‘Le chat qui fume’ édition et DVD durables

Les capitales

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Il n’est jamais bon de se lancer dans des discussions sur Twitter (ou ailleurs sur les réseaux sociaux). D’habitude, quand je pose des questions innocentes, on ne me répond tout simplement pas. Au mieux, on ne me lit pas, au pire, on me prend pour un troll. Mais quand on me répond, j’avoue que je ne retiens jamais cette promesse que je peux me faire à moi-même quand je me retrouve embarqué dans des discussions qui n’en sont en fait pas vraiment. Les gens défendent leur gagne-pain. Leur cerveau est configuré en fonction de leur porte-monnaie. Donc quand on ose remettre en question une partie de ce qu’ils font, ils n’hésitent pas à raconter n’importe quoi, et au lieu de vous répondre, finissent par utiliser la méthode classique du retournement (entre autres) pour déplacer le problème que vous soulevez dans votre jardin. Vous pourriez leur opposer tous les arguments du monde, ils ont leur bifteck à défendre, et ils déploieront toute la mauvaise foi imaginable pour ne pas voir la réalité à laquelle vous tentez de les soumettre.

Je devrais essayer une fois de plus de me rappeler qu’aucune discussion n’est possible, où que ce soit, avec qui que ce soit, et que la réalité des échanges entre personnes sur les réseaux ou ailleurs doit strictement se constituer d’amabilités. Et comme c’est loin d’être mon truc, il serait bon que j’arrête tout bonnement de discuter. Cependant, je me connais, je suis curieux, et je pense malgré tout que certaines questions méritent d’être posées (tandis que les réponses profitent toujours in fine à celui qui ne veut pas y répondre).

Gardons ça là, pour mémoire.

Ici, il est question de l’utilisation du terme « durable » dans une pétition regroupant le monde de l’édition physique de films DVD. Je n’ai rien, a priori, contre les éditeurs de DVD, la plupart sont également distributeurs dans des cinés d’art et d’essai, mettent en lumière certaines œuvres rares ou méconnus, et participent ainsi à faire connaître des auteurs, des univers, des cinéphilies en marge ou du « patrimoine ». Quand ils se contentent d’être des marchands en profitant du talent des autres, c’est déjà moins ma tasse de thé, mais impossible de faire un tel procès d’intention quand on ne connaît pas les structures ou les personnes qui les constituent — et même à ce stade, je veux bien concevoir que leur profit particulier puisse également bénéficier à ceux qu’ils mettent en lumière ou à qui ils « délivrent » leurs produits.

Là où ça commence à me poser problème, c’est quand on prétend, en plus de ce que je viens de mentionner et qui est louable (salut à toi, feu Vidéo Futur), qu’on est un secteur « durable ». La phrase qui attire mon attention, c’est « [La vidéo physique] propose de beaux objets, durables, transmissibles et qui répondent à une envie unique, à l’opposé de la culture au débit ».

« Durable », c’est quoi ? Depuis quelques années déjà, quand on parle de « durable », que ce soit les produits ou leurs moyens de production, c’est relatif à l’environnement. Et sans trop être spécialiste, on comprend depuis un moment déjà que c’est pour qualifier un produit ou un moyen de production vertueux, à opposer à un autre qui serait polluant, énergivore ou rapidement obsolète.

Je pose donc ma question en toute innocence, adressée au compte de celui qui a partagé la page de la pétition où tout ce petit monde de la distribution demande de l’aide en ces temps de crise :

Juste une question : « Elle propose de beaux objets, durables, transmissibles » En quoi, le support physique est-il durable ?

Le chat qui fume, c’est le nom de l’éditeur DVD, répond :

Ah bon, c’est une si étrange question de demander en quoi un DVD est-il un produit durable ? Ça coule de source, non ?

Là, je lui explique qu’un DVD, c’est fait principalement en plastique, et ironiquement, je lui dis que s’il est « durable », c’est dans le sens où il peut potentiellement rester durablement dans la nature. Autrement dit, ce n’est pas biodégradable. Bref, je lui dis que ça se recycle mal (les boîtiers sans doute plus que les DVD eux-mêmes qui sont constitués de plastique et de métaux, et là, aucune technologie n’est capable de recycler à 100 % un tel produit, et si c’était possible, ce serait immensément cher et énergivore ; et puis, loi de l’entropie oblige, on ne revient jamais à un état précédent, c’est irréversible, donc en soi, le recyclage, c’est mieux, mais ce n’est pas la panacée qui rendra la société de consommation… « durable »). Et j’insiste sur le fait que, que ce soit après dix jours ou dix ans, un tel produit, on va bien finir par s’en débarrasser, et pour la planète, ça revient strictement au même. Tu stockes trente ans ton plastique sur des étagères, tu meurs, ben, à l’échelle géologique, c’est comme si ça retournait tout de suite dans la nature. Et le pétrole, il ne va pas retourner à la nature sous forme de nappe d’hydrocarbure piégée dans un sous-sol saoudien, il va se répandre dans l’air ou sous forme de microparticules dans les océans. Tu regardes ton film de deux heures, tu le laisses vingt ans dans ta bibliothèque, avec un peu de chance, il suit un cycle de recyclage, puis peut-être, ô miracle, un autre, au final, ton produit d’origine, il ne va pas retourner bien au chaud dans la poche où il était piégé depuis des millions d’années. Donc oui, ironiquement, on peut dire que c’est « durable ». Une pollution durable.

