Seule sur la plage la nuit, Hong Sang-soo (2017)

Gueule de bois

Note : 4 sur 5.

Seule sur la plage la nuit

Titre original : Bameui haebyeoneso honja / 밤의 해변에서 혼자

Année : 2017

Réalisation : Hong Sang-soo

Avec : Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Kwon Hae-hyo, Jeong Jae-yeong, Moon Sung-keun, Song Seon-mi

Peut-être le plus digeste des films très autocentrés du cinéaste. Oui, il nous y expose des événements plus ou moins en rapport avec sa propre vie et avec celle de son actrice principale (du moins, on peut l’imaginer), mais il faut reconnaître qu’après vingt ans à peaufiner un dispositif cinématographique et une écriture somme toute bien personnelle, le bonhomme sait y faire.

On retrouve globalement les acteurs qui se sentent probablement le plus à l’aise dans ce dispositif, car je n’ai plus grand-chose à dire sur les acteurs ou sur la manière d’aborder leur personnage… À ce niveau, tout est parfait, et le plaisir est là, celui de retrouver des acteurs pour leur charme et souvent pour leur second degré. L’ironie, c’est encore ce qu’il y a de plus charmant à suivre dans ces derniers films de Hong Sang-soo.

Concernant la forme, le cinéaste reste, cette fois, assez sobre (autant qu’il peut l’être, à l’image des personnages qu’il convie autour d’une table) : un leitmotiv burlesque au sens assez abscons (l’individu qui demande l’heure, qui suit les deux Coréennes à Hambourg et qui lave la porte-fenêtre un peu plus tard dans l’appartement), une construction en deux parties (départ après le scandale, retour au bercail où le scandale n’en finit pas de hanter le personnage principal). Et puis, une séquence qui se révèle être un rêve : une habitude chez Hong Sang-soo, un caprice d’étudiant, mais on est habitué, il est pardonné (surtout que ça ne fait que rajouter à la solitude de l’actrice et va donc ainsi dans le sens du récit, on échappe à l’effet de surprise et de mauvais goût habituellement rattaché au procédé).

J’attends toujours le chef-d’œuvre, cela dit. On est dans le haut du panier ici, mais il manque la marche supplémentaire qui me laisserait coi, ébahi et plein d’admiration. Elle a raison ton actrice, ta chérie ou ton personnage principal : arrête peut-être de raconter ta vie, pour voir, et mets-toi plus en danger, explore. Garde le meilleur de ton style, et imagine une histoire qui colle parfaitement avec la forme, mets-toi en quête d’une évidence, tente d’en faire peut-être à peine plus dans un sens, ou au contraire, tends vers plus de minimalisme ou d’incommunicabilité, de contradictions, d’injustice… Au travail, fainéant.

Sinon, je m’amuse à repérer les tics de langage auxquels les acteurs sont autorisés à avoir (dans le cas d’improvisation dirigée) ou dans son texte (toutes les séquences semblent être de l’improvisation dirigée, avec probablement un certain nombre de passages obligés, mais le cinéaste semble tout de même laisser beaucoup de champ à ses acteurs). Je n’ai remarqué qu’un « aille-go » qui est pourtant un tic de langage très courant chez les Coréens (équivalent à « zut », mais avec des variantes que j’ignore, mon traducteur vocal par exemple traduit ça par « oh, mon Dieu ! »), pas beaucoup plus de « keurenika » (« tu sais », balancé à la fin de chaque phrase pour ponctuer une discussion), en revanche, ça balance énormément de « créo », de « qeuré », de « qeuré-ka » (traduit par « ah bon », « d’accord », « bien », « tu crois ? »). Encore cinq cents ans et je suis bilingue. D’ici là, Hong Sang-soo aura produit quelques chefs-d’œuvre.

그래.


Seule sur la plage la nuit, Hong Sang-soo 2017 Bameui haebyeoneso honja Jeonwonsa Film


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Le Daim, Quentin Dupieux (2019)

Le Daim-donc

Note : 2.5 sur 5.

