Rétrospectives et programme à la Cinémathèque française (1er trimestre de la saison 2023-2024)

Il y aura une rétrospective Jean Cocteau. Ici, La Belle et la Bête.

Le programme de la Cinémathèque française est tombé pour la rentrée. Voyons ce qu’on nous réserve pour ce premier trimestre.

Rétrospective Raoul Walsh

Plus qu’une rétrospective, il conviendrait même de parler d’intégrale… Un moment fort de ce début de saison, mais ce sera principalement sans moi. Il y a encore tellement de cinématographies à explorer, à mettre en lumière, des territoires injustement méconnus (en particulier le cinéma de l’Est et asiatique), et la tek trouve encore moyen d’enfoncer les portes ouvertes. On peut supposer que la rétrospective soit la suite logique des événements déjà lancés au printemps dernier concernant le centenaire de la Warner. Prix de gros sur la Warner. Heureusement que j’ai pratiquement déjà tout exploré chez le maître de « l’action ». Car il se trouve qu’il y a quelque chose comme vingt ans, inspiré sans doute par les pitreries des Académiciens, je m’étais lancé comme défi de suivre la filmographie d’un certain nombre de cinéastes en partant de la fin d’une liste alphabétique. J’en étais donc vite arrivé à « Walsh ». Beaucoup de mes commentaires pas bien finauds de l’époque sont partagés d’ailleurs sur le site. Pour Minnelli, je n’avais été revoir qu’un film ; ici, j’imagine que je ferais l’impasse sur les révisions. Je me contenterai, et c’est déjà pas si mal, de deux ou trois raretés :

Un des chefs-d’œuvre muet du cinéaste Faiblesse humaine, situé en bonne place dans les Indispensables du cinéma 1928. L’occasion de voir Gloria Swanson. Probablement The Man I Love, l’occasion cette fois de voir Ida Lupino dans (quoi d’autre ?) un film noir (le film est projeté en même temps qu’une autre séance et est suivi d’une discussion avec une critique, c’est mal engagé). On verra s’il ne me reste pas plutôt de la place pour voir comment se dépatouille Walsh dans… une screwball comedy, Empreintes digitales : Cary Grant et des bijoux, tiens, tiens (et Joan Bennett). Et puis, un dernier muet à la longueur rebutante, Au service de la gloire. (Il y a une discussion après Annie du Klondike, ça devrait valoir le détour d’entendre parler de Mae West qui ne bénéficie probablement pas aujourd’hui de toute l’attention qu’elle mérite — notamment de la part des féministes —, mais on ne peut pas tout voir…)

Cinéma et mode

Pas très emballé. La Cinémathèque nous a déjà gratifié ces dernières années d’un certain nombre de films français du milieu du XXe siècle habillés par Christian Dior. Y a dû avoir que moi qui l’ai remarqué. Les rétrospectives cachées de la Cinémathèque… Bref, je verrai si j’ai des ouvertures pour Phantom Thread et Last Night in Soho. Toujours important de se mettre à la page sur des films récents…

Rétrospective Víctor Erice

Pas un grand fan de son cinéma, mais je n’ai vu que les deux ou trois principaux. Le Songe de la lumière est à voir en priorité.

Avant-première Jean-Luc Godard

Film annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de Guerres » Why not. 20 minutes posthumes pour dire adieu suivies de 60 minutes documentaires.

Hommage à Jerry Schatzberg

En sa présence (et qui arrive à réveiller pour l’occasion les mardis de la Cinémathèque). Je me laisserai bien tenter par du glauque en perspective avec Portrait d’une enfant déchue.

L’autre Prévert

Pierre donc. Verrai sans doute L’affaire est dans le sac, une référence chez les historiens français du cinéma à ce qui se murmure dans mes cartons (Jacques Lourcelles et cité dans mon Cent ans du cinéma Télérama : leur Top 10 films français des années 30).

Rétrospective Catherine Breillat

La Cinémathèque continue de mettre à l’honneur les femmes cinéastes après les attaques grossières des féministes (sic) suite à la rétrospective Polanski et celle de Brisseau annulée. Deux jours avant, la tek propose un autre premier film, celui de Yolande Zauberman, dans la cave, alors qu’on projettera l’avant-première du nouveau film de Breillat. Télescopage étrange, en tout cas, on pourra à nouveau soupirer quand des intégristes s’insurgeront du manque de diversité à la Cinémathèque au prochain connard bénéficiant des honneurs d’une rétrospective. Qu’elles regardent un peu mieux le programme. La diversité, ce n’est pas à ce niveau que ça pose problème. D’ailleurs, la tek avait mis à l’honneur Kira Mouratova il y a quelques mois (avant la guerre), il y aurait encore sans doute pas mal de femmes cinéastes de l’ère soviétique à éplucher. D’une pierre deux coups.

Et pour en revenir à Breillat, j’en ai vu deux. Une catastrophe. Son premier est à voir, Une vraie jeune fille. Pour le reste, je ne peux que me fier aux notes ou aux prix parce que je n’irai pas y jouer ma peau d’explorateur : Brève Traversée et À ma sœur ont l’air d’être les plus intéressants (je ferai l’impasse sur Romance par exemple qui avait causé quelques remous à l’époque façon Show Girl — je laisse les spécialistes du révisionnisme se laisser tenter, avec trois films supplémentaires, j’en aurais sans doute suffisamment fait le tour).

Rétrospective Cédric Kahn

Fait partie des cinéastes lancés à la fin des années 90 par une série de téléfilms Arte ayant fait date (Tous les garçons et les filles de leur âge). Pas le plus en vue des cinéastes de la « nouvelle qualité française » : après L’Ennui, j’avoue qu’il est un peu sorti des radars. Pas très emballé de prime abord, mais on fera peut-être un effort pour Trop de bonheur qui conditionnera mon intérêt pour la suite (le reste est loin de faire envie).

Rétrospective Pascal Thomas

Dans ce que j’appelle la « nouvelle qualité française », il y a deux époques. Celle qui s’est constituée à la fin des années 90, notamment autour de Desplechin et à travers le parrainage d’Arte, et celle constituée autour de Truffaut ou de son style au cours des deux ou trois décennies précédentes. Même saveur, même eau tiède, même fémisisme (de la Fémis), même adoubement cahieriste (des Cahiers du cinéma). La nouvelle qualité française, c’est un peu la littérature blanche appliquée au cinéma hexagonal : on attend d’un film qu’il ait des qualités littéraires… au cinéma (et le génie, c’est encore d’arriver à vendre ça chez les copains avec qui ils font des entretiens — gagnant-gagnant). Pascal Thomas appartient à cette première « vague ».

Il n’est pas rare de voir des talents ou des films qui sortent de l’ordinaire dans un lot de cartes perdantes. On produit beaucoup, et quand on produit beaucoup (des petits drames de gens sans histoire, le plus souvent — à opposer aux grands drames disparus qui par ses outrances, et ses écarts vers d’autres genres, pouvaient se rapprocher du mélodrame), il n’est pas rare de voir des miracles se produire. Pascal Thomas ne m’a jamais attiré, peut-être justement parce qu’il flirte volontiers avec la comédie. La comédie des beaux quartiers, de plages ou des genoux de Claire. Beaucoup de cinéma français dans ce trimestre à la Cinémathèque, niveau exploration, on fait mieux. « Pour soigner votre réputation, soignez vos relations domestiques : honorez ceux susceptibles de vous honorer à leur tour. » Moi, j’honore personne, je me moque de ma réputation. Et je ne me laisserai pas la chance de croire en Thomas en voyant ses films sans concessions. Na. Je vais voir du Kahn, du Breillat, les mecs, je fais ma part. Changez de disque un peu.

Rétrospective David Fincher

Sérieux. Bon, j’adore beaucoup de films de Fincher, mais est-ce que c’était nécessaire ? Besoin de faire des coups, toujours, puisque la tek proposera l’avant-première de son nouveau film suivi d’une discussion avec la mafia des lieux (les abonnés). Je reverrai bien Alien3 sur grande écran, mais bon sang, entre rétrospectives françaises et cinéma américain, il reste quoi ? (Eh ben, pas d’Alien. Soit véto de Fincher, soit conflit avec distributeur. Plouf.)

Rétrospective Agnès Varda

Mais ? Il y a eu une rétrospective Agnès Varda en 2019 ! Elle radote la Cinémathèque ? Merci Agnès, je t’aime. On se revoit dans trente ans ou là-bas.

