Moonlight, Barry Jenkins (2016)

Effleurages mignons

Note : 3 sur 5.

Moonlight

Année : 2016

Réalisation : Barry Jenkins

Avec : Mahershala Ali, Naomie Harris, Trevante Rhodes

Assez inoffensif. La mise en scène est élégante, la photographie jolie, l’interprétation parfaite… mais l’histoire est presque aussi parlante que son personnage principal.

On ne peut que louer les intentions, quoi… inclusives, du film, mais réaliser un film qui se révèle être exclusivement illustratif, sans réelle opposition ni évolution autour d’un thème principal, ça limite les possibilités de s’enthousiasmer pour lui. On ne fait jamais qu’effleurer les choses, les évoquer, sans jamais rentrer dans le vif du sujet. Après 45 minutes de film, j’étais encore en train de me demander quand l’introduction serait finie.

Il n’est pas interdit de proposer un film entièrement illustratif, qui serait une sorte de chronique, le problème dans ce cas, c’est qu’il faut montrer autre chose : une densité dans la description sociale ou psychologique, ou au contraire jouer à fond la carte de l’introspection et du mouvement poétique. Or, Barry Jenkins filme comme un thriller ou comme une histoire d’amour (on sait depuis Hitchcock que c’est la même chose), et le film s’arrête sans doute là où il aurait pu commencer à devenir une histoire d’amour. Le souci de faire le choix d’un récit éclaté sur plusieurs époques : impossible de s’identifier aux personnages et de creuser leur relation sur la longueur (l’ellipse viendra toujours vous couper dans votre élan).

L’élégance de la mise en scène laisse entendre que le film aurait pu insister un peu plus vers cette possibilité poétique ou introspective (l’élégance du montage, à travers ces rares propositions d’images « hors continuité temporelle » peut être un facteur de distanciation efficace dans un récit, pas simplement une sophistication vaine ou à peine développée comme ici), mais le fait de rester dans cet entre-deux, sans réelle prise de risque, rend surtout le film trop inoffensif.

En réalité, on a probablement là matière pour un moyen métrage. On pourrait même craindre qu’en faire si peu, en montrer si peu sur des relations supposées interdites dans un tel milieu, serait une manière de ne pas assumer son sujet… Un paradoxe. Et le film est si inutilement précautionneux et allusif qu’il donnerait presque à penser qu’il aurait pu être réalisé dans les années 60-70 où un tel sujet aurait été autrement plus commenté par la communauté visée. En cela, le film rappelle l’approche minimaliste de Loving de Jeff Nichols, avec cette impression de voir un cinéaste chercher peut-être à être subversif en traitant d’un sujet qui au vingt et unième siècle n’a plus aucune raison de l’être en l’absence d’une réelle proposition permettant de poser un regard unique sur lui. Dans la société américaine actuelle, ou dans la communauté noire dépeinte dans le film, cette seule évocation du sujet, peut-être cela suffirait-il, mais au cinéma, pour un public plus général habitué à bien autre chose, certainement pas : en un siècle, il a eu le temps d’évoquer tous les sujets possibles à l’avant-garde des sociétés. Il faut donc être un peu naïf pour penser qu’une évocation seule sans angle ou proposition esthétique supplémentaires puisse suffire, ou être un conservateur refoulé s’amusant à feindre la subversion pour mieux finir par retourner d’où il vient.

C’est un peu le drame des films réalistes américains de ces vingt ou trente dernières années à la sauce Sundance : on pense faire étalage d’une réalité sale et brutale quand on ne fait en fait qu’illustrer une nouvelle forme de politiquement correct. Ce n’est pas un cinéma « indépendant », c’est un cinéma universitaire. Donc de riches pour les riches. La caméra est censée se tourner vers les petites gens, l’Amérique profonde, loin des quartiers riches de Californie ou de la côte est omniprésents dans les « films de studio », mais rien ne dépasse, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Même les dealers enlèvent leurs fausses dents en or pour manger une petite salade cubaine et raccompagnent leur date sans oublier de mettre le clignotant avant de tourner à droite. C’est mignon, c’est inoffensif, et donc parfait pour les Oscars.


 

Moonlight, Barry Jenkins (2016) | A24, PASTEL, Plan B Entertainment


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