Le Daim

Année : 2019

Réalisation : Quentin Dupieux

Avec : Jean Dujardin, Adèle Haenel

Au cinéma, il y a une règle dans le cinéma de l’absurde, appelée « principe des 45 minutes », théorisée par le philosophe Georg Lukàcs, qui désigne une limite temporelle au-delà de laquelle tous les récits absurdes s’essoufflent, patinent, et finissent par ennuyer le spectateur.

Assidu pendant ses jeunes années aux spectacles de la scène berlinoise pendant les années 20 et 30, et témoin de l’éclosion de divers genres théâtraux, Georg Lukàcs se rend compte que dans les spectacles burlesques jouant sur une idée idiote et comique de départ, les « pièces », ou sketches, durent rarement plus de quarante minutes. Les propriétaires de salles connaissent depuis la moitié du dix-neuvième siècle ce principe, et c’est pourquoi beaucoup de ces spectacles de music-hall (« vaudevilles » aux États-Unis, « burlesque », « matinee », music-hall en France, parfois pièces en un acte, chez Tchekhov par exemple) proposent des soirées où se succèdent divers numéros et sketches afin de divertir le public avec une large gamme de genres et d’artistes susceptibles de maintenir éveillé son intérêt capricieux. Lukàcs le note dans un coin de sa tête et s’en servira pour la suite de ses études sur le spectacle et le cinéma.

Plus tard, fervent défenseur du théâtre et du cinéma naturaliste de la scène new-yorkaise, quand le théâtre surréaliste français se transforme peu à peu en théâtre de l’absurde, Georg Lukàcs se rappelle de ces principes imaginés pour le burlesque et les théorise pour ce théâtre de l’absurde naissant qu’il ne le convainc pas tout à fait et qu’il compare déjà au cinéma expérimental de la même époque. Selon lui, le théâtre de l’absurde serait sujet, comme le burlesque autrefois, à une telle limite de durée, car elle correspondrait grosso modo à la durée d’un acte de présentation dans une pièce conventionnelle de deux heures, ou en trois actes, le principe de l’absurde consistant selon lui à singer les codes narratifs réalistes pour mieux les détourner, non pour s’en moquer comme dans le burlesque, mais dans le but de provoquer un sentiment de l’étrange dans l’esprit du spectateur… Le spectateur attend à l’issue de ce premier acte, ou de ces quarante-cinq minutes, que les enjeux dramatiques du récit aillent plus loin que la seule proposition de départ basée sur l’absurde. Si l’auteur ne parvient pas à aller au-delà de la simple proposition absurde de départ, s’il échoue à embarquer le spectateur dans un parcours narratif conventionnel, le spectateur s’ennuie dès le second acte.

Passionné de cinéma, Georg Lukàcs précise que ce « principe des 45 minutes » se vérifie pour une série de films expérimentaux absurdes émergents à cette époque dans tout le cinéma underground, en particulier sur la côte est des États-Unis mais pas seulement. Selon lui, si l’absurde est incapable de proposer au public des longs métrages, c’est précisément à cause de cette limite à laquelle les films absurdes sont soumis. L’absurde pour l’absurde, selon lui, était un non-sens. Il allait même plus loin en affirmant que parmi les meilleures pièces (en trois actes) considérées comme « absurdes », certaines étaient en réalité « burlesques » (il cite La Cantatrice chauve) ou « existentialistes » (il cite En attendant Godot).

Quentin Dupieux n’a probablement jamais entendu parler de Georg Lukàcs. Et tous ses films dépassent cette limite. À la vingtième minute, on a compris où il voulait en venir. À la trentième, on se demande comment il va s’en sortir. À la quarantième, on a compris que ça ne menait nulle part et on attend embarrassés que ça se termine.

 

Ceci est une farce, Georg Lukàcs n’existe pas, mais ça résume assez bien ce que je pense du film.


 

Le Daim, Quentin Dupieux 2019 | Atelier de Production, Arte, Nexus Factory, Umedia, Garidi Films


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Symbol, Hitoshi Matsumoto (2009)

Dans la peau de Mireille Mathieu…

Note : 2.5 sur 5.