(Rétrospective du cinéma mexicain… Ah, ah, là, on tient enfin quelque chose d’intéressant !)… 13 trésors du cinéma… fantastique mexicain

OK. On va s’en satisfaire, hein. On sent l’influence raugerienne (de JF Rauger). Je déteste l’horreur, mais j’ai besoin d’entendre autre chose que du français et de l’anglais dans les films. J’ai les crocs. Je veux du sang. N’y connaissant rien, je me fis… aux notes. Vais essayer d’en voir bien la moitié. Deux ou trois bien prometteurs, cela dit. Même à travers le prisme de l’horreur, ce cinéma mexicain semble décidément cacher bien des surprises.

Rétrospective Kim Jee-woon

Beaucoup d’avant-première, en ce premier trimestre, dites-moi… On essaiera d’en glaner une (de place) pour cette fois (le film parle du cinéma coréen des années 60). Pour le reste, je n’ai jamais été un grand fan des films du bonhomme (plutôt Deux Sœurs que J’ai rencontré le diable). J’espère donc y trouver de quoi amender mon jugement, et ça se fera à coup sûr bien plus en explorant un ou deux de ses premiers films (il semble avoir glissé comme bien d’autres vers les mégaproductions indigestes).

Rétrospective Jerry Lewis

Probablement un peu daté le Lewis. « Jerry » se prononce « j’ai ri », pas « je ris ». (Applaudissement pour les artistes, s’il vous plaît.) J’en ai vu très peu, sait-on jamais. Les deux ou trois plus connus me tendent les bras. Les ricains vont pouvoir encore répéter pendant les vingt prochaines années que les Français sont un peu zinzins : la preuve, ils adorent Jerry Lewis. (Les Cahiers, oui.)

Rétrospective Jean Cocteau

Hum, le seul documentaire qui m’intéressait est projeté avec une de ses pitreries mythologico-expérimentales. Sans moi. Côté Cocteau scénariste : L’amore, « de » Rossellini et avec Anna Magnani fera l’affaire. Il y avait un film espagnol avec Vittorio Gassman pour le moins intriguant, mais il passe en même temps qu’un chef-d’œuvre de… Jerry Lewis. Je me consolerai avec Ruy Blas et la Darrieux.

7eme saison d’American Fringe

Deux documentaires probables à voir : Black Barbie et Bad Axe.

Les classiques de D.W. Griffith

Les Chagrins de Satan (pour voir Adolphe Menjou jeune). Et ce sera tout pour moi. Il en reste un dernier qui m’intéresse, pas forcément un classique : penser à le regarder chez ma voisine en streaming. (Streaming et Griffith sont des mots qui vont très bien ensemble. Très bien ensemble.)

En vrac

Séance gratuite le 18 septembre à la cave de l’excellent La Maternelle de Jean Benoit-Lévy et de Marie Epstein. Je crois qu’on peut remplir les toilettes hommes de la Cinémathèque avec tous mes lecteurs, alors la salle Epstein… ne vous y ruez pas trop nombreux. (Il y a un programmateur qui doit follement aimer le film : il est globalement projeté tous les deux ans.)

Séance spéciale : introduction d’un procédé sonore inventé pour Tremblement de terre. Ça tombe bien, j’ai vu le film quand j’étais môme, et je voulais le revoir.

Avant-première : Wim Wenders. Ah.

Coups d’un soir : Beyond the Valley of the Dolls, Russ Meyer. J’ai souvent priorisé les bons films durant ma (déjà) longue carrière de cinéphile boiteux. On fera une exception pour cette fois.


Je te dis que (je n’irai pas revoir) J’ai rencontré le diable, Kim Jee-woon-2010-softbank-ventures-showbox-mediaplex-peppermint-company

Le relou aux yeux de velours de la Cinémathèque

Cinéma en pâté d’articles   

L’expérience cinéma   

Cahiers garnis   

Il y a un type un peu pénible à la Cinémathèque qui erre dans pas mal de séances et qui, avec son petit air de gendre idéal au sourire hypocrite, cherche à s’asseoir systématiquement juste à côté d’une fille que la plupart du temps il ne connaît pas. Sa technique d’approche ne change jamais d’un iota, et je ne l’ai pratiquement jamais vu finir entre deux mecs, seul, ni même surpris à papoter avec des hommes. Honnêtement, à force de voir ce type un peu relou, je plains les filles qui le voient débarquer, et qui manifestement, puisqu’assez souvent ils sont amenés à taper la discute, ne les intéresse pas… Si des gamines ou des jeunes femmes pensaient être à l’abri dans ce repère de vieillards bourrus, de désaxés mal sapés et d’homosexuels cultivés, c’est raté. Elles sont peut-être plus tranquilles qu’ailleurs, mais le lourd aux yeux de velours rôde…

N’étant moi-même pas dragueur et n’ayant jamais assisté à ce type d’approches, je suis étonné de voir qu’avec celui-ci, la technique diffère rarement et qu’elle est même quasi systématique, voire payante (pour ce qui est d’arriver à se placer à côté d’une jeune fille, ce qui pour certaines séances n’était pas gagné d’avance — parce qu’elles sont rares, les jeunes filles, peut-être même contribue-t-il à les raréfier un peu plus).

D’abord, le bonhomme, d’une vingtaine d’années, propre sur lui, genre intello avec un bouquin sous le bras, mais sans sac ni cartable parce que c’est pour les ploucs, arrive toujours aux séances ni trop tôt (si ça lui arrive, il attend à l’extérieur, histoire peut-être de voir qui déboule dans la salle), ni trop tard. Juste comme il faut pour que la salle soit déjà un peu remplie (il faut qu’il y ait déjà des demoiselles près de qui se vautrer amicalement, et s’il arrive parmi les premiers non seulement il ne trouvera personne à son goût, mais surtout, s’asseoir volontairement près d’une fille alors qu’il y a plein de places ailleurs paraîtrait bien trop suspect à ses yeux) ; mais pas trop remplie non plus, sinon il risque de ne pas trouver de place à côté de son élue. J’imagine que le garçon calcule son entrée parce que je le vois presque toujours arriver entre deux eaux si on peut dire et faire en fonction de l’affluence. Le pire pour lui sans doute serait de se retrouver coincé à ne plus pouvoir changer de place une fois décidé. S’il se retrouve seul sans avoir mis le grappin sur une belle, il fait alors mine de regarder autour de lui et dans toute la salle, l’air toujours alerte, disponible, pour voir s’il n’y a pas quelqu’un qu’il connaît dans les alentours (ce qui peut arriver, même avec des filles l’ayant probablement snobé à leur entrée, mais qui restent toujours, de ce que j’en vois, aimables avec lui — pas au point toutefois, apparemment, de lui envoyer un message pour lui dire à quelles séances elles assisteraient ou pour lui faire de grands signes pour lui signifier leur présence…). On peut alors presque lire sur son visage son désarroi quand une jolie fille entre dans la salle et se faufile n’importe où loin de lui, ou quand, déjà placé à côté de l’une d’elles, à force de jeter des regards à peine furtifs, se rend compte qu’elle ne lui plaît pas (j’ai bien ri une ou deux fois quand il s’est retrouvé à côté de femmes ayant au moins le double de son âge…). Les filles qui savent, les vrais canons, n’arrivent probablement pas juste avant que le film commence par hasard. Je ne suis pas familier des autres cinémas parisiens, mais j’ai cru comprendre que c’était une pratique habituelle chez certains dragueurs ou relous de service. Lui a ça de particulier qu’il exerce dans un lieu où on ne va pas rencontrer tant que ça de filles de son âge (ah, la passion des vieux films chiants, son plus gros handicap…), et il faut qu’il ne soit pas bien discret pour que je finisse par m’en rendre compte. Sans répit le gars, jamais il renonce.

Avant de s’installer près de sa proie, dès qu’il entre dans la salle, il reste debout un instant et balaie du regard les spectateurs presque un par un (un peu comme je fais, mais de mon siège, c’est mon côté vieux con à regarder les bagnoles passer depuis sa terrasse de café), et presque toujours, il choisit une zone en plein milieu. C’est là où idéalement les jeunes femmes se placent presque toujours (soit pour se faire draguer et se trouver ainsi bien en vue des jeunes mâles, soit, et c’est plus probable, parce que paradoxalement, en plein milieu, elles ont l’impression d’être vues par le plus grand monde et de se sentir ainsi en sécurité, voire protégées par les spectateurs assis autour d’elles déjà jugés non suspects). Son attitude quand il rejoint ainsi sa belle est des plus étranges : tout en se frayant un chemin parmi les spectateurs déjà assis sur les côtés, il jette toujours des regards vers sa cible, un peu comme quand on reconnaît quelqu’un dans une rangée et qu’on désire le rejoindre. Une fois au bout de son périple (ça fait souvent beaucoup de monde à déranger pour rejoindre la fille placée en plein milieu), c’est un peu comme si le flan retombait d’un coup. On le sent un peu gêné, timide même, et si la demoiselle lui jette un œil, il répond par un grand sourire maladroit en indiquant qu’il se mettra à côté d’elle (je ne suis pas assez près pour entendre s’il demande l’autorisation ou si la place est prise, mais le garçon vient avec une telle bouille de gendre idéal qu’il est probablement difficile de lui refuser, même si les filles l’ont vu venir de loin et comprennent les intentions du petit malin — le gars a un radar à la place du cœur, je ne l’ai jamais vu s’asseoir à côté d’une femme un peu revêche ou d’une grande gueule hérissée lui signifiant vertement son désir de mâter seule un vieux film hongrois).

