Identification des braves, dans Panique, de Julien Duvivier

Réponse à la critique d’oso sur Panique, de Julien Duvivier, et à son joli incipit :

Maudit soit celui qui porte avec fierté sa différence et mort à celui qui ose braver la norme en se moquant des murmures qui fleurissent sur son passage. Pas assez jouasse au goût de son boucher, lequel encaisse pourtant sans vergogne le billet que l’indésirable lui tend, avare en « bonjour » lorsqu’il croise les adultes et jugé trop avenant envers les enfants, le barbu solitaire du coin inquiète.

Les misanthropes, parfois, chacun aime un peu se définir ainsi, un peu comme les gens qui ne sont jamais seuls et qui te lancent tout d’un coup un « oh, moi, je suis un grand solitaire ». Il doit y avoir de ça, dans cette capacité à s’identifier avec des personnages tout de même en marge (la seconde phrase de l’entame, il n’y a déjà plus que des sales types comme moi à qui ça correspond). Et cette capacité qu’ont les histoires à nous émouvoir, ou à nous intéresser, avec des types pour qui dans la vie, on se complaira à ne jamais aller au-delà des apparences. Une identification réussie, c’est quand une histoire arrive à proposer un tel grand écart. Elle est censée nous aider, au fond, à changer nos comportements, mais cela, ce serait croire que l’art ou les films peuvent changer quoi que ce soit à nos vies une fois qu’on doit lutter : on aura toujours tout intérêt à voir des monstres et à trouver des têtes de Turc ou des boucs émissaires. Parce que quand la foule désigne un coupable, on gagne toujours à ne pas être celui-là. Il n’y a dans les films que les apparences ou les injustices sont révélées. Et si on s’y retrouve, c’est plus à cause de notre peur panique de nous trouver dans cette situation (et tout dans notre vie concourt à créer un voile d’apparences contraires susceptibles de nous en prémunir) que parce qu’on prend soudain conscience que dans notre vie, bien plus qu’être à la place du misanthrope, on participe à la foule. On s’identifie toujours à la victime, parce qu’on se sent tous victimes, et on s’identifie toujours au solitaire, parce qu’au fond on l’est tous (même celui qui n’a donc pas une minute à lui). Elle est sans doute là l’arnaque, il doit être strictement impossible de s’identifier aux bourreaux, à la foule. La révolution pourtant, elle serait plus là. Et je reviens à la première phrase qui doit trouver un écho chez tellement de monde…, c’est un peu un principe dans les disciplines frauduleuses (et l’art en est une) : il faut flatter celui à qui on s’adresse avec des phrases qui lui parlent en lui donnant l’impression qu’elles ont été écrites spécialement pour lui. On voit ça chez les manipulateurs-gourous ou les astrologues par exemple.

On serait tous des Monsieur Hire ? Mon cul, oui. Monsieur Hire, c’est l’ombre dont on a peur quand le jour nous éclaire et que tout va bien, et c’est celle qu’on piétine sans états d’âme quand plus rien ne va. On croit que c’est nous parce qu’elle ne nous quitte jamais, mais en réalité, elle a une seule utilité, qu’elle reste toute dévouée à notre seule présence, comme un prétexte à nous grandir quand on regarde en nous-mêmes.


Panique, Julien Duvivier 1946 | Filmsonor