Symbol

Titre original : Shinboru

Année : 2009

Réalisation : Hitoshi Matsumoto

Oui, le problème avec l’absurde, c’est qu’il faut en trouver l’issue. Ça ne peut jamais être à mon sens qu’un décor, un point de départ, à une quête bien mieux définie : dans l’idéal, avec une histoire d’amour et un objectif tout ce qu’il y a ensuite de bien conventionnel.

C’est un peu pour les mêmes raisons que Dupieux me fait ni chaud ni froid, et plus précisément pourquoi Dans la peau de John Malkovich pour moi un chef-d’œuvre. L’absurde, c’est la sauce soja qui vient à propos et qui vient s’ajouter au plat principal, pas l’inverse.

Le montage parallèle ici, par exemple, semble vouloir donner une clé, une issue, pour sortir de l’absurde, et ce n’est qu’une pirouette, une blague potache presque, qui ne sonne pas très bien à nos oreilles après avoir patienté et espéré tout ce temps une résolution ou une explication. La seule issue possible pour Matsumoto avec une histoire résolument et intrinsèquement absurde, c’est la surenchère absurde vers un absolu pseudo-métaphysique qui aura toujours de pratique de n’avoir jamais explication à donner à tout ce charivari.

Comme dans un palais des glaces, la seule finalité du procédé, c’est lui-même : l’absurde pour l’absurde, par l’absurde. On voit bien que ça mène nulle part et que le but n’est que d’offrir au spectateur un parcours “déformant” hors des sentiers battus. Une fois qu’on a compris où on était, on a juste envie de se gratter les couilles une dernière fois et d’en sortir. Toute la différence entre un récit proposant un dénouement et un autre ne proposant comme seul horizon possible que… la porte de sortie. À l’image d’un deus ex machina, la résolution du problème ne peut venir que d’un élément extérieur au récit. Matsumoto ne sort en fait jamais de sa salle de jeu.

Dans un univers où tout est possible, sans barrières à son imagination, ça n’a plus beaucoup d’intérêt pour le spectateur. Ce n’est plus qu’une facilité de scénario, un procédé toujours, un prétexte, à ne rien raconter d’autre que des étrangetés sans fondement, alors qu’à mon sens, le parcours du spectateur, à travers l’identification au personnage principal chemine dans un récit bien plus complexe qu’un simple “procédé”, répété cent fois. Son récit d’ailleurs a toutes les caractéristiques d’un court métrage gonflé artificiellement en long. Un court aurait très bien pu montrer une telle situation absurde sans avoir jamais à en donner une explication et donc une porte de sortie. Un univers réellement clos, sans interprétations possibles, et sans intégration d’une histoire parallèle censée à un moment du récit venir interagir avec la première. Il y a des sujets, ou des styles, qui ne se prêtent pas au long. Une histoire drôle, brève et efficace, ne gagnera rien à être étalée sur la durée. Quand le principal atout d’une histoire, c’est son procédé, inutile de venir broder autour. On illustre, on pose ça devant le spectateur, et on se barre, le laissant avec ses incertitudes.

Symbol, Hitoshi Matsumoto (2009) (69)

Quand on pense aux « plus courtes sont les meilleures », sérieusement, l’idée de la sauce soja, on la sent venir à des kilomètres, et je ne suis pourtant pas un habitué des prémonitions de ce genre. Quand on attend des plombes alors qu’on imagine la suite, ce n’est ni du suspense ni drôle, on espère juste que le personnage va saisir l’humour des petits pénis comme tout le monde et leur fera remarquer avant la chute. Le contraire est lourd.


 

 


 

 

 

 

 

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The Lobster, Yorgos Lanthimos (2015)

Note : 2.5 sur 5.

