Portrait d’une jeune fille de la fin des années 60 à Bruxelles, Chantal Akerman (1994)

Note : 3 sur 5.

Portrait d’une jeune fille de la fin des années 60 à Bruxelles

Année : 1994

Réalisation : Chantal Akerman

Bien écrit, bien réalisé, mais comme à son habitude, Chantal Akerman dirige mal ses acteurs. Manque la fantaisie de J’ai faim, j’ai froid tourné dix ans plus tôt.

À noter deux séquences que Chantal Akerman montera dans son autoportrait tourné pour la télévision, les deux meilleures du film : le tout début montrant l’errance du personnage féminin décidant de faire l’école buissonnière ; et un plan-séquence tout en légèreté d’une danse à la boom, la caméra s’attardant le plus souvent sur Michelle, mais captant également les autres personnages, puis finissant sur elle en un long gros plan où elle regarde son amie partie avec un autre… La première séquence marche parfaitement parce qu’elle est improvisée, et démontre là encore une certaine fantaisie, un humour bien particulier (qui bien qu’improvisé est la marque du meilleur des Akerman) ; la seconde est sans dialogues, visuelle et très cinématographique.

Toujours les mêmes qualités et les mêmes défauts. Quand il y a des dialogues, quand on n’a pas une actrice formidable pour lui apporter un style et du rythme, ça ne marche pas. Ce n’est pourtant pas si mal écrit, comme toujours, mais Akerman vient du cinéma expérimental, et ça se voit. L’emploi de la caméra pourtant, a minima et durant tout le film, est formidable : quelques travellings latéraux (l’une des marques de fabrique de la réalisatrice), mais surtout une caméra mobile alternant les sujets, gros plans, plans à deux, permettant des champs contrechamps souvent dans le même plan.

À force d’expérimentation, en tout cas en fiction, au lieu de la recherche de l’expérience au sens « maturité », « expertise », Akerman donne l’impression de se chercher sans jamais trouver l’approche adéquate. Elle montre plus de certitude et de régularité dans ses documentaires.


Le film, tourné pour la télévision, fait partie de la collection d’Arte, Tous les garçons et les filles de leur âge, un des symboles de la nouvelle production française naissante dans les années 90, dont on trouve notamment Travolta et moi, US. GO Home ou la version TV des Roseaux sauvages.



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Gakko, Yôji Yamada (1994)

Great Teacher Yamada

Note : 4 sur 5.

L’École

Titre original : Gakko

Année : 1994

Réalisation : Yôji Yamada

Va me faire pleurer ce con…

Après deux chefs-d’œuvre dont la réalisation est séparée par près de quarante ans, il semble avec celui-ci se dégager l’esprit d’un auteur. Une sorte d’humanisme à la Uchida flirtant entre le drame, la comédie et le mélo. Si les deux premiers (Kiri no hata et Le Samouraï du crépuscule) étaient des films de genre, on est plus ici sans doute dans ce qui a marqué très probablement sa carrière : des comédies populaires du dimanche soir. On pourrait craindre de tomber dans du Joséphine, ange gardien, seulement les films de Yamada semblent au contraire jouir au Japon en plus d’une reconnaissance critique à en juger par la place des films de cette série sur l’école dans les classements de la Kinema Junpo (les deux premiers sont dans le top10 annuel, le troisième est film de l’année, sans compter les autres prix).

Il y a du Capra chez Yamada. Comme Capra, il purge l’humanité de ses mauvais côtés. Pas une trace de cruauté, d’arrière-pensées, de mauvaises intentions, de malentendus, de rancune… Tout n’est que bienveillance, solidarité, tolérance et amour. Un petit côté tire larme, c’est certain, mais quand c’est loin d’être idiot et que ça a la saveur tendre d’un marshmallow trempé dans le miel, on peut s’y laisser engluer sans grande résistance, personne n’est parfait.

Si la direction d’acteurs était plus hiératique dans Kiri no hata, on retrouve ici au contraire comme dans le Samouraï du crépuscule, une technique de jeu plus naturaliste. Les acteurs disposent d’une grande liberté de mouvements que le montage et le cadre ignoreront le plus souvent, pour donner l’impression que le récit suit les personnages et se tourne vers eux après qu’ils ont quelque chose à dire plutôt que ce soit au contraire les acteurs qui viennent obéir au rythme imposé par le récit. Cela laisse une place importante à la pensée (voire à l’improvisation) et l’acteur peut ainsi plus facilement laisser vagabonder son imagination, donc la nôtre. Si le récit n’appuie pas et n’annonce pas chaque élément important par un gros plan ou un mouvement de caméra, on se retrouve un peu comme dans un film d’Edward Yang où le hors-champ est presque aussi important que ce qu’on voit à l’écran. On n’en est pas à ce point, Yamada colle plus à ses personnages, mais il a la délicatesse de ne jamais trop en faire, du moins dans la manière de montrer (car dans le II, par son sujet plus casse-gueule — il est question d’handicapés mentaux — il va sans doute un peu trop loin dans son sujet). Comme dans Kiri no hata déjà, cette humanité s’accompagne ou se traduit avant tout par une justesse et une simplicité qui semble bien être la première caractéristique de Yamada. Ajoutez à ça des notes de musiques discrètes pour illustrer la nostalgie, la contemplation un peu naïve mais toute japonaise face aux éléments climatiques, et le tour est joué. Il y a chez Yamada un charme certain, une manière d’effleurer une forme de réel, ou d’idée du réel, idéalisée, qui ne laisse pas insensible.

