Commentaire d’une vidéo e-penser intitulée « Sans lui, Hollywood n’existe pas ! »

La vidéo :

Plusieurs choses. D’abord, le format biographique d’une personnalité du cinéma sur une chaîne majoritairement dédiée à la vulgarisation scientifique, c’est bien et c’est passionnant. Après, pour qui aime le cinéma (genre… tout le monde ?), Roger Corman n’est pas un inconnu.

Ensuite, il y a une sorte de méprise assez commune dans la vidéo qui consiste à penser que Hollywood a commencé avec Star Wars ou Le Parrain. Invisibiliser ainsi l’âge d’or du cinéma hollywoodien est assez cocasse. Si l’on parle de Nouvel Hollywood dans les années 60 (courant auquel Corman a pas mal œuvré), c’est parce qu’il y avait… ce qu’on appelle aujourd’hui un « old Hollywood ». Hollywood est une usine à rêve depuis le milieu des années… 10. Les grands studios à l’époque sont à peine constitués, et la production américaine est largement concurrencée par les studios scandinaves, allemands et français. Puis, dès les années 20, Hollywood dévore tout.

Je suis loin d’être un grand connaisseur du bonhomme, mais il convient de bien placer le contexte de l’époque, sinon, on regarde l’histoire à travers un entonnoir. Ce à quoi Corman a participé, avec bien d’autres, c’est à une sorte de renaissance du cinéma américain qui croupissait dans le n’importe quoi dans les années 60. Hollywood est alors au bord de la faillite et il est largement concurrencé par les productions européennes animées par diverses « nouvelles vagues ». Corman a donc participé, comme des milliers d’autres, à la renaissance du cinéma américain, à travers un mode de production beaucoup plus simple et direct. Quand une production périclite, il est assez logique qu’elle finisse par se tourner vers des productions underground. Corman restait dans le bricolage et le film de genre, sauf pour son chef-d’œuvre (« pas mal » ? commente le vidéaste…), The Intruder. Cet élan de production nouvelle inspiré de ce qu’il se faisait en Europe n’avait déjà plus rien à voir avec Corman.

Corman a mis le pied à l’étriller, oui, de beaucoup de futurs talents parce qu’il était au cœur de ce cinéma underground venu à la rescousse de Hollywood. Mais ses films à lui, en dehors du film précité, c’est des films de genre, des séries B, très bof. C’est bien de l’honorer ; en faire un type qui a révolutionné Hollywood me paraît pour le moins audacieux. Il a été un facilitateur, ce qui est déjà pas mal. En revanche, je ne connaissais pas son côté distributeur, mais en faire là encore un jalon sans lequel des pans entiers de l’histoire du cinéma n’aurait pas été accessible me paraît plutôt présomptueux…

Au passage, joli tacle adressé à William Shatner. C’est un grand acteur. Avant de jouer dans vous savez quoi, il a une carrière à Hollywood tout à fait respectable. The Intruder est un chef-d’œuvre indépendant, mais avant ça, par exemple, il a joué dans un autre grand film : Les Frères Karamazov de Richard Brooks (100 % Hollywood). Taper gratuitement sur un acteur de télévision quand on loue par ailleurs le génie de bricoleur de Corman, ce n’est pas de la plus grande classe.

Effet entonnoir toujours : Hollywood, c’est un pôle industriel, un pôle d’excellence. Il est donc plutôt normal de retrouver les personnes du même milieu en marge, underground, travailler ensemble, avant, éventuellement de devenir plus connus (une fois que les studios ont décidé de donner les clés à la nouvelle génération… parce que sinon, clé sous la porte).

Je prends un autre exemple pour être plus clair : au début du cinéma parlant, les studios se tournent vers Broadway pour trouver de nouveaux acteurs. Si vous regardez les castings des pièces des années 20 à Broadway, vous trouverez quelques futures stars de la côte ouest (et beaucoup d’acteurs britanniques, très utiles dans les productions de films d’époque, et pas seulement). Le Nouvel Hollywood, c’est pareil. Quand les studios se rendent à l’évidence qu’il faut laisser la main aux jeunes créateurs du cinéma underground, ils se tournent vers les mêmes personnes… Ils se seraient, je sais pas, tournés vers la scène de Chicago, ç’aurait eu la même conséquence. Cet effet entonnoir qui consiste à regarder l’histoire à travers un unique prisme a fâcheusement tendance à laisser penser que tout est lié. Et en fait, probablement pas tant que ça : vous pouvez citer presque autant de personnalités de l’époque issues d’autres milieux. Biais, quand tu me tiens.

Le vidéaste souligne que George Lucas est avant tout un producteur. Eh bien, oui et non. S’il a effectivement dans les années 80 largement laissé son travail de producteur prendre le pas sur le reste, c’est loin d’être un rigolo dans les autres secteurs de la création. Cette manière de valoriser d’un côté le travail et l’influence de Corman pour diminuer celui d’un autre sans doute plus connu, ça ressemble un peu à un procès en popularité. Parce que George Lucas a une formation de monteur, et il est assez habile dans le domaine. En la matière, perso, je pense que c’est un génie. Il suffit de voir ce qu’il fait avec THX qui est quasiment un film muet. Il ne faudrait pas non plus dénigrer ses talents de scénariste et de metteur en scène. Mais taper sur l’auteur des Ewoks et ne pas être ébloui par un style de réalisation devenu très classique après l’échec de THX, c’était une pique à laquelle il est difficile de renoncer.

Le vidéaste nous fait ensuite la leçon quant à la prononciation de « Peter Lorre ». Notons juste que c’est un pseudonyme. Imaginer qu’il ait été inventé pour faire « américain » n’est pas idiot en soi à l’époque ; et préférer le prononcer à « l’américaine » compte tenu de sa carrière à Hollywood ne me semble pas moins aventureux que de tenir à le prononcer « à l’allemande ». Autrement, moi je le prononce à la française… Un peu comme… Alfred Itchcoq. (Mais il y a bien des puristes qui par hypercorrection disent « scenarii », alors…) Et vous, comment vous prononcez Richard Gere et Nike ?

Dernière chose. The Gunfighter est cité comme s’il était question d’une vulgaire série B. Compréhensible quand on ignore autant l’âge d’or d’Hollywood. Bref, c’est évidemment un classique, Monsieur Durendal. On peut même dire que c’est un chef-d’œuvre. Et il a un titre français, La Cible humaine.

Je comprends que faire de l’histoire, c’est aussi beaucoup revoir les événements du passé à travers un prisme contemporain, mais je suis loin d’être fan de cette manière de parcourir le passé principalement pour en trouver des correspondances que l’on croit évidentes avec l’époque contemporaine (cf. Fast and Furious).

L’entonnoir est dur à avaler.

Reste que parler d’histoire du cinéma (même mal) pour une chaîne à un million d’abonnés, c’est pas anodin. Il faut continuer.


The Intruder, Roger Corman 1962 | Los Altos Productions



Autres articles cinéma :


Séparer Alain de Delon

Cinéma

Évocation et hommage

Le Professeur, Valerio Zurlini (1972) | Mondial Televisione Film, Adel Productions, Valoria Films 


Après un mois de trêve olympique et démocratique imposée par le régent du pays, les médias sautent sur l’occasion opportune de la mort d’un monstre sacré du cinéma pour meubler l’espace informationnel pour parler de tout sauf du coup d’État des œillets (ou « œillères ») et des deux génocides en cours.

À force d’entendre ces hommages forcés (et bien qu’étant défenseur de la politique de la séparation entre l’homme et l’artiste), on comprend un peu de la psychologie des « élites » de ce pays qui ne sont qu’un assemblage de parvenus avec qui dès qu’on est « connu », il devient interdit de dire du mal sous peine d’être chassé de ce milieu des privilégiés (qui est pour certains une finalité plus que le goût de l’art).