The Lobster

Année : 2015

Réalisation : Yorgos Lanthimos

Avec : Colin Farrell, Rachel Weisz, Jessica Barden

Charia crypto-spéciste vue par Rostropovitch…

Si le concept du film d’anticipation dénonçant une société totalitaire à la 1984 peut au début surprendre, et si l’idée d’en voir le moins possible est plutôt bien vue (on évite les écueils inhérents à la représentation, rarement convaincante, du futur), je trouve tout ça finalement assez vain et mal mis en scène. La représentation d’un futur dans lequel les célibataires seraient littéralement chassés et transformés (kafkayennement) en animal, trouve assez vite ses limites : la première moitié dans l’hôtel me paraît moins ennuyeuse que la suivante, mais la seconde est peut-être justement moins fascinante parce qu’on cesse de chercher à répondre aux questions posées, ou aux pistes levées, dans cette première partie…

La mise en scène donc. Par certaines touches, certains choix ne convainquent pas vraiment, et on sent bien que les acteurs sont eux-mêmes assez peu convaincus de ce qu’ils font. La lenteur d’accord, le jeu distancié voire robotique ou niais, aussi. Seulement, il n’y a guère que Colin Farrell qui limite la casse, dans un rôle pourtant pleinement de composition… Les autres semblent perdus ou jouent carrément mal.

Bref, l’impression parfois de se retrouver face à un montage de prises ratées d’un film de Roy Andersson. Mais c’est singulier, pour sûr.


 


Réalité, Quentin Dupieux (2014)

Note : 2.5 sur 5.

Réalité

Année : 2014

Réalisation : Quentin Dupieux

Avec : Alain Chabat

Dupieux se rêve dans la peau de Spike Jonze et apprend à ses dépens qu’une fois la carte de l’onirisme abattue, on s’abîme dans l’absurde pour ne plus en sortir. Manque l’enjeu, ce que Le Plongeon réussissait fort bien par exemple (et en jouant sur une note plus grave bien sûr).

Parce que ce n’est pas le tout d’avoir des idées farfelues, encore faut-il savoir les réaliser. L’exécution est si mauvaise (c’était déjà le cas de Rubber) que l’interprétation faite (après séance par la musicienne Barbara Carlotti à la Cinémathèque française) est plus intéressante que le film lui-même. L’art de l’exégèse, ou la capacité à voir ce que personne n’a vu. Pour faire ça, il faut avoir une certaine capacité à être attentif aux signes d’un film, aux éléments purement signifiants voire symboliques, sans se soucier de l’exécution, ce qui est logique parce que celle-ci est affaire de professionnels. Je ne dois pas être un spectateur comme les autres : je ne me soucie pas des signes ou des interprétations (celles des auteurs en tout cas, puisque celles des spectateurs, sont en réalité ce pour quoi on partage des histoires), et je suis beaucoup plus attentif à la manière de rendre tout ça.

Franchement, le film ne serait pas servi par un acteur de génie (mais un seul), il serait tout aussi pénible de le regarder que Rubber. Direction d’acteurs, zéro. Le rythme, zéro : on ne sait pas si on adopte une tonalité comique avec quelques instants plus flottants à travers l’absurdité des situations ou si au contraire on joue pleinement la carte de l’absurde. Les dialogues alternent le bon (avec le producteur par exemple, mais Johnatan Lambert, sans être un mauvais acteur cumule deux défauts rédhibitoires pour le rôle : il est puissamment « pas drôle » – une caractéristique étonnante pour un acteur censé être un comique, mais on connaît aussi dans ce registre Eli Semoun, lui aussi partie prenante d’une génération de comiques sans le moindre sens de l’humour – et il manque d’épaisseur – ce n’est ni une question de taille ou de poids, mais bien d’autorité) et le mauvais (les séquences avec Élodie Bouchez sont très mal embouchées, et elle-même semble un peu perdue à ne pas savoir quoi jouer, alors que c’est une actrice réaliste, on lui demanderait presque de jouer ici du boulevard).

