Éducation

Je suis contre.
Je n’ai jamais compris la nécessité de montrer des œuvres de cinéma dans le cadre scolaire. Et j’ai encore moins compris le fait de faire participer des « acteurs de l’histoire ». Si c’est en marge des cours, pourquoi pas, comme on monte des clubs d’astrologie ou de théâtre, mais un cours doit rester objectif. Or, une œuvre, ou un témoignage direct, c’est de la pure subjectivité. Et on change les classes pour en faire des cafés du commerce. Ce n’est pas le rôle de l’école. Autrement, pour sortir de l’émotion et du racolage moralisateur qui sont tout sauf de l’histoire, il faudrait également illustrer un cours en diffusant aux élèves Le Juif Süss. Pas sûr que ce soit bien perçu à la fois par les élèves, leurs parents ou les professeurs. Quoique… On comprendrait alors qu’on ne fait qu’illustrer un cours d’histoire en se forçant à prendre du recul par rapport à une œuvre.
Est-ce qu’on pousse à la distance quand on regarde un film ? J’en doute. Il faudrait alors précéder ce visionnage d’un cours d’histoire de l’art ou de philosophie, c’est sans fin.
Je me souviens avoir également vu Germinal à l’école pour justifier de je ne sais quel cours. Et ça ne fait là encore qu’enfoncer le clou sur l’incohérence d’un système scolaire qui se veut désormais grand maître de la morale et des consciences en remplacement des religions. Tout faux. Va expliquer ensuite à un môme la cohérence des prises de position de l’État sur tel ou tel sujet, comme ces derniers jours sur la différence de traitement de Charlie Hebdo et Dieudonné concernant la liberté d’expression. L’école délivre des savoirs objectifs, non des niaiseries plus ou moins grandes au service d’un pouvoir, d’une idée ou d’une morale.
Qui va les définir ces valeurs humanistes ? Chaque professeur dans son coin ? Désolé, j’ai eu des professeurs communistes, racistes, anarchistes, cathos et sans doute bien autre chose, et tout en s’en défendant, chacun utilisait des œuvres pour illustrer leurs croyances personnelles ou leurs valeurs. Les élèves n’ont pas à être abreuvés de telles conneries. C’est déjà assez compliqué de proposer un regard objectif sur l’histoire pour qu’en plus les professeurs se permettent d’utiliser des œuvres comme support de leurs seules convictions. Il n’y a pas à s’étonner ensuite que ces élèves en aient après « l’autorité ». Pourtant les professeurs n’ont fait que propager la bonne parole, ils ne comprennent pas…
J’ai bien compris que c’était ce vers quoi l’éducation nationale tendait depuis 30-40 ans, et je comprends que pour des professeurs, c’est plus valorisant de procéder ainsi. Seulement, pour moi, il est bien là l’échec du système basé sur l’enseignement de principes vaporeux dont l’interprétation est laissée aux professeurs, non sur la transmission stricte d’un savoir. Même en sciences humaines. Ça part de bonnes intentions, toujours, et toujours on en finit par tomber dans les mêmes mièvreries qui dénaturent la réalité des faits. Ça, c’est le rôle de l’art, donc d’un film.
Le problème de la mise en avant de la subjectivité du professeur (ou des élèves, puisqu’ils sont invités à réagir, et comble de l’horreur pour moi qui refusais de participer, on te fait bien comprendre, et on te note en fonction de ta capacité à participer à ces brèves de comptoir…), c’est que quand tu réveilles tout à coup un ou deux élèves qui jusque-là n’étaient pas intéressés, tu en perds quelques autres pour les mêmes raisons. C’est ainsi que les profs font appel à l’affect, aux sensibilités et finalement aux affinités et au copinage pour intéresser les élèves, et que par conséquent, on en vient à se plaindre que trente élèves (potes) par classe, c’est trop. Forcément, si être treize à table, c’est déjà le maximum, trente, c’est plus possible. Que certains élèves, à cause d’un manque d’affinité avec tel ou tel professeur, décrochent complètement, on s’en fout pas mal parce qu’on ne veut voir que ceux qui tout à coup s’intègrent dans le beau mythe du « j’ai été sauvé par mon prof de… ». Et ça entretient l’idée que dans sa vie professionnelle, pour réussir, il faut pratiquer le copinage et accepter les usages de “cour”. Ça ne me paraît pas tout à fait cohérent avec les « valeurs humanistes » ou républicaines qu’on voudrait nous inculquer par ailleurs. Il y a même peut-être là-dedans une des raisons pour lesquelles les étudiants français sont parmi ceux qui décrochent le plus à la fac. Quand tu te retrouves là, pour le coup (et ça concerne aussi les sciences humaines), dans des amphis sans possibilité réelle de t’acoquiner avec le professeur, ça peut faire un choc (c’est combien la limite en amphi ? trente ?).
