Solo: A Star Wars Story, Ron Howard (2018)

Solo: A Star Wars Story

Note : 3.5 sur 5.

Solo: A Star Wars Story

Année : 2018

Réalisation : Ron Howard

Avec : Alden Ehrenreich, Woody Harrelson, Emilia Clarke, Thandie Newton

J’ai l’impression d’être le seul à aimer ce film, et j’avoue que ça me fait bien rire. Je m’attendais au pire film depuis… il y a très longtemps, et passé le choc des premières minutes ridicules, une fois accepté que ce jeune Solo n’avait en réalité pas grand-chose en commun avec le charisme de Harrison Ford et semblait semblé même être le fils caché de Luke, une fois encore accepté l’actrice tout aussi embarrassante choisie pour le rôle féminin principal, eh bien, le film compte pas mal de jolies trouvailles qui ne font pas que satisfaire les fans en leur montrant pêle-mêle (et il faut bien l’avouer assez peu de vraisemblance) l’origine de nombre d’éléments iconiques et parfois accessoires vus dans la trilogie initiale.

Ainsi, l’aspect politique est plutôt bien amorcé (avec, d’une certaine manière, la naissance d’une frange probable de la rébellion future) ; les revirements incessants ont tout leur sens dans un tel milieu de bandits. Je me doute que certains spectateurs doivent trouver cette ronohouarderie risible, mais le film joue clairement sur la note humoristique, et je ne pense sincèrement pas que ça rende le film plus involontairement risible ; ça en fait surtout un film qui joue totalement cette carte de la fantaisie comme Star Wars l’avait au fond toujours fait. Et si on ne met pas soixante twists et filouteries dans un film sur un chasseur de prime comme Han Solo, on ne le fait jamais. En faisant un film sur Solo, on sait que les jedis ne seront pas présents (ou peu, loin de sa portée) parce qu’on sait que dans la trilogie initiale, c’est affirmé clairement que le Corellien n’avait jamais rencontré encore, dans son monde bien à lui (celui des hors-la-loi), de tels personnages, tout aussi étrange que cela puisse paraître à la vue de la première trilogie. C’est donc l’occasion, et l’obligation, de montrer autre chose. Et franchement, voir un film Star Wars oublier totalement pour une fois la magie pour se concentrer sur d’autres aspects plus « western » et « gangster », tout en s’exemptant enfin des gégécadrabrammesseries, c’est pour le moins rafraîchissant.

Le film est de plus assez dense, pas si laid en dehors des premières séquences ratées (ou traumatisantes) et des autres dans le repère du chef de l’Aube chéplukoi, et si pour le charisme et la tonalité (malgré l’humour) un peu renfermée de Solo on repassera, cet humour, parfois maladroit et gaffeur, plein d’arrogance attachante, eh bien, je le trouve très bien rendu ici.

Bref, on a le droit d’aimer, j’espère — ou d’être agréablement surpris.


 
Solo: A Star Wars Story, Ron Howard 2018 | Lucasfilm, Walt Disney Pictures, Allison Shearmur Productions

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Star Wars, petite anatomie du mythe

Liens externes :


Star Wars : L’Ascension de Skywalker, J.J. Abrams (2019)

Note : 2 sur 5.

Star Wars : L’Ascension de Skywalker

Titre original : The Rise of Skywalker

Année : 2019

Réalisation : J.J. Abrams

Avec : Daisy Ridley, Adam Driver, John Boyega, Oscar Isaac

Un petit (mais long) commentaire vite fait pour garder en mémoire les quelques impressions laissées par le film.

La futilité des personnages principaux dans un univers où tout dépend d’eux.

Comment croire que le sort de la galaxie dépende essentiellement de deux jeunes freluquets aux talents hors du commun amenés tour à tour, et aux détours des caprices de leur âge, à chercher à s’unir, se convertir ou s’opposer ? Si cette dualité est forcément reprise pour partie des thèmes de la trilogie originale (puisqu’on l’a assez dit, celle-ci n’en est une resucée assumée), avec la fratrie Leïa-Luke, il me semble qu’elle procédait alors bien plus à une logique de mythe.

George Lucas s’en sortait très bien, sur trois épisodes, à faire avancer cette thématique familiale, en distillant juste assez à chaque séquence ou épisode pour faire avancer la situation et l’intégrer harmonieusement avec les autres thèmes centraux de la trilogie (et cela non sans perturbation dans la force, pardon, dans la cohérence de la trilogie : par exemple, on ne voit jamais Leïa prendre conscience dans le dernier épisode que si elle est la sœur de Luke, elle est la fille de Vador…). Une grande différence avec ce qu’on nous propose ici, où on ne voit jamais la fin des vrais-faux revirements, des possibles avancées qui nous échappent parce que perdues au milieu de mille autres informations, des séquences de blabla pour convaincre l’autre de se lier à lui ou des scènes de duel sans fin (dans une logique très « on va voir qui a la plus grosse, mais à la fin, on dit pouce). À force de retrouvailles, d’appels en SMS télépathiques surtaxés, de répétitions presque comiques, ces rencontres ne riment plus à rien, et on finit vite pour ne plus en attendre d’avancées notables (syndrome de Pierre et le Loup) : au lieu d’avoir des avancées dramatiques, de vraies décisions prises par l’un ou l’autre qui impliqueraient de lourdes conséquences, ici rien n’est jamais grave ou à prendre au sérieux. Un peu comme se retrouvait autour d’un café pour taper la discute en même temps que quelques sbires de l’empire ou des pions interchangeables des rebelles. La futilité de la jeunesse en l’absence de contrepoint d’un maître, d’un père, d’un professeur, d’un gourou. Pardon, mais quand Luke rencontre Vador pour la première fois, il y laisse une main ; quand il le retrouve, c’est avec Palpatine, et rencontrer l’empereur, on sent que c’est un événement pas donné à tout le monde : Luke s’y est préparé (on en parle depuis un moment), et c’est pour en finir avec lui (enfin, croyait-on, parce que c’était sans faire avec les talents de profanateur de cadavres de Abrams), pas pour jouer à qui à la plus grosse, faire semblant à un dénouement, se dire salut et se promettre de se retrouver à la microscène 342.

Alors voilà, une fois que toutes les vieilles reliques sorties du placard ont fini de jouer les fantômes, on ressort de son puits Palpatine, on nous explique qu’il est derrière Rey depuis le début, qu’il a tout prévu jusqu’aux méchants précédents, et se place ainsi comme le grand manitou des… trois trilogies. Eh, oui, réveiller les morts, ç’a des conséquences : mis à part les deux droïdes qui sont en effet de toutes les fêtes (on respecte l’angle de La Forteresse cachée), on pensait à la première trilogie que Luke était le héros, puis c’est son père qui en devient le personnage principal avec la prélogie, et enfin ici, tout compte fait, on nous dit que ça pourrait tout aussi bien être Palpatine. Eh ben, je crois que Abrams se fout un peu de notre gueule, parce que Palpatine était très bien à sa place, celle de l’opposant idéal qu’à la fois le fils et le père Skywalker avaient réussi à remettre à leur place. Voir sa fille (oui, je divulgâche, maintenant tu es prévenu) prendre le relais et le voir, lui, un type si peu sympathique (on ne nous a pas vendu son enfance malheureuse, on a le droit de le détester) devenir le centre de trois trilogies, ça ne m’enthousiasme pas des masses. Sans compter qu’il y a un truc qui me chiffonne dans cette histoire : le papy, il est fort comme Voldemort et le diable réuni, avec une puissance ahurissante, et au lieu de s’en servir pour un détartrage, pour guérir ses guibolles manifestement en carton ou tout simplement pour se déclarer maître du monde en menaçant qui veut l’en empêcher de lui tordre le cou (on rappelle qu’on est censé être dans un monde sans jedi), non, le papy préfère œuvrer dans l’ombre, jusqu’à laisser des monstres prendre le risque de devenir plus puissants que lui, ou imagine encore tout un stratagème alambiqué pour que sa petite-fille la rejoigne du côté obscur ? Si le type est immortel à ce point, en quoi laisser ses pouvoirs à sa petite-fille, a-t-il une importance ? Et pis, si ce n’est qu’une question de descendance (il tient ça de qui d’ailleurs ? de son élève Dark Vador ?). Il est impuissant le papy ? Il ne peut pas remettre ça et s’assurer que cette fois, il gère ce projet comme tout bon papa poule ? Je n’ai pas de mots pour dire à quel point cette idée (le centre de notre trilogie donc, puisque c’est la grande révélation attendue) sent mauvais.

Et j’en reviens à la futilité des personnages principaux. Cette absence du père, ou du grand-père, à force pour beaucoup de les zigouiller en cours de route ou de les cacher dans l’ombre pour le seul goût du secret, revient à laisser des gosses gérer seuls le sort de la galaxie. Ce qui fait de cette trilogie une sorte de Seigneur des mouches à l’échelle galactique (Abrams l’avait déjà expérimenté dans une série à l’échelle d’une île si je me rappelle bien), ou une version du Collège fou fou fou intergalactique. Dans cette histoire, les adultes n’ont plus qu’un rôle anecdotique et regardent impuissants deux lycéens en colère se chamailler sans plus aucun arbitre.

