La Maison de bambou, Samuel Fuller (1955)

La Maison dans l’ombre du bambou

Note : 1.5 sur 5.

La Maison de bambou

Titre original : House of Bamboo

Année : 1955

Réalisation : Samuel Fuller

Avec : Robert Ryan, Robert Stack, Shirley Yamaguchi, Sessue Hayakawa

Tout Fuller est là. Un talent certain pour manier sa caméra, avec notamment d’excellents ajustements à la Ophüls pour changer d’échelle de plan sans avoir à couper, une bonne science du montage et de l’atmosphère. C’est simple, ainsi colorisé, on pourrait presque penser que Fuller a une demi-douzaine d’années d’avance sur les autres, et en particulier sur les films d’espionnage des années 60 (les Hitchcock ou les James Bond).

Seulement Fuller ne serait pas Fuller sans ses invraisemblances et ses gros sabots. Certaines répliques et sa vision du Japon, des Japonaises en particulier, sont rétrogrades et insupportables. Le plus fort comme d’habitude, ce sont les invraisemblances sidérantes du scénario.

Un gars de la police militaire s’infiltre dans un petit groupe de truands pour enquêter sur une attaque de train à laquelle on assiste au début du film. Très vite, il pourrait avoir des preuves pour les inculper, mais il reste là on ne sait pas bien pourquoi et on s’en moque. Et puis jusqu’à la fin, ce type partage le rôle principal avec le chef de cette bande, Robert Ryan, puis avec la femme japonaise d’un ancien de ses hommes grâce à qui ils peuvent faire le lien avec l’attaque du début. Tout à coup, on ne sait pas bien pourquoi là non plus, le rôle principal échoit au chef de bande… avant tout de même à la toute fin, parce qu’il faut bien y revenir, lui faire son compte tel un héros qu’il n’était déjà plus… Au passage, on ne saura jamais ce qu’est advenu du personnage de flic interprété par ce bon vieux Sessue Hayakawa. Qui s’en préoccupait encore ?… Un des rôles principaux qui disparaît en plein milieu de l’intrigue, même les séries B n’osent pas. Et pis, à quoi bon sauver le flic infiltré alors que selon la règle, une fois blessé, ils auraient dû l’achever pour éviter qu’il ne parle ? Tu introduis une règle (certes efficace mais déjà foutrement incohérente parce qu’aucun truand n’accepterait de telles conditions) et à la première occasion tu l’envoies valdinguer. Motif supposé presque comique (parce que le chef qui l’a épargné a beau se poser la question, il n’en voit aucune) : le petit penchant homosexuel du chef de gang pour le flic infiltré. Celui-ci d’ailleurs est blessé, mais oh, assez peu, si bien qu’au bout de dix minutes, le voilà-t-il pas tout fringuant. Ce mec est tellement demeuré qu’il envoie sa belle appeler son propre chef dans une cabine avec un mot pour lui, au lieu d’aller le trouver tout simplement (c’est vrai, les truands filent la fille, forcément… on y croit), et ce chef de police… lui donne rendez-vous dans un hôtel…, là où justement un mec de la bande peut les voir. L’incohérence ne s’arrête pas là : le gars va trouver son boss pour lui dire, sauf qu’au lieu d’imaginer, comme c’est le plus vraisemblable, que son nouveau pote est un flic, non non, on a droit à la scène, presque de jalousie, du boss avec la fille pour l’engueuler… de ne pas être fidèle à son pote ! Non, mais sérieux… J’oubliais, le coup à la fin du vol de perles qui est en fait un subterfuge pour que la police japonaise tue le flic infiltré… Sauf que ça ne marche pas (pour des raisons plus que risibles) et voilà le boss pris à son propre piège. C’est une suite continue d’invraisemblances.


La Maison de bambou, Samuel Fuller 1955 House of Bamboo | Twentieth Century Fox


Sur La Saveur des goûts amers :

J’aime pas Samuel Fuller

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The Naked Kiss, Samuel Fuller (1964)

Le Baissé du tueur, ou le Mascara chié, un film audacieux de Stanley Foulé

Police spéciale

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : The Naked Kiss

Année : 1964

Réalisation : Samuel Fuller

Avec : Constance Towers, Anthony Eisley, Michael Dante

La critique française peut s’émerveiller devant les films de Samuel Fuller…, c’est un beau rigolo. Moi, ça me fait penser à du Jean-Pierre Mocky.