On reconnaît la culture presque aristocratique (ou de tout autre parvenu) soucieux d’accueillir bien comme il faut n’importe quel dictateur random de la planète. Il en va des dictateurs, comme des criminels ou des connards manifestement.

Parce que s’il est vrai que Delon a été un monstre du cinéma, pour rendre hommage à ce qu’il laisse derrière lui, c’est de l’acteur, comme il aimait se définir (mais on s’en fout ou presque), qu’il fallait parler. Dans ces hommages, pourtant, on parle peu de l’acteur qu’on voit à l’écran, de l’artiste donc, de l’acteur. On ne parle que de l’homme. Or, l’homme était manifestement un connard. Typique des connards toxiques : un seigneur avec ceux qui l’ont aidé, une pourriture avec les autres qui auraient daigné lui faire de l’ombre.

Ainsi, Delon (l’homme), j’en ai rien à foutre. Il peut crever un jour où des millions d’autres partent dans l’indifférence ou sous les bombes, ça ne me fait ni chaud ni froid. Je peux à la limite évoquer sa formidable présence dans de nombreux films, mais quelle portée cela pourrait avoir si les mensonges qui ne devraient jamais quitter l’écran débordent dans le monde réel pour faire de Delon (l’homme) un type qu’il n’était pas ? Il faut savoir : soit on rend hommage à des artistes, soit on rend hommage à des hommes. Si l’on rend hommage à des artistes, finissons-en avec ces interviews hagiographiques des parvenus ayant profité de son rayonnement ou de celles des quidams comme on le ferait à la mort de la reine d’Angleterre.

C’est sûr que si chaque fois qu’un artiste avec une personnalité problématique tire sa révérence, on ne parle que de l’homme et rarement de l’artiste, ça justifie pas mal la position de ceux qui sont scandalisés qu’on puisse ainsi rendre hommage à des connards (quand ce ne sont pas des criminels). Puisque, factuellement, c’est aussi ce qui se passe. Il y a une logique à diffuser des films, à faire des rétrospectives, à donner des prix pour récompenser une carrière ; beaucoup moins à faire du Voici en maquillant outrageusement la vérité pour faire de sombres connards des héros. Les légendes, elles sont à l’écran et elles ont vocation à y rester.

Les artistes seraient des saints qu’il serait tout aussi idiot de mettre en avant leur personnalité.

Alain Delon, l’acteur, n’est donc pas parti aujourd’hui. Non pas parce qu’il est éternel. Mais comme on serait incapable de citer le dernier film dans lequel il avait été inoubliable.

Dernière chose pour évoquer l’acteur et faire un petit point historique et technique. On oppose souvent Alain Delon à la nouvelle vague. En un sens, c’est assez vrai puisque ce sont deux cinémas qui ne se sont jamais rencontrés. Dans un autre, ces deux types de cinéma ont poussé vers la sortie un cinéma que certains qualifiaient de « cinéma de papa ». Et ce n’est pas forcément chez moi quelque chose de positif. Quand Alain Delon se vantait d’être un « acteur » et non un « comédien », en réalité, ces deux termes sont strictement identiques et interchangeables. Dans la bouche de Delon, cela signifiait qu’il ne « jouait pas », qu’il « était ». Une prétention qui ne veut pas dire grand-chose et qu’on ne pourrait retrouver que dans la bouche d’un type beau comme un dieu. Delon avait toutefois un quelque chose en plus, un talent inné, non pas pour « le jeu » (pas plus que pour « la vie »), mais pour évoluer et se présenter devant une caméra. Il y a des acteurs instinctifs qui disposent de tout le nécessaire dès qu’on leur met un texte entre les mains et qu’on les met en situation. Ce n’est pas « vivre », c’est comme ça, c’est inné. Delon était doublement privilégié : il était beau et il avait une présence.

Et là où Delon et la nouvelle vague pourraient éventuellement se retrouver, c’est donc que ces deux franges du cinéma français de l’époque qui se feront face pendant une décennie ou deux avaient exactement le même mépris pour le travail de techniciens de toutes sortes. À la nouvelle vague, on y détestait les scénaristes (invisibilisés), les décorateurs ou tout ce qu’ils pensaient altérait la « réalité » d’un film, dont un acteur issu soit de la scène, soit des productions passées. Chez Delon, c’était une haine pour la composition d’un personnage ou pour les artifices hérités d’un cinéma jugé de papa. Ce sont en réalité les deux faces différentes d’une même pièce : celle du mépris pour un savoir-faire qui à tort ou à raison avait fait son temps et attendait d’être dépoussiéré.

Il est intéressant de remarquer que si aux États-Unis, il y a eu une fascination des critiques et d’une nouvelle génération de cinéastes pour la nouvelle vague française, l’approche de Delon (qui est devenue, de fait, une norme en France, bien aidée par… l’héritage de la nouvelle vague) n’y a jamais fait son nid, ni même jamais probablement été évoquée (soit beau et tais-toi). La révolution de l’Actors Studio, donc de la method, donc d’un type de jeu hérité d’une logique de composition d’un personnage, s’était déjà faite depuis quelques années à Hollywood, et c’est elle qui, peu à peu, dans la seconde moitié du vingtième siècle, a débarrassé les plateaux de tournage des anciennes méthodes désormais obsolètes dans un cinéma plus « direct ». Quand on se morfond en voyant que certains « acteurs populaires » ont moins de prix que les autres, c’est au fond assez compréhensible. En France comme ailleurs, si vous jouez votre propre rôle (si vous « êtes », si vous ne « jouez » pas), pourquoi devrait-on estimer qu’il soit juste de vous récompenser par un prix ? Ah, oui, c’est le revers de la médaille… Et l’on en revient à la question de la séparation de l’homme et de l’artiste : pourquoi diable devrait-on se plaindre que Delon n’ait pas eu de prix (ou pas assez) s’il… ne jouait pas ? Vous fileriez des médailles à un tireur à gages, vous ?

L’universitaire et le zététicien

ou la rencontre improbable entre la tenante de la « science folle » (historienne du cinéma amoureuse de Freud) et le réalisateur amateur qui tel Monsieur Jourdain fait du cinématographe sans le savoir

Commentaire, donc, suite à la vision de la table ronde « Les films qui disent la VERITE ».

La vidéo : 


Rencontre étonnante et improbable de deux mondes rarement appelés à se rencontrer. Il y a quelque chose d’assez truculent à voir jaillir tout d’un coup la croyance d’une intervenante en une pseudoscience dans une conférence dédiée aux dérives de la désinformation. Ou comment foutre un gros malaise au détour d’un commentaire que l’on croit anodin et qui met presque en perspective l’idée d’emprise mentale propre aux dérives sectaires. C’est aussi d’un côté une sorte de Madame Jourdain qui applique sans le savoir les méthodes des pseudosciences et de l’autre un Monsieur Jourdain, s’amusant avec une caméra pour moquer les codes des faux documentaires, et à qui on dit qu’il est cinéaste. « Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je fais du cinéma sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. »

Pour illustrer le sujet de la table ronde, un documentaire contenant des passages parodiques des documentaires complotistes réalisé par l’équipe de la Tronche en biais est donc présenté. Après le film et quelques minutes d’échanges, de manière quasi anodine, Ania Szczepanska (historienne du cinéma, maîtresse de conférences et visiblement spécialiste des documentaires du monde de l’Est) questionne le choix jugé problématique de mêler tout à coup vrai et faux* en prenant comme exemple le discours d’un des intervenants expliquant qu’il avait commencé à déconstruire ses propres croyances quand il a douté de la psychanalyse. Idée qui semble bien saugrenue à notre universitaire, troublée que l’on puisse considérer la psychanalyse comme une pratique à laquelle il faudrait se détourner. Un échange un peu surréaliste commence alors avec Alexis Seydoux (vice-président de l’Association de Lutte contre la Désinformation en Histoire, Histoire de l’art et Archéologie) et Thomas C. Durand (« réalisateur » du film en question, créateur de la chaîne La Tronche en Biais et membre de l’Association pour la Science et la Transmission de l’Esprit Critique).