La suite n’est pas moins pathétique. En général, les demoiselles ne semblent pas bien enclines à discuter. Dans l’immédiat en tout cas. (Je pense que toutes les filles françaises ont tendance à se renfermer quand elles sentent qu’elles vont se faire draguer, parfois même avec plaisir si le macho de circonstance leur plaît, ou qu’un relou vient empiéter sur leur espace). Il reste toujours un peu de temps avant que le film commence, et parfois ça tourne un peu au malaise. Le garçon, même si je pense qu’il sait garder une certaine distance de courtoisie (plutôt du genre dragueur des beaux quartiers, insistant, mais poli, insistant, mais poli, insistant, mais… relou, là), est particulièrement expressif, et pour le moins, incapable de cacher ses regards en coin (à moins que cette insistance visible soit précisément une technique pour signifier son intérêt à sa proie). Quand il jette un œil qu’il croit discret sur la fille à côté de lui, c’est comme si tout son corps s’animait pour émettre un signal : « Attention, je mâte ! » (Rien de concupiscent dans ces regards, on sent plus un pauvre chéri émettant des appels du pied pour engager une conversation. C’est juste d’une obséquiosité un peu folle s’il multiplie les regards de gentil garçon et les grands sourires avenants et si la fille a le courage de lui jeter un regard ou est disposée à répondre avec les mêmes simagrées — au lieu d’avoir un Mister Bean, on se retrouverait alors avec deux clowns aux attitudes débiles et muettes, mais la situation ne s’est encore jamais présentée sous mes yeux…)

Ici, deux cas de figure. Soit, certaines femmes apprécient de se faire draguer lors d’une séance, flattées ou curieuses de voir, histoire de lui laisser une chance à celui-là… (Par les temps qui courent, ce ne sont probablement pas les plus nombreuses.) Soit, elles flippent et s’agacent de voir un tel relou prendre ses aises juste à côté d’elles. L’approche est si insistante qu’elle peut réellement confiner au malaise.

Bref, le garçon doit savoir, au moins, se tenir tranquille lors des séances (je rassure les demoiselles qui me lisent et que je sais très nombreuses… à m’éviter dans les salles). Je n’ai jamais entendu aucun cri, aucune plainte (en tout cas ostensible). Le mec est juste un peu relou, un peu collant, et un peu récidiviste.

Je ne connais pas ses intentions. Avec ses airs de premier de la classe, difficile de savoir s’il cherche des coups d’un soir ou le grand amour. Quoi qu’il en soit, voilà plusieurs mois que je le vois adopter à de nombreuses séances la même technique, et manifestement sans grand succès, car le garçon est rarement accompagné. Rarement. Parce qu’il est vrai que ces derniers temps, il semble avoir atteint un assez haut niveau de drague pour discuter avec les filles à côté de qui il était assis (en tout cas je l’imagine, vu que je n’assiste pas à toutes ses tentatives). Des filles de son âge, souvent seules elles aussi. Reste à voir si elles lui répondent par simple politesse ou s’il les agace. Si certains cinémas se vident peu à peu des femmes arrivées un certain âge, ce n’est peut-être pas toujours parce qu’elles ont trouvé leur homme ou cessé d’être cinéphiles : elles en ont peut-être assez de croiser des types à qui elles répondent poliment, mais dont elles n’ont rien à faire. Mystère… (Moi, je cause à mes pieds, et je dévisage tous les spectateurs sans discrimination : des jolies qui viennent se placer au centre, aux habitués du fond de la classe et qui parlent fort ou aux vieux qui arrivent une heure à l’avance pour choper leur place préférée sur le côté. C’est comme ça qu’avant le film, j’ai droit à mes courts-métrages, à mes épisodes Netflix. Y auraient des automobiles, je me mettrais à les compter. Comme il n’y en a pas, je garde un œil sur le relou aux yeux de velours, et j’essaie de repérer avant qu’il arrive sur quelle fille il pourrait jeter son dévolu.)

Et si je dis tout ça aujourd’hui, c’est qu’à la dernière séance, il m’a bien fait rire, le lourdaud.

Technique habituelle : arrivé ni trop tôt ni trop tard, un regard discret vers le milieu de la salle depuis l’allée, et là, il repère une habituée de son âge qu’il ne peut pas ne pas avoir remarquée après toutes ces séances (oui, il y a beaucoup d’habitués, même jeunes). D’habitude, la demoiselle est accompagnée d’un beau barbu à l’air un peu endormi, alors l’occasion est trop belle, notre rat de cinémathèque se fraie un chemin vers sa belle, grand sourire générique, travelling posé, panoramiques en coin. Et puis, premier faux pas, je vois s’installer trois rangées derrière lui une fille qui, il me semble, discutait avec lui la veille : si celle-ci n’a pas la tête dans les étoiles, il me paraît assez peu probable qu’elle n’ait pas repéré notre bonhomme assis à deux pas devant elle. Soit elle ne l’a pas vu en se posant, soit elle l’a vu après et n’a pas osé intervenir (surtout le voyant à côté d’une autre), soit, ben, elle l’évite… (Quoi qu’il en soit, elle m’a paru déguerpir bien vite à la fin de la séance.)

Et puis la chute inévitable, deuxième faux pas, assez prévisible : le petit barbu, finissant sa sieste, entre dans la salle (je riais déjà, mais j’ai l’esprit mal tourné), se présente devant l’allée et rejoint son amie… Malaise, slam tilt, new ball, essaie encore…

C’est con, mais ça m’amuse.


Des nouvelles du dragueur de la Cinémathèque en ce mercredi de mi-février. Je n’avais pas vu le bonhomme depuis un bon moment, faute peut-être de suivre les mêmes rétrospectives, et le voilà qui ramène sa bonne bouille de vainqueur pour l’ouverture de la rétrospective… Léonide Moguy. On ne rit pas, c’est un événement. Moguy est un cinéaste semble-t-il féministe très populaire dans les années 30 dont on ne sait plus rien aujourd’hui faute d’avoir été loué par les cahiéristes des années 50 et qui ont pu pendant tout le reste du siècle dicter ce qu’était l’histoire du cinéma français ; on n’imagine pas notre séducteur maison venir exercer ses talents lors d’une telle ouverture. C’est qu’il doit mieux flairer les coups que moi, parce que tout inconnu qu’il est, le Moguy a fait quasiment salle comble dans la grande salle (avant que ses autres films soient balancés sans grande considération à la cave).

Bref, je le vois donc apparaître, garni d’une barbe de dix jours, alors que la salle est déjà bien remplie. Pas n’importe où. Posté à mi-salle sur les marches dans le coin droit en faisant semblant de voir s’il n’y a pas quelqu’un dans le coin qu’il connaît. Le radar de jolies nénettes est en action, et bientôt en émoi : il a trouvé sa cible, dérange cinq ou six personnes pour se faufiler en plein milieu d’une rangée juste devant la mienne. Restait une place en plein milieu à côté d’une jeune et grande blonde. Le jackpot pour un dragueur, quoi. Et puis technique habituelle… Vas-y que je demande l’autorisation de m’asseoir et que j’engage la conversation.

Pas vu le reste. Il se trouve qu’une fille accompagnée de sa très chère mère est venue troubler mon attention en venant se placer juste à côté de moi au moment où le garçon entamait sa drague. Troublé encore quand, alors qu’elle s’était mise à côté de moi, elle s’est rendu compte que le siège était cassé et a changé de place vers la gauche…

Puisque les femmes du Tout-Paris me lisent, sachez qu’il y a un siège cassé dans la grande salle. Votre mission si vous l’acceptez : y attirer le dragueur de la cinémathèque. (En vrai, le siège ne me paraissait pas si cassé que ça ; j’ai comme l’impression que c’était un prétexte pour se foutre un peu plus loin.)