Jusqu’à la moitié du film, on suit plus ou moins, c’est gentiment fignolé, et malgré les défauts de mise en scène, ça se laisse regarder. Une fois que ça part en vrille, on aurait presque envie de rappeler à Dupieux le mot de Wilder qui avait eu l’idée de mettre une nuit un calepin près de son lit pour en tirer les merveilleuses histoires qu’il pensait “inventer” dans ses rêves. Le résultat au matin était digne de cette seconde partie : une fille rencontre un garçon. Rien d’autre. Eh bien, c’est ça Réalité. On se demande ce que peut bien être la finalité de toutes ces acrobaties abyssales. Il faudrait garder en mémoire le génial Plongeon lui aussi articulé autour de l’idée d’un rêve et de la réalité : Burt Lancaster plongeait de piscine en piscine pour atteindre un but à la limite de l’absurdité, probablement symbolique, mais il y allait bien, et au bout de chemin, on ne sait trop comment interpréter cette fin de parcours, mais il trouvait quelque chose. C’est peut-être le cas ici, peut-être que Dupieux voulait créer un film qui se mord la queue. Mais un film dans un film, ce n’est pas la même chose qu’un rêve dans un rêve, ou un rêve partagé par un autre, etc. Difficile à définir, parce que c’est à la fois rien et tout ça en même temps. Des acrobaties. Et elles ne sont même pas brillantes puisque l’exécution est pauvre…

Alors Chabat… Le génie il est là. Le reste, on Chabat les couilles.


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Un jouet dangereux, Giuliano Montaldo (1979)

Il giocattolo

Note : 3 sur 5.

Un jouet dangereux

Titre original : Il giocattolo

Année : 1979

Réalisation : Giuliano Montaldo

Avec : Nino Manfredi, Marlène Jobert, Arnoldo Foà

Western des villes cubiste, anti-réaliste voire absurde et nihiliste. Une sorte de cauchemar cinéphile où on ferait jouer à l’infini Dillinger est mort à un comptable surmené et naïf.

C’est aussi les amours un peu étranges, parfois homosexuelles refoulées (ou ironiquement suggérées), entre un homme (décrit volontiers comme peureux et impuissant) et son calibre. Ça ne ressemble à rien, et ça ne s’encombre souvent pas de cohérence psychologique (la femme est particulièrement robotique, répondant toujours favorablement aux comportements de plus en plus étranges de son mari, jamais agressive, toujours à l’écoute, compréhensive, alors même qu’elle est en train de mourir devant son homme indifférent à sa souffrance…).

Et que dire de tout ce passage aux rapports pour le moins suggestifs entre notre comptable et son nouvel ami beau gosse et flic de profession ?… Montaldo les dirige comme s’il était question là de séquences d’amour, et on ne voit pas beaucoup ce que ça pourrait être d’autre, tant l’amitié semble être poussée vers des limites ridicules dont on ne sait au juste si ces séquences tendres et joviales sont des parodies de buddy movies ou si elles ont été réellement tournées au premier degré. L’allégorie initiatique qui se joue entre les deux hommes quand l’un amène l’autre au stand de tir comme s’il l’emmenait chez les putes pour le dépuceler est révélatrice de ces rapports. Comment s’imaginer que tout cela soit fortuit ? L’un des profs de tirs a d’ailleurs beaucoup plus des manières homosexuelles que ces deux-là sans que s’en émeuve plus que ça nos protagonistes. On y trouve tout l’avantage des bordels : on tire un coup, on prend soin de son joujou, on compare les objets, leur efficacité, on regarde son tableau de chasse, sans jamais avoir affaire à des femmes. Un vrai paradis homosexuel. Le plus mignon, c’est que tout cela est montré comme si tout était parfaitement normal (à moins que j’aie l’esprit mal placé).

La tonalité du film est ainsi encore une fois très étrange en jouant de tous les genres, de la comédie à la tragédie. Il faut peut-être y lire une forme de satire à l’italienne mais qui pour le coup m’échappe un peu. Si la morale liée au danger des armes, en particulier concernant des individus fragiles fascinés par le mirage sécuritaire qu’elles leur inspirent, tout le développement et la manière d’arriver à cette fin, me laisse plutôt rêveur. Ces incohérences psychologiques presque volontaires, puisqu’elles apparaissent peut-être moins dans le scénario que dans des comportements stéréotypés jusqu’à l’excès ne peuvent être que le fruit de la volonté d’un réalisateur se refusant à tout réalisme. En dehors de Ferreri, au rayon des affinités, on pourrait citer Moretti parfois, ou Deville en France voire certains Resnais. Plutôt baroque au fond…


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The Square, Ruben Östlund (2017)

Note : 3.5 sur 5.

