette activité — même s’il y a évidemment, et certaines le rappellent, des abrutis bien installés profitant de leur pouvoir pour interdire, individuellement, cette possibilité). C’est bien Ellen, et alors ? A-t-on vu après ces essais Ellen Burstyn réaliser des films ? Aucun. C’est Ellen Burstyn, pas une vulgaire réalisatrice sans le sou, sans connexion et sans talent qui galère pour travailler, non, c’est l’une des actrices les plus renommées et respectées de sa génération. Si elle avait vraiment envie de réaliser des films y aurait-il eu tant de monde, tant d’hommes, pour lui barrer le passage, et l’empêcher de faire cette nouvelle vocation ? Non. Ellen Burstyn avait surtout mieux à faire, c’est-à-dire accepter tous les rôles soi-disant inintéressants que l’industrie lui imposait. Est-ce la faute des hommes, de l’industrie du cinéma, si Ellen Burstyn n’a pas réalisé de films ? Non, c’est à cause, seule, de Ellen Burstyn.

C’est fou de voir les choses avec de telles œillères. Non seulement les exemples évoqués seront forcément toujours biaisés parce qu’on a toujours affaire au même type d’actrices (tout est dans le titre), mais surtout ces idiotes sont incapables de voir que dans aucun autre domaine, la culture (le cinéma, ou l’industrie du cinéma…), les femmes ont au contraire eu autant le beau rôle (et attention, pas nécessairement parce qu’elles étaient jolies, encore moins parce qu’elles étaient des femmes). Peut-être pas toujours le beau rôle dans beaucoup de films, mais souvent elles ont eu le rôle central. Et cela pour une bonne raison : les décideurs, ce ne sont pas les nababs de Hollywood, prêts ou non à mettre des bâtons dans les roues de ces jolies dames, mais le public. Et le public n’a pas de sexe, il lui faut aussi bien des personnages féminins que masculins. Que les histoires ensuite se fassent le reflet de nos sociétés en présentant à l’écran des personnages féminins qu’on pourrait juger comme rétrogrades, bien sûr, mais mesure-t-on à quel point au contraire ce cinéma-là a œuvré dans l’autre sens pour promulguer et répandre dans nos sociétés une image de la femme émancipée ?

Concernant l’idiotie, j’ai beaucoup de respect pour Jane Fonda, je ne pourrais pas dire que je la trouve particulièrement convaincante comme actrice (ce même jour, je l’ai vue se faire bouffer par son père dans La Maison du lac), mais elle fait le job, et à l’occasion elle peut dire autre chose que des âneries. Seulement, sérieusement, la voir critiquer la presse qui présentait au moment de la sortie de Julia le rapport entre les deux personnages principaux comme des lesbiennes, c’est presque ironique tant on pourrait croire qu’elle est en train de nous rejouer le grand succès de son personnage : The Children Hour, dans lequel on doute tout du long du type de rapport qu’entretiennent l’une et l’autre femme jusqu’à être convaincu qu’elles le sont bien, au moins pour l’une d’entre elles, homosexuelle. Pour Jane Fonda, il y aurait un amour platonique entre son personnage (réel, rappelons-le) et celui de Vanessa Redgrave : ce ne serait qu’un amour innocent entre femmes, se plaignant ainsi que pour des hommes (la presse), il soit inconcevable que deux femmes puissent entretenir une forte amitié sans la moindre équivoque possible concernant leur sexualité. Pour elle, les hommes auraient forcément l’esprit mal tourné, faisant d’un rapport d’amitié innocent entre Julia et Lillian, un rapport homosexuel… Sauf, Jane, qu’il faut bien être un peu naïf pour balayer aussi facilement cette interprétation. La question ne peut pas être évincée, et pour beaucoup, la question ne se pose même plus : oui, au moins pour l’un des personnages, il est bien question d’homosexualité. C’est l’évidence même. Le fait d’ailleurs que Lillian Hellman ait été ou non homosexuelle importe peu ; ce qui compte, c’est que voilà une femme, dramaturge, qui a vu son travail adapté sans problème au cinéma, et non pas parce qu’elle était une femme, mais parce qu’elle avait du talent.

