La Terre qui flambe, F.W. Murnau (1922)

Le trésor des Rudenburg

Note : 3.5 sur 5.

La Terre qui flambe

Titre original : Der brennende Acker

Année : 1922

Réalisation : F.W. Murnau

Avec : Werner Krauss, Eugen Klöpfer, Vladimir Gajdarov, Stella Arbenina, Lya De Putti

Quatre premiers actes difficiles ; les deux qui clôturent le film sont magnifiques. Quelques soucis au début pour comprendre qui était qui et après quoi (ou qui) ils couraient tous dans leur coin. Le film est très dense, multipliant les ellipses temporelles, et n’étant pas bien physionomiste et ayant parfois des sautes d’attention, j’ai besoin que les introductions où on présente les personnages et les enjeux soient lentement exposées, avec une contextualisation qui infuse bien pour que je m’y retrouve. À ma grande honte, j’ai dû arrêter le visionnage pour comprendre sur Wikipédia de quoi il en retournait. Et pour couronner le tout, non seulement le film expose des thèmes qui m’ont rarement enthousiasmé (la cupidité et la malédiction), mais en plus, quand j’aborde un film, je suis comme un orphelin qui vient y trouver des figures de références, des visages humains à qui s’identifier : j’ai besoin d’adhérer aux valeurs morales des personnages, d’être ébloui par leur force mentale, par leur fantaisie, parfois même par leur science ou leur goût pour le vice. Mais la cupidité, en tout cas telle qu’elle est illustrée dans le film (de manière froide et distante, à l’image de ce qui se fait par ailleurs dans les films de nature plus expressionniste et qui aborde même la nature malfaisante de l’esprit humain — à la frontière, cette fois, avec le cinéma d’horreur), ça ne compte pas vraiment parmi les petits (ou les gros, quand ils sont démesurés) vices qui éveillent mon enthousiasme.

Le basculement pour moi a donc lieu bien tardivement : d’abord, quand la distribution s’est resserrée après la mort opportune de quelques-uns des personnages, ensuite, quand le frère Peter accepte de rendre l’argent à sa belle-sœur. Il se montre totalement désintéressé par l’appât du gain, et c’est donc à ce moment que je me dis : voilà, mon référent, mon doudou. Le film prend alors une teinte plus mélodramatique et cesse les ellipses temporelles qui cassent à chaque fois la tension dramatique (il n’y en a qu’une, mais une petite, comme toutes les autres, entre les deux derniers actes). Chacun des autres personnages gagne alors en humanité : l’une, parce qu’elle comprend qu’elle n’a jamais été aimée ; l’autre, parce qu’il comprend la vacuité tragique de son ambition et retourne sur le droit chemin (on le devine entamer une forme de rédemption pour se faire pardonner, et il s’écarte définitivement ainsi de la noirceur, voire de la malfaisance, de certains personnages de films expressionnistes — Murnau tourne la même année son Nosferatu).

Cette dernière partie du film met aussi un peu plus à l’honneur les extérieurs avec des plans, des prises de vue de Karl Freund d’une grande beauté jouant sur la profondeur et le contraste qu’offre la neige en extérieur, rappelant parfois Le Trésor d’Arne (avec la même notion de trésor, d’ailleurs), alors que jusque-là, encore une fois, le film traînait dans des intérieurs mal fichus. Il y a dans ces décors un petit quelque chose du cinéma expressionniste qui m’ennuie tant (à la moindre voûte un peu basse, à la première poutre de biais, je suffoque, je ventile, je rêve d’espace…), et a contrario, les extérieurs évoquent les sagas scandinaves beaucoup plus à mon goût (avec cette alliance de réalisme, d’aventure et de romance qui trace les contours déjà du futur classicisme).

Techniquement, 1922, on ne peut qu’être épatés. Pourtant, je serais peut-être un peu agacé, parfois, par le recours un peu trop systématique au montage alterné pour fabriquer une intensité artificielle. Dans ce cinquième acte qui ranime mon intérêt, par exemple, Murnau alterne la séquence du frère et de la belle-sœur venant lui vendre le champ maudit avec une autre où le mari se met d’accord avec des promoteurs pour y extraire la mélasse précieuse des entrailles de la Terre. Au bout d’une fois, on a compris le télescopage narratif des deux événements, et ça ne servait à rien de le reproduire : chaque retour à la séquence précédente produit finalement l’effet contraire recherché puisqu’un retour à un lieu précédent sans avancée dramatique, c’est toujours dans l’esprit du spectateur un retour en arrière, et l’effet, au lieu d’accentuer l’intensité, ne forme plus qu’une vague impression de surplace. Murnau (à moins que ce soit les scénaristes Willy Haas et Thea von Harbou) reproduit ce type de montage alterné inutile deux ou trois fois dans son récit, c’est peut-être la mode, mais ça n’apporte rien au film. Il aurait été bien plus logique de ne pas montrer cette première séquence entre le frère Peter et sa belle-sœur et laisser le spectateur découvrir la vente contrariant les plans de Johannes en même temps que lui. C’est le climax du film, la « catastrophe » avant le dénouement, il fallait faire en sorte de jouer sur deux révélations tragiques coup sur coup : la vente du terrain par la femme rendant l’accord avec les promoteurs impossible et la révélation pour elle que son mari ne l’a épousée que pour le profit.

