Colonel Redl, István Szabó (1985)

Less pion

Note : 4 sur 5.

Colonel Redl

Titre original : Oberst Redl

Année : 1985

Réalisation : István Szabó

Avec : Klaus Maria Brandauer, Hans Christian Blech, Armin Mueller-Stahl, Gudrun Landgrebe

Magnifique film sur les préludes à une guerre qui sera la Grande boucherie du XXᵉ siècle, ou comment l’ambition d’un officier aux origines modestes devient chef de la police secrète attaché au service d’un archiduc de triste mémoire et finit par devenir la victime des petits complots guère glorieux qui agitaient l’Europe centrale avant que tout ce petit monde trouve enfin prétexte à se péter sur la gueule.

Si le petit jeu politique n’a pas grand intérêt et vaut surtout pour les allusions historiques qu’on peut déceler ici ou là, on est happé par la justesse de la mise en scène de Szabó, appliqué à rendre l’atmosphère « fin de siècle » des intrigues souvent plus personnelles que politiques. Parce que derrière le sujet historique, l’ambition de Redl, on raconte une histoire privée bien plus intéressante. D’abord, Redl a honte de ses origines, et s’il devient plus royaliste que le roi, plus loyal, c’est surtout parce qu’on le sent obligé de devoir justifier aux yeux de tous sa position. Ensuite, Redl étant homosexuel, il doit donner le change à tout moment pour ne pas éveiller les soupçons et semble toujours tiraillé entre ses propres désirs (son amour jamais avoué semble-t-il pour son ami d’enfance, au contraire de lui, aristocrate, moins vertueux et bien moins loyal à l’Empire) et sa volonté de plaire à sa hiérarchie.

Pour illustrer les troubles permanents de Redl, Klaus Maria Brandauer (doublé, toutefois, les joies des coproductions européennes) est exceptionnel : j’ai rarement vu un acteur avec un visage aussi expressif interpréter un personnage cherchant autant, lui au contraire, à ne rien laisser transparaître. Un jeu tout en nuances, en sous-texte et en apartés, malheureusement trop rare au cinéma, surtout avec les hommes chez qui le premier degré, l’impassibilité, est souvent la règle. Quoi qu’il fasse, Redl semble contrarié par des démons invisibles, tourmenté par son désir de réussir et de plaire, de ne pas se montrer sous son véritable jour. Et tout cela, Klaus Maria Brandauer arrive à l’exprimer sans perdre de son autorité, sans tomber dans la fragilité et l’apitoiement qui rendrait son interprétation désagréable.

On sait que dans Barry Lyndon, Kubrick avait un peu perdu le fil avec son personnage sur la fin en ne parvenant pas à le préserver d’une certaine errance morale (le roman étant à la première personne, William Makepeace Thackeray échappait à cet écueil, et ne pas avoir préservé cet angle est peut-être le seul bémol qu’on pourrait reprocher au film du génie new-yorkais). Rien de cela ici. Un défaut différent cependant empêche le film peut-être d’atteindre les sommets : son rythme est tellement resserré (rendu nécessaire par la longueur déjà conséquente du film), et Redl se trouve finalement tellement seul à la fois dans son ascension et dans sa chute (la seule personne qui partage réellement son intimité, c’est sa maîtresse, mais il ne se dévoile jamais à elle) que le récit manque parfois de relief, de pesanteur bénéfique, de grâce ou encore de grands moments d’opposition nécessaires dans un dénouement. Or, malgré tout, les grands films, me semble-t-il, sont toujours l’affaire de rencontres et de relations : preuve peut-être encore d’une certaine frilosité à l’époque (la libération sexuelle a ses limites). Le film aurait peut-être gagné à insister sur la relation intime entre Redl et son ami de jeunesse, plus que sur celle avec sa maîtresse, ou celle encore moins développée avec sa femme.

Un beau film tout de même sur une ambition contrariée au moment de croiser les frêles fils du destin d’une Europe amenée bientôt à s’agiter dans une grande explosion de violence sans limite…

La photo est magnifique et rappelle beaucoup la lumière cotonneuse, scintillante et orangée de Sindbad.


Colonel Redl, István Szabó 1985 Oberst Redl |Manfred Durniok Filmproduktion, Mokép, Objektív Film, ZDF, ORF


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