Comment voulez-vous, après ce genre de réflexion, qu’un réalisateur ne finisse pas par s’agacer des interprétations permanentes de ses acteurs (ou en l’occurrence ici actrices), parce que pratiquement toutes ici, expriment leur frustration en tant qu’actrice que le réalisateur ne prenne jamais en compte leur vision des choses ? Eh bien, oui mes demoiselles, vous n’êtes que des actrices. Du bétail comme disait Hitchcock. Le décideur, c’est le réalisateur. Je reprends à mon compte ce que disait Truffaut cité ici par je ne sais quelle actrice : c’est aux femmes d’écrire des rôles pour elles. Si celles-ci ne sont pas satisfaites du sort qui leur est réservé, pourquoi accepter de continuer à travailler pour les autres ? Et pourquoi ne se mettraient-elles pas à écrire, réaliser, pour leur pomme ? D’autres en sont et en seraient sans doute plus capables. Celles-ci, certainement pas. Et même si celles-ci avaient décidé de travailler pour elles, ce n’est pas avec cette manie de prendre des moulins à vent pour des géants qui les aiderait à s’imposer, non pas dans un univers d’hommes, mais dans un univers où c’est chacun pour soi. Si ce que vous proposez montre un tant soit peu de l’intérêt, peut-être pas quelques abrutis qui refuseront de travailler avec des femmes, mais les autres n’auront aucun intérêt à refuser de se mêler à un projet intéressant. Encore faut-il que ces projets existent, et ce n’est certainement pas de telles écervelées qui s’en rendraient auteures.

La situation n’a probablement pas beaucoup changé en revanche. Si les sottes sont toujours en tête d’affiche, il n’y a toujours pas assez de femmes réalisatrices. Mais au lieu d’y voir un effet du sexisme d’un certain milieu, il serait bon aussi de se demander si le premier réflexe sexiste ne vient pas des femmes elles-mêmes. Celles-ci en montrent malheureusement très bien l’exemple.


 


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Tout en haut du monde, Rémi Chayé (2015)

Tout en haut du monde

3/10  

Réalisation : Rémi Chayé

Film d’animation mal embouché, scolaire, naïf, anachronique, sexiste, pénible et laid.

Aucun problème avec ce type d’animation avec des contours volontairement unis, en revanche les bouches piccassiettes défiant l’anatomie et la perspective, c’est franchement pénible à voir. Les dessins perdent leur pouvoir expressif voire suggestif. C’est un peu comme regarder un film en 3D sans lunettes ou écouter un chanteur qui zozote.

Je sais aussi que c’est pour les enfants, mais le découpage est stéréotypé, sans inventivité et sans rythme. Les dialogues sont souvent stupides et écrits hors contextualisation, du genre « Vous z’êtes vraiment qu’un sale type ! » ou « Sa blessure s’est rouverte, il a besoin de repos ». Sans compter que le personnage principal est censé être une princesse, alors certes rebelle, mais non, une princesse, ça ne parle pas comme une fille des banlieues.

Le plus compliqué quand on décide de planter son histoire dans un univers qui a réellement existé, passé et lointain comme la Russie de la fin du XIXᵉ, et que de par l’intrigue on est amenés à contextualiser tout ça à la lumière des connaissances ou des technologies d’alors, c’est qu’on flirte sans arrêt avec les incohérences historiques. Comme souvent ici, le plus grave ce n’est pas de faire des recherches et de se dire « c’est bon, ça existait, on peut le mettre à l’écran », c’est juste qu’on ne peut y croire, et qu’en permanence on lève un sourcil à l’apparition d’un nouveau détail suspect. La question de la vraisemblance historique elle n’est pas de dire « c’est possible, je l’ai lu », mais de ne pas interpeller la méfiance du spectateur qui en l’occurrence n’en sait probablement pas plus que ce qu’on voit dans le film. C’est peut-être bien pourquoi dans leur immense globalité les histoires pour enfant s’inscrivent dans un univers que l’auteur connaît bien, et qui va ou non prendre une tangente merveilleuse où tout est possible. Que ce soit d’adopter les bons usages dans un bal ou de décrire la vie à bord d’un brise-glace de cette époque, il y aura toujours une suspicion qui s’éveille au moindre élément étrange.

Ce qui peut être encore plus agaçant, c’est le sexisme déguisé en féminisme de petite fille. On laisse entendre en plaçant un personnage féminin dans un univers d’hommes qu’on invente une histoire moderne dans laquelle il saura à la longue casser tous les stéréotypes de ces messieurs et prouver qu’il est tout aussi capable qu’eux… Au-delà du nouvel anachronisme, une fois posé cette merveilleuse et bien-pensante ambition, on ne s’embarrasse pas de cohérence et de nuances justement pour éviter de tomber dans d’autres travers et stéréotypes sexistes. Qu’une expéditrice ait pu se faire une place dans un tel univers à l’époque, ça ne me paraîtrait pas impossible en fait, mais pas ainsi : on pourrait trouver de nombreux cas exceptionnels, réels, qui à la même époque, prouveraient que c’était possible. Mais on trouverait, je pense, toujours la même constance pour que cela ait pu être possible : le travail acharné d’une femme. Comment croire qu’une adolescente qui n’a jamais quitté les palais puisse ainsi du jour au lendemain faire sa place dans une expédition en Arctique ? L’a-t-on vue suivre son grand-père sur les mers, le voir seulement lui faire la leçon dans des flashbacks ? La voit-on rêver seulement de l’univers qu’elle découvrira par la suite ? Non. Elle trouve un feuillet sur lequel elle croit deviner la route prise par son grand-père disparu, le montre à je ne sais quel bonhomme antipathique, et il lui rit au nez. Pardon, mais il a bien raison, parce qu’on ne peut y croire. Mais soit, imaginons que cette gamine puisse s’adapter à la vie sur un brise-glace au milieu des hommes, est-ce qu’on la verrait en rebelle au milieu des palais, aussi jolie avec ses précieuses boucles ? Non, elle serait plus vraisemblablement rendue laide, assez peu apprêtée à force de traîner dans les bibliothèques (à défaut de se faire la main, je ne sais pas moi, sur la Néva gelée).