Vouloir dénoncer des trucs, mais être incapable de tenir un récit, n’avoir aucun sens des proportions et du bon goût, voilà ce que fait Fuller dans The Naked Kiss. Ce n’est pas seulement mauvais, c’est parfaitement risible.

L’audace n’est pas signe de génie ; encore faut-il savoir mener sa barque et respecter un minimum de convention pour raconter une histoire.

Le thème principal du film est obscur (on passe de la rédemption d’une prostituée au début du film au thème de la pédophilie – à peine avoué en plus, bonjour le courage – en passant brièvement par celui du faux coupable…). Les personnages, des stéréotypes : la pute qui se révolte et devient une grande dame au grand cœur ; un bellâtre milliardaire asexué, un flic séducteur à la fois enquêteur, juge, gardien de prison…

Fuller nous embarque dans des scènes sans intérêt, digressions stupéfiantes : pourquoi la pute décide-t-elle d’aller travailler dans une clinique pour enfants handicapés (oui, dit comme ça, on croirait un cliché et c’en est un) ? Le rapport avec le récit ? Qu’elle le devienne OK, mais on a droit à plein de scènes dans la clinique, comme celle où pendant cinq minutes on les regarde chanter (surréaliste, oui c’est mignon mais bon il y a un film à faire Sam, non ?). Il faut voir aussi la gueule des infirmières…, que des canons. Pas étonnant que la maquerelle du coin vienne y faire son marché. La pute tombe donc sous le charme du riche bellâtre du coin, une gueule à mourir de rire : une sorte de David Hasseloff latino, petits yeux et mâchoire de requin, les sourcils peignés à la manière d’Audrey Hepburn ; le mec lui récite du Lord Byron et du Baudelaire (qu’il prononce comme un prince chinois), il lui parle de Venise au coin du feu !

Pourtant, le film avait bien commencé. La scène d’introduction du générique est plutôt réussie. On se croirait presque chez Cassavetes. La pute en question se bat avec son souteneur ; et dans la bagarre, elle perd sa perruque : on apprendra plus tard qu’il lui avait fait raser la tête pour avoir convaincu un certain nombre de putes comme elle d’arrêter le job… On retrouve la pute quelques mois plus tard, ses cheveux ont repoussé, elle sourit comme dans les magazines, c’est une femme respectable désormais… Enfin bon, une dernière passe avec le flic de la ville où elle veut s’installer, ça peut toujours aider pour faciliter son intégration… Le reste, c’est une sorte de rêve. Non pas que tout réussisse à l’ancienne pute, c’est que ça n’a tellement ni queue ni tête qu’on se croirait bel et bien dans le développement incertain d’un rêve.

Dans la dernière partie du film, le récit prend un virage : la pute et le milliardaire vont se marier (mince résumé comme ça, c’est encore plus ridicule, pourtant c’est tout à fait ça), elle rentre dans le manoir, un disque tourne (l’enregistrement des chants des gamins handicapés…), puis elle entre dans le bureau de son amoureux… d’où s’échappe une gamine de dix ans. On ne voit rien, tout est suggéré (enfin je ne sais pas si c’est le terme le plus approprié dans un film de Fuller…) : elle regarde son homme avec de grands yeux, lui s’excuse, lui dit que s’ils s’entendent si bien c’est qu’ils sont tous les deux des monstres, des pervers… Et elle le tue. Arme du crime Cluedo : un combiné de téléphone… C’est dangereux un téléphone on n’a pas idée ! Vient ensuite l’interrogatoire… que va faire son ami flic. On ne s’embarrasse pas de psychologie : le flic change d’avis sur elle en deux minutes, sans explication, d’abord croyant qu’elle l’a tué pour des raisons crapuleuses, puis l’aidant à retrouver la petite, témoin qui pourrait confirmer ses dires (on ne parle pas de pédophilie, on dit qu’il la “molestait”… ; il n’a pas de couilles le Fuller, il n’ose pas appeler un chat un chat). On retrouve la gamine, mais la pute peine à lui faire entendre raison et elle ne dit rien. Le flic (qui joue également le rôle d’avocat à cet instant) lui conseille de lui parler comme si elle était sa mère… Donc en gros, on a eu trois heures de film où on la voit particulièrement efficace en infirmière avec les enfants, et là hop, alors que ça pourrait lui servir à ce moment… le flic ne s’en sert pas. C’est comme s’il ne s’était rien passé. Et puis, maintenant que la pute sait qu’il faut lui parler comme une mère (!) la gamine dit toute la vérité (sérieux, il n’y a aucune crédibilité dans la psychologie : les personnages changent d’intention, d’humeur, en fonction de ce dont a besoin Fuller). C’est la fin du film, la gamine a parlé…, plus fort que tout : aucun procès, la pute est relâchée et devient un héros dans la ville, pouvant reprendre son sourire de magazine et s’émerveiller devant un bébé dans son landau quand elle lui redonne sa tétine (landau complètement oublié au milieu de la rue, crédible). Surréaliste… Non, mais là il y a eu un crime, elle doit tout de même être jugée ! Ah, oui, mais non ce n’est pas grave, c’était un pédophile, les tueurs de pédophile ne sont pas poursuivis par la justice, elle a bien fait !… N’importe quoi, Samuel.