L'Ecole, Gakko, Yôji Yamada 1994 NTV, Shochiku 3

L’Ecole, Gakko, Yôji Yamada 1994 | NTV, Shochiku

Il faut le reconnaître toutefois qu’on est en pleine supercherie. Le génie chez Capra comme chez Yamada est de nous présenter les hommes comme des saints. Le film surfe sur l’idée que des individus peuvent s’émanciper de leur condition en trouvant la lumière presque, une raison de se grandir, un refuge, à travers une salle de classe, un groupe, et un leader qui a tout pour mener cette petite troupe de ringards pas aidés par la vie, parce qu’il est lui-même parfait dans son imperfection, une sorte de James Stewart en pire, donc en mieux, plus vrai et gentil que nature. Le stéréotype du leader qui rayonne et infuse sur ses élèves grâce à une autorité molle et bienveillante. Je vous respecte, donc vous me respecterez en retour. L’histoire est toujours belle au cinéma, et forcément très éloignée de la réalité. D’un côté les élèves qui se retrouvent face à des profs qui les méprisent et de l’autre des profs qui méprisent leurs élèves parce qu’ils ne les respectent pas malgré… leur humanité. Ce n’était pas faute de leur avoir montré La vie est belle à Noël.

Nos profs pourront certes rester fascinés devant ces classes de douze élèves motivés malgré la fatigue ; des élèves volontaires comme le rappelle le prof au début du film quand il refuse l’affectation “diurne” qu’on lui propose. Motivé, motivé comme dit la chanson…, tout le monde est motivé. Et à la fin, un panneau tiré sur la corde nous explique qu’au Japon il existe aussi des classes de ce type animées par des volontaires. C’est à se demander pourquoi le monde tourne si mal puisque l’humanité est capable de tant de miracles… (Le dernier volet sera dans le même ton avec une classe pour chômeurs : on hésite entre Capra et Gérard Jugnot cette fois.)

Quand un élève montre un signe de faiblesse, de lassitude, de désespoir, ou s’effondre en larme, au cinéma, c’est un motif de compassion générale, et honnête, parfaitement gratuit, parce que ces personnages sont d’étranges robots à qui on aurait court-circuité toutes pensées torves et avides, des êtres sans calculs, comme ceux chez Imamura sans retenue. Au moins il y a une logique dramatique et une vision qui reste fascinante même si elle prend le risque à chaque fois de trop en faire…

On peut sourire aussi quand le prof encourage ses élèves à prendre la parole, il en ressort toujours quelque chose au cinéma, une sorte de morale positive qui chez Capra redonnerait foi en la république à un anarchiste ou en la vie tout simplement. La réalité est là encore bien différente, quand les professeurs jouent aux philosophes de comptoir, s’improvisent guides de la sainte parole humaniste, n’en sort que des leçons forcées, celles qui comme dans les mauvais films nous sont imposées. La meilleure des philosophies, ce n’est pas celle que savamment on nous explique, celle qu’on nous présente toute faite avec des contours moralisateurs tout prêts, mais au contraire où la logique qui la précède et la fait jaillir pousse et suggère une leçon. Ce n’est d’ailleurs pas autre chose qu’arrive Yamada à faire (probablement plus dans ce premier épisode que dans les deux suivants), car on a la sensation d’apprendre quelque chose qu’on ne saurait parfaitement exprimer… La liberté offerte au spectateur de se faire sa propre petite morale, c’est celle de l’expérience, le privilège des hommes depuis qu’on se raconte des histoires et qu’elles nous ont rapprochés les uns des autres, favorisant un esprit communautaire qui, il y a bien longtemps, voulait encore dire quelque chose. C’est bien sûr cet esprit, caché au plus profond de notre cerveau “humanien” que ce genre de films, fait appel. Et si cet esprit persiste, malgré tout encore aujourd’hui, si l’esprit communautaire n’est plus qu’un leurre (surtout au Japon où l’esprit occidental basé sur l’individu a cassé le lien traditionnel entre générations), c’est sans doute plus à des films qu’à une profession et à une mission, idéalisées comme il se doit dans le film. L’excellence est et sera toujours l’exception.

Étrange jeu avec la réalité en tout cas. User d’un style assez naturaliste qu’on enrobe d’effets et de musique mielleuse pour évoquer à travers une idée idéalisée de la réalité, un rêve. À force de ne plus savoir où on est, on finit en effet par se laisser convaincre que tout cela est crédible. Comme la magie, on n’y voit que du feu. Les plus grincheux et les plus cyniques pourraient se surprendre à s’y laisser prendre.