Si le fort de Lucas, c’était de réveiller des mythes, les adapter, cette nouvelle trilogie se plante royalement à ce niveau. L’un des points faibles de Luke, c’était sa futilité, mais elle était contrebalancée par les autres personnages, avec lesquels finalement ils formaient un groupe harmonieux (un groupe qui n’allait pourtant pas de soi au début et dans lequel tous se tiennent : on enlève un et ça devient dramatique). Ici, c’est comme si la futilité était partagée par tous les personnages, même les adultes ne semblent pas prendre la lutte contre les Sith, ou l’Ordre machin, au sérieux (Luke avait beau était puéril, il était attaché à suivre les conseils de son maître). C’est toute la gravité de l’ancienne trilogie pourtant adulée ici qui disparaît : les humeurs des personnages changent en fonction des revirements de situation, et comme ils sont nombreux, on passe des rires aux pleurs assez rapidement sans quand jamais la séquence précédente ne semble avoir de poids émotionnel sur la suivante. De la même manière que leur groupe semble formé artificiellement pour « faire groupe », toutes leurs émotions et leurs aventures ne semblent prendre corps que pour le plaisir de l’aventure (la futilité, toujours).

Le symbole d’ailleurs de ce manque flagrant de cohérence psychologique, ce sont les séquences fabriquées avec Carrie Fisher, dont le décès prématuré est parvenu avant ou pendant la production du film et qui impose une utilisation plus que baroque des rushes disponibles. L’impression du charcutage est immense : si un dialogue se met en place, le plus souvent avec Rey, on ne va jamais plus loin qu’une réplique, et on change de sujet. Même les plans de coupe ne semblent pas appropriés pour la situation… Et donc tout le film laisse cette étrange impression que tout est monté à l’arrache, grossièrement, en rapiéçant de vieilles pièces d’étoffes appartenant à la première trilogie pour en faire un manteau d’Arlequin, forcément des plus baroques, et avec aucune consistance ni psychologique ni dramatique.

Revirements boiteux

Les revirements idiots sont nombreux : le général sorti de Poudlard (promotion Serpentard) se rebiffe au bon moment et annonce (hilarité dans la salle) qu’il est l’espion tant recherché (ce qui fout en l’air toute une quête qui prenant forme, mais puisqu’on a cinquante quêtes en même temps, en bousiller une aussi facilement au passage, ça nous arrange bien), qui demande comme dans un western parodique qu’on le blesse pour que ça passe auprès de son supérieur (on rappelle, juste comme ça, que le bonhomme est donc censé être le numéro 3 au rang des chefs méchants, et que pendant qu’il accompagne ses nouveaux potes à leur vaisseau, personne sous ses ordres ne vient à ses nouvelles : de quoi le faire un peu plus passer pour un moins que rien, ce qui n’est pas beaucoup mieux que son chef suprême qui sort tout juste de l’adolescence). Bien sûr, cet officier futé comme deux sergents Garcia, se fait dégommer dès que son pote a compris son petit jeu (ce ne serait pas expédié aussi hâtivement et avec autant de désinvolture, à la façon d’une série, sans se soucier d’y créer une réelle confrontation, un doute, source de tension, au moins pour créer un semblant de cohérence psychologique et d’intérêt dramatique : si tous les personnages se font zigouiller, même les méchants, et que ça n’a provoqué aucune mise à distance — pour mieux s’en émouvoir —, jamais rien ne peut alors devenir dramatique, sinon à forcer le trait en y développant des cris ou des larmes — ce que les deux personnages principaux et opposés ne manquent pas de faire).

« Et au fait, pourquoi tu nous aides ? — Je n’aime pas mon boss, il a été méchant avec moi. » Et l’autre : « OK, salut. »

Si c’est pour bâcler autant les situations et les dialogues, tu peux en faire une série de plusieurs heures, ce sera toujours aussi émotionnellement et psychologiquement inconsistant.

Autre revirement vite expédié et ridicule : l’explication que donne Luke sur ses ratés, ses propres revirements à la limite de la cohérence psychologique. « Yoda vient de me dire que l’échec était le principal moteur pour avancer dans la vie : je me suis planté avec Rey, ben… Cool ! Ce n’est pas si tragique ! Alors du coup, j’ai changé d’avis : j’ai eu tort de me retirer sur cette île… » Purée, mais des personnages qui sont si malléables, si inconsistants, qui n’ont aucune droiture dans ce qu’ils pensent, pour qui tout est futile ou aléatoire, ben perso je n’ai pas envie ni de les suivre, ni de leur faire confiance, ni de les aimer. Un jour ils disent blanc un autre noir, et ça change toujours en fonction des humeurs ou parce que ça fait avancer artificiellement la situation… Ce n’est même plus de la puérilité, c’est de la bêtise. Il faut de la constance chez les personnages pour les suivre.

Dénouement(s)

Quand tout une intrigue est basée sur des révélations et des dénouements successifs, difficile de repérer ce qui est important ou pas, difficile de sentir la structure même du récit. Pourtant, Abrams, puisqu’il colle à la structure de la première trilogie, a bien l’intention de refaire à sa sauce le type de dénouement positif qui a tant valu de succès à l’épisode IV (remise de médailles) et à l’épisode VI (la ewoks party). Ce qui est drôle pourtant, ou navrant, c’est que si le film multiplie les séquences de révélations, de retournements, de confrontation et de dénouement, en les charcutant à un point qu’elles font rarement plus d’une minute, celle qui prend comme modèle celle de l’épisode VI est interminable.

Le montage final de Richard Marquant était à l’image de son film : assez simple. L’idée était de clore la trilogie initiale, c’était la fête, et à raison : la séquence finale du film, dans laquelle on s’applique à bien refermer toutes les portes des couloirs narratifs, et à dire au revoir à nos personnages chéris, restera plus de quinze ans au moins le dernier acte de la saga Star Wars. Combien de temps durait-elle ? Une minute ou deux tout au plus. Ici, avec l’inflation des quêtes et des personnages à suivre, on en a bien pour dix minutes. Avec en sus une réparation stupide « fête » au wookiee qui n’avait pas été honoré lors de la remise des médailles de l’épisode IV (ce qui avait valu les sympathiques sarcasmes de Carl Sagan), et à qui on remet ici, on ne sait pas bien pourquoi, une médaille en chocolat. Ce n’est pas le tout d’honorer les anciens en zigouillant leur travail ou en les faisant mourir à l’écran, il faut encore leur faire la leçon pour leur expliquer que « quand même, c’était un peu raciste de pas filer une breloque à une carpette ambulante… » Chewbacca n’avait peut-être pas de médaille, mais peut-être bien parce qu’il est plus intelligent que les autres, et se fout de ces premiers prix de conduite. À son âge, sérieux…, il en est encore à espérer des médailles ? Non, Chewie, c’est le Yoda de l’ombre : la sagesse même. Jamais un mot plus haut que l’autre. Le véritable maître et père de toutes les trilogies. Lui filer une (futile) médaille, c’est le rabaisser à un enfant qui a été sage pour Noël.

Filiation ratée

C’est dommage, j’aurais facilement pu être convaincu par le fil conducteur, la « grande » révélation de la trilogie. Comme avec les deux autres trilogies, on y trouve ici une quête d’identité, liée à celle des parents (enjeu qui est lui, bien mythologique, contrairement à beaucoup d’autres aspects du film), et c’était une idée qui aurait pu me séduire si le reste n’était pas aussi bâclé. Après avoir imaginé après le premier volet (comme en atteste cette critique) que Rey avait de bonnes chances d’être la fille de Luke, après avoir espéré qu’elle soit la fille de personne afin de donner à cette trilogie un réel sens démocratique et sortir pour de bon des filiations, j’aurais pu me laisser séduire par un lien avec Palpatine. Reste que même à ce niveau, Abrams réussit à tout gâcher avec une énième séquence « du héros gentil se présentant face au méchant sur son trône ». Que Rey soit la petite-fille de Palpatine, d’accord, mais que Palpatine joue les momies ou les Voldemort pour l’occasion, qu’on le retrouve après la révélation ici pour une ou deux séquences de confrontation, ben, c’est assez décevant parce qu’on a l’impression que ça vient de nulle part. Et au final, sa fonction est presque illustrée par la manière physique dont il est montré dans cette scène, à savoir, porté par je ne sais quel treuil invisible : Palpatine a beau être le méchant le plus puissant des trois trilogies, il n’est ici qu’une marionnette qui va permettre au récit de s’offrir une petite séquence de confrontation finale (avant d’en avoir une autre puis une autre et encore une autre) et qu’on aura vite oubliée une fois finie parce qu’on sera passés à autre chose (c’est le problème quand on court mille lièvres dramatiques à la fois : il faut tous les suivre, et une fois qu’on en attrape un, pas le temps de savourer et de goûter la bête pour servir le dénouement et un dessert si tout le monde a été sage, non, il faut repartir à la chasse).

Si dans le premier, l’idée qu’on assiste à nouveau à la thématique de la fratrie, mais cette fois sur la variation du duel fratricide, me séduisait plutôt, on a vite basculé (déjà dans le précédent avec des blagues potaches entre les deux djeunes super-héros) vers un conflit d’ados perturbés par leurs hormones, laissés seuls dans une chambre à se chamailler quand les parents sont de sortie, ou à faire autre chose en oubliant qu’on en aime un autre… Pardon, mais c’est déjà moins une problématique mythologique. Là, tout ce qu’on entend en sous-titre de ces relations, c’est : « Tu veux pas sortir avec moi ? S’il te plaît !… Tu te rends compte que tu sors avec un vulgaire stormtrooper ?! Tu es rien, je suis un fils de bonne famille, je pourrais tout te donner si tu acceptais qu’on sorte ensemble ! Allez quoi, un bisou ! Viens, on va refaire (littéralement) le monde ensemble ! » Désolé, ça me parle moins que « Fils, rejoins-moi, nous régnerons tous les deux sur la galaxie, l’empereur l’a prévu. Tope là ! Non, l’autre main… Pas… Mais il est con, il est tombé ! ». D’un côté un père qui tranche la main de son fils (il y a du symbole) ; de l’autre, deux lycéens qui se chamaillent parce que l’un ne veut pas partager son goûter avec l’autre.

