Allemagne 90 neuf zéro, Jean-Luc Godard (1991)

Monde sans Jean-Luc année zéro

Note : 3 sur 5.

Allemagne 90 neuf zéro

Année : 1991

Réalisation : Jean-Luc Godard

Avec : Eddie Constantine

Encore et toujours les mêmes aphorismes d’images chez le bon Jean-Luc. Il faut au moins lui reconnaître une chose, on ne s’ennuie jamais (enfin pas toujours) avec ses films. L’atout des aphorismes, c’est qu’ils sont courts. Leur désavantage, c’est qu’il faut les multiplier pour faire un film.

Et je commence à me demander si la source d’inspiration théorique (ou esthétique) de Godard, ce ne serait pas Eisenstein avec son montage des attractions. Godard ne cesse de faire interagir des images et des sons ayant un champ lexical proche (ici, tout ce qui inspire le bonhomme à travers le titre du film), et ça donne comme quelque chose qu’on pourrait qualifier de « recueil de sonnets des attractions aphorisant ». En somme, il a souvent un décor qui lui sert de base, d’espace scénique ou de page blanche découpée dans un journal, une bribe de situation (une attraction, donc, au sens de sketch, de saynète), et puis, il l’interrompt et le découpe à l’aide de virgules, d’enjambements visuels ou sonores censés comme chez Eisenstein faire sens ou procurer une émotion.

C’est pour ça qu’on ne s’ennuie jamais devant un Godard. Tout le monde aime jouer au jeu de devinettes cinq minutes : faire percuter des images et des sons, avec des panneaux de titres « abs cons » (pour faire comme Jean-cuL), ça pousse toujours un peu à la réflexion ou à la recherche de sens face à une étrangeté comme on le ferait devant des paréidolies. Sur un malentendu Jean-Luc Dusse pense peut-être que le spectateur conclura à sa place : ainsi, il crée l’écran de fumée, à charge au spectateur d’y voir un sens.

Moi, par exemple, j’ai cru voir Don Quichotte, tel Greta Thunberg, partir à l’assaut des monstres de fer grignotant la terre en recherche de charbon…

« Le rêve d’un État est d’être seul. Celui d’un individu est d’être deux. »

Ça me fait rire tellement l’escroquerie est belle. Mais j’aime bien les poètes escrocs. C’est pour ça qu’en dehors des films des années 70 franchement lourdingues, il y a toujours quelque chose à tirer des films de Godard.

Chacun devrait s’exercer tous les jours à inventer ce type d’aphorismes barbares : monter des images, des mots et/ou des sons comme des attractions eisensteiniennes, et regarder comment ça sonne. Certains font des pompes ou des mots croisés pour se maintenir en vie, les cinéastes, au moins, ou les poètes devraient s’exercer à monter de tels aphorismes d’images ou de mots. Tant que c’est encore possible. Parce que bientôt, ce seront les robots conversationnels comme ChatGPT ou les générateurs d’images intelligents comme DALL·E 2 qui les inventeront à notre place. J-L. Dieu l’avait peut-être compris, c’est sans doute pour ça qu’il a décidé de tirer sa révérence.


Montage koulechovien : Trouvez un sens à ces images dont le titre est L’Ouest s’arrête-il à l’Amérique ?

Allemagne 90 neuf zéro, Jean-Luc Godard 1991 | Antenne 2, Production Brainstorm, Gaumont, Périphéria


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Les voix du public (interprétations, perception, heuristiques et relativisme) :

 

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Une histoire du cinéma français

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Scénario du film Passion, Jean-Luc Godard (1983)

Scénario du film ‘Passion’

Note : 3.5 sur 5.

Scénario du film ‘Passion’

Année : 1983

Réalisation : Jean-Luc Godard

Godard aurait mieux fait toute sa carrière de “montrer” ses scénarios plutôt que de les tourner. Cette sorte de making-of d’un film raté se révèle bien plus intéressante que le film même.

Comme souvent, Godard est bien meilleur personnage/acteur que réalisateur/monteur d’images qui s’intéresse assez peu à l’histoire et qui n’aime rien de mieux que de perdre son public, s’il ne se perd lui-même. Il parle de métaphores d’ailleurs quand je parle d’aphorismes filmiques, et toute mon incompréhension de son cinéma se situe dans cette différence : j’adore l’écouter parler, parce que c’est un poète qui dit souvent n’importe quoi, mais ce n’importe quoi révèle une recherche constante d’un idéal. Et l’artiste qui cherche, ça me fascine. Il cherche comme Picasso cherche, et rate, dans le film de Clouzot ; et un artiste qui rate, là aussi, c’est beau.

Le problème, c’est que traduire ses mots en aphorismes d’images, ça complique déjà la chose, parce que le télescopage des idées est moins évident ; alors quand il dit lui-même, comme pour me répondre, qu’il use de métaphores, ça explique en quoi je suis si hermétique à son approche.