Le résultat, arrivé au bout des trois films, est pourtant très inégal. Trop souvent Yamada semble forcer ses effets et ses intentions bienveillantes frisent trop souvent le ton sur ton et la leçon de morale. Cet humanisme est bien plus efficace appliqué à des films de genre où justement il peut appliquer cette approche pour en faire un contrepoint avec ce qu’on peut attendre d’un polar ou d’un film de samouraï.

À noter une particularité dans le dernier film : l’histoire n’est plus centrée sur le professeur (qui n’est plus l’acteur des deux premiers) mais sur deux des élèves (le film aurait tout aussi bien pu être indépendant des deux autres, on reste « à l’école » à travers un stage estival mais le film est surtout plus une romance avec comme fond les difficultés sociales et familiales des deux principaux personnages — et Yamada y loue encore les vertus de l’esprit de groupe).



Sur La Saveur des goûts amers :

Top films japonais

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Sátántangó, Béla Tarr (1994)

Mon petit poney

Le Tango de Satan

Satan's Tango

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : Sátántangó 

Année : 1994

Réalisation : Béla Tarr

Avec : Mihály Vig, Putyi Horváth, László Lugossy

Quelques précisions. Jusqu’à présent concernant Tarr, je n’ai jamais entendu dire que techniquement c’était formidable, sans se donner la peine d’expliquer précisément en quoi ça l’était. La réponse est simple : ça ne l’est pas. Dans la fameuse scène des astres dans Les Harmonies Werkmeister ce qu’il fait tourner, ce sont ses prétentions. Ses admirateurs auront vite fait de se joindre à lui. Tarr, c’est un grand vide spatial et une magnifique escroquerie. Je lui reconnais au moins ce talent.

Les plans-séquences hautement revendiqués, et remarqués, comme tels, n’ont jamais rien exprimé d’autre que la haute suffisance des cinéastes qui les mettaient en scène. C’est, au théâtre, comme utiliser des acteurs nus sans justification. (Ah, d’ailleurs…) Cette justification doit se faire à l’intérieur même de l’œuvre et doit apparaître comme une évidence, et pour cela il faut que tous les éléments du récit suivent la même cohérence. S’il faut pour trouver une justification à ces prétentions chorégraphiques, feuilleter des bouquins, des interviews, ou plancher sur des thèses, ce n’est plus du cinéma, mais une sorte de cour autosuffisante qui se nourrit et produit pour elle-même. C’est ce qu’il y a de pire dans l’art. Des escrocs, et des opportunistes qui légitiment leur escroquerie en leur donnant un sens qu’ils n’ont jamais donné. Tarr peut parler à quelques-uns, c’est certain, il y a une volonté, ou une ambition, poétique, je ne le nie pas. Ce n’est pas pour autant qu’il faille y voir des prouesses techniques ou un intérêt fou. C’est du niveau de Gaspar Noé, tout en étant à l’opposé de ce que l’autre propose. Ce sont avant tout des recherches esthétiques. Et un artiste qui continue de chercher au lieu « d’avoir trouvé » pour moi reste et restera mineur. La justification a posteriori du génie, c’est de l’escroquerie. On n’est pas chez Darty : on paie pour voir quelque chose, on n’a pas à acheter en plus une brochure pour comprendre ce qu’on vient de voir. L’explication dans l’art, ce n’est pas de l’art. Si tu ne convaincs pas « pendant », rien ne te donne le droit de convaincre « après », encore moins si tu laisses les autres convaincre à ta place.

Qu’on me dise que le plan-séquence, c’est un élément de son langage cinéma…, pour moi, ça ne veut strictement rien dire, c’est du vent. On pourrait dire ça pour tout et pour rien. Suffisamment vague pour qu’on puisse y croire ou y adhérer. Eh ben, non, quitte à avoir des explications qui concernent ceux qui y trouvent un intérêt, autant que ça se fasse clairement. Le sens profond de ces hautes volées scéniques, c’est si compliqué à exprimer ? C’est impossible à relayer sommairement ? Non, il faut feuilleter un bouquin… Autant dire « nul n’est censé ignorer le talent de Bela Tarr, il est là, à qui sait… s’informer »… Le talent, il est dans ses films, ou il ne l’est pas.