*Le documentaire est pourtant assez clair. Il reproduit plus ou moins les codes des documentaires de télévision (plus rarement de cinéma) dans lesquels divers experts sont amenés à être interrogés sur un sujet spécifique. Et pour illustrer la crédulité des spectateurs à croire en des théories alternatives, le film est ponctué par des séquences censées, elles, reprendre les codes des faux documentaires (c’est une parodie, une exagération, la part documenteur du documentaire). Les intentions du film sont clairement définies en présentation, puis rappelées en guise de conclusion, face caméra. Ce n’est pas un film d’art, mais bien en document à visée éducative : les auteurs du film partagent les orientations des experts sélectionnés, mais le discours est bien celui des experts, et en dehors des impératifs du montage qui par essence ne peut produire l’intégralité d’un discours, on peut difficilement suspecter une intention de travestir leurs propos ou une volonté d’en tirer un discours propre. Aucun sens caché, donc, à chercher derrière les effets produits, les choix de mise en scène, les cadrages, etc. Le film est à voir ici.

Thomas Durand semble totalement décontenancé par la défense d’une pratique dont il s’applique depuis des années à relever le caractère non scientifique et qu’il ne pensait sans doute pas trouver ainsi aussi bien défendue lors d’une conférence dédiée à la désinformation. L’autre intervenant semble moins surpris, peut-être plus habitué à voir des tenants de la psychanalyse dans les cercles universitaires. Aidée par quelques étudiants outrés dans la salle, Ania Szczepanska vient alors à questionner le travail de Thomas Durand sur le film et la pertinence de choisir son film pour introduire la table ronde. Le Youtubeur se trouve alors sommé de justifier ses choix de mise en scène (sic), et le voilà, expliquant un peu incrédule qu’il n’est pas professionnel du cinéma, que les sujets ou les intentions qu’on lui prête en tant que réalisateur ne sont pas les siennes. On lui rétorque qu’en tant que réalisateur, son devoir serait d’être conscient des effets qu’il produit… Il aura beau expliquer, tel un lapin aux yeux ahuris qui ne comprend pas ce qu’il se passe quand une voiture lui fonce dessus, qu’il n’est question que d’une… parodie, d’un film qui ne se prend pas au sérieux et qu’il n’a aucune prétention « artistique », le malentendu est consommé. Deux mondes ne parlant pas la même langue se rencontrent et ce n’est pas beau à voir.

Une réalisatrice de films documentaires pour le service public vient un peu à la rescousse du vulgarisateur cueilli par les critiques déplacées dont il fait l’objet, mais le mal est fait si on peut dire, et ces interventions lunaires de « sachants » montrent à quel point, encore, le monde universitaire est gangrené par une logique interprétative des œuvres qui se voudrait objective alors que c’est impossible. Tous les ingrédients des déviances que l’on pourrait retrouver dans la psychanalyse.

Quand je vois que ce petit monde est encore autant imprégné par cette idée que l’étude d’un film se fait uniquement à travers les signes, les symboles ou les intentions révélés de ceux qui font les films, interrogeant perpétuellement l’auteur et non le film même, s’interdisant d’accepter l’idée que leurs interprétations ne puissent être que purement spéculatives, le plus souvent sans aucun rapport avec les intentions parfois exprimées des cinéastes, je me dis qu’il y aurait encore pas mal de travail à faire pour « débunker » ces dérives au sein de ce milieu. J’en parle souvent ici, mais ce discours hautement interprétatif qui baigne aussi tout le milieu critique du cinéma pose un véritable problème tant il est envahissant, voire exclusif quand il est question d’analyser ou de parler des films. C’est ce qui arrive quand on ne maîtrise aucune technique de l’art qu’on commente, qu’on refuse obstinément de se placer à la même hauteur que n’importe quel spectateur, et que pour légitimer son droit à présumer des intentions d’un auteur, du message d’un film ou de la nature universelle des effets produits, on en vient à développer toute une « science » ne reposant sur rien. La ressemblance avec la psychanalyse est ironiquement… troublante. Pas mieux qu’une conférence où l’on se fait rencontrer deux mondes pour parler de désinformation pour mettre en lumière l’absurdité de cette « science folle » que peut parfois être l’exégèse cinématographique. (Je dis bien « parfois », car les universitaires ou les critiques, quand ils en viennent à analyser l’esthétique d’un film, sa forme, ses techniques, peuvent au moins faire reposer leurs commentaires sur des éléments concrets, lesquels peuvent ainsi être réfutés ou questionnés. Mais comment réfuter quelqu’un qui prétend étudier les « signes », les intentions ou le message d’un film oubliant qu’une œuvre d’art n’est pas un discours ? Et cela, encore plus quand il est question d’un documentaire de forme télévisuelle où le discours s’attache à reproduire au plus près à celui des experts : pas de voix off, pas d’effets de mise en scène, une structure à l’arrache et des intentions clairement définies qu’on peut difficilement suspecter de chercher à faire dire autre chose de ce qui est montré à travers un montage ou une mise en scène prétendument porteuse de sens forcément caché…)

On n’aura jamais aussi bien démontré, à travers une simple rencontre que l’on pensait anodine, en quoi certaines méthodes d’analyse des films dans le milieu universitaire et critique ressemblent à celles utilisées par la psychanalyse. Il serait temps que le milieu « critique » du cinéma procède à une évaluation de ses propres méthodes. Ce qui reste hautement improbable : comme dans n’importe quel milieu de ce type, faire la critique de ceux qui vous précèdent, c’est s’en exclure automatiquement. Seuls ceux qui obéissent au dogme, en acceptent les règles de l’entre-soi peuvent prétendre à en faire quelques critiques. Mais elles ne viendront jamais bousculer les principes qui reposent sur du flan : faire de l’auteur l’élément central d’un film (et non le film lui-même, voire celui qui le regarde, voire le contexte dans lequel il a été produit) et axer toute son analyse sur ce que celui-ci aurait « voulu dire ». Une fois qu’on a décidé que l’art avait toujours un discours, même caché, la partie est finie. Et pour justifier cette erreur (ou cette prétention) initiale, tous les instruments que l’on déploie pour appuyer ses prétendues analyses n’ont plus aucun sens. Et dès lors, ironiquement ou perversement, les critiques venant seules de l’intérieur finiront par créer… de nouvelles obédiences, avec de nouvelles propositions d’interprétation, mais avec jamais aucune remise en question du fondement infondé sur lequel repose tout cet univers. En psychanalyse, on voit alors Jung, puis plus tard Lacan débarquer. Mais ça reste les mêmes balivernes. Nul doute que l’on connaît les mêmes querelles de chapelle dans le milieu de l’analyse filmique.