Il faut noter aussi sans doute la force allégorique du film (le genre de symbole qui me laissent d’habitude assez indifférent, mais comme c’est assez flagrant ici, le spectateur-orphelin que je suis lève le doigt tout heureux de sa trouvaille) : une famille qui se déchire à cause d’un champ pétrolifère maudit. Certains avaient l’espoir qu’il les rendra riches ; le champ finira en fumée… C’est littéralement le titre du film. Le destin de l’humanité en somme, avec sa cupidité, et sa précieuse politique de la terre brûlée ou de l’exploitation que l’on croit sans fin des richesses que l’on extorque à la Terre sans rien penser lui devoir… La cupidité, tout dépend de la manière dont on la présente dans un film. En 1922, personne ne pouvait présager de caractère allégorique ou prémonitoire de cette fable… Pas sûr que pour l’humanité, ça se finisse aussi bien que dans le film. Certes, une femme se suicide par désespoir amoureux (c’est la version allemande du happy ende, les joies des variations émotionnelles du mélodrame), mais tout revient finalement dans l’ordre et l’harmonie quand le frère retrouvera sa chambre de grand garçon après une bonne leçon.

(Détail savoureux pioché lors de mon passage sur Wikipédia : le film aurait été longtemps considéré comme perdu avant qu’on retrouve le film entre les mains d’un prêtre qui le projetait à des fous pour les divertir. On n’est pas loin de la situation surréaliste que j’évoquais dans La jeunesse se fout du cinéma.)


La Terre qui flambe, F.W. Murnau 1922 Der brennende Acker | Deulig Film, Goron Film


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Colonel Redl, István Szabó (1985)

Less pion

Note : 4 sur 5.

Colonel Redl

Titre original : Oberst Redl

Année : 1985

Réalisation : István Szabó

Avec : Klaus Maria Brandauer, Hans Christian Blech, Armin Mueller-Stahl, Gudrun Landgrebe

Magnifique film sur les préludes à une guerre qui sera la Grande boucherie du XXᵉ siècle, ou comment l’ambition d’un officier aux origines modestes devient chef de la police secrète attaché au service d’un archiduc de triste mémoire et finit par devenir la victime des petits complots guère glorieux qui agitaient l’Europe centrale avant que tout ce petit monde trouve enfin prétexte à se péter sur la gueule.

Si le petit jeu politique n’a pas grand intérêt et vaut surtout pour les allusions historiques qu’on peut déceler ici ou là, on est happé par la justesse de la mise en scène de Szabó, appliqué à rendre l’atmosphère « fin de siècle » des intrigues souvent plus personnelles que politiques. Parce que derrière le sujet historique, l’ambition de Redl, on raconte une histoire privée bien plus intéressante. D’abord, Redl a honte de ses origines, et s’il devient plus royaliste que le roi, plus loyal, c’est surtout parce qu’on le sent obligé de devoir justifier aux yeux de tous sa position. Ensuite, Redl étant homosexuel, il doit donner le change à tout moment pour ne pas éveiller les soupçons et semble toujours tiraillé entre ses propres désirs (son amour jamais avoué semble-t-il pour son ami d’enfance, au contraire de lui, aristocrate, moins vertueux et bien moins loyal à l’Empire) et sa volonté de plaire à sa hiérarchie.

Pour illustrer les troubles permanents de Redl, Klaus Maria Brandauer (doublé, toutefois, les joies des coproductions européennes) est exceptionnel : j’ai rarement vu un acteur avec un visage aussi expressif interpréter un personnage cherchant autant, lui au contraire, à ne rien laisser transparaître. Un jeu tout en nuances, en sous-texte et en apartés, malheureusement trop rare au cinéma, surtout avec les hommes chez qui le premier degré, l’impassibilité, est souvent la règle. Quoi qu’il fasse, Redl semble contrarié par des démons invisibles, tourmenté par son désir de réussir et de plaire, de ne pas se montrer sous son véritable jour. Et tout cela, Klaus Maria Brandauer arrive à l’exprimer sans perdre de son autorité, sans tomber dans la fragilité et l’apitoiement qui rendrait son interprétation désagréable.