Je connais parfaitement les escrocs pour les avoir suffisamment fréquentés et savoir comment ils fonctionnent. Qu’on me dise qu’il y a quelque chose qui m’échappe, c’est bien parce qu’il n’y a rien à comprendre. À part que c’est une escroquerie. Le talent d’escroc de Tarr, c’est au moins de proposer toujours la même. Qu’on me dise que Tarr se fout de l’histoire ? Qu’il cesse donc de faire des films narratifs qui pourraient laisser le contraire et fasse du cinéma explicitement non narratif. Dans le cinéma narratif, le message, s’il y en a un, en plus d’être au mieux à peine suggéré au spectateur, il se fait à travers la fable, donc l’histoire ; la mise en scène se met au service de tout ça. Le cinéma non narratif propose autre chose. Si c’est ça qu’il veut faire, qu’il le fasse. S’il ne le fait pas c’est qu’il entretient encore l’idée que ses films puissent se reposer sur l’histoire. Je doute d’ailleurs fort que lui-même et une partie de ses aficionados affirment que tout l’intérêt de ses films ne réside que dans sa mise en scène et que ces histoires ne sont que des prétextes. Certains y voient ce que lui n’aurait jamais pensé y mettre, et on lui donne des intentions qui ne sont sans doute pas les siennes ; mais ça, c’est le lot de tous les artistes, qu’ils soient talentueux ou non. Voir interpréter son travail, bien sûr que ça l’arrange, parce qu’au niveau purement technique, c’est du vide sidéral, et si on le comparait à d’autres cinéastes expérimentaux, non narratifs, ça ne pèserait pas bien lourd : des plans-séquences (dont le cinéma non narratif s’est d’ailleurs le plus souvent bien royalement foutu, et pour cause), du steadicam, un noir et blanc poisseux, et du vent d’automne balayant les routes… Oui, énorme. Faut vraiment que derrière le SAV soit bien rôdé parce que même le pire des escrocs aurait du mal à convaincre qu’il y ait quelque chose à voir. Son talent, donc, et je ne le nie pas à ce niveau, il est bien là.

Changer d’avis sur le bonhomme, ça arrive aussi parfois. Je peux le faire avec le Faust de Sokourov par exemple. Mais cette capacité-là à retourner sa veste, c’est plus le talent du spectateur que celui de l’auteur. Chacun a le droit d’être escroc à son tour… Or, c’est toujours un peu pratique de prétendre que ceux qui ne s’émerveillent pas d’un prétendu génie le détestent comme s’ils y voyaient en réalité quelque chose qui les gênait et qu’ils refusaient de voir. Non, Tarr, est pour moi, juste moyen. Je ne désespère pas, je regarde, j’espère. Le spectateur peut à tout moment changer d’idée, et même revoir ce qui l’a laissé indifférent à la lumière de ce qu’il a « expérimenté » depuis. Mais ça, si ce n’est le spectateur, c’est surtout dû à un phénomène dont Tarr peut être, à la longue, bénéficiaire, comme beaucoup d’autres : l’accoutumance. Regarder dix minutes un type assis à une table, ça peut ne pas être bien passionnant. Regarder le même type, dix minutes, à la même table, tous les jours, et on peut en redemander. Parce que l’histoire, elle est aussi dans ce qu’on se raconte. Et apparemment, il faut se la raconter beaucoup pour apprécier Tarr, mais je ne me laisserai pas si facilement embobiner. Il faut me mériter, parce que je suis spectateur, et que le spectateur se doit d’être le plus intransigeant possible quand le courant ne passe pas. Ce n’est jamais à lui de faire l’effort. Parce que l’effort, il l’a déjà fait : en regardant le film. Lui demander en plus de venir s’asseoir tous les jours à la même heure pour voir Tarr ou un autre raconter des histoires qu’on serait en plus censés inventer à sa place, ce serait pour moi pousser un peu le bouchon. J’adore les escrocs, comme les magiciens, mais je préfère qu’on me « fasse marcher », pas que j’ai moi à faire l’effort de marcher pour comprendre ce que monsieur l’artiste a bien voulu dire. Des artistes, ça court les rues, ils ont tous quelque chose à dire. Si on doit tendre l’oreille pour les petits rois, on ne s’occupe plus des artistes « du bas » qui n’ont pas la carte et qui eux font l’effort de respecter le jeu : c’est eux qui doivent nous faire marcher, pas le contraire.

(Ma caissière est Hongroise, il va bien falloir que je la fasse marcher aussi si je veux l’emballer. Je lui parlerais peut-être un jour du Cheval de Turin avec des étoiles dans les yeux comme si c’était mon petit poney…)


Sátántangó, Béla Tarr 1994 Le Tango de Satan | Mozgókép Innovációs Társulás és Alapítvány, Von Vietinghoff Filmproduktion (VVF), Vega Film, TSR

 


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Clerks, les employés modèles, Kevin Smith (1994)

Clerks

Clerks Année : 1994

IMDb  iCM

MyMovies: A-C+

Lim’s favorite comedies

7/10

Réalisateur :

Kevin Smith

Ça sent le film d’abord écrit pour le théâtre*. C’est un huis clos presque strict qui se passe dans une supérette du New Jersey. Il ne s’y passe jamais rien, donc tout ce qu’on fait c’est causer. Pas besoin d’histoires extraordinaires pour captiver, il suffit d’avoir la langue bien pendue et d’un peu d’imagination…

*1 En fait, non.

Une petite copine qui n’est sortie qu’avec six gars, mais qui a sucé 37 queues (celle du présent incluse), un caissier de vidéo club qui va louer ses films dans le vidéoclub plus grand du centre commercial voisin et qui y choisit un film porno mettant en scène des hermaphrodites, un vieux pervers demande à utiliser les toilettes privées de la supérette pour se branler discrètement, une petite amie d’enfance qui revient de l’Ohio pour retrouver son chéri et qui viole sans faire exprès le macchabée qui n’est autre que le vieux pervers qui a succombé à une attaque cardiaque, une partie de hockey sur le toi de la supérette, une gamine de quatre ans qui vient acheter des cigarettes, un représentant de chewing-gum qui incite les clients à ne plus consommer de cigarettes, des dealers complètement débiles, des clients tous aussi fous les uns que les autres, des vendeurs désabusés, un proprio absent, des petites copines de passage. Un grand n’importe quoi totalement délirant et superbement bien écrit.