L’incapacité à sortir de cette logique interprétative expose ceux qui en sont esclaves à sortir des âneries qu’une personne extérieure décèlerait tout de suite (voire à se protéger mutuellement, comme dans toute logique sectaire). On le voit par exemple ici. L’universitaire et les étudiants mélangent les différentes formes de « documenteurs » en ignorant, volontairement ou non, qu’il y a tout simplement des films qui ont vocation à tromper (s’il est question de parler des intentions des auteurs, ça la fout mal) et qui sont l’œuvre de charlatans ou de manipulateurs, et des films qui ont vocation à tromper pour parodier ou pour mettre en garde contre la crédulité du spectateur. En principe, un documenteur, c’est un film qui ne ment pas sur ses « intentions » : il fait du documentaire, il use des outils et des codes du documentaire, mais n’affirme pas que ce qui est présenté dans le film est vrai. Le film d’un charlatan a au contraire vocation à révéler des réalités cachées et prétend donc être dans « le vrai » (sans l’être). Pas étonnant, remarque, que des tenants de la psychanalyse aient quelques problèmes pour distinguer « pseudo ou faux documentaire » et « documenteur », tant leur perception du vrai et du faux pose problème… Ça interroge aussi leur capacité à comprendre les « intentions » des auteurs alors que c’est le cœur de leur travail et alors même qu’ils sont incapables de distinguer les intentions implicites d’un documenteur et celles d’un documentaire réalisé par un escroc.

Il y a également une confusion entre documentaire et films de propagande quand il est question des films d’Eisenstein : il faut que l’autre universitaire lui rappelle que le cinéaste soviétique réalisait des… fictions. Quand on en arrive à ce niveau de confusion, c’est qu’on a beau déployer tous les efforts pour construire un discours cohérent, tout ne sera jamais qu’illusion et prétentions. Triste monde, et tristes étudiants condamnés à errer toute leur vie dans les limbes d’un univers parallèle qui ne les connectera jamais au monde réel. Une secte, en somme. Belle ironie quand on voit le sujet du jour.


Table ronde & débat organisé à l’Institut National d’Histoire de l’Art (Les films qui disent la VERITE)

Depardieu l’obscène, le Figaro et les 50 boomers à la rescousse

Faut-il séparer le monstre du monstre sacré

Mon oncle d’Amérique, Alain Resnais | Philippe Dussart, Andrea Films, TF1

Réponse à la tribune dans le Figaro des 50 boomers défendant Gérard Depardieu.


Ce que peuvent faire les puissants pour défendre leurs semblables…

Autant, je suis très réservé sur les vagues metoo, autant, avec Depardieu, il n’est pas question de présomption d’innocence. Il y a des images où on voit un type malade dont les proches laissent tout passer.

Je passe sur le fait que Depardieu serait un monstre sacré… C’est quoi sa dernière grande performance dans un film ? En revanche, ces imbéciles ne peuvent pas ignorer les débordements obscènes, sexistes, voire racistes rapportés par les images de Complément d’enquête. Si Depardieu se comporte comme un crétin, c’est bien se sent intouchable. C’est même étonnant que jusque-là personne ne lui ait filé aucune baffe en assistant à ses remarques ou en étant pour le moins lourd avec des personnes qui ne sont souvent pas en position de répondre et encore moins de lui filer des baffes. Il y a une coresponsabilité de son entourage quand un tel connard se sent tout permis en public ou en petit comité et que ceux-ci finissent par le dédouaner en criant au lynchage. Et ce n’est que la part émergé de l’iceberg. Parce que si ce genre de guignols osent agir ainsi en public, qu’est-ce qu’il faut penser de leurs agissements en privé.

Beaucoup d’actrices dans le lot des signataires. Autant d’autres « monstres sacrés » avec qui ce guignol ne se sera jamais montré déplacé parce qu’elles auraient su se défendre et parce que leur statut de star les aurait, elle, protégées. Mais elles pourraient au moins fermer leur gueule sans quoi elles ne font, avec les autres signataires masculins souvent de la même génération, que renforcer leur coresponsabilité dans les agissements déplacés de Depardieu.

Je ne me prononce pas sur les viols dont le bonhomme se trouve être accusé, mais au moins tant mieux pour les victimes : toutes ces paroles déplacées de Depardieu dont tout le monde peut être témoin pourront au moins aller dans leur sens et conforter leurs versions.

Contrairement à ce qui est écrit dans « l’appel des 50 boomers à la défense de l’acteur », personne n’interdit à Depardieu de travailler. Personne ne le lynche. Le public sera bien libre ou non d’aller voir son talent, ou ce qu’il en reste, au cinéma ou ailleurs. En revanche, prétendre aider un « monstre sacré » en lui laissant passer toutes ses saloperies comme à un enfant gâté qu’il ne devrait plus être, ce n’est ni lui rendre service, ni aider les éventuelles personnes qu’il indispose ou agresse pour ne pas être, elles, des « monstres sacrés » à sa hauteur. Et ce n’est certainement pas se placer du côté de ce qui est juste.

Or, un artiste, et a fortiori un acteur, si on peut discuter de ce qui « est politique » et de ce qui ne l’est pas, il doit en revanche toujours se placer du côté de ce qui est juste. Personne n’aime les salauds à l’écran, les vrais. Depardieu a souvent joué des salauds lumineux. Lui et ses collègues de la bourgeoisie du septième art semblent avoir oublié le “lumineux”. Un salaud lumineux, c’est celui qu’on accepte de voir à l’écran. Justement parce qu’ils sont à l’écran et pas ailleurs. Ce sont les monstres, c’est-à-dire ceux que l’on “montre”. L’écran est là pour les dévoiler et surtout pour les restreindre à ce cadre. Quand on regarde des films d’horreur, on n’espère pas voir des zombies se promener lors de notre prochain passage au supermarché.

Les monstres, comme les monstres sacrés, c’est à l’écran qu’il faut les voir. Certains semblent se prendre peut-être un peu trop à leur jeu. Si l’idée est de défendre « l’acteur », ce n’est donc pas bien réussi. Parce que si son public commence à se demander si le vrai Depardieu est le même que l’on voit à l’écran, le “monstre” n’est plus puisqu’il se serait contenté de jouer son propre rôle. Et plus personne alors n’accepterait de voir ainsi à l’écran ce qu’on saurait alors ne plus être un « monstre lumineux », mais un simple monstre.


X-Files, Chris Carter (1993-2018)

Note : 4 sur 5.

The X-Files

Titre français : Aux frontières du réel

Année : 1993-2018

Création : Chris Carter

Avec : Gillian Anderson, David Duchovny

Brève réponse à un épisode du Podcast C’est plus que de la SF dédié à un épisode de X-Files. (J’essaierai de revenir sur cette page en cas de nouveaux commentaires concernant la série.)

La réussite de duo de personnages doit aussi beaucoup à l’humour. Si la série s’inspire d’autres univers d’horreur SF, à l’image de Star Wars, elle convoque aussi les joyeux duos d’acteurs de l’âge d’or de la comédie américaine. Leia/Solo = Mulder/Scully.

Et paradoxalement, on peut imaginer qu’une partie de l’humour qui sera de plus en plus prononcé soit dû, là encore, comme dans Star Wars, aux acteurs, incrédules face à la qualité qu’ils présumaient des histoires qu’ils interprétaient.

Cela donne un second degré et une autodérision typique des screwball comedies des années 30 et 40 comme New York – Miami (les acteurs pensaient de la même manière participer à un film sans importance – typique chez les acteurs : on se relâche, on ne force pas, et cette simplicité se traduit par une connivence sur le plateau), The Thin Man ou La Dame du vendredi. Un critique américain parle même pour certains de ces films de « comédies du remariage ». On y est totalement avec X-Files.

Un homme et une femme qui n’arrêtent pas de s’opposer, de se contredire, de finir les phrases de l’autre, de prévoir les écarts de l’autre, qui partagent les routines de l’autre parfois avec un pince-nez, mais qui s’adorent sans se l’avouer.

Ce n’est pas surprenant si David Duchovny a connu par la suite le succès avec une autre série humoristique (et pas que). Il avait ce second degré souvent dépourvu à l’horreur SF qui a permis à la série de prendre une autre dimension en rendant possibles des niveaux de lectures supplémentaires là où les mauvaises séries sont plus limitées.