(Simple commentaire naïf, mais, sérieusement…, ne viendrait-il jamais à ces filles l’idée de se barrer à une autre place en voyant ce lourdaud déranger toute une rangée pour se mettre juste à côté d’elles ? C’est quoi, de la naïveté de leur part, de la flatterie ? Parce que moi ça me fait rire, c’est un nouveau sketch à chaque fois, mais quel emmerdeur ne faut-il pas être pour multiplier ce genre de tentatives pathétiques dans un même endroit… Il se ferait bien remettre à sa place une bonne fois pour toutes, sans esclandre, juste des nanas se barrant sans lui adresser le moindre regard, il comprendrait que ce ne sont pas des manières… Vous êtes trop naïves, ou trop indulgentes avec ce genre d’énergumènes.)


Hé ben…, ça drague à la Cinémathèque, mais pour une fois, le relou aux yeux de velours n’y est pour rien.

Film un peu glauque hier où une Charlotte Rampling de vingt ans chante les seins à l’air dans un uniforme nazi. En ces temps de crise du nouveau coronavirus, il semblerait que certains aient paradoxalement envie de se rapprocher de leurs semblables… parfois bien plus vieux. (De là à penser à un complot de la jeune génération vis-à-vis des plus vieux, ces derniers étant les plus vulnérables dans cette épidémie…)

Avant le film, un bonhomme de bien cinquante ans, plutôt laid mais soucieux manifestement de s’accorder avec la jeunesse sur le plan vestimentaire, et assez entreprenant malgré le petit parfum de suspicion permanent traînant à la suite des vieux pervers, entame la discussion avec une petite rousse de pas vingt ans assise derrière lui. Les mêmes maladresses d’approche qu’un jeune inexpérimenté, mais le soin des gens polis. Le bonhomme est vite mis en confiance par la jeune rousse qui lui répond avec autant de maladresse, mais flattée, semble-t-il, et assez ouverte à la discussion. En ni une ni deux, le quinquagénaire en blouson de cuir, et qui doit bien faire trente centimètres de plus que sa belle rousse, propose de venir s’asseoir auprès d’elle, dérange deux demi-rangées assez peu garnies, et poursuit son approche séductrice.

Étrange couple en tout cas, et au contraire de l’habituel dragueur des lieux, le quinqua semble avoir des chances de conclure.

Autre épisode à la limite de la gérontologie, aujourd’hui même pour un navet en 3D. J’ai oublié mes lunettes, à la limite pour un film 3D, ce n’est pas bien grave, mais je change de ma place habituelle et me rapproche de l’écran. Je me mets aussi tout près de la rangée pour pouvoir sortir rapidement dans le cas peu probable où j’arrive à choper la séance qui suit dans la salle d’à côté. Je laisse juste une place à côté de moi pour ne pas trop être excentré, et là je vois une gamine se faufiler comme une anguille sur le siège de droite. Je sens comme un regard insistant posé sur moi. On ne m’a pas fait ça depuis que j’ai quinze ans (et en réalité, je n’ai même pas souvenir d’avoir été autre chose que témoin de cette technique puérile et féminine visant à attirer l’attention de mâles). Oui, parce que pour une fois, le dragué (et le vieux), c’est moi. (À moins que ce soit pour se foutre de ma tête.)

Bref, la jeune fille, buste entièrement tourné vers moi, gesticulant de tout son petit corps pour réveiller mes indicateurs d’alerte endormis : « Hou, hou ! Je suis là, je te regarde ! » Je tourne la tête un peu méfiant voire pétrifié un peu comme on le fait en se sentant épié par un serpent à sonnette. Je ne suis pas forcément rassuré quand je vois une petite brune asiatique d’une vingtaine d’années que j’ai déjà vue plusieurs fois et qui feint, ou qui a, quinze ans d’âge mental. Plutôt jolie, elle pointe impétueusement son menton vers moi dès que je la regarde et viendrait presque me sauter sur le bras avec les siens comme le ferait un chiot pour réclamer un sucre. Je lui demande un truc tout aussi idiot que ce qu’elle dégage avec ses lunettes 3D posées sur le nez, mais pas refroidie par mon manque total de repartie, elle continue de japper dès que je détourne la tête pour attirer mon attention. Mal tombée l’énergumène, en plus d’être vieux, j’ai l’amabilité et la conversation d’un glaçon.

Et là, alors que la salle commence à être bien remplie pour une séance à 16 heures en début d’une épidémie géronticide (il y a beaucoup de jeunes dans la salle), j’entends quelqu’un interpeller dans ma direction. Je tourne la tête, et derrière la petite brune qui joue avec ses lunettes, je vois la plus belle femme du monde qui me demande si la place deux ou trois sièges sur ma gauche est libre. Je reste deux secondes dans le vague, je me sens d’un coup projeté dans un roman de Philip K. Dick. Mais non, je n’ai rien pris, j’ai mes lunettes dans les mains et le film n’a pas commencé. La place était libre, le reste est brouillard.

En vingt secondes, j’ai eu le temps de me faire draguer pour la première fois de ma vie par un personnage de cartoon grandeur nature et de croiser le regard de la plus belle femme du monde (qu’un autre se chargera de draguer). Le relou aux yeux de velours a perdu une bonne occasion de venir exercer ses talents aujourd’hui.


Et revoilà notre don juan pour une masterclass dominicale susceptible de réunir de jolies célibataires bien éduquées. J’ai manqué son entrée en scène, mais celle-ci intervient sensiblement toujours à la même période. Je l’ai senti passer d’un côté de la salle à l’autre en la traversant dans mon dos, signe qu’il avait peut-être repéré sa cible de loin et qu’il passait de l’autre côté pour passer à l’action. Bref, il se présente dans une rangée, se rapproche du centre, et demande à une demoiselle s’il peut se mettre à côté d’elle. Manque de chance, elle lui répond qu’elle garde la place pour quelqu’un : manifestement, une nouvelle fois (puisque c’était déjà arrivé), le relou est venu s’enquérir d’une fille dont le bonhomme s’est absenté quelques minutes. Le voilà donc obligé de s’asseoir à côté d’un jeune garçon faisant très « élève d’école de cinéma payée par papa », habillé chiquement, visage poupon et coiffure à la mode. Triste voie sans issue pour le relou de la Cinémathèque.

Il aurait attendu vingt secondes, sa proie était là, se présentant deux rangées derrière la sienne. Une magnifique brune à la frange sévère, le nez long et étroit, venant s’asseoir dans un no man’s land improbable au centre de la salle. Se sachant chassé par sa duchesse du jour, le relou se tourne et se retourne, l’œil vide et perdu, et tombe inévitablement sur la petite brune. Va-t-il changer de place ? Non, il rend les armes. Il sera encore temps peut-être de mettre la main sur elle à la sortie…

Dommage pour lui. Non seulement la petite brune était charmante, peut-être deux fois plus jeune que le pull tout peluché qu’elle portait, mais ne cessait de donner des signes au garçon assis à deux fauteuils sur sa droite que « si seulement… elle était libre ». Pas de vaine, vraiment, même si quelque chose me dit qu’elle n’était pas de nature à se laisser faire (la frange, ça peut être radical en donnant un air sévère voire rebelle). À vouloir amadouer le garçon sur sa droite, elle m’en a même déconcentré un bon moment à se tricoter les cheveux trois heures durant avec les plus jolis doigts du monde… Ce n’est pas gentil d’offrir malgré soi ce spectacle à des types transparents qu’on finirait presque par rendre gaga en essayant d’en séduire d’autres. Le relou a manqué sa sortie ; le garçon sur la droite l’a suivie du regard en se demandant s’il devait la suivre ; mais tous les célibataires ce dimanche finiront un peu plus leur semaine, seuls, à se lamenter sur leur oreiller : « À un cheveu, ça s’est joué à un cheveu… ».

Gageons que le relou, la prochaine fois, calculera son entrée un peu plus tard.

La Symphonie nuptiale, Erich von Stroheim (1928)

Note : 3 sur 5.

La Symphonie nuptiale

Titre original : The Wedding March

Année : 1928

Réalisation : Erich von Stroheim

Avec : Erich von Stroheim, Fay Wray, Zasu Pitts

Resucée médiocre de l’amour véritable devant courber l’échine face au mariage d’argent. Ça patine sévère au niveau de l’intrigue, et pour cause, Stroheim multiplie les plans de coupe pour ne retraduire sans cesse que les mêmes idées, et on se fait aristocratiquement chier. Il faudrait compter le nombre de séquences, je parie qu’on est très largement en dessous de ce qu’on a l’habitude de voir à la fin du muet. Et visionner cet antépénultième opus de Stroheim juste après son premier bien plus réussi, ce n’est pas vraiment fait pour m’aider à l’apprécier tant la technique de von-von n’a pas évolué. C’est même plus statique, plus répétitif, et strictement plus mélodramatique (l’humour et la satire disparaissent peu à peu, et on sent assez mal le drame qui se joue une fois le mariage célébré — à moins que ce soit la musique qui m’ait salopé ce travail nécessaire d’identification/réception, voir plus bas).