The Square

Année : 2017

Réalisation : Ruben Östlund

Ça alterne le bon et le moins bon. Après Snow Therapy, Östlund confirme sa bonne direction d’acteurs, un goût presque hanekien à l’exposition de situations censées faire sens, voire celui de la provocation froide et distante. Le hic, c’est que le plus réussi dans le film, c’est l’humour, le cynisme qu’on peut deviner mais qui n’a rien de bien profond. Et heureusement. Parce que le fond du film, celui qui est tenté de sens, on n’y comprend rien, et ça semble même se perdre, se confondre, comme ça arrive très souvent avec les films à idées, avec le sujet qu’il dénonce. On voit trop bien qu’en faisant le lien entre un point, puis un autre et encore un autre, on nous mène à un but, sauf qu’on n’y arrive jamais et on sent trop la supercherie et la volonté de nous perdre. Le discours au cinéma est toujours creux parce qu’inintelligible. On n’accepte de comprendre que ce qui est paradoxalement laissé à notre interprétation. Ici on voudrait trop nous faire passer quelque chose de mou et d’indéfini pour quelque chose de carré et de profond.

Reste ces séquences prises les unes séparément des autres. La magnifique suspicion de l’homme refusant d’abandonner le préservatif à la femme qu’il vient de « transpercer », scène à laquelle répondra la gênante explication entre la femme qui dit éprouver des sentiments et l’homme ayant profité de la situation d’une tout autre façon (le cynisme, s’il est réussi ici, c’est de s’être servi de la nationalité de la protagoniste : inévitablement on suspecte, ou on craint, avec lui, qu’elle l’ait poussé dans un piège procédurier) ; la performance du môme s’en prenant à l’employer de notre « homme » lui expliquant qu’il a été puni après « sa » lettre de menace ; la répétition de notre homme machinant l’interruption de son propre discours pour le rendre soi-disant moins formel (idée révélatrice des astuces de communication à vomir) ; la Tesla perdue dans un quartier chaud ; les différentes expositions absurdes mais plus vraies que « nature » dans le musée (dont une, faite de gravier démoli par le service d’entretien). En fait, tout serait bien plus réussi si on tournait moins autour de ce Square insignifiant, de la thématique de la confiance ou de l’inhumanité supposée des sociétés, et de leurs individus, modernes face aux petites injustices courantes de la vie. Même la polémique très hanekienne de la vidéo conçue pour être virale, on comprend ce que ça dénonce en creux (ou en cône de gravier), mais on ne peut pas y croire ou y adhérer comme dénoncé (d’autant plus qu’on a le mauvais goût de nous la montrer : non pas que ce soit terrible à voir, on sait que c’est du cinéma, mais bien parce qu’elle n’atteint jamais son but supposé, à savoir choquer).


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Max mon amour, Nagisa Ôshima (1986)

Prends les bananes et tire-toi

Note : 1.5 sur 5.

Max mon amour

Année : 1986

Réalisation : Nagisa Ôshima

Avec : Charlotte Rampling, Anthony Higgins, Victoria Abril

Jean-Claude Carrière dans ses œuvres. Ce n’est pas assez de foutre le boxon dans la filmographie de Buñuel, il faut qu’il fasse de même avec Ôshima. Carrière doit être aussi peu talentueux qu’il est sympathique. Effrayant.

C’est quand même foutrement affligeant et sans le moindre intérêt. On change le singe pour un vrai amant et on voit, là, le ridicule, ou la nullité, de la structure du récit. Il ne suffit pas de prendre un sujet… absurde. Sinon on fait n’importe quoi. Demande à Beckett, Jean-Claude.

Ce qu’il y a de plus épouvantable (ah et encore je me tâte avec la photo horrible de Raoul Coutard digne d’un Sacha Vierny), c’est le casting. L’absurde est là peut-être aussi. Prendre des acteurs français (ou espagnole pour Victoria Abril) pas si mal pour des seconds rôles face à un acteur britannique jouant phonétiquement en français, dirigé par un réalisateur japonais et donnant la réplique à un singe… Au milieu de tout ça, Charlotte Rampling semble venir d’une autre planète : des éclairs de génie, et puis forcément, sans direction d’acteurs, les égarements un peu coupables et fainéants des génies qui ne se foulent pas trop.