On enfonce donc les stéréotypes sexistes : non seulement la princesse est belle comme un cœur, mais je trouve son lien et son obstination avec son grand-père foutrement sexiste, comme si la passion interdite d’une femme ne pouvait être liée qu’à son amour pour un patriarche quelconque. Une petite fille rebelle, ça n’a rien d’un personnage révolutionnaire ou féministe compatible, surtout quand on le fait savoir avec autant d’insistance. Rebelle pour faire quoi ? Est-ce que Marie Curie ou d’autres se foutaient d’adopter une posture de rebelle ou est-ce que c’était les autres qui les décriraient ainsi ? Est-ce que seulement cette forme de posture puérile ne serait pas totalement inefficace alors que le but est non pas de lutter pour le girl power, mais bien de s’intégrer et de s’affirmer dans un monde d’hommes ? L’ambition de réussir n’imposerait-il pas beaucoup plus une certaine capacité à intégrer certains codes plutôt qu’à les combattre… ? La marginalité, l’ambition ou la passion, n’ont rien à voir avec la rébellion. La rébellion a même un petit côté paternaliste dans le sens où ça rappelle d’autres stéréotypes féminins, celui du caractère capricieux de certaines jeunes filles qui n’en font qu’à leur tête. Ces filles-là seraient incapables de réussir dans des domaines réservés aux hommes.

Alors c’est un dessin animé, peut-être, on joue toujours avec des stéréotypes, mais ce que ça peut être pénible de voir qualifié de féministe d’un extrême à l’autre soit un récit criant un peu fort qu’il cherche à l’être tout en montrant le contraire soit un autre d’une tendance plutôt misandre…


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Paï, Niki Caro (2002)

       Paï

5/10  

Réalisation : Niki Caro

Des grosses ficelles épuisantes. On croit voir une histoire formatée par, ou pour, des recettes toutes prêtes hollywoodiennes. Impossible d’échapper à tout le catalogue de passages obligés. Ce ne serait pas si ennuyeux avec une réalisatrice de talent… (Jane Campion a les mêmes travers, mais elle a réalisé, elle, un chef-d’œuvre).

Au-delà des tours et détours laborieux du récit, surlignés par des dialogues puérils ou une musique tapageuse, l’aspect le plus mal maîtrisé reste le choix des acteurs et la direction d’acteurs. La question de l’opposition entre les générations, entre modernisme et tradition, avec comme ici la question de la place de la femme dans la (petite) société, c’est un sujet fréquemment rabâché dans le cinéma japonais de l’âge d’or par exemple, et ça nous donne une idée des pièges à éviter.

La gamine est certes jolie, mais l’idée d’en faire un garçon manqué casse à mon sens toute la logique « féministe » de la chose. On n’y croit pas une seconde. La seule séquence où l’actrice arrive à me convaincre est celle où, affublée du costume traditionnel, elle récite son discours dédié à son grand-père absent de la salle : pour la première fois non seulement on voit une gamine, touchée, vulnérable, bref, pas seulement une fillette, mais un être humain auquel s’identifier. Le reste du temps, le fait de surjouer le côté garçon manqué, parfaite en tout mais lisse, aurait plus tendance à la rendre insupportable et assez peu crédible.

L’interprétation du grand-père se heurte aux mêmes écueils : ce n’est pas parce que c’est l’opposant principal du récit qu’il faut en faire un homme aussi antipathique.

Aucunes nuances auxquelles se rattacher ; deux blocs s’opposent, et comme par magie, toutes ces frictions devraient disparaître lors d’un dénouement forcé dans lequel chacun serait amené à reconnaître la part cachée qu’on se refusait de voir jusqu’alors… Ridicule, pour ne pas dire vulgaire.


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