C’est fou de voir à quel point les plateformes ont pris aux États-Unis le relais des efforts d’imagination, d’audace, d’adaptation, qui n’est plus possible au cinéma devenu esclave de ses superproductions d’un côté et ses films Sundance sans envergure d’un autre.
Pas étonnant de voir autant d’auteurs se tourner vers ces nouveaux moyens de diffusion. Le constat était assez simple à faire : sans des moyens de distributions alternatifs comme en Europe, la créativité est facilitée sur des plateformes payantes envieuses de s’attirer de nouveaux publics et des créateurs avertis avec des contenus originaux ou des adaptations impossibles à réaliser au cinéma.
HBO avait donné le ton dès la fin du XXᵉ siècle, puis les plateformes à proprement parler sont arrivées. Difficile de refuser les avantages du format série, comme un vieux retour des serials des débuts du cinéma, avec des durées pouvant aller d’à peine quatre ou cinq heures pour les mini-séries, jusqu’à plusieurs saisons…
Si certaines séries tombent dans des stéréotypes propres au format, poussent parfois un peu loin les limites du cliffhanger ou forcent de nouvelles saisons les rapprochant plus du soap, il faut reconnaître qu’il y a une créativité folle dans ce secteur depuis les premières heures glorieuses de HBO. Je suis un peu à la ramasse n’en n’ayant suivi qu’une demi-douzaine ces derniers mois, mais la qualité est souvent au rendez-vous. On est loin des années 90 où la qualité des séries était sans comparaison avec les films sortis au cinéma.
Ça n’a désormais plus beaucoup de sens de distinguer la manière dont une “histoire” est distribuée. Cinéma, vidéo, télévision, plateformes…, c’est du pareil au même. La qualité peut s’y retrouver indépendamment du support qui distribue l’œuvre. D’ailleurs, on retrouve parmi les producteurs des meilleures séries, des boîtes de production qui peuvent tout autant travailler pour le cinéma que pour ces plateformes. Même chose pour les acteurs ou les créateurs. Les seuls, de plus en plus rares, à faire une distinction entre les modes de visionnement d’une œuvre, sont d’une part les festivals, et parfois un certain public. Ironiquement, on retrouve les mêmes problèmes de catégorisation que le cinéma avait connu en ses débuts quand le format de deux heures ne s’était pas imposé. Public, critiques ou festivals doivent comprendre qu’à l’image de ce qui se fait en littérature ou en BD, il est idiot de chercher à compartimenter les œuvres en fonction de leur mode de diffusion. Une œuvre de création est avant tout une œuvre de création. Sa qualité n’a pas à dépendre de son mode de diffusion, de qui la produit ou de pour quel type de public elle est destinée.
Je mets de côté les séries qui ont comme principe de lancer une nouvelle boucle narrative à chaque épisode (voire à chaque saison). Je n’en ai pas vu depuis bien longtemps… sinon au cinéma. C’est cruel à dire, mais aujourd’hui les soap operas sont beaucoup plus présents sur le grand écran. Qu’est-ce qu’une énième occurrence Marvel, Disney ou DC sinon du soap opera à un milliard le film ? L’idée de faire des suites n’a rien de nouveau. Là encore, on retrouvait cette facilité dès le muet, et des « franchises » sont apparues tout au long de l’histoire souvent en disparaissant au bout d’une ou deux générations. Mais c’est la fréquence des sorties de ces films à « univers » qui tient non plus seulement du serial, mais du soap.
Après, j’ai sans doute l’œil émerveillé de celui qui découvre les meilleures séries en peu de temps. Les merdasses à côté des merveilles qui tiennent le pavé sont probablement nombreuses. Mais peu importe, comme pour les vieux films, arriver après permet de dégager le meilleur.
Je ne note pas toujours les séries, une petite sélection des dernières d’entre elles vues et appréciées ces derniers mois.
(J’ai exclu bien sur toutes les séries documentaires ou les séries britanniques, françaises, coréennes, etc.)
1. Severance (j’ai cru d’abord à une critique principalement des multinationales, mais je commence à penser que ça doit plus être une mise en garde contre les sectes ; j’espère que la seconde saison ne gâtera pas la fascination éprouvée pendant le visionnage de la première ; le mix étrange entre Kafka, Spike Jonze et 1984 est redoutable)
2. Tchernobyl (la série documentaire historique traduite en fiction, voilà un genre trop peu fréquent)
4. Mindhunter (les deux saisons forment un tout, toutefois la première, partie donc, est bien au-dessus de la suivante, une saison pour essuyer les plâtres, une autre pour la mise en pratique des principes, mais comme souvent aussi, un récit de plus en plus parasité par des considérations personnelles, accessoires, qui écartent le spectateur de la trame principale)
5. Stranger Things (aspect Goonies et hommage aux 80’s des deux premières saisons surtout)
6. Black Mirror (première saison)
8. Unorthodox
Dans une moindre mesure :
For all Mankind, The Haunting of Hill House, Black Bird, The Boys, Squid Game (série coréenne, mais au contraire d’une série comme Strangers from Hell, j’ai franchement eu l’impression de voir un produit américain, formaté en tout cas pour un public international et qu’on peut difficilement séparer de son diffuseur, Netflix).
J’étais un gros consommateur de séries entre 2000 et 2015, je verrai si j’en ai encore de hautes qualités à voir sur le tard apparues dans la période suivante. Ça empêche malheureusement les découvertes et les explorations (je ne fais que suivre les sillons tracés par d’autres), et je suis obligé de m’imposer également certaines limites : Game of Thrones est trop long pour moi (j’ai dû regarder le début à l’époque de toute façon).
J’ajouterai au besoin de nouveaux commentaires sur le même sujet, et mettrai à jour les bonnes découvertes…