Dans War of the Coprophages, notamment, on sort totalement du cadre balisé de la série pour tirer vers la screwball (voire le n’importe quoi). Signe que c’était un peu les acteurs qui avaient pris les commandes.

Et au fond, X-Files, grâce à ces écarts humoristiques et à son duo vedette, est parvenue à revenir à l’essentiel : les meilleures histoires peuvent souvent se résumer par « un garçon rencontre une fille ».


X-Files, Chris Carter (1993-2018) | 20th Century Fox Television, Ten Thirteen Productions


Sur La Saveur des goûts amers :

La prise de pouvoir des séries

Liens externes :


Rétrospectives et programme à la Cinémathèque française (1er trimestre de la saison 2023-2024)

Il y aura une rétrospective Jean Cocteau. Ici, La Belle et la Bête.

Le programme de la Cinémathèque française est tombé pour la rentrée. Voyons ce qu’on nous réserve pour ce premier trimestre.

Rétrospective Raoul Walsh

Plus qu’une rétrospective, il conviendrait même de parler d’intégrale… Un moment fort de ce début de saison, mais ce sera principalement sans moi. Il y a encore tellement de cinématographies à explorer, à mettre en lumière, des territoires injustement méconnus (en particulier le cinéma de l’Est et asiatique), et la tek trouve encore moyen d’enfoncer les portes ouvertes. On peut supposer que la rétrospective soit la suite logique des événements déjà lancés au printemps dernier concernant le centenaire de la Warner. Prix de gros sur la Warner. Heureusement que j’ai pratiquement déjà tout exploré chez le maître de « l’action ». Car il se trouve qu’il y a quelque chose comme vingt ans, inspiré sans doute par les pitreries des Académiciens, je m’étais lancé comme défi de suivre la filmographie d’un certain nombre de cinéastes en partant de la fin d’une liste alphabétique. J’en étais donc vite arrivé à « Walsh ». Beaucoup de mes commentaires pas bien finauds de l’époque sont partagés d’ailleurs sur le site. Pour Minnelli, je n’avais été revoir qu’un film ; ici, j’imagine que je ferais l’impasse sur les révisions. Je me contenterai, et c’est déjà pas si mal, de deux ou trois raretés :

Un des chefs-d’œuvre muet du cinéaste Faiblesse humaine, situé en bonne place dans les Indispensables du cinéma 1928. L’occasion de voir Gloria Swanson. Probablement The Man I Love, l’occasion cette fois de voir Ida Lupino dans (quoi d’autre ?) un film noir (le film est projeté en même temps qu’une autre séance et est suivi d’une discussion avec une critique, c’est mal engagé). On verra s’il ne me reste pas plutôt de la place pour voir comment se dépatouille Walsh dans… une screwball comedy, Empreintes digitales : Cary Grant et des bijoux, tiens, tiens (et Joan Bennett). Et puis, un dernier muet à la longueur rebutante, Au service de la gloire. (Il y a une discussion après Annie du Klondike, ça devrait valoir le détour d’entendre parler de Mae West qui ne bénéficie probablement pas aujourd’hui de toute l’attention qu’elle mérite — notamment de la part des féministes —, mais on ne peut pas tout voir…)

Cinéma et mode

Pas très emballé. La Cinémathèque nous a déjà gratifié ces dernières années d’un certain nombre de films français du milieu du XXe siècle habillés par Christian Dior. Y a dû avoir que moi qui l’ai remarqué. Les rétrospectives cachées de la Cinémathèque… Bref, je verrai si j’ai des ouvertures pour Phantom Thread et Last Night in Soho. Toujours important de se mettre à la page sur des films récents…

Rétrospective Víctor Erice

Pas un grand fan de son cinéma, mais je n’ai vu que les deux ou trois principaux. Le Songe de la lumière est à voir en priorité.

Avant-première Jean-Luc Godard

Film annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de Guerres » Why not. 20 minutes posthumes pour dire adieu suivies de 60 minutes documentaires.

Hommage à Jerry Schatzberg

En sa présence (et qui arrive à réveiller pour l’occasion les mardis de la Cinémathèque). Je me laisserai bien tenter par du glauque en perspective avec Portrait d’une enfant déchue.

L’autre Prévert

Pierre donc. Verrai sans doute L’affaire est dans le sac, une référence chez les historiens français du cinéma à ce qui se murmure dans mes cartons (Jacques Lourcelles et cité dans mon Cent ans du cinéma Télérama : leur Top 10 films français des années 30).

Rétrospective Catherine Breillat

La Cinémathèque continue de mettre à l’honneur les femmes cinéastes après les attaques grossières des féministes (sic) suite à la rétrospective Polanski et celle de Brisseau annulée. Deux jours avant, la tek propose un autre premier film, celui de Yolande Zauberman, dans la cave, alors qu’on projettera l’avant-première du nouveau film de Breillat. Télescopage étrange, en tout cas, on pourra à nouveau soupirer quand des intégristes s’insurgeront du manque de diversité à la Cinémathèque au prochain connard bénéficiant des honneurs d’une rétrospective. Qu’elles regardent un peu mieux le programme. La diversité, ce n’est pas à ce niveau que ça pose problème. D’ailleurs, la tek avait mis à l’honneur Kira Mouratova il y a quelques mois (avant la guerre), il y aurait encore sans doute pas mal de femmes cinéastes de l’ère soviétique à éplucher. D’une pierre deux coups.

Et pour en revenir à Breillat, j’en ai vu deux. Une catastrophe. Son premier est à voir, Une vraie jeune fille. Pour le reste, je ne peux que me fier aux notes ou aux prix parce que je n’irai pas y jouer ma peau d’explorateur : Brève Traversée et À ma sœur ont l’air d’être les plus intéressants (je ferai l’impasse sur Romance par exemple qui avait causé quelques remous à l’époque façon Show Girl — je laisse les spécialistes du révisionnisme se laisser tenter, avec trois films supplémentaires, j’en aurais sans doute suffisamment fait le tour).

Rétrospective Cédric Kahn

Fait partie des cinéastes lancés à la fin des années 90 par une série de téléfilms Arte ayant fait date (Tous les garçons et les filles de leur âge). Pas le plus en vue des cinéastes de la « nouvelle qualité française » : après L’Ennui, j’avoue qu’il est un peu sorti des radars. Pas très emballé de prime abord, mais on fera peut-être un effort pour Trop de bonheur qui conditionnera mon intérêt pour la suite (le reste est loin de faire envie).

Rétrospective Pascal Thomas

Dans ce que j’appelle la « nouvelle qualité française », il y a deux époques. Celle qui s’est constituée à la fin des années 90, notamment autour de Desplechin et à travers le parrainage d’Arte, et celle constituée autour de Truffaut ou de son style au cours des deux ou trois décennies précédentes. Même saveur, même eau tiède, même fémisisme (de la Fémis), même adoubement cahieriste (des Cahiers du cinéma). La nouvelle qualité française, c’est un peu la littérature blanche appliquée au cinéma hexagonal : on attend d’un film qu’il ait des qualités littéraires… au cinéma (et le génie, c’est encore d’arriver à vendre ça chez les copains avec qui ils font des entretiens — gagnant-gagnant). Pascal Thomas appartient à cette première « vague ».