Pierre Étaix, Fabrice Luchini et Sabine Haudepin, ces trois-là à sauver. Les autres, le bien sympathique Carrière en tête, à la poubelle.

Une réplique résume assez ce qu’on éprouve en regardant le film : « Tu veux nous voir faire l’amour, Max et moi ? Eh ben regarde par le trou de la serrure si tu y trouves un quelconque intérêt ! » Ben oui, ça n’en a aucun.

Le problème avec la zoophilie, ce n’est pas que c’est subversif (ça ne l’est pas), c’est juste que c’est dégoûtant. Ça ne pose même pas question. « Mais tu n’as pas compris le film, c’est absurde ! » Non, non, le point de départ est absurde, seulement le problème c’est qu’il est justement trop attaché au monde réel, petit bourgeois, et qu’il masque mal son côté amateur et son artifice grossier. De l’absurde, c’est quelque chose qui glisse inexorablement et parfois imperceptiblement vers un monde qui ne peut plus être le nôtre, on essaie de comprendre, on s’interroge, on est fasciné, et on rit aussi. Bref, c’est Buffet froid. Je n’ai jamais compris l’intérêt qu’on pouvait avoir pour les histoires de Jean-Claude Carrière, qui sont d’un vide absolu. On dirait un diplomate sortir une vanne à l’anniversaire de son fils. « Oh, oh mon Dieu, Monsieur le diplomate, comme vous y allez ! »

 

Max mon amour, Nagisa Ôshima 1986 | Serge Silberman, Greenwich Film


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Break-up, érotisme et ballons rouges, Marco Ferreri (1965)

Scènes de la vie conjugale

L'uomo dei cinque palloni

Note : 4 sur 5.

Break-up, érotisme et ballons rouges

Titre original : L’uomo dei cinque palloni

Année : 1965

Réalisation : Marco Ferreri

Avec : Marcello Mastroianni, Catherine Spaak

— TOP FILMS

Film rare et ce que j’ai vu de plus digeste du bon Marco jusque-là.

Le ton du film flirte en permanence avec l’absurde et la futilité d’une obsession qui finira par tuer Marcello. Une de ces morts inéluctables, plus symboliques, voire paradoxalement nécessaires, que réellement tragiques. La satire, la farce, permet cette distance avec la mort.

La preuve encore que c’est rarement la finalité d’une quête qui importe, ni même parfois son sens, mais bien le parcours emprunté jusque-là. Car le plus étrange, c’est moins l’intérêt que Marcello porte à ses ballons (et à l’air qu’ils peuvent contenir) que les rapports qu’il entretient avec sa jeune mariée. Tout peut être prétexte, ou matière, à discussion. On peut regarder le comportement des animaux dans un zoo en étant fascinés, et on éprouve un peu la même fascination ici pour cette vie de couple, plus faite de petits gestes, d’attentions, de jeux, de bisbilles, que de grandes envolées dramatiques.

Il y a ici certaines des séquences les plus belles et les plus justes décrivant les relations entre amoureux. Beaucoup d’ingéniosité (de Mastroianni essentiellement), de tendresse et de jeux entre deux acteurs magnifiques (la femme de Marcello est jouée par Catherine Spaak, quelques années après Le Fanfaron).

Le film est en noir et blanc en dehors d’une séquence ajoutée plus tard et plutôt inutile dans une boîte de nuit où Mastroianni se trouve perdu au milieu d’une orgie de ballons multicolores…


 

Break-up, érotisme et ballons rouges, Marco Ferreri 1965 | Compagnia Cinematografica Champion, Les Films Concordia


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Le Soleil blanc du désert, Vladimir Motyl (1970)

Huit femmes à abattre

Beloe solntse pustyni

Note : 4 sur 5.