À noter d’ailleurs, douce ironie, ou belle revanche, que si dans la première trilogie (et même si c’était son emploi, et un emploi qui cadrait parfaitement avec l’ambition mythologique de Lucas) Mark Hammill était parfois agaçant, c’était la bonne surprise de l’épisode précédent, Les Derniers Jedi (bien supérieur me concernant que celui-ci). Plus que Harrison Ford dans Le Réveil de la force, son personnage avait une réelle consistance, un vrai poids sur les événements. Ici, qu’a-t-on pour jouer en face de ces jeunes bahuzards ? Des fantômes (des morts, parfois, littéralement).

Rythme

Un problème assez récurrent dans les films d’Abrams. Qu’est-ce qui l’oblige à se passer ainsi systématiquement dans une séquence qui en a besoin de quelques secondes de respirations, que ce soit pour apprécier dans sa longueur la réaction d’un personnage (afin d’essayer de percer ses pensées), pour instaurer une ambiance, un mystère, ou simplement pour offrir au récit et au spectateur, qui en a besoin pour digérer les informations qu’on vient de lui donner, un peu de respiration avant que ça reparte sur les chapeaux de roues. On n’en est plus à deux ou trois minutes près.

Cela démontre assez bien à mes yeux en quoi ce réalisateur manque quasiment presque à chacun de ses films de sens de l’à-propos : quand une séquence ne marche pas parce que trop rapide ou parce que mal mis en scène, avec une interaction entre les acteurs qui ne marche pas ou avec des enjeux et des situations flous mal exposés, eh bien, soit on repense sa séquence, on la réécrit, la retourne, ou tout bonnement on la coupe. Or, il y a un nombre incalculable de séquences, de situations, ou de propositions de jeu qui tombent à l’eau parce que trop vite ou mal expédiées.

Par exemple, en quittant je ne sais quelle planète, Chewbacca beugle et Rey le regarde en disant juste « oui ». Oui, quoi ? Ces quatre ou cinq secondes sont censées nous dire quoi ? Comme d’habitude, jusqu’au moindre détail, Abrams rapièce sa toile avec des morceaux piochés dans ses souvenirs de la trilogie originale : ce qui pouvait n’être qu’un geste, qu’une attitude, il se l’approprie et tient en dépit de toute cohérence narrative ou de mise en scène à l’intégrer dans son film. C’est pourtant un défaut assez fréquent chez les jeunes scénaristes ou metteur en scène : penser, même inconsciemment, que reproduire un effet, une image, une posture dans un film qu’on a vu, va par enchantement produire sur les spectateurs dans un nouveau film une réaction identique. Sans se demander pourquoi dans le film original cet effet avait une telle efficacité sur le public (le plus souvent parce qu’il s’intègre à une cohérence narrative bien plus large). On se doute donc bien qu’à cet instant, quand il fait dire à Rey « Oui » qu’il fait référence à un passage de la trilogie originelle (ça me rappelle vaguement quelque chose), et qu’il pense que ça pourrait avoir un effet sur le spectateur, sauf que le placer là (comme ailleurs, n’importe où), n’a aucun sens. Et j’ai souvent eu cette impression lors du film : je me dis, tiens, là il est en train de reprendre une posture qui a dû le marquer dans la première trilogie, et pour l’avoir vue en boucle, ces images peuvent rarement m’échapper. Le problème, c’est que là où Abrams pense adopter des postures, des images, des effets de mise en scène qui auront une certaine efficacité sur le spectateur, il ne multiplie en réalité que des gimmicks et des clins d’œil qui nuisent à la cohérence de sa propre mise en scène. On n’arrivera pas à me faire croire que quand on structure son histoire comme on tisse un grand manteau d’Arlequin on en arrive à en faire de la haute couture.

Il n’y a pas que des séquences qui pourraient être coupées pour rendre le film bien plus lisible et rythmé qu’il ne l’est en réalité. Quand on coupe des personnages ou certaines quêtes secondaires, on arrive forcément à réduire la voilure et à se concentrer sur l’essentiel. Est-ce que par exemple le droïde en forme de cornet de pop-corn a une utilité narrative ? La petite amie de Poe est-elle si nécessaire à l’histoire ? Là encore, on voit bien que son utilité est d’abord de faire référence à la vieille amitié entre Han Solo et Lando Calrisian ; pourquoi pas, sauf que ça vient encore surenchérir un récit en pleine inflation (j’ai comme l’idée d’ailleurs que le film de Rian Johnson a été intercalé artificiellement au milieu d’une première mouture d’un scénario écrit par Abrams pour toute la trilogie… ; ce qui expliquerait pourquoi ce dernier volet paraît si condensé ; Abrams aurait été obligé de faire de deux scénarios un seul pour permettre à Johnson t’intégrer ces idées dans le second volet — simple conjecture). Parce qu’au-delà d’une nouvelle relation avec un personnage qu’on n’aura pas le temps de suivre, le problème, c’est que ça interdit toute possibilité de développer les relations entre les personnages existants, en particulier les nouveaux de la présente trilogie : Poe et Finn devraient avoir une relation forte suite aux événements qui les a réunis dans le premier volet, or leur complicité ne s’illustre que par des répliques que chacun pourrait dire dans de telles situations d’urgence, jamais aucune référence n’est faite à leur passé commun, qui serait fort utile pourtant pour conforter leur lien, créer une connivence et nous rappeler par ces références des épisodes passés qu’ils (et nous avec eux par identifications) ont passés ensemble. C’est encore la preuve que Abrams est plus soucieux de faire référence aux films de la trilogie initiale que de s’appliquer à suivre les évidentes nécessités dramaturgiques de son histoire : pour créer une connivence entre les personnages (connivence qui existait de fait dans la première trilogie justement parce que les personnages avaient ce type d’interactions), on les fait faire ou dire des références à leur passé commun. C’est comme ça qu’on écrit une histoire. Mais on l’a bien compris, Abrams n’écrit pas une histoire, il écrit un abécédaire dédié aux fans, une fan fiction à plusieurs centaines de millions de dollars de budget et de recette, une grande foire aux références.

Coïncidences heureuses

La rapidité d’exécution du film, son extrême densité, a au moins un avantage sur le public : il a à peine le temps de froncer les sourcils à la moindre facilité de scénario, incohérence ou coïncidence heureuse qu’il est déjà embarqué dans une nouvelle scène et une autre facilité. C’est un peu comme raconter la même blague stupide et absurde à un malade d’Alzheimer profond, le voir répondre « hein, quoi ? », et enchaîner sur la même blague, et cela à l’infini. Abrams s’y connaît en lavage de cerveau : toutes ces réactions interloquées, nous les avons eues durant le film, mais comme des rêves qui s’évaporent au matin, il n’en reste pas grand-chose à notre réveil.

Parmi les coïncidences heureuses dont j’ai eu le temps de me rappeler pendant le film (le monteur a peut-être intercalé malencontreusement un moment de pause dans cette scène) : projetés hors de leur appareil sur la planète déserte dont j’ai oublié le nom, ils se retrouvent enlisés dans des sables mouvants (Rey qui cinq minutes plus tard arrivera à empêcher un vaisseau de quitter la planète n’a même pas l’idée de les faire sortir de ce truc…), puis se retrouvent par enchantement dans des sous-sols… les menant directement aux reliques qu’ils étaient venus chercher ! Oh, mais purée, quelle chance !

Et j’ai bien trop peur de revoir le film, au calme, et de noter toutes ces folles facilités. Comment Abrams, qui est un habitué des pirouettes dramaturgiques pour masquer son manque de talent, a pu devenir à la fois scénariste et réalisateur, cela restera pour moi un des plus grands mystères de notre époque.

Qualités

Le film a pourtant quelques qualités. L’humour, même si on sent bien trop l’envie de forcer vers la comédie au détriment de l’aspect plus tragique, peut parfois faire mouche. Ce rôle de comique est depuis quarante ans dévolu en partie à C3PO, et c’est encore le cas ici. C’est beaucoup moins réussi pour les personnages créés par Abrams, qui ne semblent avoir pour fonction que de rendre cette histoire toujours plus futile. Il y a aussi quelques propositions intéressantes s’intégrant dans l’univers Star Wars tout en n’ayant jamais été évoquées dans les précédents films. Utiliser un sabre laser pour éclairer dans le noir, c’est tout con, mais de mémoire ça n’avait pas été fait. La variation de vitesse des vaisseaux est, me semble-t-il, très bien exploitée que ce soit sur un plan narratif ou graphique (même si cela avait déjà probablement été fait). Le « ricochet » (même s’il faut éviter de demander pourquoi les vaisseaux ennemis parviennent à suivre le faucon comme son ombre), c’est une idée spectaculaire qui marche assez bien, et visuellement c’est beau et conforme à la physique fantaisiste imaginée par Lucas. Ou encore pas mal d’utilisations pratiques de la force : c’est dans ce domaine que le fait d’avoir fantasmé l’univers pendant trente ans ou plus pour un auteur peut être utile. « Qu’est-ce qu’on peut faire avec la force ? » Voilà quelques réponses susceptibles d’enrichir l’univers. (Certaines propositions sont de trop en revanche : capturer un gros vaisseau à pleine puissance alors qu’on commence à peine à maîtriser la force, c’est assez moyen ; le sabre couteau suisse de la Rey obscure ; voire la capacité de guérison : si c’était possible, d’autres maîtres auraient utilisé cette possibilité bien avant, à commencer par Palpatine…)

L’univers Star Wars est si vaste (potentiellement, si la Galaxie n’est pas infinie, son histoire compte plusieurs dizaines de millénaires à explorer), il mériterait que Disney offre la possibilité à de véritables auteurs de s’emparer de cet univers, pour écrire de nouvelles histoires originales dans lesquelles les références aux personnages déjà connus seraient rares voire inexistantes. À ma connaissance, des jeux vidéo s’étaient déjà engouffrés dans cette possibilité.