Intérêt seul donc pour le folklo-décoratif du film. Les images sont impressionnantes, surtout au niveau des contrastes permanents offerts au regard des spectateurs pour leur en mettre plein la vue : les pommiers en fleurs bien sûr, mais aussi la pluie filmée en contre-jour (pour qu’on voie les gouttes, c’est mieux), et jusqu’aux maillots de corps de préférence bariolés en noir et blanc.

Fay Wray est parfaite mais aurait mérité d’être un peu plus au centre de l’attention (avec si peu de séquences et cette fois un von-von peut-être plus préoccupé pour se mettre en scène que pour raconter une histoire). Voilà qui explique en tout cas pourquoi, peut-être, elle n’aura pas froid aux yeux à l’idée de se frotter à King Kong : elle avait déjà dû se coller à un autre monstre habitué lui aussi à tomber de son piédestal (Cf : La Loi des montagnes). Et au contraire justement de La Loi des montagnes, Stroheim se réserve un personnage sans aspérité qu’il aurait été mieux inspiré de filer à un véritable jeune premier. (Zasu Pitts a vraiment le portrait caché de Lillian Gish.)

(Accompagnement détestable de Gary Lucas que la Cinémathèque persiste à inviter malgré un précédent massacre l’année dernière sur Tod Browning. Le type a même le toupet à la fin de son concert de montrer qu’il est venu bien comme il faut avec ses CD. Faudrait comprendre que le garçon est totalement inapte à accompagner un film. Parce que c’est bien ça dont il est question : accompagner un film. Et accompagner, ça veut dire s’effacer derrière lui pour souligner les jolies boucles dramatiques. Certainement pas proposer un spectacle sonore, assez désagréable au demeurant, en parallèle du spectacle proposé, là, sur l’écran. En plus, de la guitare électrique pour un film américain censé se passer en Autriche au début du siècle, il y a une logique d’accompagnement qui m’échappe.)


La Symphonie nuptiale, Erich von Stroheim 1928 The Wedding March | Paramount Famous Lasky Corporation


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1928

Liens externes :


Giacomo l’idealista, Alberto Lattuada (1943)

Note : 3.5 sur 5.

Giacomo l’idéaliste

Titre original : Giacomo l’idealista

Année : 1943

Réalisation : Alberto Lattuada

Premier film et première adaptation d’un roman de l’entre-deux-guerres pour Alberto Lattuada, loin de la ville et de sa pesanteur fasciste. La critique de la petite société de campagne avec ses aristocrates et ses bigotes n’en est pas moins corrosive. Si la fin reste conciliante, voire moralisatrice, puisqu’on évite ce qui, en d’autres régions, aurait amené à une vendetta pour laver le déshonneur subi par la promise, tout ce qui précède est parfaitement tenu : déjà chez Lattuada une subtilité pour traiter le mélodrame sans trop en faire et un sens du spectacle bien établi (la fuite de Celestina pour retrouver son Giacomo, la scène du viol filmée dans une lenteur presque kubrickienne).

Copie vidéo présentée sans sous-titres à la Cinémathèque. Ce n’est pas si problématique, au contraire. Ça permet de voir à quel point Lattuada est bon à nous faire comprendre une situation au-delà des mots. Et ce n’est possible que dans une logique de jeu avec ce qu’on appelait encore des emplois. À chaque archétype (ou actant), un emploi : on comprend vite, grâce à cette logique, qui sont les aidants, les opposants, les bénéficiaires, les victimes, etc. Une attitude, un geste, une silhouette, une intonation, et on cerne en un instant un personnage, visuellement, sans aide des dialogues (donc de traduction). Théâtral diraient certains. C’est surtout efficace à dévoiler quelque chose des personnages. La difficulté, c’est bien de rendre ça simple comme bonjour, sans masquer pour autant les zones grises d’un personnage, et c’est ça que les techniques dites modernes de jeu, inspirées de l’Actors Studio et faussement inspirées, elles, de Stanislavski, avec leur méchante habitude de laisser croire aux acteurs qu’ils peuvent tout jouer, ont sapé après-guerre. Essayons de comprendre l’emploi d’un acteur, sa fonction dans le récit, le type de situations mis en jeu, et cela au premier coup d’œil, désormais, sans l’appui du texte, eh bien bonne chance. La théâtralité, c’est rendre signifiant ce qui doit l’être ; sans théâtralité dans le jeu, ça se résume à un jeu insignifiant. On gagne sans doute en incommunicabilité et parfois en naturalisme, mais souvent, c’est surtout le message, la fable, qui se brouille.



Liens externes :


Images numériques et images argentiques (suite à conférence)

Cinéma en pâté d’articles   

SUJETS, AVIS & DÉBATS   

La conférence en question :

http://www.cinematheque.fr/seance/30984.html

Dommage que la conférence n’ait porté que sur la technique et l’exploitation des différents modèles numériques. L’aspect artistique était pratiquement inexistant, or, entre les ingénieurs et les exploitants de salle qui n’ont d’intérêt que pour le médium, il y a bien des artistes et des bouffeurs de pop-corn (peut-être que ça fera l’objet d’une nouvelle conférence, avec cette fois des créateurs, à la fois défenseurs du numérique, et les autres). Une question qui me préoccupe, moi, maintenant qu’on peut soi-disant proposer une qualité d’image optimale, c’est l’uniformisation du rendu numérique. Un intervenant, exploitant, l’a bien précisé : on peut désormais avoir le même rendu dans les salles qu’avec l’œil humain, alors à quoi bon en rester par exemple au bon vieux 24 images par seconde ? Maintenant, à moins d’avoir des caméras daltoniennes, presbytes, myopes ou semi-aveugles, capables de capter des images différentes des autres, ces rendus sont si parfaits, si proches de la réalité, qu’il n’y aura plus une image numérique qui ressemblera à une autre image numérique. Plus de grains, plus d’impression d’images saccadées (puisque plus d’obturateur bouffeur de lumière si j’ai tout compris), le cinéma en 4K par seconde.

OK, sauf que si toutes les images se ressemblent pour être hautement fidèles à la réalité, qu’est-ce qui fait maintenant la spécificité de l’image de celui qui la pense ? Où est le plaisir pour le cinéphile à reconnaître en une seconde la « pâte » d’un auteur ? la « patine » d’un type de cinéma spécifique à une époque, à un type d’émulation ou de pellicule ? Regarder un film taïwanais des années 80, ce n’est pas la même chose que de regarder un autre indien ou chilien des années 60 ; un Richard Thorpe coloré, ce n’est pas la même chose qu’un Michael Powell, d’un Tavernier ou d’un Fellini. Sans compter que ces films vieillissent différemment.

J’ai acheté peu de DVD dans ma vie, mais le premier que j’ai acheté m’avait ébloui, non pas par sa définition, mais au contraire par son grain. Mon Barry Lyndon crépitait et m’en filait plein la vue exactement comme une peinture impressionniste. Une pellicule sans grains, c’est comme un champagne sans bulles, comme un feu de cheminée qui crépite sans l’odeur du bois brûlé, de la fumée qui s’échappe et des cendres qui naissent… Il était tout heureux le Kubrick à pouvoir se passer d’éclairage artificiel pour ses séquences à la bougie, mais c’était encore de la pellicule ; je doute que si c’était si facile, si ordinaire, de capter une telle scène, que le rendu soit le même. Ce qui fait la spécificité de toute chose savoureuse, surtout en matière esthétique, ce sont les défauts, ce qui précisément sépare ce qui est produit dans le but d’être vu et ce qui est produit par la nature et capté par les capacités de l’œil humain. Toutes ces pellicules sont des daltoniens ou des aveugles qui nous restituent le monde tel qu’elles les « voient ». C’est tout un univers spécifique qui se recompose sous nos yeux et il me semble que c’est ça qui permet à la fois aux auteurs d’avoir une gamme d’expressions bien plus étendue avec de l’argentique, et au public d’identifier des millésimes spécifiques. L’image numérique, c’est de l’eau en poudre qu’on voudrait nous faire passer pour de la poudre de perlimpinpin. Dans la projection standard, si la moitié du film qu’on voit est cachée par l’obturateur, c’est ce voile d’obscurité imperceptible qui fait la magie du cinéma. La magie, c’est précisément ce que l’image a en elle de bricoler. Le cinéma, non, ce n’est pas la vie.