Il ne comprend pas l’ironie, donc pour lui il n’y a pas débat : je reconnais que c’est « durable ». OK.

Là, je deviens moins poli, Esther.

Ici, le petit pollueur en herbe repousse sa responsabilité écologique sur le grand épouvantail de notre époque, la Chine.

Oui, parce que si le racisme, c’est moche, j’aimerais bien comprendre un jour pourquoi le racisme anti-jaune est toujours aussi bien accepté. Parce qu’ils sont loin et ne peuvent se défendre s’en doute. Plus t’es loin, plus t’as tort. Après, je veux bien croire que la Chine soit le plus gros pollueur du monde, mais non seulement c’est pas le sujet, mais ce n’est pas ce qui est dit. Et pour faire dans le personnel, des t-shirts chinois, j’en ai justement renouvelés mon stock, il y a quatre ou cinq ans, et ils sont d’excellente qualité (après, c’était pas tout à fait 3 €, mais à ce prix-là, faudrait que je teste dans dix ans pour ma prochaine garde-robe… — oui, parce que chez moi, les t-shirts, même chinois, ça me fait vingt ans ; il me reste même quelques affaires achetées il y a 30 ans et qui font pour certaines un lavage tous les mois).

Ma réponse :

Je le traite de pollueur et de xénophobe, normal de ne pas apprécier. En retour, il paraît que ça le fait marrer de voir un mec aussi stupide que moi.

Je le fais peut-être marrer, mais là il a raison. Faudrait que j’arrête de tweeter.

En revanche, il faut oser dire que mes tweets et mon site polluent plus que son usine à plastique. Oui, mes activités polluent, j’en suis le premier désolé. Mais 1/ j’essaie tous les jours de réduire mon impact et je crois pas trop me tromper en disant qu’il est relativement faible en comparaison avec les hommes de mon âge vivant dans la même région… 2/ c’est pas ma consommation d’énergie qui pose problème, je suis pas à prétendre que je fais du « durable » (sauf si on considère que les longs articles, c’est « durable »…).

Je réponds :

(Quand je commence à appeler un mec « mec », c’est pas bon signe, mais on est d’accord pour dire qu’un « mec » qui se fout aussi ouvertement de ma gueule, ça mérite pas beaucoup de considérations, si ?)

Non, je ne le dis pas, parce que :

Dans l’article en question, ça dit bien qu’il y a des voies pour tenter de recycler les DVD, mais d’une part, c’est très limité, ce n’est pas obligatoire, et surtout, ben… c’est pas effectif. Dire qu’un objet est recyclable, ça ne veut pas dire qu’il sera recyclé. Et encore une fois, même si une bonne part de ces objets « non durables » était recyclée, elle ne pourrait pas l’être ni en totalité, ni à l’infini.

Mais je pense qu’il n’apprécie pas mes aphorismes récessionnistes.

Le pollueur qui dégrade la planète sans le savoir doit apprécier Molière pour balancer autant d’apartés. Ce sera sans doute le seul point commun qu’on pourrait se trouver.

Après, sa question m’interroge… On peut vraiment penser qu’il faut polluer pour se cultiver ?! On se cultive seulement depuis la révolution industrielle ? Depuis l’apparition du… DVD ? Depuis qu’on pollue ?… Ah.

Et puis, jolie tentative d’attaque ad hominem concernant ma culture personnelle. On dirait un gamin dans une cour de récré qui tente de filer un coup de pied aux couilles d’un camarade, le rate, et se retrouve les fesses au sol. Même Milou a plus de repartie.

Mais d’accord, ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est le « durable », hein. Mais comme je suis stupide, je me fais piéger par son concours de bites, et je continue sur sa lancée au lieu de revenir au point initial :

Ensuite, c’est lui qui pose une question intéressante :

C’est beau cette naïveté, feinte ou non, du pollueur qui demande comment sauver le monde s’il ne peut pas le polluer. Mais oui, comment ?!

(Et puis, maintenant, je sais qu’on écrit DVD avec des capitales, parce que c’est CULTUREL.)