On sait que dans Barry Lyndon, Kubrick avait un peu perdu le fil avec son personnage sur la fin en ne parvenant pas à le préserver d’une certaine errance morale (le roman étant à la première personne, William Makepeace Thackeray échappait à cet écueil, et ne pas avoir préservé cet angle est peut-être le seul bémol qu’on pourrait reprocher au film du génie new-yorkais). Rien de cela ici. Un défaut différent cependant empêche le film peut-être d’atteindre les sommets : son rythme est tellement resserré (rendu nécessaire par la longueur déjà conséquente du film), et Redl se trouve finalement tellement seul à la fois dans son ascension et dans sa chute (la seule personne qui partage réellement son intimité, c’est sa maîtresse, mais il ne se dévoile jamais à elle) que le récit manque parfois de relief, de pesanteur bénéfique, de grâce ou encore de grands moments d’opposition nécessaires dans un dénouement. Or, malgré tout, les grands films, me semble-t-il, sont toujours l’affaire de rencontres et de relations : preuve peut-être encore d’une certaine frilosité à l’époque (la libération sexuelle a ses limites). Le film aurait peut-être gagné à insister sur la relation intime entre Redl et son ami de jeunesse, plus que sur celle avec sa maîtresse, ou celle encore moins développée avec sa femme.

Un beau film tout de même sur une ambition contrariée au moment de croiser les frêles fils du destin d’une Europe amenée bientôt à s’agiter dans une grande explosion de violence sans limite…

La photo est magnifique et rappelle beaucoup la lumière cotonneuse, scintillante et orangée de Sindbad.


Colonel Redl, István Szabó 1985 Oberst Redl |Manfred Durniok Filmproduktion, Mokép, Objektív Film, ZDF, ORF


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La Neuvième Symphonie, Douglas Sirk (1936)

Propagande et robe à fleurs

Note : 2.5 sur 5.

La Neuvième Symphonie

Titre original : Schlußakkord

Année : 1936

Réalisation : Douglas Sirk

Avec : Willy Birgel, Lil Dagover, Mária Tasnádi Fekete, Maria Koppenhöfer

La logique de la politique des auteurs jusqu’à l’absurde. Rétrospective Douglas Sirk à la Cinémathèque : film allemand de 1936, mélo qui sent bon la propagande, tendance soft power, mais propagande quand même, avec la mise en avant des valeurs nazies. Fin de projection : des spectateurs applaudissent. J’entends même à la sortie quelqu’un dire que c’est rafraîchissant de voir un film en allemand (j’espère que quelqu’un lui a soufflé que Sirk était Allemand…). Les gens comprennent ce qu’ils regardent, sérieux ? On peut louer les qualités intrinsèques d’un film tourné sous la censure nazie, s’imaginer, pourquoi pas, que des artistes soient parvenus à la déjouer (tout est lisse dans le film, donc rien à déjouer), mais d’une part, quand ça fait la promotion justement de ces valeurs, et même si on y trouve ces audaces qu’on supposera toujours à des « auteurs », de la décence, merde. Ça reste un film de propagande répondant à tous les principes que le pouvoir voulait voir développé dans la production domestique : en 36, les juifs sont déjà interdits de travailler dans l’industrie du cinéma, et on est prié de proposer (comme on le fera plus tard avec les films de la Continental en France occupée) des films intemporels et divertissants. C’est peut-être pas Le Juif Süss, mais c’est pas non plus M le maudit. Pas besoin qu’un film soit antisémite pour être de la propagande, et le film de Lang peut difficilement être fait contre les nazis à l’époque où il a été réalisé… La Neuvième Symphonie serait un chef-d’œuvre « intemporel et divertissant » comme peut l’être par exemple Sous les ponts de Helmut Käutner, tourné en toute fin du régime, pourquoi pas, mais qui irait prétendre que ce film de Sirk en soit un ?…