Autre point positif à mes yeux : je le trouve globalement beau. C’était d’ailleurs le cas des deux précédents volets de la trilogie. Et pour cause. Le récit, la dramaturgie, cite abondamment la première trilogie, c’était normal d’en faire de même pour l’univers graphique. Moins d’effets numériques, paraît-il, en dehors du rafistolage des séquences avec Carrie Fisher et une séquence un peu inutile dans laquelle on voit Luke et Leïa parfaire leur entraînement jedi (semble-t-il sur la lune d’Endor où s’achevait Le Retour du jedi). La fascination maladive de Abrams pour les lumières dans la gueule se retrouve ici malheureusement avec une variation franchement pénible vers les éclairs scintillant foutant mal à la tête et m’obligeant à fermer les yeux. Mais globalement, les décors, l’atmosphère, les paysages proposés, sont franchement magnifiques. Paradoxalement, tout inutile qu’il est, je pense que le personnage avec qui Poe a une histoire, risque de souffrir du syndrome Boba Fett : le port du casque la rend sans doute très sexy, mais on sort un peu frustré de ne pas en savoir plus sur elle. Peut-être un jour la verra-t-on réunie avec Poe dans une série intitulée The Mandoline


 

 

 

Sur La Saveur des goûts amers :

Star Wars, petite anatomie du mythe

 

Liens externes :


 

Star Wars, le Réveil de la force (2015)

De la piété filiale

Note : 3.5 sur 5.
Star Wars, le Réveil de la force

Titre original : Star Wars: Episode VII – The Force Awakens

Année : 2015

Réalisation : J.J. Abrams

Avec : Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac

J’aimerais pouvoir dire que JJ Abrams honore son père avec ce réveil de la force, en fait, il y a de ça, oui, par atavisme. Et c’est probablement là le problème. Dans la première trilogie, l’initiale, le thème de la filiation rôde d’abord comme un fantôme dans le film. Dans le merveilleux, Lucas l’avait sans doute compris, il faut commencer dans le brouillard. Et peu à peu on avance, on comprend. Tout se fait par suggestion, si bien que le film qu’on aime, c’est celui qu’on se fait dans sa tête, celui que personne ne viendra trouver pour nous y imposer ses jouets ou ses mèmes entendus près à l’emploi. Le problème, une fois les premières révélations passées (et il faut attendre la fin de L’Empire contre-attaque pour voir la lumière), c’est que tout le reste devient explicatif, au mieux illustratif, et qu’on y perd tout mystère. Forcément.

Si en 1977 on pouvait entrer dans Star Wars en y découvrant un monde nouveau, plein d’appréhension et d’émerveillement, un peu comme quand on débarque dans un nouveau pays, une nouvelle entreprise, un nouveau cercle d’amis, dans le principe même de la franchise (c’est-à-dire quand, après avoir honoré papa, on honore de ces royalties, les fils à papa, les ayants droit, les successeurs, les princes), eh bien les découvertes y sont beaucoup moins merveilleuses. Pire, pour légitimer une filiation, les princes pourraient être tentés de rappeler à tout bout de champ que s’il faut les aimer ce n’est pas pour eux-mêmes mais par respect pour ce qu’a été leur père.

C’est ainsi que fonctionne une mythologie, certes ; au point qu’au bout du compte, on ne sait plus par où commence véritablement une histoire. Seulement nous, on la connaît l’histoire, et encore pour beaucoup, celle-ci a commencé en 77 et tout le reste n’a été que répétition. Voir le fils, chercher une légitimité à travers le rappel filial, ça sonne un peu comme une grossière facilité. Après tout, si on est en république, Star Wars a toujours baigné dans la philosophie orientale ; mais si j’ai toujours de la bienveillance pour un Lucas qui achève son cycle pour aller au bout de sa logique, quitte à oublier le merveilleux pour le politique (avec ses références historiques un peu appuyées), la magie pour la science, j’en aurais a priori moins pour un JJ Abrams que j’exècre.

J’aime les escrocs, il n’y a pas de bons raconteurs d’histoires sans bons escrocs. Seulement Abrams a toujours été pour moi un charlatan de seconde zone. Un escroc qui parvenait à ses fins non par son talent à berner son monde, mais parce qu’il s’adressait en priorité aux vieilles crédules et aux jeunes cons. L’atavisme est là. Et il est un peu symptomatique d’une société qui voue un culte païen à la jeunesse et qui, en même temps, méprise ses jeunes cons, parce qu’ils finissent par trop ressembler, trop tôt, à ce que sont devenus leurs parents, pas à ce que ces mêmes parents pouvaient ressembler quand leurs propres parents les regardaient en levant les yeux au ciel (c’est clair ?). L’adulte, le responsable, dans cet univers, n’existe plus. Il n’y en a que pour l’amour des vieux, qu’on daigne respecter parce qu’ils sont déjà tout près de la sortie et qu’il suffirait de leur ouvrir la porte pour éviter le parricide, et pour les jeunes, censés représenter la populace juvénile qui se rue en masse depuis une certaine année 77, en rejetant leurs parents au salon.

Star Wars, le Réveil de la force (2015 Star Wars Episode VII – The Force Awakens Lucasfilm, Bad Robot, Truenorth Productions (1)

On voudrait nous faire croire que Leïa (et Solo) ait pu avoir un gosse à cinquante ans passés, je veux bien qu’une histoire, c’est un peu jouer sur le principe de crédulité avec une vraisemblance à géométrie variable selon le spectateur qui s’y soumet ; seulement là, c’est un peu forcé et tiré par les cheveux. Alors peut-être que Leïa a gardé ses macarons ovariens dans la carbonite, ou que sa frange royale n’a goûté que tardivement l’âpreté du cheveu blanc, ou encore que les midi-chloriens repoussent l’âge de la ménopause… Bref, tout ça pour dire, que non, Leïa et Solo ne sont pas les parents de notre nouveau Anakin : dans notre imaginaire, et tels que Abrams les a conçus, ils sont ses grands-parents. Tout autre chose tiendrait du miracle.

Chez Disney, si on ne peut pas honorer le parent, l’adulte, parce que le spectateur moyen donc ado doit pouvoir s’identifier à ce qu’il voit, on honore alors, par atavisme, ces vieilles peaux du passé. Ce qui n’est jamais qu’une autre manière de tuer le père, de dire : « Tu vois, je suis un adulte parce que je peux respecter d’autres adultes, mais pour te prouver que je me rebelle face à ta toute-puissance, c’est vers tes propres parents que je me tourne ». On ne tue pas seulement une génération pour prendre le pouvoir, on la saute. On l’ignore, elle n’existe pas. Même le Général Méchant de service a l’âge du spectateur moyen dans la salle. Pour rien au monde on ne viendrait voir, et applaudir, magnifier, des personnages qui auraient l’âge des cons qui nous imposent leur loi à chaque fois qu’on rentre de l’école. L’atavisme a du bon. Disney le sait bien : les conseils des grands-parents sont toujours les plus avisés, les mieux reçus, et ça se mesure là encore en toute fin d’année lors des fêtes où ils sont les rois. Et les petits-enfants, les princes.

Je me garderais bien toutefois de donner un avis définitif sur ce nouvel opus, justement parce qu’il faut probablement le juger à la lumière des deux suivants, et que malgré tout, j’ai envie de lui laisser une chance. Piété filiale ou pas.

Le pop-corn était du rendez-vous, c’est déjà ça, reste que malgré tout pour l’instant, je ne suis guère convaincu par l’ensemble et qu’il faudrait un miracle pour que le tout arrive à prendre forme avec plus de consistance. Parce que si tout ce qu’il y a de nouveau dans cette oraison hypocrite à l’égard des gâteux qui nous gâtent une fois l’an pourrait encore passer, l’hommage en lui-même frise parfois la nécrologie ou la maltraitance sénile. Si les jeunes peuvent être cons, ils restent encore malgré tout le nouvel espoir de demain ; les vieux, eux, ont été et ne seront jamais plus. Compréhensif envers les jeunes, d’accord, avec les vieux, beaucoup moins. Un vieux, ça crache son fric, ça rouspète comme dans une vieille comédie du remariage, ça flingue et vomit sur la jeunesse onze mois sur douze, ça donne des leçons de sagesse… mais si, à l’américaine, le vieux tâche de faire de son possible pour montrer encore qu’il peut le faire… qu’il peut le faire… comme les jeunes, non. Ce n’est pas être impoli de le dire. Harrison Ford et Carrie Fisher, si ça me fait bien plaisir de les revoir, comme de vieux amis retrouvés sur copains d’avant, ils sont ridicules, fatigués et ronflants. « Ah, regardez comme ils sont mignons papy et mamy ! Et ils viennent toujours à la maison avec leur énorme clebs ! Je les adore ! »… Moi pas. Je troque ma piété filiale pour ma grande pitié à l’égard de leurs vieux os rabougris. Un comble, C3PO est plus rutilant, et inutile, que jamais (mais il paraît que le service aux personnes âgées c’est l’avenir industriel des grandes puissances), il est en tout cas bien plus en forme que nos deux humanoïdes parcheminés. Peut-être qu’avec une direction d’acteurs digne des meilleurs escrocs prestidigitateurs ils s’en seraient mieux tirés, en attendant on les y croirait raidis et préservés par la carbonite.