Les DVD, c’est du plastique et du métal, y a besoin de quoi d’autre comme argument pour lui faire comprendre que c’est pas « durable » ? C’est si difficile à comprendre ou on est à niveau de greenwashing qui ne convaincrait même pas un actionnaire Total.

Alors comme je ne suis pas un troll, mais un emmerdeur attaché au sens des mots, soucieux du devenir de la planète (un peu plus que les hommes — et quand je dis « planète », je pense surtout aux autres animaux, à toutes les richesses végétales, voire minérales, qu’on est en train de saloper en un clin d’œil), je lui réponds :

Et pour compléter, honnêtement, je ne vois pas où pourrait être son piège. Si c’est le détail écolo-bobo qu’il fournit par la suite, c’est, disons… assez pathétique : ils vendent leurs DVD donc… dans des boîtiers en carton. D’un coup, je me sens transporté dans un magasin Nature & Environnement, je suis impressionné.

Maintenant, c’est lui qui trolle :

C’est amusant, quoi qu’on fasse sur cette planète, c’est toujours « utile ». C’est probablement ce qu’ont toujours essayé de dire ceux qui travaillaient dans des secteurs dépassés pour convaincre leurs contemporains de continuer à faire appel à eux. « Utile. »

Le bonhomme essaie de me tendre des pièges sur ma propre consommation. Je rappelle que c’est un type qui parle au nom d’une boîte de produits de consommation, et qu’il répond à un particulier qui lui demande en quoi son secteur est « durable » en lui demandant, à lui, si sa consommation est vertueuse…

« Monsieur Total, vous polluez ! » « Et toi, petit Africain, tu crois que tu pollues pas ! »

Pour répondre, je sors ma plus belle paire de grolles :

Bon, les normes de grandeur sont un peu exagérées. Tout le monde n’est pas forcément capable de garder des chaussures si longtemps ou de rafistoler à l’infini comme je le fais… Mais l’idée est là. Un DVD, il est « utile » combien de temps à celui qui l’achète comparé à une paire de chaussure ?… Sans compter que, si de plus en plus souvent on se chausse en pétrole, le cuir est encore très largement utilisé, et pour plusieurs raisons : c’est de meilleure qualité, ça dure bien plus longtemps et ça peut être rafistolé. Mais pour sûr, on trouve moins de bonus avec des grolles confectionnées bêtement en cuir.

J’ai ensuite droit à du haut niveau :

Réponse :

Sa réponse :

Ne pas voir la différence entre le papier et le DVD, c’est un peu flippant quand même.

Et puis j’ai droit à la plaidoirie habituelle (quoi que j’ai échappé à d’autres arguments du genre parfois utilisés : « je suis entrepreneur, je fais travailler des gens, nous sommes dans le local, si vous ne nous aidez pas, ce sont les multinationales qui gagneront », etc.) :

C’est très bien tout ça, mais ça répond à la question ? Est-ce que c’est pour autant durable ? J’ai aucun problème avec le fait de dire qu’il faut qu’il y ait des animateurs de la vie culturelle. Mais est-ce que c’est « durable » ? Si je vends du pâté, je vais pas en plus prétendre que c’est bon en lotion énergétique pour le corps. Ici, le problème, c’est pas de polluer dix ou cent, mais de dire ou non si c’est « durable ». Oui, je suis chiant. Mais on peut faire des trucs (par ailleurs légitimes) sans raconter de la merde, non ?

Je réponds donc :

Je pose une question légitime : en quoi est-ce “durable” de faire de l’édition de DVD. Tu vis sur une autre planète pour ne pas être concerné par les enjeux environnementaux ou ça te fume et tu préfères regarder ailleurs en prétendant que le problème vient… des Chinois ?

Et c’était ma dernière intervention. Ses réponses étaient tellement crétines que j’ai commencé à me dire que j’allais surtout recopier tout ça dans un article pour me calmer, tout en me promettant d’essayer à l’avenir d’arrêter de mettre les gens dans leur caca. Je suis mal élevé, non seulement ça ne se fait pas, mais surtout ça ne change rien et je passe pour un troll (doit y avoir du vrai, maman troll m’ayant toujours dit qu’il y avait pas grand-chose d’humain en moi).

Ses réponses pour finir, la première (celle en bas sur la capture) m’a tout de même fait éclater de rire.

Je le laisse deviner.

Bref, non seulement, pas question pour moi d’aider un secteur qui lâche des déchets dans la nature en prétextant qu’ils sont « la culture », mais si en plus je venais à tomber sur un film distribué par ce chat fumant, j’irais directement aller le télécharger pour avoir accès au film source (moi, j’aime la culture, l’originale) et pour boycotter des pollueurs qui nous enfument en prétendant faire du « durable ».