Parce qu’au-delà de ça, le scénario n’a donc aucun intérêt. Avant d’avoir fait la promotion de la société américaine et de sa (haute) société de privilégiées / de la consommation, Sirk a fait celle de la société aryenne allemande. J’attends qu’on m’explique s’il y a une logique auteuriste là-dedans. En détail, on remarquera les ficelles grossières d’un mélo comme on n’en osait plus depuis le muet : une mère indigne qui abandonne son gosse en Allemagne pour se tirer en Amérique, et qui de retour dans la mère patrie débarque ensuite chez le gentil Allemand de l’orphelinat où elle avait laissé son film et qui se trouve être le meilleur ami d’un chef d’orchestre fameux ayant précisément adopté son gamin (celui-là même responsable de la captation de la symphonie du titre et qui aurait sauvé la vie de la mère en entendant sa musique en Amérique…) ; le gentil Allemand propose à cette mère qui veut se racheter une conscience (trompée sans doute par les vaines promesses de l’Amérique) de rentrer au service du chef d’orchestre pour s’occuper de son propre film (sans révéler bien sûr à son ami que la nounou qu’il lui conseille est la mère de l’enfant, tu parles d’un ami) parce que, « tiens, justement, ça tombe bien, je reçois un appel de lui qui cherche une nounou pour le petit ». Concours de coïncidences malheureuses et heureuses, on force sur les extrêmes (les très riches sont des génies ou des escrocs, les très pauvres, des mères indignes en quête de rédemption poussée par l’instinct maternel allemand sans doute) : un vrai mélo du muet.

Non, l’intérêt, si on veut, car il y en a un, est ailleurs. Sirk se débrouille pas mal du tout pour mettre tout ça en place : c’est jamais statique, y a du rythme, c’est élégant, bien dirigé. Mais le gros plus, c’est évidemment les moyens et la qualité du design (décors et costumes). Ce n’est pas qu’une question d’opulence et de volonté sans doute du pouvoir de divertir avec du beau. Vouloir, c’est une chose, mais on est en train d’assister à la mort de tout un savoir-faire allemand qui finira par disparaître durant les années du pouvoir nazi. Jamais plus le cinéma allemand ne connaîtra ce génie esthétique, cette élégance (ce qui est allemand, sera bientôt froid, rigoureux et efficace). Les tyrannies ont décidément un art certain pour saper des décennies de génie et de bon goût. Certains « art directors » sont passés en Amérique (je dois avoir des entrées dans mon Hollywood Rush), c’est pas le cas ici : mais le travail de Erich Kettelhut est assez exceptionnel. Erich Kettelhut a travaillé sur les films muets de Fritz Lang que le régime appréciait beaucoup, et en 1944, il fera les décors d’un des derniers films nazis qu’on voit subrepticement dans Dix-Sept Moments du Printemps quand l’espion soviétique passe son temps libre à voir le même film nazi qu’il déteste : La Femme de mes rêves (je l’avais ajouté dans ma liste à voir parce qu’on semble bien y danser et le tacle d’une dictature à une autre était suffisamment savoureux pour que le film mérite un peu d’attention). Y a guère que la MGM à l’époque sans doute pour afficher un tel luxe sans frôler le mauvais goût : le risque quand on a les moyens (d’un film de dictature), c’est de faire nouveau riche, d’en mettre partout, de voir plus grand que nécessaire. Ici, c’est dans tous les détails que le design impressionne. Chaque élément de décor semble être minutieusement pensé, et si on omet peut-être les reconstitutions de New York au début du film, tout est parfait. Les robes de la nounou sont peut-être un peu trop travaillées pour ses moyens, mais il faut voir la qualité des tailles et des matériaux, l’inventivité des coupes (l’art des robes, un peu comme celui des chapeaux, c’est pas dans l’audace ou l’originalité qu’il s’exprime le mieux, mais plutôt dans cette manière d’arriver à proposer toujours quelque chose de légèrement différent, voire d’évident, pour finalement toujours la même chose : elle a une robe noire avec un assortiment de fleurs factices blanches quand elle va à l’opéra par exemple, je serais une dame, je voudrais la même…).

Encore heureux qu’on n’évalue pas un film en fonction de son design… Et puis, je ne serai pas aussi élogieux avec le directeur de la photo, Robert Baberske, qui laisse apercevoir trois ou quatre fois les ombres des micros ou de je ne sais quel élément électrique censé rester hors champ. Au rayon des acteurs, on peut remarquer la partition relevée, digne d’une marche funèbre, de Maria Koppenhöfer en gouvernante qu’on aime détester.


 

La Neuvième Symphonie, Douglas Sirk 1936 Schlußakkord | UFA


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Les Séquestrés d’Altona, Vittorio De Sica (1962)

Les Séquestrés d’Altona

Note : 3 sur 5.