Star Wars, le Réveil de la force (2015 Star Wars Episode VII – The Force Awakens Lucasfilm, Bad Robot, Truenorth Productions (2)

Parmi les jeunots d’ailleurs, si force est de constater que Rey s’en tire très bien, c’est peut-être un peu aussi parce qu’on l’a sortie de l’hypersommeil, elle. S’il semble acquis que le (grand) père honoré, c’est Luke, on remercie JJ d’ouvrir les possibilités d’une seconde trilogie, préquel là encore, où on pourra assister aux chamailleries précodiennes, ou screwballiennes à nouveau, on s’en contentera, entre Luke Skywalker et sa chère et tendre dulcinée, Helen Ripley. Parce que si R(ipl)ey a (ou aurait) hérité du sabre et de la trogne du père, en plus du caractère débrouillard qui comprend tout et mieux que tout le monde du grand-père, elle a surtout hérité de ce qu’il y avait de plus charmant dans le caractère de sa mère (Helen Ripley, donc). Si son père en avait peu et que c’est probablement sa mère qui les lui aurait arrachées, Rey, elle, en a certainement. (Des couilles.) Un personnage féminin qui en a, qui tient le haut de l’affiche, c’est à la mode depuis Helen, mais au moins, on n’honore pas vraiment ici les aïeux (du moins Helen, tel Anakin dans Un nouvel espoir, reste dans l’ombre, encore, et c’est bien pourquoi ce film-là en tout cas, celui que JJ ne nous impose pas, est forcément meilleur que le sien). Rey pourrait avoir par exemple une sœur se faisant remarquer dans les Hunger Games… Un troc de carbonite pour de l’hypersommeil, il n’y a pas à dire, cette Reynette-là, elle a de la gueule. Princesse Macaron peut tirer sa révérence.

Je serais moins optimiste avec Monsieur Finaud. Être un no name ne garantit pas l’adhésion immédiate du public. Difficile à dire si quelque chose cloche dès le départ dans le scénario de JJ Abrams (c’est presque répondre à la question en le présentant comme ça) ou si l’acteur est un peu fade pour ce qu’on lui demande… À croire qu’il y a derrière tout ça un gigantesque complot juif pour se délester du rôle qui leur est échu depuis quelques siècles, celui de têtes de turc, au profit (si on peut dire, mais les mauvaises langues ne manqueront pas de dire que tout n’est toujours question que de profit pour les Juifs) des Noirs qui pourront alors, certes, se plaindre qu’aucun acteur avec un petit côté obscur ne soit jamais nominé aux Oscars… C’est qu’on s’arrange toujours pour ne filer des rôles qu’aux plus mauvais. Notons d’ailleurs qu’il n’est pas plus mauvais qu’un autre, c’est juste qu’il y a ce petit côté détestable à daigner filer des rôles à des colorés uniquement si ceux-là peuvent montrer pattes blanches si on veut… il leur faut, et ça marche depuis Sidney Poitier, un petit air innocent, docile et gendre idéal, qui légitimerait le fait d’avoir un Noir dans une production, un peu comme pour dire : « Voyez chers amis blancs, mon nègre ne mord pas ». Et pourquoi qu’ils mordraient pas ? Un Noir Disney capable de chanter son bonheur de ramasser le coton dans les champs, ah la belle image du bon sauvage… On ne voudrait surtout pas présenter un Noir dans un rôle plus trouble. Les acteurs colorés peuvent alors bien se plaindre, la question n’est pas d’avoir des acteurs nominés, mais plus d’avoir des rôles intéressants retomber dans leurs pattes. Un personnage qui se trouve être noir, doit être immédiatement sympathique, et il est là le problème. A-t-on jamais vu Bretzel Washington dans autre chose qu’un rôle sympathique, ou lisse ?… Bref, on l’aura compris, si le personnage avait quelque chose, là encore, de bien rafraîchissant face aux vieux croûtons accrochés à leur déambulateur, il ne tient malheureusement pas toutes ses promesses (je dis bien toutes). Les deux partis pris possibles qui sont à peine esquissés ne tiennent jamais la route, par manque de conviction, de précision, de développement, ou simplement parce qu’ils sont contradictoires.

D’abord, en faire un personnage tourmenté, traumatisé par ce qu’il a vécu en tant que soldat, c’est très bien et ça aurait là enrichi le côté insupportable des acteurs chocolat au lait (je troquerais bien mon Noir méchant et salaud pour un Noir traumatisé et un peu lâche — oui, ça peut être sympathique, ça marche très bien avec un droïde), sauf qu’après cinquante peaufinages Disney, si la couleur reste pour faire bonne impression, tout le reste est gommé. Le déserteur qui se mue tout à coup en grand dévot à la cause rebelle, on y croit moyen (même pour faire rire). On ne verra plus qu’un acteur jouant, mimant, le traumatisme, comme un ado n’ayant rien vécu encore et qui se trimballerait les résurgences de ses traumatismes comme un hoquet qui ne tardera pas à passer. Ça reste, et ça restera toujours, le défaut majeur de Star Wars d’ailleurs (comme Disney de longue date mais là c’est plus compréhensif, le public étant a priori plus jeune) : une représentation du “mal” et des “maux” quelque peu grossière, puérile, que certains voudraient rapprocher encore une fois des facilités du mythe. Je pense au contraire que ça affadit incroyablement la perception et les possibilités de devenir ou d’identification des personnages, non plus situés à la bascule entre le bien et le mal, mais dans un flou permanent à la fois indéfinissable et trompeur. La ligne “claire” de la représentation des “maux” chez Lucas comme chez Disney est toujours indolore. Les maux ça pète comme du pop-corn au visage et ça disparaît. On s’y trancherait des mains, des bras, des oreilles, des langues, ou on y crèverait des yeux, que ça n’y changerait rien à ce caractère parfois plus miteux que mythologique (avec l’exception du détour tragique de la fin de l’Empire contre-attaque qui vaudrait peut-être à lui seul tout un répertoire anthologique : se faire trancher la main, en apprendre une belle sur ses origines, non, ce n’est pas indolore ; on reviendra pour la remise des médailles).

Star Wars, le Réveil de la force (2015 Star Wars Episode VII – The Force Awakens Lucasfilm, Bad Robot, Truenorth Productions (5)

Ensuite, il semblerait que pas mal de situations comiques aient été mises au crédit de son personnage (Finn). Un Noir, s’il ne sait ni chanter ni danser, on espère au moins le voir nous faire rire… Manque de “peau” (ou peut-être est-ce fait justement pour casser le cliché…), ça fait rarement mouche. Pas mal de recyclage là encore, mais surtout, ni JJ Abrams, ni l’acteur n’arrivent à trouver le ton et le rythme juste pour que la sauce prenne. On ne peut certes pas être à la fois le tourmenté et l’amuseur de service. C’est ici, me semble-t-il, un des défauts d’Abrams, à se concentrer sur l’effet du moment plus que sur la cohérence d’ensemble… Ça s’en ressent presque toujours dans sa réalisation forcée, explicative, mais surtout à travers des personnages mal dessinés, et une certaine faiblesse à se saisir de l’occasion pour sortir et dire un truc cool et peu importe si ça correspond au personnage ou pas. Han Solo en fait aussi les frais quand tout à coup Indiana Jones se matérialise grâce sans doute au Saint-Esprit de John Woo, et qu’on le voit décocher une balle vers un type qu’il ne regarde même pas — « tu fais partie de la famille maintenant Han, et la Force a toujours été forte dans la famille ». On appelle ça de la couérence. Il suffit de le vouloir pour le croire.

Chewbacca, ensuite, souffre un peu du syndrome Boba Fett (pas à la même échelle toutefois) quand on tient à “approfondir” son rôle de plante verte hurlante avec une séquence finale toute en œillades libidineuses qui feraient presque penser que cet animal-là pourrait être beaucoup plus que la simple bête désintéressée et innocente qu’on traîne dans sa chambre à coucher avec madame : parce que dans ce regard, on y voit presque celui du vieux tordu qui nous prend sur le fait en train de nous tripoter la branche et nous disant ainsi qu’il n’y aurait pas à avoir honte si on partageait un petit moment ensemble… Vicieux, cet animal-là. On l’appellera bientôt “gorge profonde” pour autre chose que ses hurlements. D’autant plus que la fille rapportant le sabre phallique de son père, ça devait suffire au petit côté dégoûtant de la chose. Preuve qu’il ne suffit pas de vouloir copier son voisin, et avoir appris dans les méthodes d’écritures qu’à la fin, qu’importe le reste, il faut que le chien soit sauf.