Le Soleil blanc du désert

Titre original : Beloe solntse pustyni

Année : 1970

Réalisation : Vladimir Motyl

Avec : Anatoliy Kuznetsov

Plutôt intriguant. Les deux premières minutes provoquent un petit choc esthétique comme seuls les films russes peuvent en produire. Évocation d’un pays verdoyant et d’une femme à laquelle le personnage principal écrit une lettre. Ces évocations lyriques reviendront souvent ponctuer le récit. L’opposition entre les deux univers est si marquée qu’on comprend l’empressement de Fyodor à vouloir quitter ce paysage désertique pour rejoindre cette femme qui pourrait tout autant n’être qu’un rêve. On pense à cet instant au Quarante et Unième, tourné 14 ans plus tôt par Grigoriy Chukhray, à la différence notable que, là, la romance était bien réelle et le sujet principal.

Le film en fait révèle peu à peu sa nature protéiforme, baroque, absurde, et surtout pince-sans-rire, désabusée. Après cette magistrale introduction (qui se révélera n’être donc qu’une sorte de contrepoint ou de fausse piste, à la limite de la parodie), et un générique original, l’absurde apparaît aussitôt quand Fyodor tombe en plein désert sur un homme ensablé jusqu’au cou (on n’est pas loin d’El Topo, mais là où Jodo bifurquera vers le surréalisme, on glisse plutôt ici vers l’humour, qui là ferait alors plutôt penser à Kin-dza-dza !). Fyodor qui entamait tout juste son retour au pays se voit alors contraint d’aider quelques femmes locales que les rouges viennent de libérer de leur mari (au singulier). On est dans le théâtre de l’absurde : on comprend tout de suite, à l’empressement de l’officier à lui refourguer la mission, à quel point la tâche ressemble plus à un travail de Sisyphe pour un homme œuvrant pour la cause révolutionnaire, car au fond, loin de mener ces femmes à bon port, et les sauver de l’emprise de leur « maître », le plus dur sera surtout d’arriver à leur faire comprendre que grâce à la révolution, elles sont désormais libres. Or ces femmes n’y comprennent rien, et c’est là que l’humour pointe timidement déjà son nez. Ces femmes sont voilées et présentent l’étrange allure des Jawas : une capuche laissant entrevoir un gouffre béant en place du voile ou du visage, ne manquait alors que les petits yeux rouges… Une situation, et une troupe improbable, propices aux situations cocasses, c’est certain, mais toujours avec la subtilité de ceux qui prennent soin de pas y toucher. « Drôle, moi ? Jamais. » C’est sans doute à ce prix que le mélange des genres réussi. Les gags sont rares et jouent sur le hiératisme, un peu comme le lyrisme des évocations de la femme de Fyodor joue sur les images immobiles, mais la comparaison s’arrête là. Tout se joue alors sur le contrepoint, l’humour, ou le cocasse, s’immisçant toujours en s’opposant au silence, au vide, à l’immobile. (La scène la plus hilarante toutefois, est la plus osée, quand pour ne pas dévoiler leur visage, les femmes remontent leurs “jupes”, laissant ainsi, nue leur petit ventre, parfois jusqu’aux seins… Absurde, mais tellement amusant.)

Le film perd malheureusement un peu de son souffle initial, et malgré les 80 minutes, on finit par trouver le temps long. De la guerre entre immobilisme et jaillissements intempestifs, c’est le premier qui a trop vite gagné la partie.

La musique est formidable, surtout pour accompagner ces évocations, non pas d’un passé révolu, mais d’un futur espéré. Et dans ces mêmes scènes, la photo, le montage, tout y est parfait et conforme à ce que les Soviétiques pouvaient alors proposer et qu’on ne voyait que trop peu ailleurs (Visconti, Kubrick, Nichols ou Trumbo utilisaient ce même procédé). L’art de la virgule, ou du contrepoint, c’est bien, mais on aimerait aussi pouvoir s’enthousiasmer sur l’essentiel.


Le Soleil blanc du désert, Vladimir Motyl 1970 | Beloe solntse pustyni / Белое солнце пустыни Lenfilm Studio, Mosfilm, Eksperimentalnoe Tvorcheskoe Obedinenie 


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L’obscurité de Lim

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