Les Séquestrés d’Altona

Titre original :  I sequestrati di Altona

Année : 1962

Réalisation : Vittorio De Sica

Avec : Sophia Loren, Maximilian Schell, Fredric March, Robert Wagner

D’un côté, il me semble qu’on peut se féliciter de voir une des rares tentatives réussies de ce qu’on peut définir comme une tragédie. D’un autre côté, il faut avouer que l’univers de Jean-Paul Sartre est très particulier : une sorte de mélange étrange entre l’histoire et la fiction avec des implications dramatiques rarement vues ailleurs (à la fois philosophiques, politiques peut-être, et historiques), et Vittorio De Sica rend le propos (déjà bien lourd) extrêmement suffocant. De là d’ailleurs l’impression de voir une sorte de tragédie moderne au cinéma, mais aussi celle de voir un objet hybride inabouti.

Au rayon des adaptations impossibles de Sartre, j’avais trouvé celle des Mains sales (1951) légèrement plus convaincante.

À noter quelques jolis mouvements de caméra : cadrage d’une tête sur un côté qui prend de la distance de biais et qui, de ce fait, recadre la tête en son centre, puis un gros plan cadré avec un mouvement centrifuge en cercle autour du visage…

Une fois n’est pas coutume, je trouve les acteurs masculins, en dehors de Fredric March, assez agaçant. (Sophia Loren, elle, est parfaite.)

Étonnante, cette diversité proposée tout au long de leur carrière par le duo De Sica / Zavattini.


 
Les Séquestrés d’Altona, Vittorio De Sica 1962 | S.G.C., Titanus 

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Le Destructeur, Georg Wilhelm Pabst (1954)

Note : 2 sur 5.

Le Destructeur

Titre original : Das Bekenntnis der Ina Kahr

Année : 1954

Réalisation : Georg Wilhelm Pabst

Avec : Curd Jürgens, Elisabeth Müller, Albert Lieven

Quel est donc ce pays étrange et merveilleux qui n’a pas de nom de ville, de pays, qui même semble ne pas avoir connu la Seconde Guerre mondiale ?

C’est tellement aseptisé que ça ne ressemble plus à rien : un pays imaginaire d’Europe qui pourrait tout aussi bien être une Allemagne d’avant-guerre fantasmée car sans une trace de nazisme, l’Allemagne de l’Ouest, l’Autriche voire la Suède… Quelle étrange impression de nous montrer un pays sans rien savoir de son époque, de son environnement politique, social, culturel ou architectural. Difficile d’avoir des informations sur le roman original, c’en est d’autant plus inquiétant, mais il semblerait bien qu’il s’agisse de l’Allemagne de l’Ouest un peu moins de dix ans après la fin de la guerre. Comment peut-on raconter une histoire, en particulier quand une grande partie de cette histoire se déroule quelques années auparavant dans un long flash-back sans avoir la moindre référence à ce qui se passe autour de soi ?! C’est comme si toute référence contextuelle avait été gommée pour ne plus montrer qu’un pays imaginaire… Une manière pour le moins étonnante de ne pas avoir à évoquer (un regard sur) certains démons pour mieux se concentrer sur une histoire qui en vaut à peine le coup, et probablement assez bourgeoise pour divertir le public allemand à qui il faut à nouveau vanter les vertus de la société de consommation et la supériorité des petits tracas domestiques sur toute autre considération dangereusement politique.

L’argument laisse rêveur. Un homme à femmes qui passe son temps à les tromper (répliques collectors : « Pourquoi m’as-tu trompé ? » « Certainement pas par amour. Par curiosité je pense. » Voilà, l’occasion s’est présentée alors on a fait l’amour…) et que le personnage principal du film (sa femme et sa meurtrière, pourtant) semble défendre en permanence. Même son meurtre (et son suicide raté) passe pour être un service rendu à son salaud de mari. Une morale pour le moins étonnante (j’ai dû écrire dix fois ces mots dans le commentaire). Un goujat de première qui passe pour un séducteur et qui ne voit jamais le mal de ce qu’il fait ; et des gourdes assez abruties pour tomber dans ses bras et le défendre… La femme, même quand elle décide de tuer son mari, elle reste victime de son emprise incompréhensible et prend toute la part de sa responsabilité sans jamais la justifier par le comportement de son mari (des hommes aujourd’hui en rêveraient d’une telle docilité).

Faut dire qu’à part jouer les salauds innocents qui pensent avec leur bite, Curd Jürgens n’a pas grand-chose du séducteur. Comment est-ce que cet acteur (assez bon au demeurant) a-t-il pu développer par la suite une carrière d’icône aristocratique et romantique dans une ribambelle de films internationaux à succès, alors même qu’à la voir dans ce film, on a l’impression qu’il a toujours été vieux… ? Voilà un nouveau mystère. Parce qu’il faut voir ce que c’est que la classe allemande de l’époque, et qui explique pour une bonne part les coupes mulet à venir : Curd Jürgens n’est pas fichu de porter un costard ou un pull à sa taille, rien ne lui va, il est bâti comme une cafetière hottentote. Et c’est moi ou il porte une perruque ? La classe, pour sûr.