D’ailleurs, tout dans sa méthode de travail avec les acteurs, son sujet, son histoire me rebute. Il n’y a que la technique où il apporte quelque chose, au montage surtout. Mais c’est un peu comme écouter de la poésie russe sans rien y comprendre, ou de la philosophie allemande. Quoi que, je prête bien plus à la philosophie allemande une capacité à dire quelque chose de juste sur le monde, alors que Godard, c’est Godard qui n’est séduisant à voir que dans ses recherches permanentes et vaines.


 
Scénario du film ‘Passion’, Jean-Luc Godard 1983 | JLG Films, TransVidéo, Télévision Suisse-Romande

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Détective, Jean-Luc Godard (1985)

Détective

7/10 IMDb

Réalisation : Jean-Luc Godard

Un film de Godard, c’est comme une tablette de Toblerone. Un gros Toblerone. T — O — B — L — E — R — O — N — E. *

(* écrit en néon sur le toit d’un immeuble)

En gros, tu bouffes un morceau, un tableau, t’as tout vu et rien compris. Les noisettes, ce sont les références permanentes qu’il sera le seul à comprendre (on ne voit parfois même pas ce que lisent ses personnages, mais c’est sûr, voir plein de bouquins à l’écran, c’est aussi classe que des acteurs en train fumer), et le chocolat, ce sont ces éternels aphorismes visuels. Parfois c’est poétique, mais c’est vide et plein de prétention. Un boxeur qui file une gauche, puis une droite à deux nichons dont la propriétaire l’incite à travailler encore et encore ses enchaînements, c’est vrai, c’est mignon.

On peut au moins apprécier les acteurs. La théâtralité cinématographique de Laurent Terzieff face à l’autre, celle-ci non cinématographique, de Alain Cuny ; la spontanéité des Nathalie Baye, de Claude Brasseur, de Emmanuelle Seigner, ou de Julie Delpy ; et puis l’étrange et éternelle fantaisie de Jean-Pierre Léaud. Johnny quant à lui est nul, mais est-ce étonnant ? Godard de toute façon ne dirige personne, il caste et se détourne ensuite de ses acteurs pour s’intéresser aux objets : des slogans aphoriens autour de marques au sol, des jump cuts inondés de musique intempestive très pète-cul, partout des inserts beaucoup plus intelligents que tout le monde.

Même le titre sonne comme une marque de parfum. Tout chez JLG est cosmétique, publicitaire, cruciverbeux. Au mieux son cinéma est ludique, indolore.


Loin du Vietnam (1967)

Note : 2.5 sur 5.

Loin du Vietnam

Année : 1967

Réalisation : Joris Ivens, William Klein, Claude Lelouch, Agnès Varda, Jean-Luc Godard, Chris Marker, Alain Resnais

Au cinéma quand on est cinéaste, il y a le contrôle continu (la filmographie), et il y a le tour de force un peu passé de mode mais obligatoire dans les années 60-70 : participer à un film à sketchs. L’amusant ici, puisqu’il y a presque autant d’auteurs crédités au générique que d’élèves pas classe, c’est, à la moindre connerie ou bon point relevé dans le film, de noter les noms. Tout l’enjeu pour les participants est de parvenir à ne pas se faire reconnaître.

Le cancre dans cet exercice, c’est encore notre ami Jean-Luc (élève Godard), qui bien qu’ayant très bien compris qu’il fallait respecter le sujet en évitant de montrer sa trombine à l’écran, n’a évidemment pas pu s’empêcher de le faire, filant ainsi en beauté, droit, vers le hors-sujet : le titre Loin du Vietnam vient peut-être de là. Remarque, je préfère encore écouter Jean-Luc raconter ses petites contrariétés d’aristocrate attiré par le prolétariat innocent et bête, ou chagriné face à son impuissance dans le conflit vietnamien (et même un peu vexé mais compréhensif de se faire éconduire par ses héros), que devoir bouffer vers la fin, et dans la copie de je ne sais quel élève, une suite de commentaires recueillis sur le pavé. Jean-Luc est touchant au moins dans sa volonté d’être lucide, et maladroit. Ce qui est loin d’être le cas de cette femme à l’accent insupportable du XVIᵉ arrondissement de Paris, présentée comme vietnamienne et se réjouissant de l’immolation napalmée et volontaire d’un Américain protestant contre la guerre.

Comment on dit déjà ? Inégal. (Et assez inutile, en tout cas cinquante ans après.)


Loin du Vietnam 1967 | Société pour le Lancement des Œuvres Nouvelles


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Le Petit Soldat, Jean-Luc Godard (1963)

Aphorisme des images

Note : 3.5 sur 5.

Le Petit Soldat

Année : 1963

Réalisation : Jean-Luc Godard

Avec : Anna Karina, Michel Subor, Henri-Jacques Huet

Ce qu’est bien (parfois) chez Godard, c’est que quand il pense faire de la politique, il fait de la poésie. Il aime les mots, et il vendrait sa mère pour en dire un beau à travers des aphorismes. On se donne toujours des airs très intelligents quand on use de telles figures de style. À tort… C’est d’ailleurs le danger des “belles” idées. Un film politique raté, ça fait un joli film avec de jolis mots prétentieux ; et dans un film politique, ou qui voudrait l’être (à la question « le cinéma est-il politique ? » je répondrai toujours : « Jamais ! »), on n’y trouve aucune Danoise s’appelant Dreyer. Et là, on n’est plus dans l’aphorisme des images ou des mots, mais dans un autre travers remarquable du cinéaste franco-suisse : les références, les clins d’œil.