Clerks, les employés modèles, Kevin Smith 1994 | View Askew Productions, Miramax


The Glass Shield, Charles Burnett (1994)

Police blues

The Glass Shield

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1994

Réalisation : Charles Burnett

Avec : Michael Boatman, Lori Petty, Ice Cube

Ce n’est évidemment pas un chef-d’œuvre. Les films de cette époque (début des 90) paraissent un peu périmés. Il faudra attendre une ou deux décennies avant de pouvoir y goûter à nouveau avec un plaisir. Mais, ça vaut le détour — tout de même.

Un jeune flic noir commence son boulot dans un commissariat plein de Blancs racistes. Il essaie de faire sa place, mais généralement, chez des types comme ça le racisme n’est pas la seule « vertu ». Le problème, c’est que le flic est un peu crétin parce qu’il veut se faire accepter par ses pairs, donc quand un flic lui demande de le couvrir et de modifier légèrement la réalité, il le fait sans fléchir. Il se pose d’autant moins de questions qu’il est persuadé de prendre la bonne décision puisque c’est la seule manière d’inculper un type.

Malheureusement, il déchante très vite et se rend compte qu’il a fait une connerie. Aidé de l’autre mal aimé du commissariat (une femme juive), il va mener une enquête interne. Dans la plus pure tradition du petit qui fourre ses mains là où les grands ne veulent pas qu’il y vienne mettre ses pattes…

Le développement ensuite du canevas n’est pas transcendant. Mais on comprend mieux vers la fin. Les événements sortent des clous, des règles, des codes de ce type de film… Normal, c’est une histoire vraie. On pose son pop-corn et on remet son cerveau sur on. C’est la fin surtout qui fait réfléchir… Je peux la dévoiler. En fait, tous les salauds corrompus et violents du commissariat s’en sortent sans dommage, et seul lui, le flic noir, perd son job, doit même faire face à la justice (c’est suggérer je crois à la fin, ça se termine un peu brusquement) pour un faux témoignage alors que celui qui lui avait demandé de mentir n’a rien eu… en échange de cette information… Plus kafkaïen, plus injuste, plus absurde, tu meurs.

Ça ne casse donc pas la baraque, surtout au niveau de la mise en scène. C’est très conformiste, très sage, très premier de la classe : propre, bien fait, mais sans véritable chair, sans cœur… Reste le sujet, qui rien qu’à lui seul mérite qu’on regarde le film.


The Glass Shield, Charles Burnett (1994) | CiBy 2000, Miramax


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Tueurs nés, Oliver Stone (1994)

Thèse-antithèse-foutaise

Tueurs nés

Natural Born Killers

Note : 2 sur 5.

Titre original : Natural Born Killers

Année : 1994

Réalisation : Oliver Stone

Avec : Woody Harrelson, Juliette Lewis

C’est l’époque où les scénarios de Tarantino remuent tout Hollywood. Il a déjà tourné, mais on ne lui fait pas confiance pour tourner ses propres scénarios : Reservoir Dogs étant culte, mais n’ayant pas cassé la baraque au box-office… — Bref, les studios ne veulent pas laisser les clés d’un film à un cinéphile…

Résultat : True Romance est très moyen et Tueurs nés, ne vaut pas mieux.

Non seulement, l’histoire de Tarantino ne vaut pas un film. Il s’en est sans doute rendu compte trop tard (ou pas) et Oliver Stone n’a pas modifié la chose. C’est mieux pour le Quentin qui aura compris la leçon en incorporant ces deux personnages de cinglés dans une histoire, celle de Pulp Fiction (les deux amoureux dans le fast-food), au lieu de tenter de faire une histoire de violence autour de ses deux personnages et en voulant dénoncer la violence des médias alors que lui-même en est fasciné (dans Reservoir Dogs il trouvait le bon ton pour mettre la violence en scène, pas en parler…). C’est la première erreur d’Oliver Stone : il veut faire un film sur la violence, mais aussi en faire un film à thèse, et la violence n’est jamais rien de plus qu’une ambiance, une sauce qui accompagne une histoire — elle n’est jamais l’histoire…

Tueurs nés, Oliver Stone (1994) | Warner Bros., Regency Enterprises, Alcor Films

En plus, le cinéma n’est pas un discours. Donc on ne peut pas faire dire des choses à un film, on ne peut pas faire une réflexion sur un thème en particulier, aucun message possible, ou ceux des éternelles mêmes évidences — le cinéma n’est rien d’autre qu’un spectacle. Quoique, on peut, bien sûr…, mais il faut accepter de n’être jamais compris. (Aucun message possible, quand il est visible, tandis qu’il peut passer quand il est suffisamment « invisible », cf. le « message invisible » chez Ken Loach.)