 

 


 

 

 

 

 

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Les Secrets d’une âme, Georg Wilhelm Pabst (1926)

Note : 2.5 sur 5.

Les Mystères / Secrets d’une âme

Titre original : Geheimnisse einer Seele

Année : 1926

Réalisation : Georg Wilhelm Pabst

Avec : Werner Krauss, Ruth Weyher, Ilka Grüning

Amusant de voir, presque un siècle après, toutes les vertus qu’on pouvait alors prêter à la psychanalyse…

Moins amusant, et hasard des programmations, le film est projeté à la Cinémathèque française (rétrospective Pabst) le jour d’une manifestation contre ce que certains appellent désormais des féminicides. Or, le film commence précisément par le meurtre d’une femme, hors champ, qui semble avoir réveillé un instinct de tueur chez un mari bien comme il faut. Un bon petit-bourgeois donc, qui prendra lui-même conscience que point en lui, depuis le meurtre de cette voisine, une étrange attirance pour les couteaux, et une perverse pulsion à chercher à les fourrer dans le ventre de sa femme… Joli symbole phallique, on est bien chez docteur Freud…

Là où ça devient assez original, il faut le reconnaître (mais hautement improbable), c’est qu’après avoir exposé les troubles et pulsions meurtrières de ce bon monsieur, celui-ci a la bonne idée, assez rapidement comme on décide d’aller chez le coiffeur, de faire appel à la psychanalyse pour le soigner. Est-ce qu’on a déjà vu un meurtrier courir chez le psy lui avouer ses pulsions intimes ? Hum… Autre chose amusant à cet instant, c’est que la raison pour la laquelle ce bon petit-bourgeois part courir voir le psy, c’est qu’il a pris conscience des conséquences que ça entraînerait pour lui de tuer sa femme. Incommodant, c’est sûr, un meurtre, ce n’est jamais innocent, ça doit être en tout cas plus problématique que de perdre son salaire aux jeux. Un crime est si vite commis… Le type n’a pas une petite poussée moralisante lui disant que tuer c’est mal, non, ce qui lui fait prendre conscience de la situation, c’est, bon sang… qui repassera mes chemises et me préparera la soupe si je la tue ! C’est certain, il y a plein de maris violents qui ne se sont jamais posé la question comme ça… Tous les assassins d’ailleurs ont des pulsions de meurtre qu’ils répriment comme une mauvaise envie de pisser, et les nouvelles sciences du comportement nous expliquent que tout cela est lié à des causes bien déterminées enfouies profondément dans notre subconscient (sic).

Attention, on pourrait penser que le film, ou la société dépeinte d’alors, celle qui estime que ce serait vraiment trop bête de se passer d’une repasseuse de chemises, soit un chouïa sexiste, notons qu’à un moment, dans un flash-back censé expliquer les sources enfantines de ce mal meurtrier, la future femme de notre petit-bourgeois, alors âgée de six ou sept ans, a préféré donner une poupée à son cousin et non à son futur mari ! Une… poupée. Une poupée… à un garnement, à un mâle ! Et sans que cela ne pose problème ni à la société d’alors, ni… à notre docteur Freud de circonstance qui écoute tout ce récit depuis l’hypnose qu’il est en train de mener sur son patient. Bref, le féminisme n’est pas le sujet ici, mais plutôt le traitement psychanalytique qui va dès lors se mettre en place : de cet événement réveillé par l’hypnose, on en déduira que le mari souffre depuis cet épisode traumatisant d’une jalousie inconsciente vis-à-vis du cousin tant aimé par sa petite femme ; et peut-être même que ce traumatisme a eu un effet castrateur sur lui devenu adulte, puisque, voyez-vous, la psychanalyse (comme l’astrologie autrefois) a toujours réponse à tout. Alors, si notre bonhomme, assassin refoulé et conscient de l’être, n’arrive pas à avoir d’enfant avec sa femme, s’il a des envies de meurtres à son attention, et s’il est un peu jaloux inconsciemment de son cousin, tout cela n’est que la conséquence logique de ce traumatisme enfantin durant lequel sa future épouse offrait une progéniture symbolique à son cousin plutôt qu’à lui-même… La vie est tellement simple, merci à la psychanalyse d’éclairer le monde, et ainsi depuis un siècle de guérir les meurtriers ou autres patients de divers troubles désireux de faire chuter les statistiques de la criminalité… Oh, wait.