Dans ces détours larmoyants, il y a tout de même bien pire : une sauce suave et collante qui montre à quel point JJ Abrams manque de goût et d’à-propos. On le remarque dans ce finale, mais avant ça déjà par exemple lors de la confrontation du père et du fils Solo. Quand on tient à faire dans l’oraison filiale, il arrive qu’on s’y vautre complètement et qu’on prenne le risque que le fils n’arrive jamais à la hauteur du père (ou du grand-père). Si la confrontation Vador-Luke répondait à celle de Vador-Obi wan, on a là tout à coup l’impression de voir Han Solo faire le récit d’une histoire que C3PO aurait mieux raconté que lui, et de se la raconter, lui qui a toujours préféré rester en dehors de tout ça, un peu comme un idiot surenchérissant une bonne blague d’un pote par une autre blague. La révélation, c’est comme la vanne, ça marche par l’effet de surprise, s’il y a de l’écho, que l’effet recherché soit l’humour ou le pathos, aucune chance que ça réussisse. Et il y a beaucoup d’écho qui sonne creux dans cette scène. Han Solo, comme le nom l’identique, c’est un solitaire, un vaurien ; selon moi il a été inspiré par le personnage de Clint Eastwood, un peu dans les Leone, mais surtout dans Sierra Torride : est-ce qu’on imagine et accepterait de voir Blondin jouer les grands-pères ? Quand les cow-boys dans les westerns disent vouloir se faire du fric pour se retirer dans une ferme, on les y retrouve jamais — ce sont des Achille. Je veux bien que dans une mythologie, les rôles, et les personnages, puissent évoluer, mais voir Han Solo s’avancer sur la passerelle et obéir à sa princesse pour retourner son fils et le convaincre d’arrêter la drogue et les mauvaises fréquentations, je veux bien encore, que ça passe mieux quand c’est grand-père qui parle plutôt que papa, mais désolé, ça ne marche pas une seconde. Solo, c’est celui qui dit non. Manque de clairvoyance le Abrams. Parce que si la scène était à faire (pourquoi pas après tout), il aurait fallu installer un peu de conflits dans tout ça : Solo pas d’accord avec Leïa, puis les circonstances l’auraient poussé à rencontrer son fils, et là, oui, il change d’avis et essaye de faire ce que lui a demandé la princesse…, et ça lui sera fatal. Pour une fois qu’il obéit, il se fait charcuter. La politique et l’éducation des enfants (c’est la même chose), ce n’est pas pour les vauriens solitaires. Là, ça aurait été tragique. Et au contraire, on se retrouve avec une scène affreusement larmoyante, faussement conflictuelle parce qu’on pousse sur le pathos mielleux plus que sur l’opposition réelle. On est bien chez Disney : il faut que la violence soit indolore. Parce que si Abrams se devait de ne pas s’écarter du modèle, c’est bien ici : précédemment, Vador, se retrouve face à Obi wan qui l’attendait au tournant, puis venait lui à l’encontre de Luke. Un jeu de chat et de souris. Qu’a-t-on ici, sinon un père (ou un grand-père) qui jette un œil sur les manières de son fils et qui lui demande s’il compte aller habillé comme ça à l’école. « Hé ! J’ai un mot à te dire ! » Sérieusement ? Et les mômes dans la salle sont prêts à accepter ça ? C’est censé être son grand-père ou pas ? On peut très bien s’imaginer Han Solo en grand-père (même si l’idée n’est pas très séduisante), mais alors on ne lui demanderait pas autre chose qu’être un vieux chnoque un peu réac’, et cool, parce que « il est en dehors de tout ça ». En se présentant sur la rampe, Solo finissait d’être un outsider et ressemblait tout à coup à monsieur tout le monde. Qu’on apprécie ou pas l’acteur jouant son fils, le problème majeur à mon avis commence là.

Kylo Ren, parlons-en. Je serais moins sévère que certains. Après tout, on acceptait à l’origine la bêtise puérile de Luke parce qu’il y avait le reste, et une logique. Si la logique est semble-t-il d’en faire un jeune con bien de notre époque, l’idée serait plutôt séduisante (s’il met un masque c’est parce qu’il a ses écouteurs intégrés), sauf que ce qu’en fait Abrams ne va pas bien loin. S’il voulait un exemple d’insolence, de puérilité et d’impulsivité, je pouvais me porter candidat pour lui expliquer vers où aller. Là, monsieur ronchonne et s’enferme dans les toilettes pour y refaire la peinture… Qu’est-ce que c’est subversif, dites donc !… Sans doute pour Disney oui, un jeune qui vocifère et fait caca par terre, ça doit être le summum de l’insolence. On a donc manqué l’occasion d’avoir un vrai fils de pute en action : quand il n’est pas content, il se trimballe dans les couloirs et il zigouille les stormtroopers qui se trouvent sur son passage… Il ne craint rien, son patron voudrait le voir probablement filer ainsi du côté obscur de la force, et bien. Seulement non, Disney et Star Wars ce n’est pas les Affranchis. C’est con, ça aurait été splendide. On attend toujours que ça tourne un peu rock and roll et le plus rocailleux qu’on puisse y trouver c’est le banjo fatigué d’un vieux contrebandier et deux notes d’un jazz fiévreux comme une culotte de grand-mère dans une cantina bis. Piété filiale toujours : les grands-parents se trémoussaient comme des sauvages à leur époque, mais quand vient le temps des plaids et des charentaises, on fait la leçon aux jeunes et on leur fait croire qu’avant tout était beaucoup plus strict et respectueux… Disney parade. Et les jeunes tombent dans le panneau. Il n’y a pas plus conservateur qu’un jeune qui veut faire bonne impression à ses grands-parents pour mériter les cadeaux de sa communion.

Petits cons.

Mais bon… le jeune a une excuse. Il est jeune. Ce qui est beaucoup moins acceptable, c’est d’avoir fait de Han Solo une lavette sénile.

Dans le petit jeu des incohérences maintenant, Abrams a fait fort. Quelques exemples. Luke Skywalker ne peut plus former ses jedis et s’en va bouder dans un coin, tous les méchants veulent le retrouver (comme les gentils), au fond, pourquoi ? On ne sait pas. C’est qu’il doit être follement important et doit être capable à lui seul de contrecarrer les plans du Premier Ordre ?! Parce qu’en son temps, Yoda et Obi wan avaient vu également l’Empire à leurs trousses ?… Bon, admettons. Mais alors là où ça devient encore moins crédible, c’est que le Luke, il boude, mais pour que ses amis puissent le retrouver, il crée un jeu de piste follement compliqué pour le retrouver (pourquoi faire d’ailleurs, vu que ça ne change rien à l’affaire… « Ayé ! Prems, on l’a trouvé ! »), et là attention, on retrouve le Luke fute-fute qu’on adore : il remet une partie de la carte… à sa sœur (qui elle-même la refilera à son meilleur pilote) et l’autre… à son fidèle droïde. On peut se refiler le tableau de la fin magnifique de l’Empire contre-attaque, et pour retrouver sa trace, il suffirait en quelque sorte de suivre ceux qui lui sont le plus proches. Hé, je n’ai rien contre l’auto-plagiat, encore faudrait-il arriver à rester à la hauteur de ce qu’on copie. C’est digne d’un scénario de Spy Kids ou d’un épisode de Lost

Je reviens aussi deux secondes sur une des incohérences les plus évidentes du film (à moins que les films suivants nous éclairent un peu plus…). Le fait que Rey puisse aussi rapidement maîtriser la Force. Une manière pratique et séduisante à l’affaire, ça aurait été de la montrer dès le début en capacité à user de la Force sans savoir bien ce que c’était et à l’abri des regards indiscrets. Les adolescents, habitués à se tripoter honteusement sans comprendre forcément ce qui se passe dans leur corps, auraient pu apprécier. Et la première scène du pillage aurait été un terrain idéal pour introduire cette idée. Puis, une fois qu’elle se serait retrouvée avec son grand courageux pas très finaud, elle serait poussée à utiliser ses talents honteux et passerait un bout de temps à nier l’évidence. On aurait eu un joli mélange de Solo et de Luke, le premier présentant une certaine incrédulité face à cette magie, l’autre, une capacité forcément naturelle pour elle… « Hé, mais tu fais ça comment ? » « Je sais pas, ça vient tout seul… » « Tu as la Force ! » « La quoi ? »

Star Wars, le Réveil de la force (2015 Star Wars Episode VII – The Force Awakens Lucasfilm, Bad Robot, Truenorth Productions (4)

Parmi les autres aspects qui me chagrinent pas mal dans le film, ce sont ces liens incessants, parentaux (j’y reviens). Encore et encore, c’est le principe des mythologies, d’accord. Sauf que multiplier les couches comme dans un glossaire évangélique, c’est craindre qu’un jour tout ça finisse par de la consanguinité, ou pire, un inceste même pas réalisé par ceux chargés d’inventer les nouvelles histoires… Une galaxie aussi vaste et pourtant, au bout de trois trilogies on ne va que reparler sans cesse de la même famille ?… À un moment, j’étais comme perdu, à ne plus savoir qui était le fils de qui, et tout d’un coup j’ai compris que, probablement (en tout cas comme ça nous l’est suggéré), Kylo Ren et Rey étaient cousins. La belle affaire on me dira, et c’est sans doute pour ça qu’on a évité un ridicule « Rey, je suis ton cousin » lors de la séquence d’interrogatoire. Reste que dans ce simple rapport familial, tout est dit : Abrams en cherchant à honorer le père (ou le grand-père) joue des mêmes effets, mais se contente comme évoquer plus haut, d’être le niais qui dans un dîner rit aux blagues suspectes et en rajoute toujours une couche pour prouver qu’il a compris la blague… Il fait pareil, en pire. Le nœud de l’affaire, c’est que Ren et Rey sont cousins, hum, et alors ?