Qu’il prenne la violence comme thème de fond, soit, mais s’il n’y a que ça sans rien d’autre derrière, son film ne devient rien d’autre qu’un de ces objets télévisuels violents que Stone semble vouloir condamner. Ça ne sert à rien de vouloir faire des films à thèse parce que les trois quarts du temps, on se retrouve au milieu d’un malentendu. Jouer des milliers de rôles humanistes dans des films avec une incroyable crédibilité et sincérité n’a, de la même manière, jamais empêché John Wayne d’être un républicain affirmé tendance extrême-droite.

En plus, Stone semble vouloir reprendre un ton décalé, pour ne pas cautionner la violence, comme le fait Tarantino, mais il se fourvoie totalement.

Seconde erreur : ce n’est pas du cinéma, c’est un clip vidéo.

Même si on veut dire quelque chose dans un film, si le cinéma avait un quelconque don pour passer des messages à la société, ce n’est pas avec un rythme sous amphétamine qu’il va convaincre qui que ce soit. Il a compris qu’il fallait de l’ironie pour faire passer la violence des personnages de Tarantino, mais d’une part, comme dit plus haut, chez Tarantino, la violence n’est pas tout à fait gratuite parce qu’il y a avant tout une histoire qui pourrait très bien être racontée sans elle. D’autre part, Oliver Stone fait une grave faute de goût en manquant de subtilité. L’humour de Tarantino est très théâtral, absurde. Le ton, et surtout le rythme, est cool, contemplatif et seulement parfois surexcité… Alors que là, on vire totalement à la farce, voire au Grand-Guignol : le jeu est exagéré, rapide — tout le contraire du style de Tarantino qui aime en bon amateur de westerns spaghetti, accentuer ses effets, prendre son temps. En plus, Stone, ce n’est pas vraiment le cinéaste de la farce, c’est plutôt un réalisateur qui aime d’habitude le sérieux et le réalisme. Tout le contraire de l’esprit tarantinesque. Tarantino, c’est tout le contraire du réalisme : il prend des clichés et joue avec. Tandis que Stone, en bon cinéaste réaliste, veut donner une cohérence, une vérité à ses personnages. Difficile avec un scénario comme celui-ci…

Le seul qui ne s’en tire pas trop mal dans ce grand n’importe quoi, même si totalement hors sujet, parce qu’il est celui qui y va le plus dans l’outrance (mais ça, c’est la faute de Stone qui s’est trompé dans le ton du film), c’est Tommy Lee Jones. Avant ça, il jouait des flics sérieux, durs et qui là, montre son talent pour la farce. Parce que lui a compris que Tarantino écrivait des farces… Un talent qu’il montrera à nouveau dans un Batman si je me souviens bien, mais aussi, dans un style plus contenu, plus… “tarantinien”, dans Men in black.

Bref, un film raté et vulgaire. Et au même titre qu’American history X, il manque totalement son but en voulant jouer aux intelligents… Le cinéma n’est pas là pour faire des leçons de moral, et si on tente le coup, on prend le risque du malentendu.

La seule morale de l’histoire, et le paradoxe, c’est que ces films sont ensuite appréciés, vénérés par des détraqués, fascinés par la violence contenue dans ces films sans rien comprendre au message ou au second degré (qui là, n’existe pas donc).

Il y a une seule chose à comprendre au cinéma : c’est qu’il n’y a rien à comprendre ou que tout est ré-interprétable par chaque spectateur. Chacun son film : on voit ce qu’on veut bien voir, et très souvent c’est très éloigné de la version qu’aurait voulu transmettre un cinéaste. Tout n’est que malentendu… Il ne vaut donc mieux rien vouloir dire de bien sérieux, à cause du risque de n’être pas compris. Ou sinon, au lieu de vouloir faire une thèse, il faut savoir garder ses distances, avec un récit neutre, une mise en scène brute, distanciatoire, pour donner à réfléchir (à la Brecht), comme l’a fait Kubrick dans Orange mécanique (le film d’ailleurs semble vouloir s’en inspirer avec une référence explicite de « la scène du passage au tabac avec musique et chorégraphie », et cela, pour délimiter les deux parties du film, pour accentuer la référence du film découpé en deux ou trois longues séquences, à la Kubrick…), ou encore Haneke dans Funny Games ou Gus van Sant dans Elephant (même si dans ce dernier l’aspect parfois purement esthétique est comme une tâche sur la « pureté » de ton du film).

Si un film devait être quelque chose, ça se résumerait à une expérience. Et à chacun de tirer les leçons qu’il veut. On ne peut pas prendre le spectateur par la main et lui expliquer ce qui est bien ou mal, beau ou laid… Ça, c’est à lui de le décider.


 


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La Reine Margot, Patrice Chéreau (1994)

La Reine Margot

La Reine MargotAnnée : 1994

6,5/10 IMDb

Réalisation :

Patrice Chéreau

Journal d’un cinéphile prépubère : vu le 18 mai 1997

Très bon, mais ça manque de génie : trop d’attention portée sur le casting, les costumes et les décors, alors que la mise en scène manque d’audace et d’identité, surtout dans la première partie.