The Naked Kiss, Police spéciale, Samuel Fuller 1964 Allied Artists Pictures, F&F Productions


Liens externes :


Samuel Fuller 

Pages de commentaires / Notes de visionnage 2018 (rétro)

Classement :

8/10

  • Quarante Tueurs 

7/10

  • Baïonnette au canon
  • Les maraudeurs attaquent 
  • Le Baron de l’Arizona 
  • J’ai vécu l’enfer de Corée
  • Le Port de la drogue

6/10

  • Jeanny, femme marqué (scénario) 
  • L’Inexorable Enquête (scénario)
  • Violences à Park Row 
  • Shock Corridor
  • Le Jugement des flèches
  • Au-Delà de la gloire

5/10

  • Le Kimono pourpre 
  • Verboten! / Ordre secret… 
  • Dressé pour tuer 
  • Les Bas-Fonds new-yorkais 
  • J’ai tué Jesse James 
  • The Naked Kiss 

4/10

3/10

  • La Maison de bambou 

Films commentés (articles) :


 

Simples notes :

Jenny, femme marquée

Superbe travail de Douglas Sirk, excellente distribution, mais voilà, c’est Fuller à l’écriture, et ça tourne vite au nanar.

Quarante Tueurs

Voilà mon Fuller préféré. Le bon Sam ne peut pas s’empêcher de tirer des coups stupides avec son scénario, mais on va être compréhensif pour cette fois…

Ordre secret aux espions nazis

Fuller et ses grosses ficelles… Rarement vu un personnage féminin aussi mal dessiné avec des revirements à peine crédibles.

Le Kimono pourpre

« Samuel, ton objectif pour ce film est de t’en tenir à ton idée de départ. » « Et s’il y a une jolie actrice ? » « Pas d’initiatives personnelles. »

Et comme toujours, Sam déserte son propre film pour s’intéresser à tout autre chose.

Dressé pour tuer

Donc un chien qui tue trois ou quatre personnes après que ses dresseurs et propriétaires découvrent qu’il attaque les Noirs, on continue de chercher à le « dresser » alors que ses victimes baignent encore dans une flaque de sang ? Crédible. La logique de Fuller, on dira.

Les Bas-Fonds new-yorkais

Occupation favorite de Fuller, le prince des grosses ficelles : faire passer des chameaux dans le chas des aiguilles. 

Les maraudeurs attaquent

Je crois que c’est encore le plus que je peux supporter du vieux Samy. Ça reste sobre malgré tout pour un film de guerre.

Violence à Park Row

Entre Capra et Citizen Kane, Fuller peine à faire rentrer son arbre de Noël dans une boule à neige. Il faut toutefois remarquer l’effort, l’audace même, de Fuller, capable en dehors du système des studios de pondre ce genre de films de sa poche. Manque malheureusement l’ampleur. Parce que c’est là le problème toujours de Fuller : si ses films sont si imparfaits, c’est qu’il les écrit, les monte et les produit seul comme si c’était des films de studio.

J’ai tué Jesse James

Superbe casting pour une première production, mais déjà un scénario bancal et un rythme qui s’enrayerait si la musique ne nous entraînait pas dans son sillage.

Le Baron de l’Arizona

Plus c’est gros, plus ça passe qu’on dit en matière de fraude. Fuller aurait dû toute sa vie se contenter de raconter des histoires d’escrocs. Pas fait pour la subtilité le Samuel.

Samuel Fuller