Godard est un escroc, c’est pour ça qu’il lui est arrivé de faire de bons films (la capacité à tromper est une des meilleures qualités d’un artiste — et allez, hop, un aphorisme !). Comme tous ceux qui pensent avoir quelque chose à dire, il se contente de faire de la musique. Du vent à destination d’instruments dont il n’est pas toujours maître. C’est ça au fond aussi le cinéma, de la musique 24 images par seconde — mais la vérité, elle, celle indispensable pour parler politique, elle se cache bien profond dans le fion d’une mouche.


Le Petit Soldat, Jean-Luc Godard 1963 | Les Productions Georges de Beauregard, Société Nouvelle de Cinématographie


Liens externes :


Jean-Luc Godard

crédit JLG

Classement :

10/10

9/10

  • À bout de souffle (1960)
  • Week End (1967)

8/10

  • Vivre sa vie: Film en douze tableaux (1962)
  • Une femme mariée (1964)

7/10

  • Bande à part (1964)
  • Masculin féminin (1966)
  • Le Petit Soldat (1963) 
  • Prénom Carmen (1983)
  • Scénario du film Passion (1983)
  • Paris vu par… Segment Montparnasse-Levallois (1965)

6/10

  • Pierrot le fou (1965)
  • Le Mépris (1963)
  • Une femme est une femme (1961)
  • Sauve qui peut (la vie) (1980)
  • Bande-annonce de ‘Sauve qui peut (la vie)’ (1980)
  • Numéro deux (1975)
  • Grandeur et Décadence d’un petit commerce de cinéma (1986)

5/10

  • Loin du Vietnam (1967) 
  • La Chinoise (1967)
  • Alphaville (1965)
  • Une bonne à tout faire (1981)
  • Lettre à Freddy Buache (1981)
  • Je vous salue Marie (1983)
  • Passion, le travail et l’amour : introduction à un scénario/ Troisième état du scénario du film Passion (1982)
  • Changer d’image : Lettre à la bien-aimée (1982)

4/10

  • One + One / Sympathie for the Devil (1968)
  • Passion (1982)
  • Notes à propos du film Je vous salue Marie (1983)
  • Tout va bien (1972)

3/10

  • Adieu au langage (2014)
  • 2 ou 3 choses que je sais d’elle (1967)
  • Le Livre d’image (2018)
  • Le Gai Savoir (1969)
  • King Lear (1987)
  • Made In USA (1966)

2/10

  • British Sounds (1969)

1/10

Films commentés (article) :

Films commentés (courts articles) :

simples notes :

Le Gai Savoir

C’est parfois plus amusant de voir les réactions outrées de certains spectateurs que de regarder certains films de Godard. Parce que celui-ci est franchement insupportable. Godard surfe sur la vague contestataire de la fin des années 60, et ce n’est plus beaucoup de cinéma, et plutôt du militantisme. Godard s’essaie déjà à ces habituels jeux de “mots” dignes d’un cruciverbiste amateur ou d’un crypto-psychanaliste. Un peu de prétention, beaucoup de bêtise en barres. Y a peut-être pas plus idiot qu’un garçon jouant de collages et venant prétendre que ces « collages des attractions » ont un sens. Heureusement, le film est parcemé de quelques fulgurances d’autodérision ou de simples fantaisies. Mais c’est peut-être ça le problème de Godard, c’est qu’il prend bien trop au sérieux ses collages enfantins.

One + One / Sympathie for the Devil

Un imbécile est témoin du génie en pleine création, et lui, il regarde ailleurs.

Passion

Si Sauve qui peut (la vie) pouvait séduire parce qu’il y avait un semblant d’histoire, celui-ci, le suivant chronologiquement patine à ce niveau et ne cherche même pas à faire semblant. Godard n’a rien à raconter, donc il nous dit « merde, je sais qu’il n’y a rien dans ce film, d’ailleurs, je vais juste en faire une mise en abîme ».

Pour le reste, parmi les cauchemars des acteurs, on trouve : tourner à poil, tourner dans une autre langue que la sienne, jouer un bègue. Eh bien, Godard arrive à tout mettre dans le même film. Le plus effrayant, c’est de voir ce qu’il fait d’une des meilleures actrices de sa génération, Isabelle Huppert. On sent à chaque seconde le malaise d’une actrice qui voudrait être ailleurs et qui sait à quel point ce qu’on lui demande est non seulement ridicule mais la rend mauvaise. Aucun acteur ne peut être crédible en bègue. Et si on n’y arrive pas, si on a au moins encore un peu de respect pour lui et le spectateur, on accepte le fait de s’être trompé et on arrête de lui infliger ce calvaire.

 

Jean-Luc Godard