Et je ne parle pas des élèves, certes en minorité, qui ne sont pas réceptifs du tout à ce qui est “subjectif”, qui s’ennuient comme des rats morts en cours, et qui parce qu’ils attendent en vain l’apparition de faits objectifs au milieu d’un habillage de chantilly bon à amadouer les papilles des autres élèves, finissent eux aussi à décrocher (quand on ne leur demande pas de sortir tout simplement). Quand tu présentes un film à des élèves et que tu le fais précéder ou suivre d’un débat, d’un recadrage ou de je ne sais quoi, certains, avec ce mélange de subjectivité et d’objectivité, finissent par être complètement perdus à ne plus savoir ce qui est en rapport avec l’art, la poésie, la suggestion, l’émotion, et ce qui est en rapport avec le fait historique. A+B+C+D, quelque chose de carré, de concret. Or, même sans utilisation de support… (comment disent-ils déjà ?) transversal (peu importe), comme un film, certaines disciplines (humaines) sont parasitées par une approche qui pour certains ne fait absolument pas sens. L’intervention du subjectif jusque dans des savoirs pratiques, concrets, dans ce qui doit pourtant servir de base pour la suite à ces élèves ne fait que parasiter le savoir qu’on est censé leur prodiguer. Quand tu apprends la grammaire, l’orthographe, tu as besoin qu’on t’entoure tout ça de mièvreries subjectives ? Non. Alors pourquoi arrivés au collège ou au lycée, tout à coup, on en vient à tremper tout ça dans un bol de subjectivité ? Dans certaines disciplines, au bout du compte, les élèves ne savent plus si on leur demande de reproduire des faits objectifs, des connaissances, ou « un avis sur ». Et finalement, tu résumes l’enseignement à une trajectoire absurde que tu peux résumer ainsi : Question : « que pensez-vous de… ? » ; puis vient la correction contradictoire : « il ne maîtrise pas les savoirs fondamentaux de la discipline ».
Il y a des cours qui font appel directement et pleinement à la subjectivité ; ce sont les disciplines liées à la créativité (dessin, théâtre, cinéma…). Mais pour des disciplines comme l’histoire, le français ou la philo, qu’on ne me fasse pas croire qu’il n’y a pas des savoirs concrets délivrés en priorité aux élèves.
Enfin bon, je vois avec un immense plaisir que depuis vingt ans les méthodes n’ont pas changé. Je me sentirais toujours aussi peu concerné aujourd’hui (surtout lors des projections de films ou de ces horribles débats où tout à coup la classe s’anime comme au bistro du coin). « Ne semble pas bien concerné par ce qui se passe en classe. » Non, je confirme. Sans doute plus intéressé par les écureuils qui chahutent dans les arbres du parc (oui, j’ai eu de la chance) que par la « séquence émotion » du jour.
« On ne prépare pas des futurs citoyens en leur apprenant uniquement à gober et ingurgiter le savoir du professeur comme on le faisait avant, ça ne marche plus. »
Il est bien là le problème pourtant. La mission de l’école n’est pas de former des citoyens, mais de transmettre des connaissances. Avant oui, on ne faisait qu’ingurgiter le savoir et on retenait mieux les leçons. Manifestement, cette leçon qui ressort sur le niveau des élèves français, études après études, est une leçon difficile à ingurgiter.
C’est sur France Inter et l’émission « Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert » qu’il y était question de l’enseignement du cinéma par des professeurs. C’était follement intéressant de voir l’un des deux présentateurs s’insurger que cet enseignement soit fait par des professeurs d’un peu toutes les matières après des stages sommaires (voire aucun sans doute, je n’ai pas beaucoup de souvenirs). Je ne vois pas bien ce qu’on peut apprendre à des élèves si on se contente de faire un cours basé sur le principe de café du commerce ou si l’œuvre ne sert elle-même que de support à une autre discipline.
Pourquoi pas après tout. Si les profs sont convaincus que leur méthode est la meilleure et que si elle largue une partie des élèves, c’est parce qu’ils ne font pas preuve de bonne volonté (quand l’autre partie arrive à suivre parce qu’aidée à la maison).
On me répond : « Ta conception en dit très long sur l’invasion des sciences expérimentales et de leur logique froide sur le reste du savoir (sauf que même cette prétendue “logique” est en fait absente des sciences expérimentales quand on les étudie en profondeur). Or, l’histoire ne fonctionne pas sous cette forme de logique. L’enseignement des langues ne fonctionne pas avec cette logique non plus. »
Oui, j’ai en effet pu m’apercevoir que, par exemple, en anglais, l’apprentissage de la langue procédait à une logique propre. Une prononciation correcte doit certainement obéir à une science qui doit rester étrangère au professeur. Et gare aux intrépides élèves qui y décèleraient les incohérences d’un professeur à l’autre. Après tout, chacun sa méthode, chacun sa prononciation. L’anglais, c’est un état d’esprit, une façon d’être ; les langues ne fonctionnent pas avec la logique d’une science… (Yes, that’s a straw man; I’m a bit sarcastic.)
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