Il n’est pas rare de voir des talents ou des films qui sortent de l’ordinaire dans un lot de cartes perdantes. On produit beaucoup, et quand on produit beaucoup (des petits drames de gens sans histoire, le plus souvent — à opposer aux grands drames disparus qui par ses outrances, et ses écarts vers d’autres genres, pouvaient se rapprocher du mélodrame), il n’est pas rare de voir des miracles se produire. Pascal Thomas ne m’a jamais attiré, peut-être justement parce qu’il flirte volontiers avec la comédie. La comédie des beaux quartiers, de plages ou des genoux de Claire. Beaucoup de cinéma français dans ce trimestre à la Cinémathèque, niveau exploration, on fait mieux. « Pour soigner votre réputation, soignez vos relations domestiques : honorez ceux susceptibles de vous honorer à leur tour. » Moi, j’honore personne, je me moque de ma réputation. Et je ne me laisserai pas la chance de croire en Thomas en voyant ses films sans concessions. Na. Je vais voir du Kahn, du Breillat, les mecs, je fais ma part. Changez de disque un peu.

Rétrospective David Fincher

Sérieux. Bon, j’adore beaucoup de films de Fincher, mais est-ce que c’était nécessaire ? Besoin de faire des coups, toujours, puisque la tek proposera l’avant-première de son nouveau film suivi d’une discussion avec la mafia des lieux (les abonnés). Je reverrai bien Alien3 sur grande écran, mais bon sang, entre rétrospectives françaises et cinéma américain, il reste quoi ? (Eh ben, pas d’Alien. Soit véto de Fincher, soit conflit avec distributeur. Plouf.)

Rétrospective Agnès Varda

Mais ? Il y a eu une rétrospective Agnès Varda en 2019 ! Elle radote la Cinémathèque ? Merci Agnès, je t’aime. On se revoit dans trente ans ou là-bas.

(Rétrospective du cinéma mexicain… Ah, ah, là, on tient enfin quelque chose d’intéressant !)… 13 trésors du cinéma… fantastique mexicain

OK. On va s’en satisfaire, hein. On sent l’influence raugerienne (de JF Rauger). Je déteste l’horreur, mais j’ai besoin d’entendre autre chose que du français et de l’anglais dans les films. J’ai les crocs. Je veux du sang. N’y connaissant rien, je me fis… aux notes. Vais essayer d’en voir bien la moitié. Deux ou trois bien prometteurs, cela dit. Même à travers le prisme de l’horreur, ce cinéma mexicain semble décidément cacher bien des surprises.

Rétrospective Kim Jee-woon

Beaucoup d’avant-première, en ce premier trimestre, dites-moi… On essaiera d’en glaner une (de place) pour cette fois (le film parle du cinéma coréen des années 60). Pour le reste, je n’ai jamais été un grand fan des films du bonhomme (plutôt Deux Sœurs que J’ai rencontré le diable). J’espère donc y trouver de quoi amender mon jugement, et ça se fera à coup sûr bien plus en explorant un ou deux de ses premiers films (il semble avoir glissé comme bien d’autres vers les mégaproductions indigestes).

Rétrospective Jerry Lewis

Probablement un peu daté le Lewis. « Jerry » se prononce « j’ai ri », pas « je ris ». (Applaudissement pour les artistes, s’il vous plaît.) J’en ai vu très peu, sait-on jamais. Les deux ou trois plus connus me tendent les bras. Les ricains vont pouvoir encore répéter pendant les vingt prochaines années que les Français sont un peu zinzins : la preuve, ils adorent Jerry Lewis. (Les Cahiers, oui.)

Rétrospective Jean Cocteau

Hum, le seul documentaire qui m’intéressait est projeté avec une de ses pitreries mythologico-expérimentales. Sans moi. Côté Cocteau scénariste : L’amore, « de » Rossellini et avec Anna Magnani fera l’affaire. Il y avait un film espagnol avec Vittorio Gassman pour le moins intriguant, mais il passe en même temps qu’un chef-d’œuvre de… Jerry Lewis. Je me consolerai avec Ruy Blas et la Darrieux.

7eme saison d’American Fringe

Deux documentaires probables à voir : Black Barbie et Bad Axe.

Les classiques de D.W. Griffith

Les Chagrins de Satan (pour voir Adolphe Menjou jeune). Et ce sera tout pour moi. Il en reste un dernier qui m’intéresse, pas forcément un classique : penser à le regarder chez ma voisine en streaming. (Streaming et Griffith sont des mots qui vont très bien ensemble. Très bien ensemble.)

En vrac

Séance gratuite le 18 septembre à la cave de l’excellent La Maternelle de Jean Benoit-Lévy et de Marie Epstein. Je crois qu’on peut remplir les toilettes hommes de la Cinémathèque avec tous mes lecteurs, alors la salle Epstein… ne vous y ruez pas trop nombreux. (Il y a un programmateur qui doit follement aimer le film : il est globalement projeté tous les deux ans.)

Séance spéciale : introduction d’un procédé sonore inventé pour Tremblement de terre. Ça tombe bien, j’ai vu le film quand j’étais môme, et je voulais le revoir.

Avant-première : Wim Wenders. Ah.

Coups d’un soir : Beyond the Valley of the Dolls, Russ Meyer. J’ai souvent priorisé les bons films durant ma (déjà) longue carrière de cinéphile boiteux. On fera une exception pour cette fois.


Je te dis que (je n’irai pas revoir) J’ai rencontré le diable, Kim Jee-woon-2010-softbank-ventures-showbox-mediaplex-peppermint-company

Ministre de la Défense, Black Panther et ironie

Le fascisme afro-américain guidant le peuple : Black Panther : Wakanda Forever, Ryan Coogler 2022 | Marvel, Disney

Un ministre de la Défense s’insurge de l’image faite de l’armée française dans un film de fiction (Black Panther), on ironise en rappelant que depuis Shakespeare la fiction se permet de telles « irrévérencieuses » historiques. Je réponds :

C’est bien d’ironiser, sauf que c’est une forme de soft-power qui a ses effets. Même quand Billy se moquait de Jeanne d’Arc, ça avait ses conséquences. On nourrit ainsi des stéréotypes qui peuvent avoir des conséquences bien réelles. Si des idiots peuvent s’appuyer sur le Coran et adopter tout un narratif antifrançais pour faire des attentats, un narratif Disney a ce même pouvoir.

En revanche, effet Streisand oblige, la remarque du ministre est stupide parce qu’on répond à du soft-power défavorable en développant son propre soft-power, surtout pas en remettant une pièce dans la machine qui nous est défavorable.

En matière de soft-power, la vérité a peu d’importance. Seules comptent les cibles. L’Amérique se rachète une conscience en tapant sur ceux que Bill moquait déjà : les Français. Après les stéréotypes sur les Noirs, les Noirs américains se vengent sur les “Français”. Les Blancs américains tapaient sur les Noirs parce qu’ils les savaient sans défense. Le Noir américain (ou Wakandien) se doit désormais d’adopter les mêmes stéréotypes virilistes de ses frères US en tapant sur un bouc-émissaire sans défense : le Français. On ne rit pas. Dans l’imaginaire culturel américain, le Français, c’est le stéréotype du soft (pas power) et du guerrier qui bat retraite. C’est dire si l’imaginaire Disney pue du cul : le Wakanda, c’est une promotion pour les Noirs du fascisme.

Au lieu de s’en prendre, dans leur imaginaire, à des cultures qu’on associe à la puissance comme la Russie ou la Chine, on s’attaque à une autre qui a la réputation d’être faible. Le Wakanda n’a rien d’une nation africaine colonisée, c’est une version noire de l’Amérique fasciste rêvée par l’extrême-droite. Comme son pendant réel (l’Amérique, mais comme toutes les nations fascistes), le Wakanda a besoin d’ennemis pour justifier de son existence. Elle n’a même pas le courage de s’inventer des ennemis à sa mesure. On tape sur la pucelle d’Orléans comme on tapait sur les Noirs dans le Sud américain. Le fasciste est toujours très courageux.