« Rey, je suis ton cousin…

— Hum… ?

— Ben oui regarde, tu es la fille de Luke Skywalker…

— Deux secondes, rien n’est encore sûr…

— OK, OK, bon après, Luke et Leïa sont…

— Amants ?

— Non ! concentre-toi ! J’essaie de te former…

— Je n’ai pas besoin d’être formé, je connais bien plus de choses que toi !

— Ah oui ? comme quoi ?

— … comme, la Force. Qu’est-ce que tu y connais à la… ? Attend-tan-tan, qu’est-ce que tu disais sur Leïa et Luke ?!

— Ils sont jumeaux ! Frère et sœur.

— Pas possible ! T’en es sûr ?

— Mais oui, c’est ce que j’essaie de t’apprendre…

— Tout ça me paraît bien obscur, si tu veux savoir…

— Arrête, c’est super facile.

— Lumineux presque… Donc attends, s’ils sont jumeaux, et si Han Solo est ton père, et si Leïa est ta mère… et si mon père (supposé) est Luke Skywalker… ça veut dire… que nous sommes… attends il doit y avoir un nom pour ça…

— Cousins ! C’est ce que j’essaie de te faire comprendre depuis tout à l’heure, idiote !

— Oh. OK. Et donc on est cousins. Et alors ?

— Bah rien. On est juste cousins, je dis ça comme ça.

— OK. Bon, tu te charges de me couper le bras ou tu préfères que je coupe le tien ?

— C’est moi qui suis censé être le méchant garçon…

— Oui d’accord, mais ça mériterait un petit changement. Et tu vas tuer ton propre père alors…

— Attends, quoi ? Comment tu sais ça ?

— Eh bien, c’est l’avantage d’être du côté clair de la Force. On peut prédire l’avenir, même si l’avenir, toujours est en mouvement. Donc, ce serait plutôt à mon tour de te faire quelque chose de vraiment méchant.

— Ah, non mais ça, ça m’appartient. Je dois vraiment être très très méchant. Laisse-moi te couper le bras.

— Je sais pas, c’est un symbole phallique tout de même. Je ne pense pas que ça ait le même effet avec une fille. D’ailleurs, c’est ton propre grand-père qui a coupé le bras de mon père.

— C’était ton grand-père aussi..

— Pas possible !… Attend-tant-tan. T’as raison, j’ai un peu de mal à m’y retrouver là.

— La confusion est un bon moyen pour passer du côté obscur ! Allez, rejoins-moi, et ensemble nous dirigerons la galaxie comme… cousin et cousine !

— Houla, ça sonne vraiment faux cette histoire… Quand tu dis “ensemble”, tu veux dire que… enfin, tu sais bien, tu voudrais qu’on soit plus que cousins ?

— Nan, mais tu rigoles !

— Ah ! J’avais peur.

— Attend-tan-tan ! En voilà une idée ! Bientôt parricide pour me plonger un peu plus du côté obscur et maintenant…

— L’inceste ?! Mais pas question !

— Oui, mais un petit inceste, c’est pas pareil entre cousins !

— Mais tu rigoles ! Et puis d’ailleurs, j’entame juste une relation avec quelqu’un et je crois que c’est du sérieux.

— Mais tu sais pas que c’est impossible si tu veux devenir un jedi ?

— Non ! Et moi qui pensais que le problème majeur c’était que c’était un no name, et peut-être un peu aussi parce qu’il est noir, enfin je veux dire afro-kaminoïen.

— Il est black ? Wow, tu vas vraiment avoir des gros problèmes pour gérer le côté clair de la force. Je te préviens, le côté obscur est bien plus facile. Aucune discrimination, pas de règles. Tous les chats sont gris la nuit.

— Attend-tan-tan, qu’est-ce que tu racontes ?

— La nuit, tous les chats… Laisse tomber. On peut vraiment dire que t’es la fille de ton père, idiote.

— Et t’es sacrément… arrogant dans ton genre, cousin ! »

Sur ce dans Star Wars VIII, un autre personnage commence à voir clair, il était temps…

Princesse Leïa : « Attend-tan-tan !?! Je suis la fille de Dark Vador ?! Je n’avais jamais réalisé ! Eh bien, la galaxie est si vaste et pourtant, on est tout près du risque de se marier entre frère et sœur… Chewee ?! Tu sais que j’ai toujours trouvé que tu avais le poil soyeux ? »

Kylo Ren : « Oh, maman, c’est dégoûtant ! Allez, viens, rejoins-moi du côté obscur ! »


On n’a pas fini de lever les yeux au ciel. Mais c’est aussi là qu’on y trouve de l’espoir.

Star Wars, le Réveil de la force (2015 Star Wars Episode VII – The Force Awakens Lucasfilm, Bad Robot, Truenorth Productions (3)

Star Wars, le Réveil de la force 2015 Star Wars Episode VII – The Force Awakens | Lucasfilm, Bad Robot, Truenorth Productions

Star Wars : Rebellion

Star Wars Rebellion

Star Wars : Rebellion

Je n’ai jamais été très à fond dans les jeux vidéo, mais quand l’un d’entre eux m’intéressait, j’en devenais complètement zinzin. Le plus souvent de la stratégie pure. Ici, c’est simple, le graphisme est simple, on va droit au résultat des batailles ; ce qui compte c’est de gagner ou de perdre, pas le déroulement d’une bataille dont on sait qu’elle se joue à coups de dés ou de statistiques.

Le grand plus du jeu c’est donc sa simplicité. Une fois qu’on a compris les enjeux, les missions, les rôles des personnages et des bâtiments, le plus grand plaisir, c’est d’y rejouer pour gagner la galaxie en un minimum de temps, ou pour se créer des petits scénarios ridicules.

L’astuce, si je me rappelle, était essentiellement de gagner par diplomatie les planètes neutres, harceler les planètes ennemies faiblement défendues avec des flottes minuscules, ou au contraire bazarder toute la galaxie quand on jouait avec l’Empire avec l’étoile noire à disposition (oui un de ces scénarios tout pourri était bien de détruire la galaxie entière — remarque que les populations appréciaient toujours qu’on détruise une planète voisine, ce qui était une raison suffisante pour la supprimer à son tour).

Il fallait également tout miser sur la production et les bâtiments de construction au début du jeu, et ne pas s’embêter avec les défenses (ça prend du temps, et si l’ennemi vous attaque, ce serait encore plus dur de reprendre la planète).

A priori les deux camps possèdent des forces similaires au début du jeu, donc très faibles, donc c’est la rapidité d’exécution qui importait.

Autre point essentiel (en dehors des blocus, missions de diplomatie ou d’exploration), les sabotages. Au début très important non pas pour gagner des planètes, mais pour donner de l’xp aux personnages, surtout les principaux. Inutile de viser les planètes trop bien défendues, il fallait entreprendre de petites missions sur des petites planètes et parfois même les laisser en espionnage. Parce qu’ils seront rarement tués et gagneront donc de l’xp si précieuse par la suite. La difficulté étant qu’une planète peut abriter des ennemis (parfois même Dark Vador en pleine séance de recrutement) et provoquer une capture. Ce qui n’était pas forcément une mauvaise chose… puisqu’il faudrait aller la sauver. Et quand une planète ne dispose plus de bâtiment ou de défense à saboter, avoir un personnage ennemi et un membre de son équipe enlevé, c’est de l’xp facile à se mettre sous la dent.

Une des options possibles était, si je me rappelle bien, de provoquer la capture de Luke juste avant son départ pour Dagobah pour lui faire profiter de l’xp d’une rencontre avec Vador ou Palpatine (il fallait bien doser toutefois parce que les ennemis aussi gagnaient en xp). Et comme, capturé ou non, le jeune Luke devait partir poursuivre sa formation… il revenait bien tranquille à côté de ses potes.

Un des autres petits plaisirs du jeu (parce qu’en trois heures le jeu pouvait se finir), était d’arriver jusqu’à pouvoir prendre le contrôle de la base ennemie, et là… se saboter. Mais pas avant d’avoir fait profiter un des gros personnages de l’xp en le faisant rencontrer une des grosses têtes adverses. Luke, mais aussi Leïa (mais ce n’était pas systématique) et d’autres personnages annexes, pouvaient ainsi monter en grade de la chevalerie jedi et devenir ainsi invincibles. Un bon petit bagage pour recommencer le jeu à l’envers en laissant l’ennemi reprendre du poil de la bête.

Ce qui était drôle aussi c’était les commentaires des personnages. Envoyez Solo en mission et il sortait un énergique « J’y vais ! ». Leïa disait un mystérieux « Tout de suite… ». Et Luke sortait un pathétique « j’ai été capturé », tout de suite suivi d’un « Oh non ! » de CPO.