Heureusement, puisque la psychanalyse est là, tout est bien qui se finit bien. Le mari violent, ou psychopathe, ou… on ne sait pas trop parce que sa pathologie est hautement imaginaire (je doute que la jalousie pathologique se manifeste de cette façon…, réveillée par la connaissance un peu troublante d’un meurtre commis chez des voisins…), guéri, à la fois de ses pulsions de meurtre, mais aussi (ô gloire à la psychanalyse !) de son impuissance, puisque l’épilogue nous le montre tout ragaillardi par un « heureux événement ». Voilà un bambin qui ne manquera pas à son tour de refouler ses banales pulsions meurtrières après une non pas moins banale déception amoureuse, histoire que la psychanalyse puisse sauver le monde et les gros frustrés encore pendant des siècles…

(On remarquera encore avec amusement qu’un psychanalyste peut aussi avoir du bon sens et proposer des idées qu’un siècle après on n’arrive toujours pas à mettre en œuvre : la mesure d’éloignement du mari susceptible de…, ben, de tuer sa femme. Un mari violent, c’est lui qui dégage et retourne chez maman. Pas le contraire. Et ça, je ne sais pas si c’est une idée du docteur Freud, j’en doute même, mais s’il y avait une bonne idée à tirer de tous ces tours de charlatans, c’est bien celle-là.)



 

 

 

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La Fin d’Hitler / Le Dernier Acte / Der letzte Akt, Georg Wilhelm Pabst (1955)

Note : 4 sur 5.

La Fin d’Hitler / Le Dernier Acte

Titre original : Der letzte Akt

Année : 1955

Réalisation : Georg Wilhelm Pabst

Avec : Albin Skoda, Oskar Werner, Lotte Tobisch

Une tension permanente et des acteurs phénoménaux : si Albin Skoda réussit l’incroyable défi d’interpréter Hitler, c’est surtout Oskar Werner qui impressionne. Si le premier joue tout en puissance et en vocifération (sans jamais tomber dans la caricature, joli exploit), le second joue plus en subtilité, en charme, avec une écoute et une imagination assez sidérantes, un charisme aussi, une précision, et une capacité à jouer sur différents niveaux ou tonalité qui me laisse sans voix… Un exercice (c’est un quasi-huis clos) à montrer à tous les prétendants acteurs.

La mise en scène de Pabst est également pleine d’inventivités. Les mouvements de caméra et les gros plans arrivent à illustrer la tension de fin de règne qui souffle durant tout le film. Certaines surimpressions sont magnifiques, tout comme les jeux d’ombre (comme ce visage casqué de soldat placé devant la porte du dictateur s’apprêtant à se suicider et qui restera dans l’ombre). La dramatisation en revanche de l’inondation de la station de métro est probablement de trop, laissant penser à une pièce rapportée pour sortir opportunément du bunker (même s’il s’agit d’un fait historique, présenter l’épisode comme un dernier caprice du Führer me paraît bien inutile, le reste parle déjà proprement contre lui).

La musique également est parfois un peu too much, notamment lors du dernier plan : alors qu’ils sentent les troupes soviétiques fondre sur Berlin, les derniers fidèles brûlent en hâte les corps d’Adolf Hitler et d’Eva Braun (cette précipitation était bien assez dramatique pour devoir ajouter une musique sur ce finale). Tout ce qui précède n’en est pas moins un joli tour de force, et ceux ayant le souvenir de La Chute avec Bruno Ganz y retrouveront la même atmosphère à la fois crépusculaire et hystérique. Il faut peut-être aussi apprécier le cinéma tourné comme du théâtre filmé. Difficile de faire autrement. Du théâtre donc, mais également, surprise du chef, un peu de champagne et de danse (plus beau passage du film d’ailleurs).

 


 

 

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Crise, Georg Wilhelm Pabst (1928)

Note : 3.5 sur 5.

Crise

Titre original : Abwege

Année : 1928

Réalisation : Georg Wilhelm Pabst

Avec : Gustav Diessl, Brigitte Helm, Hertha von Walther

La haute société de 1928 ne connaît pas la crise.

Mélodrame parfois follement répétitif rehaussé par quelques fulgurances. La séquence du cabaret est interminable, par exemple, mais de jolis travellings sur la face livide de Brigitte Helm. Un humour également, qui vient souvent étrangement à rebours, voire à rebrousse-poil, mais qui fait toujours mouche. Et une « art direction » digne de Hollywood.