Alors certes, la numérisation offre d’immenses possibilités en matière de restauration de films, et par conséquent, de projection de films restaurés. Un champagne, c’est vrai, une fois qu’on l’a bu, il est bu ; la pellicule, de la même manière, c’est périssable (du moins quand on n’en prend pas soin). Et voir une œuvre dénaturée, lissée (avec parfois des effets gondolés étranges), pixélisée, c’est toujours mieux que de voir des lambeaux de film. Voir des films qui cassent (ou pire), c’est aussi un plaisir sadique ; c’est assister à la mort d’une copie, et y prendre goût. Prendre goût aussi à des copies même encore peu dénaturées, ne serait-ce qu’avec des bords flous, avec quelques rayures, des points de lumière, des taches, ça n’a pas beaucoup de sens. D’accord. En revanche, du côté des auteurs, et des possibilités qui leur sont offertes, j’ai vraiment l’impression (peut-être à tort), que ça limite considérablement leur choix. Et si dans un siècle, on ne peut plus distinguer, comme ça, grâce à quelques indices à l’écran, une image d’un film de 2020 et d’un autre tourné trente ou cinquante ans plus tard, voire d’un documentaire (ou même d’un film tourné sur smartphone), ça pose quand même un peu problème. Oui, moi aussi je trouve qu’un Manet, ça manque un peu de résolution ; il s’est pas foulé le type sur les détails. Ben, oui, la « belle croûte ». Une image, ça s’affine. Comme le camembert, comme le Roquefort, comme un bon vin. Tout ce qu’une image contient en elle d’imperfection, c’est notre imagination qui tâche de la rénover. Si le numérique nous mâche le travail, que reste-t-il du plaisir du spectateur ?

Bref. Toujours pas convaincu par le tout numérique.

Programme et prévisions saison 2018-2019 à la Cinémathèque française

Secret Sunchine, Lee Chang-dong (2007)

Le programme de la tek est donc tombé aujourd’hui. Même si en détail, j’attends surtout le choix des programmations habituelles (si maintenues) : révisons nos classiques, le cinéma français des années 30, probablement l’année 1919, voire les trouvailles des séances jeune public (le meilleur film de cette année ayant été proposé lors de ces séances, La Belle, qui pour info sort cet été à Paris le 22 août).

Tout le programme ici.

Top des attentes :

– 100 ans de cinéma japonais : tout dépend des films proposés en fait. J’ai peur que les raretés proposées n’en soient pas vraiment.

– Ingmar Bergman, l’intégrale : l’occasion de revoir des dizaines de chefs-d’œuvre dans des salles bondées. Faudra éviter de se goinfrer et préférer les derniers pas encore vus : Au seuil de la vie, De la vie des marionnettes, Le Visage, Rêve de femmes, La Nuit des forains, Monika, Jeux d’été, Vers la joie, Tourments.

– Comédies musicales : intérêt à ce que Eleanor Powell soit mise à l’honneur !

– Balzac dans le cinéma muet : Sans doute pas (que) des grands films mais un vrai choix de programmation. À découvrir donc. Parmi les français, peut-être, L’Auberge rouge, Le Père Goriot, Narayana, L’Homme du large. Mais vaudra sans doute plus le détour pour les productions allemandes, italiennes ou hollywoodiennes.

– Alberto Lattuada : vu que l’excellent Mafioso, ça fait envie.

– La nouvelle vague tchèque… et après : selon les films proposés, même problème que pour les films japonais.

– Le cinéma marginal taïwanais : des découvertes à prévoir.

– Éric Rohmer : l’occasion de voir certains films pas encore vus et de réévaluer le bonhomme (sans pour autant m’infliger ses classiques).

– Le retour de Lee Chang-dong en début de saison (pour mémoire, pas un grand fan de Peppermint Candy, mais Poetry et Secret Sunchine sont excellents).

– Les films de Bazin : vas-y, balance André.

– Leo McCarey : Y a-t-il encore des films de Leo McCarey à défricher ? Au programme probable pour moi : La Route semée d’étoile, la première version d’Elle et Lui, Lune de miel mouvementée. Il faudra guetter les raretés du muet hors Laurel et Hardy, valant le génial Mari à double face.

– Jean Renoir : pour ceux qu’il me reste à voir, révisions improbables : Le Petit Théâtre de Jean Renoir, La Marseillaise, La Femme sur la plage, La Fille d’eau, Le Journal d’une femme de chambre, L’Homme du sud, Le Caporal épinglé, Le Déjeuner sur l’herbe.

Erich Von Stroheim : reste à savoir ce qu’on nous montre. Entre le hachage des différentes versions, des sous-titres inadaptés, des accompagnements fantaisistes… j’ai peur. Pas vu un Stroheim depuis ma période « je hais le muet ».

Elia Kazan : À voir, L’Héritage de la chair, Le Mur invisible, Man on a Tightrope. Revoyures possibles selon l’humeur et le programme…

Billy Wilder : À voir ou revoir : Le Gouffre aux chimères, Assurance sur la mort, Boule de feu, Musique dans l’air (si programmé).

Agnès Varda : le plus excitant sera sans doute la présence de la réalisatrice, ça pourrait être savoureux.

– Georges Franju : il faudra me convaincre…

– Valeria Sarmiento : Jamais entendu parler, encore rien à voir. Au cas par cas.

– Charlotte Gainsbourg : Nymphomaniac, et pis c’est tout sans doute. (La maman vient juste d’être honorée.)

Federico Fellini : que reste-t-il à voir ? Revoyure possible des deux préférés, Cabiria et Casanova.

James Caan : à voir : Le Flambeur, Une femme dans une cage. Le reste à méditer.

Joan Crawford : à voir Possédée, West Point, et une préférence pour les croûtes des années 30 plus que pour le reste. Johny Guitare peut-être à revoir. Pour honorer les femmes, la Cinémathèque passe par les actrices : pas autre chose à faire, mais à la prochaine polémique, ce sera évidemment oublié. C’est bien de ne pas passer uniquement que par une logique auteuriste.

Jean-Paul Rappeneau : vu les principaux, pas intéressé, a priori.

– Sergio Leone : Trop vu. Grand écran ou pas.

– Mikio Naruse : Trop et tout vu. À la limite Quand une femme monte l’escalier dans la grande salle…

– Mario Bava : au cas par cas…

– Bruno Nuytten : au cas par cas…

Globalement, ça fait tout de même saliver. Ça manque peut-être de films de l’Est (on est toujours très orienté Japon/Italie, mais comment ne pas l’être), à la fois pour les muets mais aussi pour les périodes fastes (seconde partie du XXe siècle). Pas sûr que ça fasse le compte avec les films tchèques, surtout qu’on ne sait pas ce qu’il advient de la seconde partie de la rétrospective dédiée au cinéma soviétique.

La Belle, Arūnas Žebriūnas (1969)

Comptine d’été

Note : 5 sur 5.

La Belle

Titre original : Grazuole

Titre alternatif : The Beauty

Année : 1969

Réalisation : Arūnas Žebriūnas

Avec : Inga Mickyte

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La Belle fait partie de ces chefs-d’œuvre rares et méconnus qui convainquent à l’instant où on les voit, qui disent l’essentiel du cinéma, voire de la vie, tout de suite, avec la force des évidences. L’alchimie qui s’opère dans La Belle est parfaite : justesse du geste et des échelles de plan, beauté visuelle, délice sonore…, c’est une fable simple, son interprétation, quasi miraculeuse.

Dès le générique, on comprend à quoi on a affaire. Un poème, une ode à la liberté, à la beauté, à la simplicité, à la bienveillance et à l’espérance… Le film commence en contre-plongée vers le houppier scintillant des arbres : lumières d’été, silence apaisant, l’espoir peut-être déjà… Travelling arrière, et la caméra redescend vers la terre des hommes, qui sont en fait ici des enfants. Un petit groupe joue dans le lit d’une rivière asséchée à « La belle », un jeu qui consiste, on l’apprendra plus tard, à se réunir en cercle autour de notre personnage principal, Inga, au physique censé être disgracieux avec ses taches de rousseurs, ses grandes jambes nues, ses yeux ronds et rapprochés, ses grosses joues, et de lui dire combien elle est « belle », de vanter ses multiples qualités, alors qu’elle danse au milieu du cercle, gracieuse, lumineuse, telle une déesse se nourrissant avec bonheur des offrandes qu’on vient lui porter. L’image fait immédiatement penser à ces boîtes à musique souvent utilisées dans les films, censées raviver des souvenirs oubliés, et où parfois on actionne une petite manivelle pour y faire évoluer une danseuse mécanique.

