Le travail était-il une corvée ?

 

Les capitales   

Violences de la société   

 

Le travail, est-ce d’abord l’expérience de la subordination ?

Réponse au post Mediapart de trineor (Alexis Dayon)

Oui et non. Tu vois la société à travers ton prisme d’intellectuel communiste sans doute et oublies peut-être ton expérience de jeune adulte à trimer. Chez beaucoup de travailleurs pauvres, il y a une forme de “subordination” volontaire. Pour eux, c’est le prix à accepter pour des gens, des amis, de nouvelles têtes, c’est se sociabiliser. Pour eux, le travail n’est pas monolithique : ils arrivent à tout faire en même temps, répondre à des objectifs émanant de la “hiérarchie”, mais échanger aussi avec les autres.

Pour ceux-là comme pour les autres, je ne suis pas sûr que s’apitoyer sur leurs conditions de travail change leur manière de voir les choses. Pire, considérer qu’il y aurait différentes formes de travail, le travail des nantis et celui des parias ne ferait que confirmer leur impression qu’une partie de la société les stigmatise et ne les respecte pas. Paradoxalement. Et au contraire, au lieu de définir leur travail comme une « corvée », je pense qu’aucune personne exerçant ces travaux difficiles acceptent que leur job soit ainsi qualifié négativement.

Non, leur travail a autant de valeur que celui des autres, que celui d’un ministre. En revanche, il faut prendre soin à ce que la société valorise leur travail. Et cela ne se fait pas avec de la communication gouvernementale qui d’un côté vante les valeurs du travail en usine, mais qui d’un autre laisse entendre qu’il serait inégalitaire de laisser perdurer des régimes spéciaux, des avantages (sic). Faire passer les plus pauvres pour des nantis, ça participe à ce mépris de classe, à rogner la confiance dont je parlais plus haut. Un comble. La classe qui a déjà fait payer la crise du début du siècle dont ils étaient responsables à la communauté tout entière et qui voudrait encore rogner des marges sur le dos des plus pauvres.

Les pauvres ont besoin qu’on les respecte pour le travail qu’ils font et qu’ils soient payés justement et reconnus pour cela. Ils n’ont pas besoin que l’on verse une petite larme parce qu’ils « triment dur ». Travail contre considération, justice. C’est aussi simple que ça.

Il paraît que les pyramides n’ont pas été du tout construites par des esclaves, mais par des citoyens de la cité pour qui participer à de tels projets était comme un rite et un travail saisonnier entre deux récoltes. S’ils érigeaient de tels édifices sans y être forcés, c’est donc sans doute qu’ils avaient un avantage social et personnel à le faire. Peut-être estimaient-ils gagner ainsi leur place dans l’autre monde, peut-être ces travaux étaient-ils l’occasion de grandes rencontres et de fêtes (on pense aujourd’hui que ces fêtes, plus anciennes encore, c’est ce qui a poussé les premiers humains à créer les premières cités), peut-être y gagnait-on un statut, y était-on justement contribués en nature lors de festins à la charge du souverain, etc. Quoi qu’il en soit, c’était peut-être une forme d’esclavage volontaire, mais… c’était volontaire. Le problème n’est pas d’appeler ces travaux des corvées, de l’esclavagisme, de la subordination, mais que les individus privilégiés qui en sont les instigateurs parviennent à maintenir en quelque sorte une forme de paix sociale.

Et cela ne peut se faire que si la part que l’on réserve à ceux qui “triment” est justement établie. Le problème n’est donc pas de nommer les choses, mais que la société, quand il y a des crises, fasse le choix d’abord de préserver ce qui est “réservé” à ceux qui triment.

Par le passé, on a imaginé que certaines sociétés s’effondraient parce que les élites cherchaient à préserver leur part à eux plutôt que celles des gens de la base. La tentation de la droite a pourtant toujours été de faire payer d’abord à ceux qui tiennent la pyramide.