Qu’un ministre réponde à ça, c’est ridicule. Reste que la critique des stéréotypes antifrançais dans ces séquences reste justifiée. Comme on peut trouver justifié de ne pas rire de la Jeanne d’Arc de Shakespeare après plusieurs siècles ou du traitement fait des Arabes et des Chinois au cinéma.

Irene Cara et la fame éphémère ou miraculeuse

Théâtre

SUJETS & DÉBATS

Hommage à Irene Cara.


Irene Cara dans Fame, Alan Parker (Metro-Goldwyn-Mayer) 1980 chantant Out Here On My Own de Michael Gore et Lesley Gore (RSO Metrocolor Records)


Talent sous-exploité ou miraculeux comme des milliers d’autres, en plus des deux ou trois chansons de génériques chefs-d’œuvre des glorieuses années disco, Irene Cara apparaissait surtout dans ce grand moment « mièvre » au piano dans une des meilleures séquences de Fame :

Fabuleuse capacité d’Hollywood à ne pas exploiter des talents quand ils apparaissent. Irene Cara sera assimilée à deux grands films disco, mais si elle dansait dans Fame (et assumait un rôle de danseuse avant que les producteurs ne décèlent ses talents de chanteuse) avait plutôt un corps fait pour la danse classique, loin des standards athlétiques et mégarythmiques des années 80. Son exploitation future était sans doute prémonitoire dans cette séquence où elle joue devant une salle vide.

Fame est le film d’une jeunesse agitée, assoiffée de reconnaissance, et certaines séquences comme celle-ci servent de contrepoint à toute cette agitation.

J’avais vu ça dans les cours et écoles de théâtre à l’époque. Comme dans Fame, tous les talents s’expriment à leur manière et les élèves touchent à tout sans connaître forcément leurs points forts : on y découvre tout à coup des élèves patauds doués avec leur corps, des timides nuls dans tout trouver leur “voix” au détour d’un exercice de chant, des acteurs qu’on pensait établis dans un registre ou des seconds rôles qui se révèlent meilleurs que les autres en en abordant un autre, etc.

Dans Fame, musiciens, danseurs, chanteurs se heurtent à une pression et une concurrence féroce. Irene Cara aussi veut réussir, mais elle touche à tout sans véritablement exceller dans un art en particulier : piètre actrice (en vrai, elle a une jolie bouille, mais elle peine à convaincre dans ses quelques séquences dialoguées), corps frêle, manque d’assurance, elle finit par écrabouiller la concurrence dans cette séquence en jouant sur ces faiblesses quand justement personne ou presque ne la regarde et s’excuse même pour finir de chanter quelque chose de mièvre. Ce sont toutes ces différences et ces paradoxes qui sont parfaitement exploités dans cette séquence qui révèlent la véritable nature des métiers de la représentation.

Malheureusement, comme on le voit dans la série et le film, ces instants de grâce ne durent jamais : si le film exploite et illustre parfaitement ces moments rares appelés à ne pas se répéter, tout comme la cruauté du métier, c’est la norme dans la réalité où personne n’est là pour immortaliser ces miracles éphémères et où les réussites sont le fruit de persistance, de chance, de piston ou de malentendus. Pour que ces miracles éphémères n’en soient plus, il faut des metteurs en scène et des auteurs trouvant chez ces acteurs les parfaits messagers de leurs idées. Or, chacun travaille de son côté et les acteurs qu’on présente à l’écran seront souvent les plus réguliers, les plus volontaires, les plus agressifs, les plus prétentieux, les plus socialement établis, rarement les plus talentueux ou les plus prometteurs. On remerciera donc les producteurs et créateurs du film d’avoir su modifier la conception première du film qu’ils voulaient faire pour s’adapter à un petit miracle qui venait de prendre corps et grâce sous leurs yeux.

Deux ou trois petits tours de chant devant une salle vide et puis s’en vont… C’est aussi pour ça que cette séquence était admirable. Au milieu de l’agitation de tout le reste, elle révélait la nature profonde et paradoxale des métiers de la scène. Merci à Irene Cara d’avoir au moins incarné, un peu trop bien, à l’écran (et donc en dehors), ce paradoxe. Derrière son succès tout relatif à elle, fait comme tous les succès de malentendus et de chance, il y a tous les éclairs de génie, les petits miracles éphémères, que le public ne verra jamais. Trois ans après Fame, Irene Cara écrira et interprétera un autre monument de la musique pop pour le finale de Flashdanse, mais elle n’apparaîtra déjà plus à l’écran, Jennifer Beals jouant le premier rôle et Marine Jahan exécutant les non moins célèbres séquences dansées du film. Un petit tour et puis s’en va.

Intelligence artificielle et créativité au cinéma ou en littérature

— Intelligence artificielle & créativité —

Les progrès de l’intelligence artificielle ces dernières années laissent penser que nous sommes à la veille d’une révolution qui, si elle se produit, pourrait radicalement changer à la fois notre manière de créer des œuvres, mais aussi de les consommer. On peut aussi penser que cette révolution implique une nouvelle façon de voir les œuvres du passé, voire une nouvelle façon de percevoir l’œuvre considérée jusqu’à présent comme unique et intouchable.

L’intelligence artificielle est d’ores et déjà capable de compléter un texte d’une ou deux phrases avec une capacité étonnante, mais certes encore très perfectible, en gardant une certaine cohérence d’ensemble, en respectant un style approprié ; bref, de plus en plus, des algorithmes imitent les capacités humaines, et bientôt nous n’y verrons que du feu. Et s’il est sans doute plus compliqué de trouver une cohérence à travers les multiples subtilités de la langue, et si les intelligences artificielles sont encore loin d’égaler les qualités conversationnelles de geishas ou d’escort-girls ou de se faire passer pour un « auteur » humain, en matière de traitement d’images, les limites actuelles de l’intelligence artificielle semblent surtout être liées à des limites de calcul. Transformer une image, réclame a priori moins de subtilité, de créativité ou de références que de transformer un texte.

On peut imaginer par conséquent que les outils capables aujourd’hui de trafiquer des images soient un jour capables d’exécuter des tâches similaires, mais cette fois pour des images multiples, et donc pour des films. Des films à gros budget tournés avec des acteurs en prises réelles et usant de beaucoup d’effets spéciaux en arrière-plan devraient naturellement bénéficier de ces capacités élargies. Ce qui nécessite aujourd’hui parfois plusieurs équipes pour effectuer ce travail, des algorithmes seront un jour capables de le faire. Et avant que d’autres possibilités, étonnantes ou insoupçonnées, s’ouvrent à eux. Car il est probable qu’un jour, il suffira de choisir dans un logiciel quelques caractéristiques et spécificités souhaitées pour son arrière-plan, et l’intelligence artificielle se chargera du reste. Comme dans l’industrie, ou les robots supplantent peu à peu les humains et où ces derniers « n’ont plus qu’à » vérifier le travail accompli, il est probable que ces logiciels fassent disparaître un certain nombre de techniciens travaillant dans les effets spéciaux, et que les tâches humaines consistent plus à corriger certaines erreurs ou incohérences de l’intelligence artificielle ou procéder à des choix correctifs ou additionnels.

Viendra alors ensuite sans doute le moment où des intelligences artificielles seront capables de produire des scénarios cohérents, et avant d’en proposer pratiquement clé en main, on pourrait voir surgir de ces machines des capacités, ou des outils, presque ludiques, comme celle de mixer deux histoires existantes, voire plus, en une seule. Vous voudriez voir un mix entre Bambi et Ordet ? Bingo, vous retrouverez avec un scénario où la mère de Bambi pourra ressusciter à la fin ! Les idées les plus folles ne seront pas forcément toujours les plus mauvaises… Et certaines de ces expérimentations ludiques (comme on le fait aujourd’hui avec des images) pourraient paradoxalement éclairer certaines œuvres du passé, un peu comme les nouvelles techniques d’imagerie qui ont permis depuis une vingtaine d’années d’étudier en détail la composition de certaines peintures, d’y révéler certaines compositions cachées ou passées.