À voir Inga dans cette première scène, difficile de concevoir aujourd’hui qu’un tel ange puisse représenter une image de la laideur, mais la réalisatrice lituanienne Alantė Kavaitė qui présentait le film confirmait toutefois que les taches de rousseurs par exemple n’étaient pas considérées comme des marques de beauté à cette époque dans son pays (et affirmait aussi que le scénario original dont elle avait pu se procurer un exemple ne souffrait à ce sujet d’aucune ambiguïté : Inga était laide).

Si tout est dit en une seconde, dès ce premier plan du générique, c’est qu’à ce moment, grâce au mouvement de caméra, à la situation (tirée d’une scène du film et qui pourrait tout aussi bien achever le film — ce qu’elle fait presque d’ailleurs), à la musique et à la grâce de la jeune actrice, souriante, élégante, malicieuse, eh bien tout est dit. Comme une ritournelle qui s’impose dès la première mesure, et qui revient sans cesse hanter nos oreilles : quelques plans de cette scène reviendront ponctuer le film mais tournés en divers endroits, car dans ce jeu étrange (qui ne peut être que celui des anges, a-t-on vu des enfants se comporter réellement ainsi ?) c’est tout à la fois qui se compose autour de la même harmonie : le dilemme et sa résolution. Du moins une résolution, car si ces anges semblent nous donner dès le générique une belle leçon de vie, le film ira plus loin encore. Alantė Kavaitė encore parlait d’un film impressionniste. Si dès le générique tout est dit, c’est que le film ne s’appliquera pas à suivre le cours d’un récit chronologique. Le film est trop court pour cela, et au mieux il prend la forme d’un conte. Ou pour rester dans le jeu d’enfants et de la ritournelle, la comptine. Différentes séquences serviront en fait à illustrer toujours la même idée, la même obstination : celle d’une beauté pas seulement intérieure, mais une beauté qui peut se révéler à notre regard quand ce qui est défini comme laid sourit à la vie et est embelli par la bienveillance de ceux qui la regardent.

Un seul élément nouveau dans ce que le film tient précisément de narratif viendra mettre à l’épreuve la logique bienveillante de ces elfes en culottes courtes : l’apparition d’un nouveau venu de leur âge questionnant pour la première fois la « beauté » de leur amie. Le perturbateur fera en réalité long feu. S’il remet en doute la beauté d’Inga, ce sera moins pour révéler sa naïveté que l’existence de beautés nouvelles, plus amères, ou moins immédiates.

Ce nouveau voisin, sorte de philosophe panthéiste perdu au milieu d’un manège de libellules, s’obstine à vouloir faire fleurir une demi-douzaine de branches que la joyeuse bande de lutins rieurs prend d’abord pour les rameaux d’un balai mais que lui laisse mijoter avec foi dans un vase de fortune. Ce qu’attend ici notre poète, c’est la liberté, l’espoir d’un temps meilleur… L’autre beauté, elle est là, celle de l’attente et de la foi. Autre préoccupation de sage pour cet étranger : nourrir les chiens délaissés par leurs propriétaires partis en vacances. L’occasion pour Inga (qui suit maintenant cet étrange bonhomme partout) de rencontrer un chien sur les bords du lac, indifférent à leurs caresses, attendant son maître noyé déjà depuis plusieurs semaines. Inga comprend que sa mère est comme ce chien, à attendre le retour improbable d’un mari invisible. Toujours la même attente. L’espoir doux amer, la résignation optimiste du sage convaincu en dépit des apparences que tout est possible… Même de voir des balais fleurir.

Voilà, peu de choses racontées ou montrées en à peine plus d’une heure : l’essentiel, une fulgurance cinématographique. La vie des anges n’aura été dérangée que quelques minutes : le soleil continue à briller, et on peut même inviter sa mère à jouer à « la belle », lui rappeler combien elle l’est, belle, et essentielle, si l’espoir lui venait à manquer. Dans ce conte philosophique, ce sont les enfants qui font la leçon aux parents. Et ils peuvent bien : une fois plus grands, leur balai ayant fini de fleurir, ils pourront les envoyer promener. Les vieux. Qui n’auront alors plus qu’à s’asseoir sur un banc et à contempler le désastre du temps passé. L’immuable marche du monde, comme pour dire à l’occupant et à la tyrannie : la liberté refleurira bientôt.

Inutile de dire que pour convaincre en jouant une telle partition, il faut une maîtrise formelle impeccable. Tout du long la réalisation de Arūnas Žebriūnas est élégante, préférant les mouvements de caméra aux images statiques (on dit souvent que pour filmer les enfants il faut savoir se mettre à leur hauteur, mais il faut aussi savoir les suivre : comme pour L’Histoire de Jiro, les travellings d’accompagnement sont magnifiques, tout comme les zooms, utiles pour éviter un montage heurté, ou les panoramiques en plans rapprochés), la musique prend souvent le pas sur les dialogues (l’atmosphère est volontiers contemplative), et surtout la petite Inga Mickytė est impressionnante de justesse, de poésie, de charme et d’intelligence. Autant de qualités déjà présentes dans Les Dimanches de Ville d’Avray tourné quelques années plus tôt (le film peut également faire penser pour cette scène de danse à Cria Cuervos).


(Le film semble être en voie d’être distribué en France. La copie était magnifiquement restaurée. Espérons que ça se fera un peu moins dans l’anonymat que ce coup-ci à la Cinémathèque. La salle était quasiment vide et le film projeté dans le cadre d’une séance « jeune public ».)



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Gribouille redevient Boireau (1912), Les Débuts de Max au cinéma (1910), Un idiot qui se croit Max Linder (1914), Mabel’s Dramatic Career (1913), Before the Public (1925)

Cinq courts burlesques

Before the Public, Mabel’s Dramatic Career, Un idiot qui se croit Max Linder, Les Débuts de Max au cinéma, Gribouille redevient Boireau

Année : 1910, 1912, 1913, 1914, 1925

5/10  

Réalisation :

Louis Gasnier, Mack Sennett, Lucien Nonguet, Bosetti, Charley Chase

Avec :

Max Linder, Gribouille, Mack Sennett, Mabel Normand, Fatty Arbuckle,

Un point commun à tous ces films, la mise en abîme, un peu comme Léonce Perret le faisait dans Léonce cinématographiste. Il faut avouer que le procédé un siècle après a son petit charme. Ces films étant réalisés à la même période, probable qu’ils se copiaient les uns les autres comme c’était là encore pas mal une habitude dans ces premières années.

Le Gribouille a surtout l’intérêt de montrer cette star aujourd’hui complètement oubliée et citée par exemple dans l’Histoire du cinéma français de C. Beylie. Le Max Linder n’a rien de bien amusant. Le Bosetti (autre acteur majeur de cette période dont les films sont rarement vus aujourd’hui) est plus drôle et s’achève sur un joli plan en travelling avant sur Bosetti jusqu’au gros plan au milieu d’autres caméras (les travellings – encore moins les travellings avant – sont assez rares à cette époque, et de mémoire on peut en voir dans un Chaplin – le “sujet” étant cette fois un tableau).

Le Mack Sennett confirme que le pionnier canadien est loin du génie comique de certains de ses acolytes. Tout au plus peut-on mettre à son crédit l’utilisation dans ces scénettes du montage alterné (et cela avant ou en même temps que Griffith, mais plus de dix ans après les bricoleurs de Brighton[1]) et d’avoir découvert ou mis le pied à l’étrier de bon nombre de clowns bien plus amusants que lui. Chaplin n’est pas ici, mais on peut déjà apprécier la présence de Roscoe Arbuckle (pas encore accompagné de Buster Keaton). Quant à Mabel Normand, malgré ce que voudrait nous faire croire quelques révisionnistes féministes, elle n’a toujours été bonne qu’à jouer les faire-valoir. L’importance d’un artiste ça se mesure au talent, pas à son sexe ou aux prétendus freins dont il a été victime encore une fois à cause de son sexe. Bref, le film est médiocre. Mack Sennett + Mabel, avec une maigre apparition de Fatty Arbuckle… comme parfois chez Sennett, le talent il est chez les premiers figurants…

Le dernier film est à la fois sans doute le plus long, le plus drôle et le plus méconnu. Du moins je ne connaissais pas ce Snub Pollard (avec un nom francisé que j’ai oublié, un peu à l’image de ce qui était fait avec “Charlot”). Plus long, donc plus élaboré. C’est du slapstick, ça ne vole pas bien haut, et l’âge d’or du burlesque bricolé, en 1925, est peut-être un peu passé de mode. Il y avait alors de la concurrence et du niveau. Si ce film est le meilleur de la série, c’est un peu surtout parce qu’il a été réalisé dix ans après, au milieu de tous les chefs-d’œuvre qui nous sont parvenus.