La description des humeurs de la femme (forcément changeantes voire contradictoires) me paraît assez bien faite, assez amusante même, malgré le ton résolument dramatique de ses revirements pathétiques : il faut voir notre héroïne se dévêtir dans l’atelier de son amant en sachant que son mari est à la porte, regarder pleine d’insolence forcée son mari quand l’amant un peu nigaud se résout à ouvrir, et qui se décompose en voyant que son mari s’apprête à tourner les talons et qu’elle le dégoûte ou se désintéresse d’elle. On croirait voir une petite fille jouant au docteur qui s’amuse à lui montrer, à lui interdire, à lui montrer… On frôle peut-être la caricature, mais il y a un peu de vrai dans tout ça.


 

 


 

Das Stahltier, Willy Zielke (1935)

Note : 3 sur 5.

L’Animal d’acier

Titre original : Das Stahltier

Année : 1935

Réalisation : Willy Zielke

Objet filmique étrange semblant parfois un peu perdu au temps du muet avec une certaine fétichisation des bécanes à vapeur.

On croit voir lors des scènes dramatisées contemporaines un réalisateur de documentaire s’essayer à la fiction et se trouver complètement perdu face aux acteurs. Pourtant, le sujet est sympathique : un ingénieur rendant visite à des cheminots, et qui, sympathisant, leur raconte les différentes étapes de l’évolution des machines à vapeur jusqu’à celles sur lesquelles ils travaillent tous aujourd’hui. L’ingénieur, d’abord un peu gauche, ne semblant pas être à sa place dans ce monde d’ouvriers, renverse… la vapeur, et devient maître à bord, avec une seule volonté pour lui : partager sa passion pour l’histoire de ces vieilles bécanes avec ceux qui en sont les plus directs héritiers.

Ces séquences joliment fraternelles entre des personnages de différentes classes sociales jurent sans doute un peu avec ce qu’on attendait alors sous le régime propagandiste nazi. Pourtant, si le film a été interdit, c’est pour une autre raison : dans ses flashbacks historiques, les inventeurs et l’industrie d’outre-manche étaient un peu trop glorifiés… Ben, ouais, en même temps, la révolution industrielle, le train vapeur, tout ça a bien pris forme d’abord là-bas, pas en Allemagne…

Le plus étrange peut-être, c’est que tout d’un coup, lors de ces séquences de fiction documentée digne des pires soirées d’Arte, le film trouve un souffle nouveau, comme si les décors et les costumes aidaient à donner une forme réaliste, naturelle, à ce qui en manquait dans un univers commun et contemporain. Les reconstitutions sont épatantes, surtout, et rien que pour ça, ce serait peut-être un film à montrer à l’école et à tous les amoureux… de trains électriques (dans la salle y a dû en avoir un qui a dû filmer l’écran avec son smartphone pendant bien le tiers du film…).

Une vraie petite curiosité… historique et documentaire, plus que réellement cinématographique.


 

 


 

 

 

 

 

Liens externes :


 

Into the Inferno, Werner Herzog (2016)

Note : 2.5 sur 5.

Into the Inferno

Titre français : Au fin fond de la fournaise

Année : 2016

Réalisation : Werner Herzog

Coq à l’âne géo-mystique explosant le bilan carbone de son réalisateur.

Les passages “humains” dans lesquels Herzog laisse des indigènes déblatérer leurs croyances tout en trouvant ça sans doute fort spirituel, sont prodigieusement ennuyeux pour le rationnel que je suis. Le passage en Éthiopie est incompréhensible (énorme digression archéologique) ; l’autre en Corée du Nord a au moins l’avantage de présenter un intérêt historique (je n’avais aucune connaissance de ce volcan, de sa caldeira et de l’éruption qui les ont constitués il y a mille ans, et bien sûr encore moins de l’importance symbolique pour les Coréens de ce lieu).

On peut aussi noter que les excès personnels et habituels d’Herzog, sa passion pathologique pour les hommes un peu perchés (la fascination du cinéaste pour les hauteurs), contaminent ici ses sujets à dose homéopathique : c’est peut-être peu de chose, mais perso ça m’agace de voir un archéologue grande gueule américain tailler un arbre de la brousse éthiopienne pour pouvoir y faire passer plus aisément son 4X4 (on est dans le désert, hein, le bois que tu coupes, tu n’es pas sûr de le voir repousser spontanément ailleurs — oui, parce que les Éthiopiens sont aussi les champions du monde du replantage, mais avec quel résultat…) ; ou encore voir un autre type balayer de ses doigts nus les pages d’un vieux codex en ruine pour faire joli devant la caméra.

Bref, des passages ici ou là pour Werner pour un film qui ne fait que passer.