Le Signe de Zorro, Rouben Mamoulian (1940)

Relecture starwarsienne

The Mark of Zorro
Année : 1940

Vu le : 4 mai 1997

7/10 iCM IMDb

Réalisation :

Rouben Mamoulian


Avec :

Tyrone Power, Linda Darnell, Basil Rathbone, Gale Sondergaard, Eugene Pallette

 

4 juin 1997

En voyant ce film, on comprend mieux le succès et la qualité de Star Wars. On trouve dans Zorro les mêmes personnages caricaturaux (et donc précis) que dans la trilogie de Lucas. Le thème de la rébellion contre un pouvoir despotique. Dans les deux l’action prime, c’est la grande tradition du roman d’aventure, du conte, de l’épopée, des légendes, ce à quoi Star Wars se réfère toujours en reprenant les vieilles recettes et en y introduisant un nouvel élément propre au XXᵉ siècle : la science-fiction (ou le high-tech).

Contrairement à son image de la modernité, la trilogie utilise de vieilles méthodes dramatiques, classiques, et presque littéraire ancestrales, elle a bien un scénario à la manière d’un feuilleton ou d’une série avec des thèmes puérils comme aller se battre contre le ma, sauver la princesse puis Han Solo. On a aussi un thème (souvent unique dans le récit classique d’aventure), c’est l’initiation.

Zorro ressemble aussi au Pirate interprété par Gene Kelly dans le film de Minnelli ou encore à Batman, à Robin des bois… La même recette qui marche toujours.

Dans Star Wars, en plus de l’environnement spatial high-tech on bénéficie également d’une forte imprégnation des mythes merveilleux et s’éloigne ainsi de la science-fiction par son côté « anticipation » que Lucas désamorce dès les premières secondes du film en situant son film dans un espace si lointain et dans un temps si éloigné qu’on se rapproche effectivement du merveilleux.

Là où d’autres héros ont besoin d’un contexte historique, même mal défini, pour s’établir.

Star Wars rappelle la quête crypto-spirituelle du Graal avec celle de la Force.

Star Wars peut également être vu comme un film de cape et d’épée, de pirates (avec ses batailles navales), comme un western galactique (au bord des mondes inconnus).

Zorro c’était déjà en soi une forme d’avènement ou d’expression d’un certain « universalisme ». Ce film est un classique indémodable, bien mené permettant de comprendre l’évolution du cinéma, en particulier dans l’art du récit. Il n’y a pas cent et une manières de les raconter : l’originalité n’existe pas. L’identité, oui. Et Zorro et Star Wars ont bien une sorte de parenté.


Flash Gordon, Mike Hodges (1980)

Strass War et saut ventral

 

Flash GordonFlash Gordon, Mike Hodges (1981)Année : 1980

Liens :
IMDb   ICM

Réalisateur : Mike Hodges

Avec  : Sam J. Jones, Melody Anderson, Max von Sydow

5/10

 

Vu le : 25 mars 1997

Il faut le voir pour le comprendre. S’il y a des films qui influencent toute l’histoire du cinéma, vingt ou trente ans après flotte sur eux comme un nuage d’évidence, mais quand on a le nez dessus, il peut arriver qu’on ne comprenne pas tout de suite ce qui vient de se jouer sous nos yeux. Certains événements rendent tout ce qui précède illusoire et daté, mais c’est aussi ce qui se joue après qui permet de mesurer l’importance de ces événements dans l’histoire. Quand Fosbury concourt avec son saut atypique dans les années 60, tout le monde en rit, avant de le voir gagner le titre olympique à Mexico. Si aucun sauteur aujourd’hui n’oserait utiliser le saut ventral, un bon sauteur arrivera toujours à battre un mauvais sauteur en utilisant la vieille technique de papa. Le procédé, l’idée, est révolutionnaire, mais si derrière il n’y a qu’un athlète médiocre, il n’arrivera à rien. Il ne suffit pas d’être original pour prétendre révolutionner le monde. Fosbury a permis de faire progresser sa discipline de quelques centimètres qui lui ont permis avec du travail de changer complètement la technique de son sport, mais ce n’est pas la technique, seule et par son originalité, qui lui a permis de renverser les usages de sa discipline.

Flash Gordon, Mike Hodges (1980) | Starling Films, Dino De Laurentiis Company, Famous Films

George Lucas a fait la même chose avec Star Wars. Il avait compris que le public en avait assez des films sans fantaisie et qu’il serait prêt à venir en nombre pour voir de la science-fiction qui ne les prenait pas pour des imbéciles. Bien sûr, personne ne l’a pris au sérieux au début avec sa technique qui prenait tout le monde à contre-pied, et même après l’immense succès du film (encore aujourd’hui où il ne passe parfois que pour un amuseur), ceux qui riaient de lui ont tenté leur chance pensant pouvoir faire recette avec la même idée, quelques prétentions d’originalités… et rien d’autre. De la fantaisie, comme on en faisant dans les années 30 ou 40, pour un public jeune et stupide. Ceux-là n’ont pas compris la réussite (plus que le succès) de Star Wars, car comme le Fosbury, Star Wars s’était imposé certes grâce à une idée, un concept, mais le tout reposait sur une cohérence propre et solide, tout ce qu’il y avait de plus traditionnel et de conventionnel.

Si un film peut être vu comme l’alliance de plusieurs talents (devant se battre contre l’empire des studios, la facilité, le doute, la tentation du plus offrant…), la cohérence du tout, c’est la vision d’un seul homme. Il faut certes des conditions favorables, une sorte de vision personnelle, couillue et un peu chanceuse, mais ce travail-là, George Lucas était aussi capable de le fournir (et de la forcer, pour ce qui est de la chance). Son premier talent était donc de concevoir un de ces « sauts » (dans l’hyperespace), possédant assez d’innovation, d’originalité, d’audace, de folie, pour supplanter et ringardiser ceux qui l’avaient précédé, mais avec aussi assez de lucidité, de fluidité, pour « maintenir [son projet] dans un tout unique et cohérent ». Sa Force. Ce qu’on peut aujourd’hui appeler génie, c’est l’idée de s’affranchir totalement du monde dans lequel on vit. La science-fiction a rarement su aller dans ce sens, c’était plus souvent un principe laissé au merveilleux ou à la fantasy. Ce qui est une évidence pour ceux qui apprécient la saga ne l’est pas forcément pour ceux qui veulent s’en inspirer pour en récolter les fruits faciles et en reproduire le succès : pour eux Star Wars n’est qu’un vulgaire film de science-fiction, pour les autres, c’est autre chose. En 1968, le saut arrière était ridicule, laid. Et puis au fil des perfectionnements, il est devenu plus gracieux en même temps qu’il restait efficace. Ceux qui l’imitaient dans leur jardin s’y cassaient sans doute plus le cou que ceux qui reproduisaient sans génie mais sans risque le saut ventral…

L’un des choix les plus payants, et « non-originaux » pour Lucas, a été celui de faire appel à John Williams. Peut-être le plus important. Parce que c’était ce qui donnait le plus la couleur à son histoire, lui donnait une stature épique, monumentale, et non quelque chose de bricolée, de faussement moderne. Le film classique capable d’employer une musique rock, avec une partition chantée, n’a pas encore été fait. Il y a des domaines où il vaut mieux se fondre dans la tradition, plutôt que chercher par tous les moyens à paraître innovant et moderne. Il ne serait pas venu à l’idée de Fosbury d’entamer sa course d’élan sur les mains sous prétexte que ça ne s’était jamais fait (la comparaison commence à rancir, mais j’en garde sous l’aisselle). Ceux qui ne le croyaient pas capables de gagner une médaille auraient sans doute apprécié le spectacle.

Oups. La Guerre des étoiles, George Lucas (1977) | Lucasfilm, Twentieth Century Fox

Voilà donc ce qui ferait entrer Flash Gordon plutôt dans le panthéon du cirque cinématographique que dans celui de l’histoire du cinéma. Le film, s’il restera en mémoire, le sera surtout pour être un bedonnant et bidonnant ratage. Flash Gordon demeure le même héros insipide qu’il soit des années 80 ou des années 40. On ne change pas de la merde en or. Et on n’emploie pas un groupe de musique, tout génial soit-il par ailleurs, pour composer la musique d’un film. Il n’y a que les cons qui osent, audiardit-on ; et les futés font semblant d’avoir de l’audace. Quand ils en ont, il n’est question que deux ou trois idées sur lesquelles repose le « saut » tout entier.

Flash Gordon est un éclair dans le ciel qui jaillit comme un pet ridicule. Star Wars est au firmament des étoiles, au-delà des lumières de la voie lactée, dans un espace qui n’est plus qu’évidence et magie. Comme tout le monde dans les années 80, Flash Gordon ne faisait que jouer avec les figurines créées par Lucas. Mais Lucas, lui, avait comme inventé une matière impalpable, invisible de tous, incompréhensible, et pourtant, aujourd’hui, chacun peut encore en sentir et en voir les effets. Une religion presque, comme le souligne Coppola, sincèrement dépité de voir le public se tourner vers une histoire qu’il juge un peu niaise ; il n’avait pas compris ce que Star Wars allait changer.

N’évoquez donc plus le mystère de la matière noire, car pour le prophète elle a un autre nom : le côté obscur. Une force qu’aucune lumière, aucun éclair, ne saurait apprivoiser. Surtout pas celle de Flash. Star Wars reste Star Wars, Flash, un nobody ventripotent exhibé dans les cirques. L’un était né déjà tout rabougri ; l’autre avait été conçu comme un miracle, un événement qui ne cesserait alors de se réinventer à travers les yeux et l’imagination des générations amenées à le prendre comme référence.

C’est souvent après que l’on comprend. Lucas nous a retournés comme des crêpes, et depuis, notre suspension n’a jamais cessé.


Flash, je suis… ton…