L’adaptation du roman de Dumas est dans cette première partie trop politique. La question n’est pas du respect de Dumas ou de l’histoire, car Chéreau semble les avoir adaptés. La politique est ce qu’il y a de moins cinégénique : c’est anecdotique et pas assez personnel, trop officiel, ça manque d’identification. Le héros, c’est l’histoire, plutôt que les personnages, c’est donc chiant à suivre et pas émouvant, là où le fait prime sur les caractères.

La Reine Margot, Patrice Chéreau (1994) | Renn Productions, France 2 Cinéma, D.A. Films

Cette première partie n’est qu’une suite de scènes de foule traitée sans épisme (sic). On a voulu comparer La Reine Margot aux mises en scène Visconti. Ça n’a rien à voir. Cela ressemble parfois dans les décors et les magnifiques costumes à du Fellini, mais chez Chéreau, c’est surtout la mise en scène qui pêche, en manquant de contrôle, de style, et donc d’audace. Le naturalisme, voilà le maître-mot de la mise en scène de Chéreau. Un non-genre à la mode. Seule la direction d’acteurs est à la hauteur, mais ce choix pèse sur l’intensité : sans contrôle, sans artifices, il n’y a pas de tension, d’attention. Chéreau distribue son pain simplement alors qu’il faut être parcimonieux. La mise en scène toujours, sans style défini, paraît trop chaotique, imprécise, mais aussi trop dense : il montre tout ce que la réalité du quotidien lui inspire. Rien ne se passe, on perçoit un gros machin tout mou et sans saveur particulière se mouvoir devant nous. Or une mise en scène procède par choix successifs. L’inventivité, c’est le contrôle qu’on opère sur l’unité du style. L’intensité, donc l’attention du public, on la gagne grâce à un traitement ralenti du temps réel. Voilà ce qu’est la mise en scène, un regard attentif, choisi, ne dévoilant que le nécessaire pour le développement de l’action et des personnages. Sans cela, le spectateur ne peut s’identifier à ce qu’il voit. On ne lui montre pas une histoire en ouvrant un œil sur des événements, on lui en raconte une en décidant ce qui est au premier plan, au second et ce qui n’est pas porté à la connaissance du spectateur.

Quand l’image passe devant notre regard trop vite, on ne voit rien, et on ne retient rien. C’est comme au théâtre, si le comédien est trop anxieux, il bouge subrepticement et on le voit plus vaciller, lui l’acteur, plutôt que le personnage. Ce manque de grands espaces par ailleurs est étouffant : atteints de myopie, ne voyant évoluer devant nos yeux que des personnages au premier plan, on fatigue et cesse rapidement de suivre.

Cela dit, si la forme ressemble fort à des téléfilms, elle est traitée avec plus de talent. Par exemple, pour le découpage, même si les plans n’obtiennent jamais une forme d’identité propre qui nous laisserait comme subjugués devant elles.

La seconde partie est à la fois plus intimiste, recentré sur un aspect plus dramatique. C’est là de l’excellente « qualité française » que n’aurait pas reniée Truffaut…

Il y a une forme de justice, quand la seule à avoir un jeu plus retenu, moins « naturaliste », Virna Lisi, a reçu le prix d’interprétation à Cannes dans un rôle qui n’est pourtant pas omniprésent.

On imagine éclectisme des genres de mise en scène dans le cinéma quand on pense à ce qu’aurait pu en faire par exemple un Coppola sur un tel sujet, et pourquoi pas avec un script plus shakespearien, moins « passe-moi le sel, comment ça va ? ». Ce n’est pas qu’une question de moyens.


Pulp Fiction, Quentin Tarantino (1994)

Puzzle Fiction

Pulp Fiction
Année : 1994

Réalisation :

Quentin Tarantino

Avec :

John Travolta, Uma Thurman, Samuel L. Jackson, Tim Roth, Amanda Plummer, Bruce Willis

10/10 IMDb

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Journal d’un cinéphile prépubère (1er mai 1997)

Un film admirable. La construction et la mise en scène sont parfaites. Tarantino se révèle être un grand raconteur d’histoires. Même si sa construction atypique, et non chronologique, est maniérée, le film reste jouissif de bout en bout pour le spectateur, attentif à reconstituer la linéarité des événements, en y décelant ici ou là des éléments dramatiques qu’il lui faut replacer dans le contexte chronologique.

Le récit est déstructuré, on revient sur les choses, on approfondit, on use de mise en abîme comme dans un film à sketchs où on s’attarderait tout à tour sur des personnages différents.

Il y a donc trois parties : la première avec les tueurs et la femme du boss, une seconde avec le boxeur, et la troisième qui fait comme une synthèse des deux premières. Tout cela s’imbrique en composant un canevas complexe où tout se mélange et prend peu à peu une logique d’ensemble. Un peu comme s’il y avait trois unités d’action, trois lignes dramatiques, qui se rencontraient au gré des hasards dans le récit. Et quand Tarantino a besoin de faire rencontrer deux de ces lignes, il les unit à travers une autre unité, l’espace (c’est par hasard que le boxeur tombe sur son boss, dans la rue).