À noter l’effroyable accompagnement de Joël Grare et de son acolyte tout aussi dépourvu de génie (ou le contraire). Le xylophone passe encore, mais les innombrables expérimentations presque bouleziennes qui ne sont en aucun rapport aucun avec ce qu’on voit à l’écran, c’est franchement pénible. Et celui-ci, me semble-t-il, avait déjà participé au massacre de certaines projections l’année dernière lors de la rétrospective von Sternberg. Les jouets d’animaux domestiques qui couinent et qui font « pouët-pouët », c’est juste pas possible. Sans compter que monsieur a besoin de dix minutes entre chaque film pour changer d’instrument, si bien que j’ai fini par rater ma séance suivante… Pouët-pouët, monsieur Grare. Et pouët-pouët la Cinémathèque. Un accompagnateur, ça accompagne. Ça improvise pas un récital de musique moderne sur des films burlesques.


[1] L’école de Brighton


La Chasse au lion à l’arc, Jean Rouch (1966)

La Chasse au lion à l’arc

La Chasse au lion à l’arc
Année : 1966

Réalisation :

Jean Rouch

8/10 IMDb

Les Indispensables du cinéma 1966

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Eh bien, en voilà un exemple de Rouch documentariste. Pas de fiction, sinon le récit d’une chasse bien réelle qu’il s’attache à rendre fidèlement avec force détails. Rouch est ethnologue comme Painlevé était scientifique, et c’est son regard, ses précisions, notamment sur les préparatifs, l’utilité de chaque objet, la signification de tel ou tel geste ou comportement, qui valent de l’or. Quand on regarde ses films, on n’attend pas seulement qu’il nous raconte une histoire (et la voix de Rouch, omniprésente ici, prouve également que c’est un excellent conteur) mais qu’il nous donne des informations sur ce que lui, en tant que sage africain et ethnologue, peut partager avec nous.

Apprendre et s’amuser, le ludique et le didactique… le Graal pour tout auteur depuis Aristote.


La Chasse au lion à l’arc, Jean Rouch 1966 | Comité du film ethnographique, Les Films de la Pléiade


La Punition, Jean Rouch (1962) (+ fragment Les Veuves de 15 ans)

Chroniques rouchiennes

Note : 4 sur 5.

La Punition / Les Veuves de 15 ans

Année : 1962

Réalisation : Jean Rouch

Avec : Nadine Ballot, Jean-Claude Darnal, Modeste Landry, Jean-Marc Simon

Segment Les Veuves de 15 ans : Le meilleur versant de Rouch, et je ne parle pas de géographie. Comme il l’avait déjà démontré dans Chronique d’un été, il peut très bien se muer en ethnologue en plein Paris. Et ce n’est pas le moins intéressant. Un demi-siècle après, quand on y voit nos parents jouer à la poupée, s’interroger sur leur sexualité et finir par une partouze qu’on qualifierait plus aujourd’hui de viol collectif, ça vaut tout de même le détour. Face à la réception plus que mitigée de La Punition, Pierre Braundberger aurait décidé de ne pas exploiter ce segment de Rouch dans le film. À noter l’excellente interprétation de Maurice Pialat dans un rôle de photographe, professionnel, très professionnel.

La Punition, long métrage, est tout aussi dérangeant. Sorte de variation adolescente de Cléo de 5 à 7 dans laquelle on suit Nadine, virée pour la journée de son cours de philosophie, qui s’en va donc déambuler dans la capitale avec son cartable de quinze tonnes en quête d’on ne sait quoi, d’aventure, de fuite… Faudrait pas la prendre pour une gourde la Nadine, parce que si elle est de ces personnages un peu perdus du cinéma, formidablement photogéniques à regarder toujours au loin malgré leur regard flou, quand elle rencontre « ses hommes », elle a du répondant. On pourrait presque voir le film comme une autre version — si ce n’est du Varda ce sera du Rouch même — de La Chasse au lion à l’arc (qui est en fait une chasse aux lionnes) centrée cette fois sur la proie : autrement dit Nadine. La proie des dragueurs, cette espèce sauvage autrefois tolérée mais aujourd’hui chassée. Tout au long de sa journée de pérégrination parisienne, Nadine ne va cesser de se faire aborder par des inconnus.

Rouch, contrairement à ce qu’il fera dans son court métrage, choisit l’improvisation et l’actrice s’en sort très bien. Mais jetés dans une telle situation et priés d’improviser, elle et son prétendant malheureux (ou lourd), ce n’est finalement à ce stade pas beaucoup plus différent que de se rencontrer, d’essayer d’appréhender, séduire ou se débarrasser de l’autre dans la vraie vie. On sent très bien chez Nadine (et donc son actrice), le jeu permanent, ou la confusion, entre ce qu’elle dit, ce qu’elle voudrait, entre la tentation de se laisser convaincre et le désir de ne pas se trouver importunée. Tout évidemment tourne autour d’une seule chose : le sexe. On utilise parfois le terme « d’aventure » et on peut jouer alors sur les différentes définitions du mot, car Nadine dit vouloir qu’on l’embarque loin sans avoir à rendre de comptes à personne. Mais n’est-ce pas finalement la même chose. La grande aventure, qu’elle soit amoureuse ou un départ pour ailleurs, pour Nadine, c’est la même chose : elle recherche quelque chose qui puisse la transporter dans un lieu idéal qui serait tout sauf ici, sans attaches, sans contraintes de la vie présente ou d’argent… Elle rêve d’amour pourtant, bien plus que de grand voyage, mais c’est sa manière de l’exprimer. Parce que quand on se sent oppressé dans une situation de vie, tout ce qui pourrait nous en échapper semblerait prendre l’apparence d’un grand voyage. Or, quand elle met à l’épreuve ses amoureux potentiels, elle voit bien que ce qui les anime avant tout, c’est l’aventure passagère, celle du sexe, attirés par sa beauté et sa jeunesse. Y a-t-il seulement des dragueurs qui pensent à autre chose ?

L’amour, Nadine l’a bien compris, ce n’est pas être la proie d’un autre, c’est se perdre ensemble dans un ailleurs qui ne leur appartient qu’à eux. L’incommunicabilité des couples. Sans doute que pour ces hommes, la drague reste un moyen comme un autre pour découvrir l’âme sœur, au détour d’une aventure qui avait l’ambition d’être tout autre chose, mais derrière chaque discussion, c’est le sexe qui réapparaît à chaque fois. Ces hommes pourraient passer pour des goujats, mais s’ils le sont sans doute un peu par leurs intentions toutes tournées vers le sexe, ils sont surtout des hommes tout autant perdus qu’elle. La différence étant bien que pour un homme (en tout cas ceux-là), les sentiments viendraient après. Pardon du cliché mais c’est ce qui ressort du film : une femme a besoin de se représenter dans les bras d’un homme, en train de l’aimer, avant de lui faire l’amour, qui serait alors l’aboutissement, la confirmation d’un amour, celui-là, sentimentale ; alors qu’un homme voit d’abord une femme comme un objet, à même de satisfaire ses pulsions sexuelles avant de le saisir ailleurs, par les sentiments, car au fond, il a besoin de goûter avant d’acheter…

Nadine se lasse de plus en plus de ses conversations semblant mener nulle part sinon au plumard, pourtant elle garde l’espoir qu’on vienne la cueillir pour l’emporter… Il serait plus simple de rentrer chez elle, mais elle insiste. Et tout en insistant, sa patience et sa tolérance ne font que diminuer au fil de la journée. Si certaines femmes peuvent se faire draguer plusieurs fois dans la même journée et si pour certains hommes cela peut paraître invraisemblable ou incompréhensible, le film montre au moins ça parfaitement. L’agacement quand arrive le soir de se voir importunée encore et encore. La fatigue de n’être perçu que comme un bout de viande tout juste bon à procurer un plaisir passager, une barque pour passer la rive du petit plaisir capiteux vite oublié, avant que tout reprenne son cours normal. Alors que c’est à cette routine que Nadine voudrait qu’on l’arrache. Quand son prétendant de Bretâghne lui parle de bateau, elle voudrait y voir un paquebot pour partir sur les océans ; lui ne parlait que de voile… Un petit tour en mer et pis c’est tout.

Pauvre Nadine. À l’image de sa grande sœur Cléo, elle finira la journée sur les rotules. Et on ignorera comment se sera passée sa nuit.


La Punition, Jean Rouch 1962 | CNC Les Films de la Pléiade

Les Veuves de quinze ans (Marie-France et Véronique), Jean Rouch 1965 | Les Films de la Pléiade


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