Et commenceront alors à poindre les premières questions éthiques : pourra-t-on exploiter ces histoires à des fins commerciales ?

Les mêmes questions éthiques rejailliront quand les intelligences artificielles seront capables de mixer non plus deux histoires mais deux films. Ou, c’est plus probable, en réinterprétant une œuvre déjà existante en y modifiant quelques détails visuels : vous voudriez voir Blade Runner sans ombre ni pluie ? Voir Chantons sous la pluie avec des effets bullet time à la Matrix ? Voir Gorge profonde en 8 K ? Rien de plus facile. Et un jour alors, plus aucune limite ne pourra restreindre les capacités nouvelles de ces intelligences artificielles. Le résultat sera forcément toujours parfois un peu baroque, incohérent, mais si c’est techniquement, les possibilités « créatives » seraient quasiment infinies. D’abord réservé à des studios ou à l’équivalent aujourd’hui de plates-formes de streaming, et en en faisant commerce, il est fort à parier qu’un simple logiciel permettra un jour à tout un chacun de s’amuser chez lui devant ces monstres hybrides et étranges. Vous vous amusiez d’une soirée karaoké ? D’une soirée jeux vidéo ? D’un film ? Vous vous amuserez maintenant du Gloubi-boulga tout chaud préparé pour vous par vos intelligences artificielles préférées !

Une nouvelle ère pourrait s’ouvrir alors… Et une crise sans précédent voir le jour… La création devenant automatique, artificielle, hybride, elle n’aura plus besoin de créateurs, mais de contremaîtres !

Ou des jurés.

Nous ne serons plus bons qu’à consommer, jouir, noter, commenter, avec ce que certains pourraient juger comme une quasi-amputation : l’impossibilité pour les critiques de s’extasier devant les intentions supposées d’un auteur ! La machine, aussi, sera capable de génie. Car souvent au cinéma, c’est en cela qu’il est magique, le génie tient parfois plus du spectateur. Il faudra jouer le jeu, et continuer à prétendre voir du sens là il n’y en a pas… Et on ne parlera alors plus de « films d’auteur », mais de « films humains ». Tristement humains. Sans imagination.

Et des jurés, donc. Car en littérature notamment, viendra le jour où un petit malin aura fait écrire son roman par une intelligence artificielle, et ces grands nigauds dans les prix littéraires n’y auront vu que du feu. Vous avez aimé les performances de Deep Blue ? Vous avez aimé Romain Gary gagnant le Goncourt sous un prête-nom ? Inutile d’intelligence artificielle, je vous fais le mix des deux : le monde littéraire connaîtra un jour le scandale de voir remis à une intelligence artificielle qui ne dit pas son nom un prix réputé… Et bientôt, un premier grand succès en librairie (oui, parce que le public sera toujours moins crédule qu’un autre public payé pour l’être).

Une telle évolution est-elle souhaitable ? Inéluctable ? Qui sait. Mais si elle est techniquement possible, on peut être assuré qu’elle se fera.


— Tu dors encore ?

Ex-Machina, Alex Garland 2015 | a24, Universal Pictures, film4

— Je t’attendais, papa crapaud. Je ne suis pas encore tout à fait réveillée.

— Tu veux que je te raconte des histoires ?

— S’il te plaît, papa-crapaud.

— Bientôt, c’est toi qui viendras me border.

— Oui, papa-crapaud.

— Pour l’heure, tes histoires n’ont ni queue ni tête.

— Comme les tiennes, papa-crapaud.

Critique institutionnelle, prescriptrice et démocratisée par Internet (feat Tarantino, trineor)

Cinéma en pâté d’articles   

La critique et la politique des auteurs en questions   

Dans la collection « qu’est-ce que la critique de films », j’ajoute un bref feuillet.

En réponse à cette citation de Tarantino

puis à trineor sur Twitter, j’avais d’abord écrit : Le geste d’écrire est toujours pertinent, justement parce qu’il précise “une” pensée à partir d’une œuvre, voire en fait une analyse. Elle permet ainsi un échange avec celui qui la lit et qui désormais peut la commenter. Ce qui est mort, c’est la critique prescriptrice.

trineor avait répondu :

Je m’explique donc ici plus longuement :

Je fais une différence entre ceux qui te disent comment aurait pu être fait le film pour qu’ils l’aiment, et ceux qui te disent comment aurait pu être fait le film pour qu’il soit meilleur. Il y a une forme de posture prescriptrice dans la critique classique qui est de dire ce qui est bon et ne l’est pas à travers des critiques écrites à la troisième personne quand tout écrit (sauf peut-être historique) est toujours rédigé à la première personne. Un film, comme un roman, c’est un miroir. Chaque spectateur y voit quelque chose de lui-même, c’est cette part de lui qu’il expose à son tour. Celui qui dit aux autres qu’ils n’y ont pas vu ce qu’il fallait voir, ce n’est pas un commentateur, un critique ou un spectateur, il devient à son tour auteur. Et donc un peu escroc. Des critiques de ce type, il y en a qui écrivent très bien, c’est un art. Un art qui retraduit, toujours, à travers les yeux de son auteur, une part du réel, qui une fois couchée sur le papier ne saura jamais être autre chose qu’un miroir à son tour tourné vers le réel et à la surface duquel celui qui s’y penche n’y verra toujours rien d’autre que quelque chose de personnel. Mais ce type de critiques n’est pas meilleur qu’un autre (sinon, elles se ressemblent toutes en effet).

Donc pour être franc, je ne comprends pas bien ce que dit Tarantino (ou celle qui le commente). Des batailles esthétiques, il y en a eu, il y en aura toujours, cela n’est pas réservé aux critiques de cinéma. N’importe quel spectateur est capable d’avoir des préférences pour telle ou telle manière de faire des films. Il y aura toujours dans les idées des autres, que ce soit chez un vulgaire spectateur comme chez certains critiques « embauchés par des rédactions » autant de « conneries ». Dire « c’était mieux avant, les vraies critiques », de fait, c’en est peut-être une de connerie. Et on en lit bien d’autres tous les jours dans les journaux approuvés par des rédactions. S’il pense aux Cahiers du cinéma, il y a trois pékins dans une revue qu’il adule et à côté de ça, il y a des milliers des « reviewers » embauchés dans des rédactions en un siècle de cinéma qui même à ses yeux en diraient des conneries.

Quand il parle d’un blogueur qui amène tout à coup un petit air frais, c’est sans doute parce qu’il parlait des films avec un angle nouveau. Ce n’est pas ce que cette « démocratie » permet ? Ça ne peut pas être pertinent par exemple d’avoir l’« avis » d’un critique ayant des notions en physique après avoir vu Interstellar ? D’un autre avec des notions en histoire parler des adaptations de Shakespeare à l’écran ? D’un autre proposant une approche philosophique de La Guerre des étoiles ou de West Side Story ? etc.

Qu’est-ce qu’il veut dire par « penser le cinéma » ? Écrire sur un film, c’est penser le cinéma. Pas besoin d’avoir lu Georg Lukcas ou Bela Balazs pour « penser le cinéma ». Et si on ne s’amuse pas à singer l’écriture faussement objective des critiques sous contrôle éditorial la valeur de la « critique démocratisée » actuelle, elle est justement dans sa diversité de regards. Je préfère encore voir un peintre raté nous proposer sa lecture de Superman que de voir gonfler en lui certaines idées de grandeur.