Pulp Fiction, Quentin Tarantino (1994) | Miramax, A Band Apart, Jersey Films

Je suis fasciné par cette manière de raconter des histoires, de les déconstruire pour mieux les construire. Un travail basé sur de fausses coïncidences, avec un agencement de procédé dramatique à la chaîne, privilégiant la forme du récit au fond. On met un peu Tarantino à l’épreuve, et on attend de voir s’il parviendra à construire une cohérence de ce tout ça. Le miracle, c’est bien d’arriver à rester clair et simple dans ces circonstances. Et c’est sa mise en scène, très propre, qui lui permet peut-être de nous donner cette impression de grande maîtrise.

Tarantino trouve le rapport échelle-densité parfait entre les différentes séquences et l’action qui les compose pour qu’il puisse proposer un rythme dramatique idéal. Il ne faudrait pas s’y tromper : Pulp Fiction est un film lent, qui prend son temps pour que le spectateur puisse intégrer les éléments dramatiques et les reconstituer dans sa tête. Rien ne parasite dans cette nécessité de mise en scène l’esprit de celui livré presque exclusivement à cette tâche.

Le juste milieu parfait entre la forme et le fond, le rythme évocateur et l’action entraînante, la nécessité d’identification, de plaisir, face à l’objectif d’éveiller l’imagination à travers des effets de distanciation.

C’est bien pourquoi l’introduction donne si parfaitement le ton. Les dialogues des criminels passent avant l’action. On mettra à exécution plus tard ce qu’on prévoit avant. Ce qui importe, c’est le cheminement vers quoi l’action (brute, une fois qu’elle s’accomplit) se dirige et se compose à travers un jeu de répliques parfois absurdes entre les protagonistes appartenant à un même groupe (c’est une confrontation basée d’abord sur une forme de connivence et que les dialogues doivent, peu à peu, mettre à mal).

L’absurde, l’humour noir, chez Tarantino, c’est ce qui rend le style si « cool » dans ce cinéma. Ce n’est pas seulement l’attitude des personnages qui en font des modèles malgré leurs agissements et leur sens moral plus que suspect, c’est leur intelligence, leur repartie, dignes des comédies américaines des années 30. On se prend à aimer ces crapules parce qu’ils ont toujours les bons mots qui les rendent sympathiques. Et quand l’action les prend par surprise, ils réagissent le plus souvent sans en être surpris. La repartie à la fois dans le verbe, mais aussi dans l’action. Le mot et le geste justes. La lenteur, la maîtrise du rythme, presque unique, aide à offrir à une scène une identité, mais l’espace joue aussi beaucoup, car toutes ces séquences lentes, bavardes, s’appuient sur un espace bien défini, parfois intermédiaire, improbable, entre deux scènes. Toujours cette volonté de prendre une séquence attendue de côté pour en proposer un biais humoristique ou original. (Note 2018 : on peut y voir un curieux précédent avec Johnny Guitar.)

Quant à la précision de la mise en scène, elle est utile donc à clarifier, à travers le style, la complexité de l’histoire. On la remarque, par exemple, dans la première scène du boxeur qu’on ne fait qu’entendre alors qu’on voit l’arrière de la tête de son boss. Une version presque décalée d’une scène similaire mais frontale du Parrain. Les deux scènes servent à illustrer le pouvoir de celui qui le possède face aux personnages soumis.

Jolies références à Welles aussi, avec une séquence tournée en contre-plongée.

Un style nouveau est né. Cool, décalé.

(Le film comporte de curieuses similitudes avec Cible émouvante.)



Bab El Oued City, Merzak Allouache (1994)

Bab El Oued City

Bab El Oued CityBab El Oued City, Merzak Allouache (1994) Année : 1994

7/10 IMDb iCM

Réalisation :

Merzak Allouache

 

Plutôt bien, et agréablement surpris.

Des séquences courtes, une idée dramatique parfaitement introduite au début pour sauvegarder tout au long du récit l’unité, et c’est gagné.

On y décrit une société à travers un petit drame de la vie algérienne et de la « résistance » (vol d’un haut-parleur) en revenant alternativement sur des groupes de personnages qui seront amenés à se croiser au fil du récit. Le plupart de ces séquences sont reliées à la trame principale comme un spectre omniprésent et transparent, prétexte à une cohérence d’ensemble, et après quoi on peut se permettre quelques digressions et des descriptions. C’est très direct, retournant toujours malgré ces détours à l’essentiel.

La composition idéale en quelque sorte pour un film réaliste. L’unité est respectée à travers la trame principale ; à laquelle on adjoint ce qu’il faut de complément, de respiration, de distanciation. Et la mise en scène sert parfaitement le film en adoptant un montage évolutif pour les échelles de plan aux introductions et aux conclusions des certaines scènes, ne craignant pas d’utiliser des intermèdes d’ambiance, descriptif, généralement capté en plan large. Parfois, au cœur des scènes, la réalisation trouve la bonne distance : en s’éloignant de l’action pour nous forcer à nous y rapprocher (la réflexion et l’imagination émanant d’une mise à distance du sujet pour mieux l’appréhender en s’affranchissant des fils de la catharsis, donc des passions).

17/02/97